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Stephen B. Roman
LE CULTE DES HÉROS
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SES CONDITIONS SOCIALES
LIBRAIRIE FELIX ALCAN
BIBLIOTHEQUE DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE
TRAVAUX DE L ANNÉE SOCIOLOGIQUE
PUBLIÉS SOUS I. A UIUECTIU.N DE M. É. D L K K 11 li 1 M ,
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L'ANNÉE SOCIOLOGIQUE
PUBLIÉE SOUS LA DIM&riO^ DE É. DURKIIEIM.
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TnAVAUX DE L'ANNÉE SOCIOLOGIQUE
PUBLIÉS sors LA DIRECTIOX DE il. È. DURKHEIM
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CULTE DES riEROS
ET
SES CONDITIONS SOCIALES
SAINT PATRICK
HÉROS NATIONAL DE L'IRLANDE
PAR
S. CZARNOWSKi
Préface de .M. H. HUBERT
Directeur adjoint à l'École pratique dos Ilautes-Éludcs.
PARIS
LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN
108, BOULEVARD S A I N T - G E RM A I N , 108
1919
Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés
pour tous pays.
AVANT-PROPOS
L'objet «te ce livre est de mettre en lumière les
relations entre le cnlte des héros et Forganisation
sociale. Mais ce qni me Ta fait eotreprenflre ce sont
des préoccupations sociologiques d'un ordre plus
général. \\ s'agissait d'approcher la question de
l'autorité sociale en tant que forme concrète sous
laqiie'lle apparaissent les valeurs sociales fondamen-
tales ; les héros sont une de ces formes, et d^es plus
typiques. C'est pourquoi j'ai commencé mes re-
cherches par là. Bien que le présent livre ne touche
qu'indirectement à ce problème si vaste, je croi-
rai n'être pas resté trop loin de mon but si l'on
estime que mon travail apporte quelque précision à
la connaissance des héros, considérés au point de
vue sociologique.
Si ce livre rencontre quelque approbation, le mé-
rite en revient pour la plus grande part à mes
maîtres. M. Henri Hubert, dont j'ai été l'élève à
l'École Pratique des Hautes Éludes, a suivi toutes
les phases de la préparation et de la rédaction du
II AVANT-PROPOS
livre, poussant sa sollicitude jusqu'au détail de la
composition, du style et même de l'impression.
M. Marcel Mauss, mon maître également, m'a
engagé le i)remier à publier le résultat de mes re-
cherches, et il ne m'a ménagé ni ses critiques, ni
ses conseils. M. Vendryès a bien voulu lire une
épreuve du livre et je lui dois d'avoir évité bien des
erreurs philologiques. S'il en subsiste encore dans
mon livre — et il y en a — la faute n'en est pas à
ces Messieurs. Il ne me reste qu'à leur exprimer
mes remerciements pour le mal qu'ils se sont
donnés.
Je dois aussi remercier tous mes camarades de
l'Ecole Pratique des Hautes Études, qui ont bien
voulu écouter les conférences que je leur ai faites
sur certaines parties de mon livre, car leurs bien-
veillantes remarques m'ont toujours été précieuses.
Stefan Czarnowski.
Varsovie, décembre 1913.
PREFACE
I
On se demandera comment une étude aux données étroi-
tement circonscrites, comme celle-ci, qui se limite à la vie
d'un saint, d'un seul saint, peut avoir une portée sociolo-
gique et si l'on peut passer d'un bond de saint Patrick,
héros national de l'Irlande, aux conditions sociales du culte
des héros.
M. Czarnowski nous raconte, pièces à l'appui, l'histoire
positive de saint Patrick; elle est courte. Il analyse son
histoire légendaire, qui est longue. Saint Patrick ressemble
à des dieux et à des héros irlandais, dont les mythes vont
nous être exposés dans leurs épisodes caractéristiques.
Hagiographie, étude philologique de mythologie irlandaise,
histoire, en fin de compte, tel est le fond du livre.
Or, la sociologie est encore affaire de philosophes. Les
faits particuliers sont plutôt mentionnés que racontés dans
un travail de sociologie. Ils y paraissent à titre de preuves
et d'exemples. Sociologie semble être toujours théorie. Il
est vrai que, pour faire la théorie des faits sociaux,
le sociologue devra souvent en faire lui-même l'étude histo-
CZ\RN0WSKI. a
II l'RKFACE
riquc cl philologique tju'il n'uuru pas trouvée loulc faite.
Mais pcul-ùtre aura-t-il alors le souci de ne pas présenter
de front son double travail.
Ici la, discussion du problème sociologique général
énoncé par le litre est, au contraire, enveloppée dans l'ex-
posé minutieux d'un fait particulier, l'histoire réelle et
légendaire de saint Patrick. En nous demandant de quelle
façon et dans quelle mesure la thèse se dégage de l'exemple,
nous nous proposons de définir les caractéristiques d'un
type de travail sociologique, utile et recommandable.
Mais, question préjudicielle, s'agit-il bien d'un problème
sociologique ? Tout prol)lcme d'histoire des religions n'est
pas nécessairement tel. Tout phénomène qui se passe dans
la société n'est pas nécessairement social.
M. Czarnowski s'applique à nous présenter, dès ses pre-
mières pages, une idée générale des héros dont l'intérêt
sociologique est évident. Ne devient pas héros, nous dit-il,
qui veut ou qui l'on veut ; il y faut une sorte de consente-
ment collectif, qui a pris des formes rituelles dans quelques
cas notés avec soin. Seuls, des personnages dont le carac-
tère représentatif est bien apparent peuvent en être l'objet.
Ils représentent virtuellement les qualités idéales d'un
groupe d'hommes, auxquels ils sont attachés par des liens
spéciaux, souvent imaginaires; ce sont ceux qui unissent
les parents entre eux, les chefs à leurs subordonnés, les
patrons à la communauté, à la cité, à l'institution qu'ils
ont fondée. L'alliance du représentant et des représentés
est perpétuée par les services effectifs, spirituels et tem-
porels, que ceux-ci attendent et croient recevoir de celui-
là. Ainsi, la notion des héros comporte celle de rapports
sociaux entre un personnage de légende ou de mythe et un
PREFACE III
groupe d'hommes. Elle contient donc en fait un élément
social. EUle se prôte par conséquent à une élude de socio-
logie.
La méthode habituelle de la sociologie, méthode de
recherche et de démonstration, est la méthode compara-
tive. Ses définitions et ses conclusions sont fondées sur des
comparaisons dont, généralement, elle ne se contente
pas de prendre les termes dans une seule société. Chez
M. Czarnowslci, saint Patrick n'entre en comparaison
qu'avec les saints, les dieux, les héros de l'Irlande; c'est
d'ailleurs pour laisser voir qu'il leur ressemble et, par
conséquent, qu'il est un héros; on ne le quitte que pour le
mieux connaître. La méthode comparative n'a donc été
suivie qu'à bénéfice réduit. Certes, le travail qu'on va lire
est fondé sur un substratum de comparaisons plus étendu.
Elles fournissent la matière d'une introduction. Mais il
n'en est pas fait état dans la démonstration.
On voit déjà par là que l'auteur s'est moins occupé de
généraliser que d'analyser et peul-ôtre moins de théorie
que de recherche. Il a voulu tirer d'un cas particulier, celui
de saint Patrick, les enseignements sociologiques qu'il
comporte.
L'analyse de cas isolés a déjà sa place prévue dans les
méthodes sociologiques, soit à titre de monographie, des-
tinée à s'ajouter à d'autres pour former avec elles des syn-
thèses cumulatives, soit qu'il s'agisse de faits cruciaux ou
typiques et d'en dégager les éléments essentiels d'un phé-
nomène. M. Czarnowski montrera que l'histoire de saint
IV PntFACE
Patrick présente t\ la sociologie un fait crucial; mais elle
ne le présente pas d'emblée, A vrai dire, les éléments
cruciaux, décisifs à notre point de vue, des faits historiques
ou ethnographiques n'apparaissent qu'à lanalyse et après
traitement sociologique.
Mais, en fait, il y a deux sortes de travaux sociologiques.
Dans les uns des thèses sont proposées et des questions
posées; les faits sont appelés, chacun à son tour, pour
fournir les réponses. Dans les autres, les faits, donnés
d'abord, posent les questions; mais ils sont choisis pour les
questions qu'ils posent. Ces derniers ont des avantages.
Les faits y gardent leurs détails, leur couleur et leurs
garanties d'authenticité, précieuses à qui sait l'obscurité du
passé. Le livre de M. Czarnowski est de ceux-là. La minutie
de l'histoire et de la philologie, mise au service de la socio-
logie, n'y donnent pas seulement des sécurités, mais des
raisons.
On concevra mieux leur caractère sociologique, si l'on
aperçoit d'abord en quoi ils peuvent différer des travaux
historiques. Il est facile de se figurer comment un histo-
rien traiterait le sujet choisi par M. Czarnowski. On s'éton-
nera certainement que, après avoir commencé par se
demander, textes en mains, si saint Patrick était bien un
personnage historique, il n'ait pas fait de la même façon
l'histoire de sa popularité. On lui reprochera certainement
d'avoir été court sur les manifestations passées et présentes
de cette popularité. Etudier saint Patrick comme héros natio-
nal de l'Irlande, n'est-ce pas compter les occasions où
PREFACE V
ce caractère s'est professé, déterminer dans la suite du
temps une série de ses variations en nombre et en inten-
sité, fixer des dates et des circonstances. La diiïusion du
nom, les églises placées sous l'invocation du saint, les
chants populaires et autres, les emblèmes et leur usage,
autant de faits, et de documents qui paraîtraient en bonne
place chez un historien. M. Czarnowski les traite comme
donnés et hors de question. 11 insiste par contre sur les rai-
sons et les conditions du fait principal ; ce sont des insti-
tutions, choses durables et générales. Tandis que, pour
l'historien, la série des effets et des causes se passe en
séquences de faits particuliers, le sociologue remonte d'un
fait social à un fait social antécédent. Ce n'est d'ailleurs
pas sans bénéfice historique. A travers le saint Patrick de
la légende, M. Czarnowski nous fait apercevoir assez
clairement quelques traits importants du saint Patrick de
l'histoire. Nous ne croyons pas qu'on ait encore mieux
expliqué, par exemple, la méthode d'assimilation pratiquée
par saint Patrick'. Au surplus, de ce côté, nous avons
partie gagnée, car personne ne se refuse à voir les clartés
que l'esprit sociologique apporte en histoire. Mais ce n'est
pas le profit de l'histoire, c'est celui de la sociologie qui
nous importe. C'est un travail de sociologie à base d'his-
toire que nous présentons aux lecteurs des Travaux de
l' Année sociologique et non un travail d'histoire à base
de sociologie.
1. DArbois de Jubainville, Cours de littérature celtique, t. I, Intro-
duction à l'étude de la littérature celtique, p. 158, sqq. (cours de 1882
au Collège de France).
VI PRKFAC E
II
Lorsque nous parlons de héros, nous nous entendons et
sans doute l'usage emploie-t-il ce mot avec assez de discer-
nement ; mais les difTicullés commencent avec la réflexion *.
Déjà rallemand possède deux mots dont on s'applique à
distinguer les sens, Held et Héi'os, héros dans l'épopée,
héros dans le culte. Distinction est quelquefois confusion.
Les langues qui ne sont pas nourries aux sources de
l'antiquité classique présentent une certaine variété de
synonymes dont la correspondance est imparfaite; les ma-
rabouts', les velis^ arabes ont quelque chose de commun
avec les héros que nous imaginons, sans leur ressem-
bler tout à fait. Il faut compter surtout avec les langues
dont le vocabulaire religieux manque d'un terme topique
et précis pour désigner les héros, bien que nous en con-
naissions dans les traditions des peuples qui ont parlé
1. Depuis que ces lignes sont écrites a paru, dans le tome VI de
ÏEncyclopsedia of Religion and Ethics éd. by J. llastings, un article
Heroes and hero-rjods, qui est l'œuvre de divers collaborateurs. C'est un
bel exemple de la diversité des opinions que des hommes, qui sont
d'accord sur l'emploi d'un mot, peuvent exprimer sur la définition de
la notion correspondante. 11 y a des héros qui sont des morts illustres,
puissants et recevant un culte ; d'autres sont des acteurs mythiques
du spectacle de la nature ; d'autres enfin sont héros dans l'épopée. Ces
trois sortes de héros sont pris tour à tour par les divers collaborateurs
de l'article pour les types originaux de l'espèce. Nous allons montrer
que les trois types y entrent pour ainsi dire sur le même plan. En ce
qui concerne les noms communs, cette revue universelle des héros nous
laisse à peu prés à nos propres ressources.
2. E. Doutté, Magie et Religion dans V Afrique du Nord, 1909, pp. 52,
433, 590, etc.
3. S. I. Curtiss, Ursemilische Religion im Volksleben des heuligen
Orients, 1903, passim.
PRÉFACE VII
ces lanj^ues ; c'est le cas de l'hébreu ', du latin - et celui de
rirlandais, aussi bien que du gallois ^ On y recourt aux
adjectifs pour qualifier des personnages, qui sont forts, vio-
lents, batailleurs, illustres, pour décrire leurs magnifiques,
mémorables et bieiifaisaules brutalités, mais sans les
sé{)arer par un terme spécifique des hommes ou des dieux.
Certes, nous avons lieu de croire que la notion que nous
exprimons par le mot héros a été fort répandue ; mais elle
n'a pas été partout distincte, homogène et compacte. Elle
n'est pas de celles qui se passent de définition, ni qu'on
risque d'obscurcir à les définir.
Il s'agit, sauf exception, de personnages qui, au moins
dans l'opinion des hommes, ont vécu et sont morts, hommes
d'un passé proche ou lointain, réel ou légendaire ; démons
1. Gibbor. fort, violent, désigne le guerrier, le soldat, aussi bien que
le héros et la force divine ; 'azzouz, qui signifie fort, s'emploie comme
nom collectif pour désigner les héros, Is. 43, 17 ; shalish, pourrait à la
rigueur passer par une expression spécifique, mais s'applique spé-
cialement au.x hommes de choix qui entourent le roi. Rois II, 7, 2 ; dans
l'emploi (le l'expression 'abir Israël, qui ne se dit que de Jahve, Gen.
49, 24, apparaît quelque chose du sens que nous allons définir.
2. Les héros latins sont les viri illustres de l'histoire ancienne ; l'em-
pire, avec la religion impériale en a formé un nouveau ban. — Le culte
impérial est associé à celui des Lares. C'est une question de savoir si
le culte des Lares procède du culte des morts et des ancêtres (Wissowa,
Religion und Kullus der Rumer, p. 148, 159) ; il ne paraît pas qu'elle
soit susceptible de solution. 11 n'y a donc pas à rechercher si les Lares
sont comparables aux héros ; toutefois, ils ont des fonction s qui, ailleurs,
sont dévolues aux héros. — L'emploi de divus dans le protocole reli-
gieux des empereurs est une nuance qui correspond peut-être à une
distinction, par le langage, des dieux et des héros.
3. V.n irlandais, l'un des mots les plus usités est laech (de laicus),
laech fjaile, héros de vaillance ; cm;-, caur, est un vieux mot (cf. •/-jp'.oç) ;
gaiscedach, gaisceack viennent de gaisced, valeur guerrière ; greit,
champion, désignait le saint, le champion divin, cf. Félire Oengusso,
éd. Stokes, passim ; err, s'applique spécialement au guerrier qui
combat sur le char à côté du cocher. On peut se demander si nia, gén.
niad, héros, et nia, neveu, sont un seul et même mot. — En gallois,
deior est un emprunt à l'anglo-saxon deor, cf. J. Loth, Revue celtique,
L X.\X11, p. ±^±'i, J. Vendryes, ibid., p. 476; arvcr, gxrron, gwrol.ldyd
désigneût la prééminence, la vaillance.
VIII PREFACE
OU (lieux, qui ont subi les hasards d'une vie temporelle.
Hommes, ils ont clé surhumains ; morts, ils se distinguent
de la foule des morts par le souvenir qui s'attache à eux
et la force qu'on leur proie encore; démons ou dieux, ce
sont des quasi-démons ou des demi-dieux, de puissance
moindre, limitée ou temporaire, mais serviables aux hommes
dont ils se rapprochent, voisinant avec eux dans leurs
images reconnaissables et leurs tombeaux certains, inter-
cesseurs divins en un mot. Surhommes ou demi-dieux, les
héros sont en tout cas divins ; le héros est un divits, une
espèce du divin*.
Mais ces caractéristiques, pour limitatives qu'elles parais-
sent être, laisseraient une latitude presque indéfinie à
l'emploi du terme en question. Entre les esprits ancestraux
et les héros, il n'y a pas de démarcation qui se distingue
du premier coup. Il n'y en a pas davantage entre les héros
épiques et ceux des contes ou du roman. Tous les démons
agraires, tous les génies totémiques, tous les dieux qui
descendent sur terre pour engendrer des hommes, fonder
des races, les instruire, leur attraper la lune ou le soleil
et finalement mourir au sacrifice ou ailleurs et enfin tous
les dieux créateurs, tous les dieux en un mot sont exposés
à se ranger tour à tour dans la catégorie trop largement
ouverte des héros, à la suite des héros civilisateurs, améri-
cains ou autres % dont les capacités et les attributions sont
1. En grec, l'expression Gsol r^ptutc, qui traduit Dei Mânes, dans des
inscriptions hellénistiques n'en dit pas davantage: GIG, 3232: Antinoos
est appelé sur les monnais à son effigie, tantôt 'Jïpax; et tantôt Oeoç :
G. Blum, AvTtvooç Oeoç, Mélanges d'Ilist. et d'Arch., Ecole française de
Rome, 1913, p. 65 sqq.
2. La notion de héros a été élargie à l'extrême par MM. Breysig et
Wundt. Voir K. Breysig, Die Enlstehung des Gottesgedankens und der
Heilbringer, Berlin, 1905 ; W. Wundt, Elemenle der Yôlkerpsycliologie,
PREFACE IX
indénnimcnl étendues. En parlant de héros on a parlé du
Christ et du Bouddha, des prophètes, et surtout des saints.
C'est même le premier titre de saint Patrick à entrer ici en
concurrence. Une notion aussi distendue peut finir par ne
plus rien comprendre et il importe d'en resserrer étroite-
ment les limites.
C'est du côté des dieux qu'elles sont le plus difficiles à
fixer, tant les degrés sont nombreux et la progression insen-
sible dans le monde spirituel et divin que l'humanité s'est
superposé.
Au milieu du temple d'Hiérapolis en Syrie il y avait trois
images divines : Tune représentait une déesse ; l'autre, la
figure assez falote d'un très grand dieu ; de la troisième,
l'auteur du De Dea Syria, dont le langage a des nuances,
ne nous dit pas expressément qu'elle figurât un dieu *. Les
deux premières recevaient à proprement parler un culte;
la troisième figurait dans le culte et servait aux rites.
Mieux pourvu de mythes et de légendes que ses associés
ce personnage ressemblait à Atlis, à Adonis ; aux visiteurs
du temple, curieux de connaître son nom, on parlait de
Dionysos, de Sémiramis ; même sa personnalité divine
Leipzig, 1009, ch. m, Das Zeitalter der Helden und Gôller: id., Vôlker-
psychologie, II, (IV*) Mytlius und Relif/iort, Tier-Ahnen-iaid DâmonenkuU,
ch. V, der Salwmylhus. Chez M. Breysig, il ne s'agit pas expressé-
ment de héros, mais de sauveurs et de civilisateurs. Nimporte! C'est
au passage des civilisations du Nouveau-Monde aux civilisations
anciennes de l'Asie et de l'Europe, qu'il se donne ample carrière. Jahve,
par exemple, est rattaché (p. 65 sqq.) à la famille des Heillringer par des
traits de nature mi-animale et mi-héroïque. M. Mauss, dans son compte
rendu de Y Année Sociologique, t. X, p. 317 sqq., a indiqué de quel point
de vue nous jugeons ce travail, que nous ne pouvons utiliser beau-
coup, ni discuter longuement. Nous attachons un tout autre intérêt aux
opinions du philosophe qu'est M. Wundt ; j'y reviendrai plus loin. Mais
si respectable que nous paraisse son œuvre, nous y trouvons plus d'opi-
nions que d'acquis. Voir M. Mauss, Année Sociologique, t. XI, p. 52 sqq.
1. Lucien, De Dea iiyria, 32.
X PRÉFACE
s'idontifiail avoc celle d'un fondateur du cullo, Combabos,
général de Sélcucus, donl on racontait une curieuse
légende. Nous y reconnaîtrions donc volontiers un héros.
Le troisième personnage de ces trinités sémitiques, dont la
trinilé d'Hiérapolis est un exemple, est, par excellence,
un « dieu vivant » ' et plein de vie, d'une vie semblable
à la vie humaine ; il en témoigne par la souffrance, par
la mort, par la résurrection suivie de morts nouvelles ;
son humanité fait sa valeur; c'est un médiateur; c'est
déjà presque un Messie. Si les Grecs l'adoptent, c'est Her-
cule', c'est Méhcerte^, lolaos ' ou DeucaUon % c'est-à-dire
des héros, qu'ils reconnaissent en lui. Néanmoins l'opinion
des Grecs n'a pas paru décisive à M. von Baudissin, qui
a consacré à ces dieux syriens de si claires et profondes
études, et nous nous sommes tentés par la siemie. Pour
lui, Adonis et ses pareils, n'étant pas tout à fait des
dieux, sont des démons. La difficulté est grande de répar-
tir en catégories nettement définies et hiérarchisées ceux
des êtres religieux dont la place n'est pas marquée au
premier rang du culte.
On a le sentiment qu'il existe des catégories, mais com-
ment leurs différences s'articulent-elles? Fixer, comme on
l'a fait*, la limite entre dieux et héros au point où le culte
commence, c'est exclure des héros tous les héros grecs,
1. W. W. von Baudissin, Adonis uad Esmun, Inlroduction, VI, p. 56,
Die Idée des Lebens, 4« partie, III, p. 450 sqq., Jahwe der Icbende
Gott.
2. hl, o. l. pp. 230, 235.
3. H. Schmidt, lona, p. 113 sqq.
4. W. W. von Baudissin, o. l. p. 286 sqq.
5. Lucien, o. l., 12.
6. K. Breysig, o. L, p. 7 sq. ; A. C. Haddon, dans Hastings's Encyclo-
paedia, t. VI, p. 635 sq.
PREFACE XI
les plus (v[)i(jiios de tous, car ils reçoivent un culte, l'rcndre
comme critérium le caractère historique des actes, passager
des interventions, borné de la compétence, limité de la
puissance, c'est nécessairement laisser de côté les civilisa-
teurs des mythologies américaines, car ceux-ci ne se
bornent pas i\ aider les hommes et à fonder leurs races,
mais ils les créent et ne sont pas moins capables de
donner ù l'humanité le soleil que le feu. Prendre comme
critérium définitif, sans plus, la personnalité, c'est vouloir
rejeter tous les héros anonymes de la Grèce, les héros
de fonctions et nombres de génies inventeurs de rites ou
de lechni(iues que l'on range sous la rubrique des héros
civihsateurs' ; la nature humaine des personnages, c'est
renoncer à joindre à la famille des héros ses ancêtres à
forme animale, comme le corbeau de la Colombie Britan-
nique. Héros, dieux, démons sont espèces parentes. Mais
leurs ressemblances et leurs différences sont difficiles à
réduire en systèmes.
11 s'est produit certainement de l'une à l'autre des pas-
sages ou des échanges ; des héros sont devenus dieux, des
dieux sont devenus héros. Même des groupes entiers ont
changé de caractère et d'étage. Les Goths, dit leur histo-
rien, Jordanes, appelaient Anses des héros, qui étaient
des chefs; ce sont les Ases des Germains septentrionaux,
qui, chez ceux-ci, sont des dieux '\ Une limite ainsi sou-
1. K. Diirkhoim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, p. 405.
2. Jordanes, De Getarum origine, 13 : proceri^s suos, quasi qui for-
tuna vincfbani, non puros homincs, seJ semideos, id est anses, voca-
vere. — 0. Scliradcr, Aryan religion, dans Haslings's Encyclopxdia, t. II,
p. 15 ; id., Reallexikon cler indogermanischen Allertumskunde, p. 30: les
Ases, comme les Asuras, ont été connus comme des Ames de morts ;
ce sens est porté par la racine dont leurs noms sont dérivée.
XII PREFACE
vcnl franchie risque d'ôlrc fort ciïacée. Dans le cas qui vient
d'ôtrc cilé des héros sont montés en grade. Est-ce ù dire
que la progression des héros aux dieux soit constante, régu-
lière et naturelle? Non pas. La parenté qui relie entre elles
les espèces des esprits ne comporte pas un ordre généalo-
gique évident. Les héros ont-ils précédé ou suivi les dieux?
Sont-ils issus des démons? Ce sont questions qui se posent,
mais auxquelles on a donné des réponses qui ne nous
contentent pas'. L'enchevêtrement est la règle. 11 résulte
en majeure partie de l'extension abusive qui s'est faite, sui-
vant les temps et les pays, de notions familières, tantôt
au profit des héros, tantôt au profit des dieux, tantôt au
profit de certaines sortes de démons, comme les fées.
Il tient aussi au caractère complexe des personnages
divins qui sont indécis entre dieu et héros, tels Héraclès
et Dionysos ". 11 y a plusieurs aspects de la divinité. Tantôt
une seule figure les réunit, tantôt ils se divisent entre plu-
sieurs, qu'un môme culte associe. Les qualités des héros
correspondent sans doute à Tun de ces aspects et inver-
sement nous pressentons qu'il y a pour la divinité des
rôles de héros.
Le livre de M. Czarnowski fait une large place à la défi-
nition du héros. 11 se termine en définition, 11 s'ouvre par
une définition préliminaire. Celle-ci n'est pas une revue de
1. Wundt, ÉlementederVulkerpsychologie, pp. 281,366,372; id. Vôlker-
psycholocjie, IV. I^ 2<' éd. p. 455. H. Usener Gôllernamen, p. 257 sqq.
J. E. Ilarrison, Prolegomena to the study of Greek religion, p. 323 sqq.
2. npoo; AîovjJE, Poelae Lyrici Graeci, t. III, 636.
PRKFACE XIII
synonymes; elle énumère et résume les traits d'un type,
donl la Grèce fournit les principaux exemples. M. Czar-
nowski le retrouve en Irlande et, tout en faisant le portrait
de saint Patrick, il en explique les caractères.
Sa définition provisoire est compréhensive, car elle réu-
nit les héros donl l'épopée ressuscite les aventures tumul-
tueuses et ceux qui sont héros par la vertu de leur tombeau
et de leurs reliques, les types idéaux et les objets réels du
culte, ceux dont on commente la vie et ceux qui sont des
morts dont on vénère les restes, ceux qui ont réellement
vécu et dont le souvenir est authentique et ceux dont la
vie mortelle est un mythe, ceux qui sont des liommes et
ceux qui voisinent avec les dieux. Ils ne réalisent pas
tous la plénitude du type, mais ils en montrent tous quelque
aspect reconnaissable.
L'explication des caractères de héros attribués par hypo-
thèse à saint Patrick découle de là méthodiquement.
Saint Patrick fut, semble-t-il, un'e très forte personnaUlé.
Activité, énergie, esprit d'organisation, il avait des qualités
de chef et méritait ainsi de devenir un de ces chefs et
champions surhumains que sont les héros. Sa légende l'a
paré de vertus et pourvu de pouvoirs, où se mirent à la fois
l'idéal chrétien et l'idéal national des Irlandais. Il y devient
semblable à leurs anciens dieux. Mais ceux-ci sont des
héros ou assimilés à des héros. Ils ont tous passé sur terre.
Des combats ou des catastrophes leur donnent un merveil-
leux prestige, une vertu d'exemple à imiter ou à craindre,
une auréole de puissance utile et présente. Saint Patrick
s'est insinué, par exemple, dans le système des fêtes où les
héros irlandais sont réprésentés triomphant et mourant tour
à tour ; sa légende le môle à des sortes de sacrifices, qui
XIV PRHFACE
ressemblent singulièrement aux leurs, et comme eux il
combat, s'il ne meurt pas comme eux. Parallélisme entre
saint Patrick et les héros irlandais ; parallélisme également
entre les caractères des héros irlandais et les éléments de
la définition préliminaire; mais n'est-ce pas une constante
tautologie ?
Sans doute. Et cette démarche était, à vrai dire, inévi-
table. Car saint Patrick n'est pas un héros de piano, mais
un saint et il faut montrer que la définition préliminaire
s'applique à lui malgré les apparences. Ce qu'elle peut
gagner à ce travail, de clarté et de précision est gain sup-
plémentaire et bénéfice net. Le but était non pas de l'appro-
fondir ni de la justifier, mais d'en étendre l'application.
Il s'agit, en fait de définition, de définir sociologiquement
un fait historique. C'est un résultat qui, en soi, est loin
d'être dénué d'intérêt, mais qui vaut surtout parce qu'il
permet d'apporter aux problèmes généraux, que le travail
concerne, un nouveau contingent de données précises,
évidentes et authentiques.
Mais bien qu'il soit constamment question dans ce livre
du héros en général, c'est sur un héros d'une catégorie
particulière que l'attention est appelée effectivement et dès
le titre. En définissant saint Patrick comme héros national,
M. Czarnowski fait déjà entrer en ligne de compte dans
sa définition le type de société dont son personnage
incarnerait, pour prendre une de ses expressions « la
valeur sociale fondamentale ». Or, il est en mesure de
nous renseigner, assez complètement, sur les rapports
PRÉFACE XV
sociologiques du héros national irlandais et de la nation
irlandaise.
Voici comment, d'après M. Czarnowski, s'est constituée la
légende héroïque de saint Patrick. D'emprunts à la tradi-
tion irlandaise. Les épisodes caractéristiques des mythes
héroïques y ont été incorporés. Mais tout spécialement
ceu.\ qui ont trait aux fétcs'.
L'année irlandaise compte quatre grandes fêtes dont la
date correspond respectivement aux l*"' février, 1" mai,
l"août, 1" novembre. Entre ces grandes fêtes qui ouvrent
les saisons, tombaient des fêtes de demi-saisons. La fête
de saint Patrick, le 17 mars, coïncide avec l'une d'elles.
Mais toutes les autres ont également quelque chose de
saint Patrick, La vie légendaire de celui-ci s'accomphl
dans le cycle de l'année. Ses épisodes se passent tous
aux dates de fêtes, soit à celles des anciennes fêtes
irlandaises, soit à Pâques ; mais Pâques vaut à la fois
pour la fête du 1" mai, Beltene, et pour celle du 1"' no-
vembre, Samhain. La vie de saint Patrick est strictement
réglée par le calendrier et par l'ordre des fêtes, comme la
vie sociale des Irlandais qui, vivant dispersés, sans villes,
ne se rassemblaient régulièrement qu'aux fêtes, où se
décidaient et s'accomplissaient les actes collectifs. Elles
suivent, l'une et l'autre, le même calendrier. Il y a donc
entre la vie légendaire du saint et le milieu social, où elle
est placée, une évidente harmonie, qui résulte de la façon
même dont elle a été composée.
Cette tradition héroïque, tribale ou nationale, avait des
dépositaires attitrés. C'étaient les filid^. En Irlande et
1. Czarnowski, p. 139, sqq.
2. Czarnowski, p. ilï, sqq.
XVI PRËFACE
en Gaule, les ftlid ont formé une classe, comparable {\ celle
des druides : juges, prôlres, savants, mais surtout poètes,
c'étaient eux qui chantaient aux fûtes le souvenir des
héros. Ils formaient un institut national. Leur organisa-
tion était indépendante de l'organisation des tribus et des
clans.
Or, saint Patrick a été adopté par les /ilid. Le saint Pa-
trick de l'histoire a mis au service de sa propagande la
jalousie des deux corporations rivales, druides et filid.
Il a utilisé l'organisation de ces derniers. Mal accueilli
par les druides, il a su néanmoins entrer, et les siens avec
lui, dans les cadres de la société irlandaise, mais sous
Tégide des /ilid. Ceux-ci lui ont fourni son clergé et des
méthodes d'action. On le voit par exemple entouré de
jeunes gens à l'égard desquels il assume une sorte de
paternité d'adoption. C'est en maître /i/é qu'il se com-
porte alors. La société irlandaise abandonnait, pour ainsi
dire, ses enfants aux corporations spirituelles qu'elle char-
geait de leur éducation. Les filid, alliés de saint Patrick,
disciples de saint Patrick, ont pris le soin de sa légende.
Ils l'ont faite au goût de leur tradition. Ils y ont versé leurs
légendes indigènes. Mais, corps national irlandais, ils ont
fait de leur saint patron un héros de l'Irlande entière.
D'autre part, saint Patrick, inspiré par le vigoureux bon
sens politique qui paraît avoir été l'un de ses caractères,
a conformé autant que possible l'organisation de son Eglise
à la structure de la société dans laquelle il l'implantait.
Bien que les Irlandais aient eu le sentiment d'ôlre une nation
et que l'on puisse avec quelque bonne volonté, apercevoir
chez eux des rudiments d'Etat, ils n'ont constitué en réa-
lité qu'une vaste confédération de clans, tuatha, divisés en
PRÉFACE XXI
leurs types idéaux, leurs emblèmes personnels, leurs
dieux et leurs ancôlres. Ces personnages étaient des
héros.
De la môme façon que l'Eglise de saint Patrick a con-
formé son organisation aux cadres de la société irlandaise,
elle a imité dans le culte de ses saints les cultes héroïques
de celle-ci. Les saints irlandais tiennent la place des
ancêtres et des héros pour les monastères et les évôchés
qu'ils ont fondés, mais aussi pour les grands et les petits
clans qui leur correspondent. Parmi eux, saint Patrick, fon-
dateur de l'Église irlandaise, tient celle d'un héros national
parce qu'il a été adopté par l'institut national des filid,
grftce ti l'aide desquels il a pu accomplir sa tâche d'apôtre
national. Il a les traits d'un héros en raison de l'assimilation
qui s'est opérée entre son Eglise et la société dont elle rem-
plaçait les dieux ; ceux-ci étaient des héros en raison de la
forme de celle-là.
Ces conclusions impliquent l'existence de liens ration-
nels non seulement entre le phénomène social qu'est le
type légendaire de saint Patrick et cet autre phénomène
social qu'est la société où il a fondé son Eglise, mais encore
entre la notion de héros et certaines structures de société,
dont elle serait fonction. Elles marquent donc vers la
solution du problème qui est en question un progrès
logique considérable. Le gain positif, dont il procède, est
de réelle importance.
Une étude limitée à un seul cas et à un seul type
de société ne saurait prouver que le phénomène sur lequel
XXn PRÉFACE
elle porte manque dans d'autres, ni qu'il se produise
sans exception dans celui-ci. M. Czarnowski ne prétend
donc pas que toutes les sociétés à base de parenté et à
forme de clans, et celles-ci seules produisent des héros,
mais qu'une certaine forme de ces sociétés, une certaine
phase de leur évolution leur est tout spécialement favo-
rable. Mais nous pouvons nous avancer avec précaution
dans la voie qu'il nous ouvre, pour la reconnaître et
savoir jusqu'où elle conduit.
Les sociétés à héros sont de celles qui ne se défmissent
plus tout à fait strictement par la filiation, qui ne se défi-
nissent pas encore ou pas complètement par leur territoire,
bien qu'il y ait des héros territoriaux \ ni par un statut
impersonnel comparable à celui qui fait les citoyens d'une
république ou les sujets d'une monarchie, mais qui se
définissent par leurs chefs, rois, chefs de guerre, magis-
trats, fondateurs, initiateurs ^ La notion de héros fait pen-
dant à la notion de chef. Les sociétés à héros sont des
sociétés à chefs. Toute société qui a des chefs, si elle ne
se définit pas normalement par eux, peut passer par des
crises où elle se reconnaît en eux et les héroïse. Cette
formule comporte une réserve; car nous avons le senti-
ment qu'une double délimitation s'impose, touchant la
nature des liens sociaux qui unissent les subordonnés et la
qualité même des chefs.
Un patron de confrérie est, à proprement parler, un
héros. La cité antique a eu ses héros. La patrie a les siens.
1. E. Durkheim, Les formes élémenlaires de la vie religieuse, p. 333,
Ed. Chavannes, Le dieu du sol dans la Chine antique [Annales du Musée
Guimet], t. XXXI, p. 438 sq.
2. Czarnowski, p. 326 ; cf. p. 212, 22G.
PRKPACE xxrir
Mais peul-on en dire autant de TEtatS du di''parlemcnt, de
la monarchie, de la république, de la démocratie? Ces
institutions sont aux patries et aux nations ce que les sociétés
anonymes ou les syndicats sont aux compagnonnages.
Or, quand on désigne, par exemple, un corps de troupe,
un parti par le nom de leurs chefs, on leur confère par
la pensée une unité plus intime que celle de la discipline
militaire ou politique. Entre les membres de ces corps, la
communauté de vouloir a constitué une communion réelle;
une même vie, une môme Ame les anime, qui émane du
chef; entre eux et lui la dépendance ressemble à de la
parenté ; ils sont vraiment frères en lui et le nom qui leur
est donné symbolise cette parenté occasionnelle. Quand une
société prend conscience d'elle-môme sous les espèces de
ses héros, elle sent qu'elle relève son origine, son sang,
son nom par le prestige de leur autorité, de leur force et
de leur valeur. Saint Louis, Jeanne d'Arc, Napoléon ont été,
ou sont des héros pour la France, mais héros de la patrie
française, du nom français que nous portons tous et du
sang français de nos veines. Les mots de patrie et de
nation, comme celui de confrérie, impliquent la parenté. La
notion de compagnonnage comporte celle d'une commu-
nion. La cite grecque était un cercle de parenté, comme
la phratrie et le yévoi.
Peut-être attestera-t-on les héros lyrannicides, comme
exemples de héros héroïsant des abstractions politiques, et,
pour rhéroïsation de l'Etat, le culte des empereurs romains.
Mais, dans le cas des tyrannicides, Tordre politique se
1. M. Czarnowski le croit, p. .326; mais les exemples qu'il cite sont
pris au.\ Etals féodaux.
XXIV PRKFACE
dislingue peul-ôlrc mal de In t:ô),'.;'. Quant au cuUo des
empereurs, il s'est édifie, à Rome, sur le culte des Lares* ^
familier, quasi-domestique ; dans les provinces, l'extension
régulière du droit de cité romaine, l'introduction des nou-
veaux citoyens dans les tribus de Rome et dans les gentes
impériales, qui s'élargissaient indéfiniment [)our les adopter
tous% contribuaient à le fonder effectivement sur un sys-
tème de parenté ; dans l'ensemble, ce qui pratiquait le culte
impérial, c'était, sinon une famille, du moins une clientèle.
Certes, on donne volontiers le nom de héros à des per-
sonnages dont le propre paraît ôlre, non pas de commander
idéalement à une société, mais de réaliser d'éminente façon
quelque épisode ou quelque qualité de la condition humaine;
ils sont des emblèmes de vertus, ou de travers, de succès,
de besoins d'heureuse ou de mauvaise fortune, mais em-
blèmes aussi des hommes qui se mirent en eux ; ceux-ci
forment, au regard des autres, une société; notre langage
familier, qui ne s'y trompe pas, les appelle des confrères et
parle de leurs confréries*; notre fantaisie populaire a réa-
lisé celles-ci. Mais d'ailleurs l'héroisation ne manque guère
de les faire rentrer dans quelque catégorie de héros, qui
soient de la part d'un groupe d'hommes l'objet d'un culte
1. Sur le culte d'IIarmodios et Aristogiton, cf. Aristote, Athenaiôn
polileia, 58, 17 ; Démosthène, XIX, 200 ; Scholies, dans Poetœ Lyrici
Graeci, t. III. 646, 912.
2. G. Boissier, La religion romaine, t. I, p. 137 sqq.
3. R. Gagnât, Cows d'épigraphie latine, p. 75 sq.
4. Cf. E. K. Chambers, The medixval stage, t. I, p. 372 sqq. — 11 n'y
a pas contradiction entre le héros chef du groupe ou emblème de
groupe et le héros emblème de qualités : en Australie, chez les Warra-
munga et les Tjingilli, un clan porte le nom d'un ancêtre Tliaballa,
le garçon qui rit, qui semble incarner la gaieté : Spencer-Gillen, The
northern tribes of Central Australia, p. 2u7 sq. ; E. Durkheim, o. l.
p. 147.
PBEFACE XVII
grandes familles agnaliques, fine, intermédiaires entre la
famille proprement dite et le clan, groupés en tribus, qui
sont des clans plus grands, mor-tualha, dont la réunion,
en nombres d'ailleurs fixes, formait des royaumes, qui se
confédéraient à la façon des tribus dans une nation, sous
l'égide du grand roi de Tara'. Le royaume d'Irlande était
à mi-chemin entre le grégarisme tribal et l'organisation
monarciiique. Les hommes y étaient groupés dans une
féodalité patriarchale, réunis par les liens personnels de
la consanguinité, réels, mais personnels encore de la pro-
priété et de la hiérarchie sociale. On a remarqué que les
cadres de TEglise irlandaise reproduisaient ceux de cette
société ; les diocèses correspondent aux clans ; les commu-
nautés monastiques aux grands groupes d'agnats {fine),
dont elles ont le caractère. Il y a même plus que corres-
pondance ; il y a coïncidence et les deux systèmes sont
enchevêtrés par un réseau complexe de liens familiaux et
féodaux ^
Dans cette société à structure politico-domestique, les
rapports des dieux et des hommes ont été conçus comme
ceux des hommes entre eux. Ce sont à quelque degré des
parents. Les dieux sont des ancêtres. Par contre, les
ancêtres sont des divinités, plus précisément des héros
ou des dieux faisant figure de héros. Dans la religion d'une
pareille société le culte des héros devait être l'élément
caractéristique et tenir la place principale.
Xous disons héros et non pas simplement ancêtres, car
les unités fondamentales de la société n'avaient pas seu-
lement le rùle moral et juridique d'une famille ; c'étaient
1. Czarnowski, p. 231, sqq.
2. Czarnowski, p. 265, sqq.
Czarnowski. b
XYIII PREFACE
des organismes politiques, qui comptaient avant tout par
leurs chefs. Les groupes de ce type s'idéalisent normale-
ment dans leurs ancôtres-chefs et ceux-ci sont normalement
des héros. La vanité les pare à l'envi de tous les mérites
que Ton prise ; elle se complaît à les figurer plus grands,
plus valeureux, plus beaux que les meilleurs et les plus
honorables de leurs descendants ; ils ont en tout cas le
mérite d'avoir été les premiers et de n'avoir derrière eux
que l'inconnu ou les dieux. Les unités fondamentales de
la société irlandaise, fine et tuatha^ rendaient donc un
culte à des héros, qui étaient leurs ancêtres légitimes. Au-
dessus de ces parentés étroites s'étendaient des parentés
plus larges. Des héros y correspondaient encore, qui s'éle-
vaient au-dessus des autres ; il est précisément remarquable
que ceux-ci aient eu presque toujours, dans le mythe de
leur origine, quelque soupçon de bâtardise ou de pérégri-
nité; c'est le cas de Cuchulainn*, le plus populaire des
héros d'Ulster.
Dans ce monde héroïque et divin, dont la mythologie
irlandaise raconte les aventures, il est des personnages
qui font plus spécialement figure de dieux ; ils sont dési-
gnés collectivement sous le nom de Tuatha dé Danann,
les clans de la déesse Danu. Ils avaient des ennemis
mythiques, les Fomore^ dont quelques-uns peuvent éga-
lement être qualifiés de dieux. Mais ils sont censés, les uns
et les autres, avoir noué avec les hommes des relations
multiples et diverses. Il n'en est pas un qui n'ait passé sur
1. Gzarnowski, p. 262 : Cuchulainn est fils de Conchobar et de
sa sœur Dechtire (d'Arbois de Jubainville, l'Épopée celtique, p. 38).
D'après deu.x autres traditions, il est fils de Lug ou produit de parthé-
nogenèse : d'Arbois, o. l., p. 26 sqq ; E. Hall, The Cuchullin saga, p. i5
sqq.
PRÉFACE XIX
terre et ne soit uni, directement ou indirectement, à quelque
groupe d'hommes par les liens d'une alliance ou d'une pa-
renté, soit naturelle, soit adoplive. L'Olympe de l'Irlande
est souterrain. Les dieux habitent les sidhe, c'est-à-dire les
tumulus funéraires; car ils sont morts ou se sont retirés
chez les morts'. Tout le monde spirituel de l'Irlande est
rassemblé dans les tombeaux et les cimetières, autour
desqutls se concentre la vie relif^icuse des royaumes, des
tribus, des clans et des fine^. Héros et dieux se confondent
dans la notion du « peuple des sidhe^ », qui comprend
également les démons et qui est celle des fées.
1. Le personnage auquel la Boyne doit son nom, suivant une légende
dont nous avons plusieurs versions, est appelé par VÀirne Finrjein (la
Vision de Fingen), 2, banghalr/liaidhe, une femme héros (Anecdota
from Irish manuscripts, II, p, 1 sq ). La fontaine d'où la rivière est sortie
dépend du sxdh de Sechlan et Buan est la femme de Xec/Uan. Nech-
lan s'appelle également Suadu, sans doute Suada Sechl. La rivière
est en effet désignée comme Rig mnà Xuadal, le bras de la femme de
Nuadu (Ed. Gwynn. The melrical Dindsenchas, t. III. p. 27). Sur Xuadu
Necht, cf. Sir John RhC-s, Cellic heathendom. p. 119-133 : id., dans Tran-
sactions of Ihe lll^ Inlernalional Congress foi' Ihe history of religions,
t. II. p. ilT. sq. Je ne vois aucune raison do rejeter en doute les hypo-
thèses de sir John Rh^s sur l'équivalence de Necht-Nechtan et Nep-
lunus ; je ne l'attribue pas à un emprunt mais à une concordance ilalo-
celtique. Quant à Suadu = Sudd = Nodens, c'est un des protagonistes
de la mythologie panceltique. Buan est assimilée par les Dindsenchas
à Buan. femme de Dagda, l'un des principaux de Tualha dé Danann
("Wh. Stokes, The Rennes Dindsenchas, dans Revue celtique, t. XV,
p. 31d, 19 ; Ed. Gwynn, o. l.. vers 73 sqq.). Le Sidh de Dagda était pré-
cisément le Brugh na Boinne, sur la rive gauche de la Boyne : cf. G. Cof-
fey, Sew Grange (Brugh na Boinne) and other incised tumuli in Jreland
1912, p. 20 sqq. Buan ou Buanann fait partie d'un groupe de personna-
lités mythiques, qui comprend deux autres figures très vagues et très
importantes, Anu et Danu. Elle est associée par le dictionnaire de
Cormac à Anu, mère des dieux, comme mère des héros (Sir John Rh5s,
Transactions, l. L, p. 213 ; id., Cellic heathendom, p. 4.'j0 ; O'Curry,
Manners and customs, t. III, p. 4a4. sq). Comme Nuadu Necht elle est
tout à fait au premier plan de la mythologie. Suivant Aime Fingein,
L l., la formation de la Boyne est contemporaine de la naissance de
Conn Célcathach, dont le règne commencerait en 123 après J.-C. C'est
un exemple complet de divinité hérolsée.
2. Czarnowski, p. 165.
3. L'emploi du mot dia, dieu, et de sa forme féminine, dont nous
avons deux génitifs dee {dé) et déa ou dia, est en somme limité. Le mot
XX PRÉFACE
La preuve de parenté que donne le nom de famille est
abondamment fournie en Irlande pour celle des clans et de
leurs fondateurs; elle ne manque pas non plus par les
groupes plus étendus. Les clans sont désignes par des
noms collectifs ou des gentilices, comprenant le nom patro-
nymique, ou bien comme la race, les fils, la postérité de
Tancôtre : Corcu Ochland, cenél Conaill, Hi'd Degaidh^
Mac Eachach. Mais il y a aussi des Hûi Amalgada et
c'est une tribu*; des Mac Nechta, qui procèdent sans
doute d'un grand dieu, Nuadu Necht'-; des Fir Domnann^
hommes de Domnu, une déesse très importante et très
vague, qui sont probablement les Diimnonii^ originaires de
la Grande-Bretagne, transposés dans la mythologie et
transformés en tribus démoniaques par les poètes natio-
naux ^.
Ainsi, les fine, ttiatha, tribus et royaumes d'Ialande se
déQnissaient par rapport à des personnages qui étaient
est embaumé dans des expressions toutes faites : Tualha dé Danann,
Fir Dea (hommes de la déesse), Tualha Déa (tribus de la déesse) ;
Fir trin Dea. homme des trois dieux, Tri dee Donann, les trois dieux
de Donu, ou Tri dee Dana, les trois dieux de la science; dée ocus
an dée, formule devenue inintelligible, cf. Lebar na Uidh7-e. 16, 2; Voir
Anjnann, dans Irische Texte, t. III, p. 355 ; Mac Culloch, The religion
of the ancienl Celts, l'JH, p. G7.
1. Czarnowski, p. 259 et 263.
2. Tain bô Cuailnge, éd. Windisch, chap. ix sqq. Sur Nuadu Necht,
voir plus haut p. xxi, n. 1.
3. Rh^'S, Transactions, o. l. p. 216. Cf. Brigantes et Brigit; les Tricasses,
Baiocasses, Veliocasses et les dii Casses. — Sur le caractère de symboles
sociaux qu'ont les héros, voir Airne Fingein, l. l. : à l'heure de la nais-
sance du héros Conn Cétcathach, Conn aux Cent Batailles, qui coïncide
avec un soir de Samhain, fait à noter, se produisent les principales
merveilles de l'Irlande. Airne Fingein, 7 : les tombeaux d'Eber et
Erimon, les deux fils rivaux de Mile, l'ancêtre des Irlandais, sont éloi-
gnés aux deux extrémités de la montagne dite Sliab Mis (Slieve Mish,
co. Cork) ; ils doivent rester séparés jusqu'au jour où un seul pouvoir
réunirait l'Irlande (nocco comraicfedh engreim flalha for Erinn) ; ils
se réunissent à la naissance de Conn Cétcathach ; son pouvoir aura son
siège à Tara.
PRÉFACE XXIX
OÙ il s'est borné. Mais nous avons tenu à montrer à la fuis
la valeur et la généralité des inductions où peut achemi-
ner l'analyse d'un fait même très particulier. L'analyse
des faits particuliers discerne dans leurs éléments des faits
générau.x. M. Czarnowski a conduit la sienne de telle sorte
que l'histoire de saint Patrick, héros chrétien et national de
l'Irlande, donne l'idée de rapports généraux existant entre
les héros et les structures sociales, entre la hiérarchie des
héros et la hiérarchie de ces structures. Ce ne sont pas
seulement des faits importants, mais des faits nouveaux.
C'est le terme de l'analyse et il s'arrête là, car son étude
est purement analytique, au seuil de l'étude comparative à
laquelle il faut nécessairement recourir pour généraliser
les conclusions et fournir la preuve. Xous venons de mon-
trer en quoi cette étude pourrait consister.
Mais pourquoi ce grand détour d'analyse? Fallait-il
prendre un saint comme type de héros national, pour
aboutir à des conclusions dont le principal intérêt est
qu'elles peuvent valoir pour l'ensemble des héros ? Mais le
cas normal n'est pas toujours le plus instructif. Ici le
détour était bon, sinon nécessaire. Ane vouloir choisir qu'un
champ d'observations, la Grèce, l'Inde et la Chine mises à
part, la société celtique offrait peut-être le meilleur'. En
Irlande, les héros prévalent sur les dieux, un peu crépuscu-
1. L'importance du culte des héros chez les Celtes avait été observée
par les anciens; c'est ce qu'indique, semble-t-il, ce passage de Ter-
tulien, de Anima, 57 : Nasamonas propria oracula apud parentum
sepulcra.... captare... Celtas apud virorum fortium busta eadem de
causa obnoctare ut Nicander afflrmat.
XXX PRÉFACE
laires. Chez les Gallois ils les ont tout h fait absorbi's. Mais
choisir entre tous les héros de l'Irlande, ce héros douteux
qu est un saint, n'est-ce pas une gageure? Il en est deux qui
tiennent dans la tradition irlandaise une place comparable
à celle de saint Patrick. Ce sont Cuchulainn et Finn mac
Cumail. A vrai dire, ni de l'un, nide l'autre, nous ne con-
naissons le culte. Ce n'est pas, sans doute, qu'ils en aient
manqué, mais il n'en est resté que des traces infimes et hypo-
thétiques. Or, si le héros peut se passer de culte, le culte
complète le héros. Ceux-ci sont héros sur le théâtre de l'ima-
gination, l'un dans l'épopée, l'autre dans le conte. Ce ne
sont pas d'ailleurs des héros nationaux. Cuchulainn appar-
tient à l'Llster, Finn au Leinster. En outre, leurs attaches
sociales, dans leurs provinces, sont moins bien définies et
moins solides que celles de saint Patrick avec l'Irlande
entière. Le cas de saint Patrick était en somme le meilleur.
Au surplus, peut être n'est-il un saint que parce qu'il fut
d'abord un héros. N'abusons pas cependant des irrégula-
rités de la canonisation ecclésiastique'. Saint de posses-
sion, il faut toujours démontrer qu'il fut un héros. Mais il
vaut la peine de le faire; les faits cruciaux sont assez rares
pour qu'il ne faille pas négliger d'en accommoder, quand
il se peut.
Il ne s'agit même pas ici d'un pis-aller. Dans ces réédi-
1. Saint Patrick n'a pas été régulièrement canonisé, mais en fait sa
canonisation a été reconnue par Rome. Le droit de l'archevêque
d'Armagh au titre de primat d'Irlande, fondé sur la tradition patri-
cienne, a été reconnu au synode de Kells, en 1152, en présence d'un
légat : Baronius, t. XIX, s. a. La translation des cendres des saints
Patrick, Colomba et Brigite a été faite en 1185, aucloritale apostolica :
Annales d'Ulster, s. a. Cf. Chastelain, Martyrologe Universel traduit
du Martyrologe romain, 1823, p. 128; Acta Sanctorum, Mariu, II,
p. 524.
I
PREFACE XXXI
lions des phénomènes sociaux, où leurs traits primordiaux
disj)ai'ai»scMit ù [)rcmièrc vue par réduction ou par con-
fusion, on a chance de les trouver à une date critique de leur
évolution, ou bien en relations avec d'autres phénomènes
avec lesquels ils ont des rapports naturels. Finn mac
Cuniail, héros dont la figure est brouillée, traîne après lui
un long chapelet de mythes tronqués, mais il a accaparé
tout un trésor de contes. Le cycle de Finn serait un
excellent cas pour l'étude comparée du conte et du mythe
ou pour celle de leur voisinage. Finn est un héros
mythique qui a quelque chose des héros de contes. De
même saint Patrick, parce qu'il est un saint et fondateur
d'églises, offre un cas favorable pour une autre partie de
l'étude des héros. Ou il faut se condamner à restreindre
à l'excès les investigations sociologiques, ou il faut que les
sociologues s'appliquent à débrouiller les faits dilïiciles à
définir et à classer. L'effort qu'ils feront pour y parvenir
est salutaire et il en résultera toujours quelque gain pour
la sociologie.
m
Nous venons d'en marquer un et c'en est un égalemen
que de trouver campé en bonne lumière un portrait de
héros qui en évoque beaucoup. Mais de plus, en exposant
systématiquement les faits qui donnent à saint Patrick ses
caractères de héros, M. Czarnowski a contribué à une
théorie de l'héroïsation, qu'il ne s'est pas proposé de
faire directement ; nous allons voir dans quelle mesure
et, en môme temps, de quelle façon il faudrait procéder
XXXII PRÉFACE
pour ajouter fi son travail en le prenant comme point de
départ.
Nos études à cet égard présentaient une lacune. Nous
avons sur les héros grecs ' , les héros chinois", les marabouts
arabes ' d'excellentes données et de fort bons travaux ; on
s'est occupé du culte des saints et des traits qu'il possède
en commun avec celui des héros * ; on a fait la théorie
de ces rois-prôlres-dieux,qui risquent de se confondre avec
eux, essayé celle des génies civihsatcurs % mais Tétude
générale, la théorie des héros n'a tenté jusqu'à présent ni
les historiens des religions, ni les anthropologues, ni les
sociologues. M. Wundt en a tracé à grands traits une
esquisse dans ses Elemente der Volkerpsychologie ; il y
passe en revue les époques de la psychologie ethnique ; la
troisième est celle des héros. Il pose lui aussi en principe
la corrélativité des formes sociales et de certains types
idéaux, mais comme il n'en donne aucune preuve ana-
lytique, sa priorité n'enlève rien à Tintérèt et à la nou-
veauté des conclusions exposées plus haut. Quant aux
problèmes que nous allons aborder maintenant, ils ne sont
pas posés par son livre.
M. Czarnowski nous conduit à considérer le héros
comme le symbole ou l'emblème vivant d'une société
1. F. Deneken, Héros, dans Roscher, Lexikon der griechischen und
romischen Mythologie, t. I, 2441 sqq. : S. Eitrem. Héros, dans Pauly-Wis-
sow a, Real-Encyclopâdie, t. VIII, 1111 sqq.; H. Usener, Gôllernamen,
1896 ; J. E. Rolide, Psyché, 4» édit., 1907 ; E. Harrison, Prolegomena to
the sludy of dreek religion, 1903.
2. J.-J.-M. de Groot, The religions sysletn of China, t. VI, 1910.
3. Voir plus haut p. vi, n, 2.
4. E. Lucius. Die Anfdnge des Beiligenkulls in der christlichen Kirche,
1904.
5. K. Breysig, Die Entstehung des Gollesgedankens und der Heil-
bringer, 1906.
PREFACE XXV
régulier. II n'est pas de héros, en somme, qui n'ait derrière
lui une société, fût-elle diffuse. La société des hommes qui
s'accordent sur un héros, les sentiments sociaux qui
l'unissent fussent-ils réduits ti la sympathie la plus indiffé-
rente, sont de la nature de la parenté. 11 ne saurait en ôtre
autrement, car, lorsque des institutions qui réunissent
des hommes expriment le principe de leur union par des
emblèmes, tels que blasons, drapeaux, pierre d'intronisation
ou héros, l'emblème crée la parenté entre les hommes
réunis*. La possession d'un emblème commun prouve la
parenté, parce qu'elle la constitue.
Mais, d'autre part, il y a chef et chef, roi et roi. Dans
l'épopée irlandaise, où tous les personnages, à peu près,
sont des héros, ce ne sont pas les plus grands rois qui
sont les plus grands héros. Il y a des rois d'Irlande qui sont
de grands héros, tel est Conn Cétcathach', Conn aux cent
batailles ; mais ils ne le sont pas tous et, pour la plupart,
ont un héroïsme très effacé. En Ulster, le roi du cycle
héroïque est Conchobar, mais le héros est Guchulainn ; le
rôle épique du roi est secondaire, quand il n'est pas odieux
ou ridicule'. On peut en dire autant de Finn, qui est un
roi pour ses Fiaîina; ce n'est pas à lui que reviennent,
dans leurs aventures, les plus beaux coups, mais à Diar-
maid, à Caoilte, à Conan ; il n'entre en scène que partie
gagnée ; il ne se lire d'affaire qu'avec l'aide des siens et,
dans les désaccords qui surgissent entre eux, jamais il
1. K. Durkheim, o. l. p. 142 sqq.
2. D'Arbois de Jubainvillc, Cours de liltéralure celtique, t. V, l'Épopée
celtique en Irlande, p. 375 sqq.
3. D'Arbois de Jubainville. o. l. passim ; voir en particulier le mor-
ceau intitulé Exil des fils d'Usnech, p. 517 sqq.
XXVI PREFACE
n'a le beau rôle'. Le fait n'est pas particulier h Tlrlande.
Arthur, qui, h tnnt dV'gards, est un parfait héros, paraît
l'ôlrc moins quand on le compare à son entourage. Il en
est de même de Charlcmagne ou d'Agamemnon. Le véri-
table héros, en somme, n'est pas le roi, mais le champion
du roi'. A cet égard, l'épopée est, croyons-nous, un miroir
fidèle des institutions antiques. Les rois épiques, qu'elle
subordonne à leurs auxiliaires dans l'échelle des valeurs
héroïques, ont eu probablement pour modèles des rois
réels, qui étaient quelque chose de plus ou de moins,
mais en tout cas d'autre que les chefs qui sont devenus
des héros. La tradition irlandaise a conservé quelques
traits du caractère primitif du roi. « Il est responsable
des récoltes, du croît et en général de la prospérité de
ses sujets, nous dit M. Czarnowski. Quand les vaches
n'ont pas de lait, que les fruits tombent avant de mûrir
et que le blé est rare, c'est que le roi n'est pas légitime^ ».
Rois du temps, des champs et des troupeaux, plus encore
que des hommes, les rois irlandais appartiennent à la
famiUe des rois-prêtres-dieux*. Mais ceux-ci n'élaient-ils pas
par excellence aptes à devenir des héros ? n'élaient-ils pas
déjà de leur vivant des héros? 11 semble paradoxal d'en
douter. On a expliqué la notion de héros, dans le cas des
héros celtiques en particulier, par celle de roi-dieu,
1. Mac CuUoch, The relirjion of the ancienl Celts, p. 142 sqq. Sur la
rivalité de Finn et de Diarmaid, ibid., p. 140.
2. Greit rig, Fled Bricrend (Festin de Bricriu), 46, dans Windisch,
Irische Texte, l, p. 276.
3. Czarnowski, p. 261 ; Mac Culloch, o. l. p. 160, sq; J. ODonovan,
The Book of Righls, p. 8, note ; O'Grady, Silva Gadilica, II, p. 416 ; J.G.
Frazer, Golden Bough*, t. I, p. 157.
4. J.G. Frazer, Lectures on the early hist07'y of kingship, 1905 ;
A. B. Cook, The European sky-god, dans Folk-Lore, 1905 et 1906.
PREFACE XXVII
mieux étudiée et qui paraît plus claire'. Le héros n'est-il
pas un homme divin ou un dieu terrestre ? Le roi-prétre-
dieu, qui tout à la fois sert cl incarne le dieu de la fécon-
dité agraire, est véritablement un dieu sur la terre. C'est
ainsi que Conchobar apparaissait aux Ulales; il était un (lia
talmaide *, dieu terrestre. 11 recevait pour celle raison des
hommages tout particuliers ; mais il tenait moins au cœur
des siens que Cuchulainn. 11 était moins héros, parce qu'il
était plus dieu.
On a reconnu également chez les druides les caractères
des rois-prôlres-dieux et peut-être conservaient-ils mieux
que les rois d'Irlande les traits primitifs de l'institution \
Or, parmi les héros épiques de l'Irlande, il n'y en a guère
qu'un seul qui soit un druide. C'est Cathbu, le druide de
Conchobar*. Il y en a beaucoup qui sont des filid \ Est-
ce un accident ? On peut penser que, la tradition épique
étant entre les mains des fdid^ ceux-ci l'avaient arrangée
à leur avantage ; c'est possible. Mais, à notre avis, le rôle
effacé des rois dans la tradition héroïque, presque nul des
druides et le caractère de roi-dieu, qui s'attache aux uns
1. J. A. Mac Culloch, o. Z., p. 159 sqq.; id., Cells, dans Hastings's
Encyclopœdia of Relif/ion. and Ethics, t. III, p. 294. — M. Czarnowski
parait vouloir expliquer le roi dieu par le héros p. 261 ; il pense
en tous cas qu'il existe une étroite relation entre les deux notions.
2. Fled Bricrend, 15 (1. T. I. p. 239) ; Rh5's, Transaclions, t. II,
p. 202 ; Déduire, sœur de Conchobar et mère de Cuchulainn, est éga-
lement appelée déesse; Cuchulainn est dit méic dia Dechtiri = filii
deae Dechlire, Book of Leinsler, p. 123,
3. J. A. Mac Culloch, Cells o. l., p. 294 ; id. Religion, p. 293 sqq.
4. D'Arbois, VÉpopée celtique, XX.\VIII-XL, 14-21, etc. Voir cependant
la pièce intitulée Cause de la Bataille de Cuncha, p. 378 sqq. ; Nuadu,
arriére-grand'pére de Finn, est un druide, mais Cumall, père deFinn
est un champion royal, c'est-à-dire un héros par excellence ; Finn est
un filé, cf. O'Grady, Silva Gadelica, I, p. 90. Sur Suadu, qui est sans
doute une forme héroïsée du dieu, voir plus haut, p. xxi, a. 1.
5. Czarnowski. p. 282 sqq.
XXVIII PRÉFACE
cl aux autres, sont des faits qui s'appellent cl doivent ôlre
liés. Xous ne prétendons pas qu'il y ail incompatibilité
entre les qualités des rois-prêlres-dieux et des héros.
Conchobar cl quelques autres les réunissent. Dans la vie
réelle, les fonctions de roi-prôlre-dieu et de chef polilico-
domeslique ont été certainement assumées quelquefois
par un môme personnage. Mais les personnages de la tra-
dition qui en possèdent à la fois les caractères ne sont pas
héros parce que, mais bien que rois-dieux.
Nous insistons sur ces considérations parce qu'elles
ajoutent à nos présomptions sur le rapport des héros et des
institutions politico-domestiques. L'institution des rois-
dieux n'est pas de celles-là; elle est politique et religieuse.
Elle a évolué en monarchie de droit divin et en sacerdoce.
Le héros n'est pas de droit divin; il est de droit humain;
il émane de la société qui se réclame de lui. Le roi de droit
divin, qui vient d'ailleurs et représente autre chose, devient
dieu plutôt que héros. Romulus avait dans son histoire tout
ce qu'il fallait pour devenir un héros; or, il reçoit le culte
comme Quirinus' et Quirinus est vraiment un dieu. Adonis
est un héros douteux". Les Pharaons d'Egypte sont des
dieux ^. Nous distinguerons donc théoriquement, les rois-
dieux des rois-héros.
Nous nous excusons de dépasser les limites que M. Czar-
nowski s'est fixées à bon escient, pour nour élever à des
vues beaucoup plus étendues, mais moins sûres que celles
1. Cicero, De republica, 2, 10, 20; Plutarque, Romulus, 29; etc.
2. Cf. p. X.
3. Hérodote, II. 50, écrit, je crois avec justesse : No[xi^ouTc ù'iL-/
AIyj~''.0'. ojo' T^pio7i o'joév. Cf. F. Sethe, Heroes and hero-gods, dans
Hastingss Encyclopœdia, t. VI, p. 647 sqq ; A. Moret, Du caractère reli-
gieux de la royauté pharaonique, 1902.
PREFACE XXllII
définie. M. Ddikhoirn a exprime sous cette forme la re-
lation socioloj^icjue des totems aux clans ' La relation des
tuatha irlandaises et de leurs héros est semblable et
doit s'exprimer de mùme. Nous avons touché là, croyons-
nous, à ce qui fait runilé de l'espèce que consti-
tuent les héros. Ce sont leurs caractères de symboles
sociaux qui rapprochent les saints, morts, chefs, dieux
sacriiiés, civilisateurs, intermédiaires divins et autres per-
sonnages auxquels on est tenté de donner le nom de héros.
Môme dissociés, les héros conservent ces caractères, tant
qu'il leur reste si peu que ce soit de physionomie. Les
héros enfin prêtent aux personnes morales que sont les
clans, tribus, nations, classes et confréries une personna-
lité réelle.
Mais cette fonction, qui consiste à représenter l'être dif-
fus et multiple des collectivités humaines par l'unité d'un
individu, n'est pas nécessairement dévolue aux seuls héros,
s'agit -il même des sociétés politico- domestiques. Elle
l'a été normalement, chez plusieurs peuples, à une caté-
gorie d'êtres dont l'état civil est uniquement constitué par
leur relation avec ce dont ils intègrent l'essence spirituelle,
fortunes, génies, dieux spéciaux -. Si cette fonction est bien
celle du héros, elle ne suffît donc pas à le définir. Aussi riches
de caractéristiques que les génies en sont pauvres, les
héros la remplissent avec excellence, mais ils la dépas-
.sent.
On a comparé plus haut les héros aux chefs; c'est
1. E. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, 1912,
p. toS sqq.. IJol'sqq.
2. R. Diissaud. Introduction à l'Histoire des Religions, 1914 : dieux
de groupe, p. 71 sqq. A Negrioli, Dei Genii pressa i Romani, 1900, p. 20 ;
Cf. Année sociologique, t. V, p. 269.
CZARNOWSKI. c
XXXIV PREFACE
dire que leurs personnes peuvent se distinguer entre toutes
par leur importance e' leur autonomie. Ce sont bien per-
sonnes réelles, mois d'une réalité particulière, tantôt indi-
viduelle, tantôt typique, mais toujours concrète et proche.
Personnes proches et, de plus, familières, les héros se
distintj^uenlen cela des dieux, qui sont également des per-
sonnes réelles, importantes et autonomes. Les héros sont
des personnages avec qui Ion prend paifois des familiarités.
L'Hercule bon enfant, joyeux vivant et grand buveur, qui
s'installe chez Admète, pendant qu'Alceste s'en va, ré-
clamée par la mort, est conforme à son caractère de héros.
C'est l'ami de la maison. La légende héroï-comique est la
suite naturelle et presque nécessaire de la légende héroïque.
Le plus ancien des romans dominés par la personnalité
d'Arthur, l'histoire de Kwlhwch et d'Olwen, comprise
dans les Mabinogion, est une sorte de i)arodie'. Les
héros prêtent à la charge par l'excès même de leur valeur,
par la trop grande énergie dont ils afflrmenl leur vertu et
déploient la force, par le trop de mouvement qu'ils se don-
nant à mettre en déroule les méchants et secourir les leurs.
Tendus en attitudes violentes, mais expressives, qui sont les
gestes types de l'activité simphfiée que commande leur rôle,
leurs détentes peuvent être des chutes, comiques, quand elles
ne sont pas tragiques. Les héros, d'ailleurs, ont souvent de
l'humeur, mauvaise ou bonne. Ceux de l'Irlande sont parmi
les moins cérémonieux. Avec les Tuatha dé Danann, qui
sont, comme on l'a dit, des dieux héroïsés, ils se sont perpé-
tués sous les traits des fées, mystérieuses et Iragiles, bien-
1. Les Mabinogion, trad. J. Loth, 2» éd. t. I. p. 115 sqq. Sur l'anti-
quité de ce roman, cf. Ibid. introduction, p. 13, ±1, 35, 41, 63. Sur le
caractère comique que peuvent prendre les histoires de héros, cf. K.
Breysig, o. L, p. 13.
PREFACE XXXV
veillantes et quinleuses, balailleuses et ménagères, qui sont
à la fuis les plus morveilloux, les plus servinblos, les plus
terre à terre et les plus familiers des esprits '. La contre-
partie d'une familiarité qui n'est pas toujours respectueuse,
c'est rafTeclion. L'amourde Dieu s'adresse aux dieux qui sont
assez proches de la condition humaine et participent f» ses
vicissitudes. L'amour qui s'adresse au héros complète le
sentiment de la parenté, quelle qu'en soit la nature, qui
l'unit aux siens.
Sans doute le héros tient au sacré. Il y tient toujours par
sa légende, qui lui fait une vie imaginaire dans un monde
qui n'est pas tout à fait celui où se meuvent les hommes
du présent. Mais sa légende même le ramène à terre et
près d'eux. Sans doute, les sentiments qui s'attachent
au héros ont quelque chose de religieux. Mais ils ne
ressemblent pas à ceux dont les dieux sont l'objet. Le héros
a quelque chose non pas de laïque, car il y a eu des prêtres
héroïsés-, mais de séculier. C'est précisément le caractère
des groupements sociaux dont il émane en général. Les
sociétés spécialisées dans l'exercice de la rehgion, ou dont la
fonction religieuse est prédominante, ont, en guise de héros,
des prophètes et des saints^, qui peuvent avoir beaucoup
des héros, mais s'en distinguent toujours par quelque
caractère typique. Ce sont les sociétés où la vie religieuse
ne se détache pas de l'ensemble de la vie sociale qui se
1. W.-G. Evans Wentz. The fairy faitk in Cellic countries,
p. 283 sqq.
2. P. ex, un collège athénien de dionysiasles élève son prêtre au rang
de héros : Alhenxsche Millheilungen,\.. IX; p. 291; Usener, Gôlternamen,
p. 250.
3. Sur la transformalioa du culte des héros en une sorte de culte de
saints sous l'empire romain. cf. Lnc\\i^.Anfdnge des Heilifjenkulls, p. 25.
XXXVI I-nÉFACE
donnent des héros et instiluont des cultes héroïques. Telles
ont été les cités grecques et les liiatha irlandaises. Forme
temporelle du dieu, séculière et politique du saint, le héros
est entouré de moins de religiosité que l'un et que l'autre.
Plus loin du monde, plus près des hommes, plus près du
siècle, telle est la place qu'occupent les héros par rapport
aux démons, aux dieux, aux saints.
Mais comment et pour quelles raisons entre les hommes
et ces personnages, qui ont parlé de si près à leur imagi-
nation et à leur cœur, Talliance s'cst-elle établie? Tous
les héros ne sont pas aptes à nous fournir des réponses.
Il y a beaucoup de héros mal venus; il y a plus sans doute
de mal connus. Ce sont les héros bien réussis qu'il faut
seuls prendre en considération. Ceux-là seuls présentent
le juste mélange de qualités diverses, unissent en eux
toutes les convenances religieuses, morales et esthétiques
qui constituent à notre sentiment l'idéal des héros. On a
considéré le culte des héros comme un cas du culte des
morts. Beaucoup de héros sont effectivement des morts et
reçoivent à juste titre un culte funéraire. Il est bon qu'un
héros ait réellement vécu pour réussir; il est même bon
qu'il se soit distingué par une personnalité expressive et
de véritables faits héroïques. Un peu de vérité, de vérité
historique se cache peut-être toujours dans une légende
de héros ^ Néanmoins la vie et l'histoire ne fournissent
que des candidats-héros. Un héros ne devient tel qu'avec
la légende; c'est elle qui compose sa vie* et ordonne le
spectacle de sa mort. Les morts, qui attendent dans leur
1. Cf. K. Breysig, o. l, p. 488.
2. Cf. Czarnowski, p. 89, sur le caractère mythique de la légende de
saint Patrie!;.
PRÉFACE XXXVII
tombeau un culte parcimonieux, ne deviennent, quels
qu'aient été leurs mérites, de véritables héros que par la
grAce de la mythologie. Nous nous occuperons donc
d'abord des héros que la mythologie a fabriqués.
La question ainsi posée est tout près d'être une question
générale de mythologie. Mythologie sociologique bien
entendu, puisqu'il résulte de ce qui a été dit jusqu'à pré-
sent que la corrélation des mythes et d'organismes sociaux,
rehgieux ou politiques doit apparaître tout à fait nettement
dans le cas des héros. Ces demi-dieux, qui ont vécu parmi
les hommes, élus entre leurs pairs, dont la dignité n'a pas,
comme celle des dieux, de fondement métaphysique, dont
le prestige est fait de traditions et d'anticipations collec-
tives, ont une prédisposition que d'autres n'ont pas à être
considérés comme des êtres sociaux. A mi-chemin entre les
adorateurs et les dieux ils sont de nature à nous servir de
moyens termes, pour nous expliquer les caractères sociaux
de ceux-ci.
Nous avons jusqu'ici employé indifféremment pour dé-
signer les histoires de héros les expressions de mythe et
légende. Mais, légende ou mythe, nous ne saurions mettre
en doute que la légende héroïque appartienne à la mytho-
logie. D'autre part, la mythologie fait partie de la religion.
Au point de vue de la sociologie, il ne peut en être autre-
ment. Tel n'est pas l'avis de M. Wundt. Il nie, peut-être
avec apparence de raison, que les sociologues puissent s'in-
téresser à la mythologie * et d'autre part il détache celle-ci
1. W. WundI, VôlkerpujcholoQxe, t. IV, 1910, p. 155. Les phénomènes
qui consliluent les princij)aux problèmes de la psychologie ethnique,
langage, mythe, morale, sont relativement loin de l'intérêt des socio-
logues.
XXXVIII l'HliFACIi
de la icligion ^ La mytliologie, telle qu'il la conçoit, com-
prend les histoires de héros, mais il est tout près d'écrire
qu'elle s'y ramène tout entière-. 11 en juge en psycho-
logue et considère avant tout les fonctions mentales
auxquelles elles ressortissent; il les réduit à un jeu
d'images, où le phénomène psychologique de l'appercop-
lion introduit le germe de la personnalité. Pour nous le
mythe est autre chose. Une croyance s'y attache ; il s'im-
pose catégoriquement comme un dogme; il fait partie,
comme les règles rituelles, de la Loi. La prière en est
nourrie, le sacrifice en est enveloppé; on croit savoir qu'il
fait la substance des révélations^. 11 doit être authentique.
Il a une valeur. Son authenticité est garantie par une
société et c'est dans la vie sociale que s'exerce sa valeur.
Ces caractères sont communs dans une large mesure à
la légende héroïque et au mythe des dieux. S'ils diffèrent
à cet égard, c'est à l'intérieur d'un même genre.
Mais qui dit religion dit pratique. La légende héroïque
doit être pratique comme le mythe divin. Si la religion a
donné naissance à des êtres d'une réalité plus puissante,
plus proche, plus familière, plus vivante que celle des
dieux, c'est de la pratique religieuse, de l'exercice
môme de la vie religieuse que cette vie, qui la reflète,
a pu se dégager. IVous essaierons donc de trouver en
fonction et en formation les mythes héroïques et les héros
dans les pratiques religieuses, dans les rites, aux points où
se croisent la représentation et l'action. Ce n'est pas poser la
1. Id. Elemente der Vôlkerpsychologie, 1913, p. 348; 369; Vôlkerpsy-
ckologie, l. l., p. 410 sqq.
2. IbicL, p. 381.
3. Sur le caractère mythique des mystères, cf. L. R. Farnell, Cuits of
the Greek states, t. III. p. 131.
PRÉFACE XXXIX
(jucslion âc ranloriorité des rites aux myllies ou des mythes
aux riti's M. Czarnowski no la pose pas plus que nous.
Mais pi'ofondément préoccupé, lui aussi, par les entrecroi-
sements des rites et des mythes, leurs influences réciproques,
leurs chocs en retour, c'est dans leur étude comparée qu'il
a cherché ses premières données des représentations
héroïques'. 11 montre que tout au moins nombre d'entre
elles sont nées sur la frontière indécise des mythes et du
rituel. S'il a suivi cette voie, c'est qu'il a considéré de prime
abord les héros et lein's mythes comme choses reli<^ieuses.
C'est aussi parce qu'il les étudie comme choses sociales.
Produits sociaux que sont les mythes, c'est dans les rites
que la société est visible, présente, ou nécessairement
impliquée. L'irna^nalion mythologique danse sur l'aire
battue des rites et c'est là qu'on peut l'y saisir.
Le sacrifice se présente tout d'abord à la pensée et l'on
aimerait se figurer les héros naissant dans le sacrifice,
rite typique, rite essentiel. S'il est vrai, comme M. Czar-
nowski l'indique à plusieurs reprises, qu'ils doivent passer
par une sorte d'initiation sanglante, qu'ils ne gagnent leur
couronne qu'à l'épreuve et qu'une mort religieuse doit con-
sacrer leurs travaux, ne se peut-il que leur mort soit un
sacrifice, le thème final et essentiel de leur légende un
mythe sacrificiel.
Il y a en effet des mythes sacrificiels. Ce sont des
mythes qui se rappoitent ou peuvent se rapporter exacte-
1. Czarnowski, p. 91.
XL l'nÉFACE
ment à des sacrifices. Il y en a do diiïcrenls types. Le
sujet du mythe est la célébration par un héros ou par un
dieu d'un sacrifice qui est le premier de toulc une série ;
c'est l'institution divine d'un sacrifice et de ses particularités,
le choix de la victime par exemple ; c'est le fait qui a
donné lieu à l'institution, ou tout autre fait mythique dont
le sacrifice serait la transposition rituelle. Normalement le
mythe sacrificiel fait partie de la liturgie du sacrifice.
Mais, parmi les sacrifices, il y en a où le rituel et le mythe
sont encore plus étroitement liés, parce que le monde divin
s'y trouve immédiatement impliqué : ce sont ceux qui se
présentent comme des sacrifices de dieux.
Dans les sacrifices de dieux, les victimes sont des dieux,
qui viennent mourir à l'autel, pour ressusciter il est vrai.
Dans les mythes qui leur correspondent, les dieux sacrifiés
meurent, comme meurent tous les héros. A ces morts divines
on est tenté d'assimiler les passions héroïques et de les
considérer comme des mythes de sacrifices, correspondant
par hypothèse à des sacrifices rituels *.
Il y a donc apparence d'afïinité entre le sacrifice et la
vie légendaire des héros. Les épisodes sanglants de celle-ci
ne trouvent nulle part, dans le rituel, correspondance plus
exacte. Môme, ce n'est pas seulement la mort du héros, ce
sont aussi ses triomphes qui se transposent aisément en
épisodes de sacrifices. Vainqueur ou vaincu, sacrifiant ou
sacrifié, le héros est ainsi mêlé à une sorte de sacrifice
mythique, d'où il paraît suivre que, à l'une des étapes de
sa formation, sa personnalité légendaire a été effectivement
1. Voiries exemples donnés dans Huberl-Mauss, Mélanges d'histoire
des religions (Travaux de l'Année sociologique, 1909), Essai sur la nature
et la fonction du sacrifice, p. 103 sqq. : le sacriflce du dieu.
l'UliFACE XLI
impliquée dans un sacrifice du rituel Le sacrifice aurait
donc été pour nombre de iiéros une source de mérites,
mais peut-être aussi davantage. Ses acteurs, j)rétres, vic-
times, étaient aptes, semblo-t-il, à devenir des supports de
personnalités héroïques. La victime est déjà une individua-
lité ; le sacrifice la distingue, la sanctifie, la divinise^ et
la personnalise; il exalte de même et la personne du prêtre
et celle du sacrifiant. Son déroulement solennel, ses lentes
préparations, son action réglée, son appareil théâtral en
font un drame où peut se développer un caractère de
héros. Ainsi le héros souffrant et mourant aurait été
d'abord victime ; le héros triomphant, sacrificateur ou
sacrifiant, et le sacrifice, dont ils tireraient origine ou
qualité, mais qui, dans tous les cas, ferait des héros,
serait le principe ou l'un des principes cherchés de l'hé-
roïsation .
Mais les faits répondent-ils à l'apparence ? Si l'on met à
part les cas dans lesquels un héros de caractère bien défini
est représenté célébrant ou instituant expressément un
sacrifice, les héros figurent-ils effectivement dans des
mythes sacrificiels? Y a-t-il eu des sacrifices de héros?
On n'a pas fait le départ des sacrifices de héros et des
sacrifices de dieux. Il est certain que les dieux sacrifiés sont
précisément de ces dieux qui se distinguent mal des héros.
Dieux fils, dieux sauveurs, dieux passionnés, ce sont des
dieux qui ne sont pas impassibles*. Peut-être y a-t-il parmi
1. Seler, Die bildlichen Darslellungen cler mexikanisclien Jahresfesle;
die achlzefin Jahresfesle der Mexilcaner, 189'J; sacriOces humains avec
dessiccation de la violime, fôtcs l et II.
i. J. M. Roberlson, Par/an Ç/irisls, sludies in comparative hierology,
1903.
XLII PHEFACE
eux de véritables héros!' Mais n'a-t-on j)as d'ailleurs abusé
du sacrifice du dieu?
Le dieu poisson d'Hiérapolis en Syrie ^ et le poisson sacré,
mangé cérémoniellement par les prêtres du temple décrit
par le pseudo-Lucien, sont bien, pour parler en théologiens,
une seule et même nature; le sacrifice du poisson à Hié-
rapolis était apparemment un sacrifice de dieu-. Nous ne
connaissons pas le mythe de ce dieu poisson ; assimilé par
la tradition du temple à Atlis et à Adonis, il devait comme
eux mourir de mort divine. Que le mythe de sa mort ait
suivi de près ou de loin le schème du sacrifice, il mourait
en sacrifice ; la preuve en est fournie par la pérennité du
rituel où le dieu mourait eiïectivement. Quand cette preuve
manque, l'hypothèse du sacrifice divin est toujours vaine,
car, à supposer inéluctable la nécessité de trouver aux
mythes un substratum rituel, le sacrifice n'est pas,
après tout, le seul rite auquel aient pu s'attacher des
mythes de dieux ou de héros souffrant et mourant. Mais
pour combien de dieux qui meurent connaissons-nous le
sacrifice rituel où se serait réalisé périodiquement le mythe
de leur mort.^ Nous connaissons bien celui d'Osiris ^ ; nous
ne connaissons pas ceux d'Orphée ^, d'Hippol}i:e, de Mar-
syas et d'Acléon; nous connaissons mal ceux d'Adonis,
de Phaéthon et de Diomède. Or ces personnages dont le
sacrifice est conjectural sont tout justement des héros.
1. Lucien, De Dea Si/rla, oo: Mnaseas. frag. 32, Fragmenta Histori-
corum Graecorum, 111, loc ; Dittenberger, SyWo^e, 2 éd., o84; Diogène
Laerce. VU!, o4.
2. A. Moret, Le rituel du culte divin journalier en Egypte, 1902.
3. S. Reinach, Cultes, mythes et religions, t. II, p. 8j sqq. (Orphée) ;
t. III, p. 24 (Actéon); p. 54 sqq. (Hippolyle) ; p. 60 sqq. (Diomède)
t. IV, p. 29 sqq. (Marsyas) ; p. 43 sqq. (Phaéthon).
PREFACE XLIII
En Irlande, la mythologie rapporte toutes les morts
hôrokjues à des fêles; celles-ci comportent des sacrifices.
Nous n'avons pas la preuve directe de la concordance de
ces sacrifices avec les mythes de ces fêtes. Cependant
M. C/.arnovvski l'admet et nous sommes tentés de lui
faire d'abord crédit. Xous ajouterons môme aux vraisem-
blances dont il tire argument. 11 rapporte des mythes
qui présentent en effet des traits tout à fait signifi-
catifs. Le roi Muicertach Mac Erca trouva la mort dans
un vaisseau d'hydromel ^ C'était un jour de Samhain,
la grande fête irlandaise d'automne. Une scholie de Lu-
cain, encore mal ulili.sée, nous apprend que les sacrifices
à Tentâtes se faisaient par plongée ia plemtm semicu-
piian-. Il est question, dans la tradition, de chaudrons
où l'on plonge des morts qui ressuscitent et des vivants
qui se divinisent ^ Le fameux vase d'argent, décoré de
scènes religieuses dont les sujets sont celtiques, qui a été
trouvé à Gundestrup en Danemark ', nous montre sur l'une
de ses plaques intérieures une scène d'immersion et peut-
être était-il lui-même un chaudron sacrificiel comparable à
ceux que demandait le culte de leutatès ; non qu'il fût
assez grand pour contenir une victime humaine; mais il
pouvait servir à d'autres sacrifices. L'argument d'analogie
1. Czaniowski, p. 116.
2. Lucani Comm. Bernensia, éd. Usener, p. 32.
3. Chaudron de résurrection : Branwen. fille de Llyr, dans Les Mabi-
noqion. irad. J. Lolh, t. 1, â» éd.. p. i'i'J sqq. Giraldus Cambrensis,
Topographia lUbeniiae, III, 2a : consécration du roi de Tirconnell.
Cf. Czarnowski, p. 186.
4. Sophus MulliT, Del store solvknr fra Gundesh'up i Jylland, dans
Nordiske Forlidsminder, I, 2. C. Juiiian. Le vase de Gundeslrup (Notes
Gallo Romaines), dans Revue des éludes anciennes, 1908, p. 73 sqq.
U. llnbcri. Notes d'archéologie et de philologie celtique, lyGweilgi, l'océan
et le carnassier andropliage, dans Revue celtiquey t. XXXIV, p. 1 sqq.
XLIY PRKFACE
est valable cl il csl probable que la mort fantastique de
Muiccrlach Mac Erca a été le mythe de quelque sacri-
fice réellement célébré. Semblable fait se racontait d'un
personnage nommé Flann ' ; assiégé par le roi Diarmaid
mac Cerbhail, sa maison fut incendiée ; fuyant le feu, il
se jeta dans une cuve, s'y noya et son corps brûla avec
la maison; la fêle de Bellene, 6 Uisnecli, le 1"' mai, qui
fui instituée en son honneur, commémore et expie sa
mort. Mais, ce sont, croyons-nous, les seuls cas oîi la
mythologie irlandaise ail entouré la mort du héros de cir-
constances qui rappellent avec précision le rituel d'un sacri-
fice. Batailles, meurtres, accidents, partout ailleurs le mythe
ne rappelle le sacrifice que par le thème de la mort ; c'est
trop peu. Mais, d'autre part, il n'est pas sûr que Muicertach
et Flann, dont le sort exceptionnel est rattaché d'ailleurs
aux deux principales des fêtes irlandaises, celle du début
du printemps et celle de la fin de l'été, soient à propre-
ment parler des héros. L'un d'eux est roi ; ce peuvent être
des rois-dieux. La mythologie galloise connaît également
un chaudron, un bassin, où Ton plonge des hommes '^;
il appartient à des personnages qui, un beau jour, ont été
enfermés avec leur chaudron dans une maison de fer, celle-
ci chauffée à blanc. Rencontrés sur un tumulus, étrangers
aux gens dont ils vivaient, gigantesques, hirsutes et sau-
vages, ces personnages, qui n'avaient pas d'autre histoire,
étaient plutôt démoniaques qu'héroïques.
De la mythologie germanique se détache une divinité,
dont la passion présente avec une parfaite netteté les traits
1. Czarnowski, p. 119.
2. Branwen, fille de Llyr. dans Les Mabinogion, trad. J. Loth, 2' édif.
t. I, 76 sqq.
PREFACE XLV
(l'un sacrifice mythique; c'est BaKIr'. Baldr est un héros
cl c'est un dieu; c'est un Asc ; en tous cas il compte parmi
les grands dieux. Mais Baldr, qui ne peut être tué que par
une branche de gui, dont la vie, par conséquent, est asso-
ciée à celle d'une plante sacrée, présente à un degré tout
à fait éminenl les caractères de ces génies de la végétation
qui s'incarnent dans les rois-dieux *. Il faut néanmoins
observer que le sacrifice de Baldr est un sacrifice mythique,
dont nous ne savons pas si un sacrifice réel lui a jamais
correspondu.
11 en est régulièrement ainsi pour tous les sacrifices de
héros. Mais, s'il en est ainsi, nous entendons tout autre
chose quand nous parlons de sacrifice du dieu. Le héros
est mort une fois j)our toutes. Le dieu sacrifié subit la
mort chaque fois que le sacrifice s'accomplit. La passion
de Jésus est quotidienne. La mort sacrificielle d'Osiris se
réitère à toutes les fêtes et tous les jours \ Mais ce sont
incontestablement des dieux. La croyance à la divinité du
Christ s'affaiblit quand la croyance à la présence réelle
disparaît. La pérennité du sacrifice fait pendant à l'éter-
nité divine. En somme, le sacrifice du dieu est un rite;
son mythe le pénètre, mais un mythe distinct n'y corres-
pond pas toujours.
Quand on parle de sacrifice à propos des héros, on ne
saurait penser qu'au mythe ou à la légende. 11 se peut
1. Fr. Kaufmann, Balder, Mythus und Sage, 1902. Ci Année sociolo-
gique, t. VII, p. 32 sqq.
2. n. Munro Chadwick, The ancient Teutonic priesthood, dans Folk-
Lore, 1900, p. :268 sqq. Cf. Année sociologique, t. V, p. 303. J.-G. Frazer,
The Golden Bough. 3« édit.. t. VI et VII.
3. A. Morel, Caractère religieux de la royauté pharaonique, 1902; Cf.
Année sociologique, t. VII, p. 446 (La mort quotidienne du roi identiGé
à Osiris).
XI.VI PREFACE
que le mvtho d'un dieu sacrifié y ait apporté quelque
élément. Ainsi le héros Gombabos, dont on racontait
à Hiérapolis le niarlyrc volontaire, est un avatar du
dieu poisson sacrifié. Mais, bien que son marlyre, selon
le Pseudo- Lucien, ait servi d'exemple aux Galles, qui se
consacraient chaque année au service de la déesse*, il n'a
pas avec le rituel celte relation essentielle et cette union
parfaite que présentaient dans un sacrifice de dieu la repré-
sentation et l'action ; quant au sacrifice dont celte hisloire
procède, il n'est plus pour elle qu'un thème de narration.
Mais on a pu et l'on peut encore assimiler par figure
la mort des héros au sacrifice. G'est une figure qui
exprime bien la valeur religieuse de leur légende, qu'il
s'agisse du mérite acquis par les héros et de l'exemple
qu'ils donnent, ou des bienfaits sociaux qui émanent d'eux.
Le sang versé par les martyrs a été comparé au sang
sacrificiel" et cependant leur mort, à laquelle on a pu
reconnaître la valeur sacramenlaire du baptême ou de l'or-
dination, n'a pas reçu celle du sacrifice. M. Gzarnowski, en
se représentant comme une sorte d'initiation l'acquisition
des mérites héroïques, se donne le droit de comparer la mort
qui l'achève à un sacrifice, à un sacrifice sans doute qui
épuiserait au bénéfice du sacrifiant tous ses effets utiles.
D'ailleurs le sacrifice de soi pour le bien de tous est un
exercice de vertu, où l'idéal héroïque trouve l'expression
la plus parfaite de son énergie. Mais c'est toujours un
sacrifice unique et celui qui se sacrifie n'y succombe pas
en victime; il se dévoue en héros. Le sacrifice du héros,
1. Lucien, De Dea Syria, 50 sqq.
2. E. Lucius, Die Anfànge des Ueiligenkults, pp. 53. 54, 64.
k
PRliFACE XLVII
en somme, ne s'accomplit (|u'en fip^ure et en représenta-
lion ; il perpétue son mérilo dans la légende; il se passe
de conlrt^parlie riluoUe. Nous sommes portés à étendre
celte conclusion. S'il y a des légendes héroïques qui aient
une pareille contre-partie, elle est lointaine, indirecte et
peut-être inopérante. L'héroïsation est un processus mytho-
lo<^ique où la mylliolo<»'ie paraît se pnsserde canevas rituel.
Ce n'est pas dire que la pratique religieuse n'y ait pas
apporté quelque chose.
Les sacrifices qui ont été pris en considération par
M. Czarnowski ont un caractère particulier; ils s'accom-
plissent dans des fêtes. M. Czarnowski ne les a pas déta-
chés des fôtes dont ils font partie. C'est aux fêtes qu'il
rapporte les passions héroïques avant de les rapporter aux
sacrifices et à l'exclusion de toute autre circonstance
rituelle. Il a fait aux fêtes la plus large part.
A vrai dire, le choix même de son sujet l'y a conduit.
De la religion des Celtes irlandais nous ne connaissons
guère de rites qui n'aient été réservés aux fêtes. C'est que
l'Irlande, disséminée, sans villes, où saint Patrick a prêché,
n'avait de culte vraiment public qu'aux fôtes, où les
hommes se trouvaient réunis, panégyries nationales, fêtes
des royaumes, fôtes des clans ; toutes d'ailleurs paraissent
tomber aux mêmes dates, dates saisonnières du calendrier
celtique. Dans ce culte public, les héros tribaux et natio-
naux sont par excellence impliqués. A quel titre ?Ici encore
nous allons constater que le débat d'une question particu-
lière va nous instruire sur des phénomènes généraux.
Xl.VIll PREFACE
L'cludo des fcMcs est fruclucuse entre toutes comme pré-
paration à l'étude des mythes, parce que c'est dans les fôtes
que la pensée et l'action religieuses sont le j)lus intime-
ment liées. L'intervention des représentations que comporte
l'exercice de tout rite est accusée dans les fôtes par des signes
plus apparents qu'ailleurs. Tout ce qui est nécessairement
présent en esprit dans un rite y apparaît de préférence en
figure. Entre tous les rites, ceux des fôtes sont les mieux
pourvus de mythes. Mais il arrive en outre que la repré-
sentation s'y traduise complètement en action; elle se mêle
intimement au rituel et elle l'amplifie notablement. Le
geste et la pensée sont moins distincts dans les fôtes que
dans le reste du culte*.
D'autre part, les hommes rassemblés en fôtes, le mythe
se présente en plein milieu social, c'est-à-dire dans les con-
ditions les plus propices à l'étude sociologique soit de sa
genèse, soit de son fonctionnement.
Or les fôtes constituent un milieu favorable à l'évocation
des personnages divins, esprits qui circulent, dieux qui
paraissent ^ M. Czarnowski emploie fréquemment les
expressions de génies de fêtes, héros de fêtes, dieux de
fêtes. L'expression génies de fêtes désigne les génies dont
il n'est question qu'aux fêtes, soit qu'ils y fassent leur
apparition, soit qu'ils naissent ou surgissent au début
d'une fête pour mourir à la fin ou ù une autre fête, limi-
tant aux fêtes la durée de la vie éphémère ou intermit-
tente qui leur est prêtée. Elle signifie qu'ils existent seule-
1. Quelques exemples; L. R. Farncll, o. L, t. III, p. 90, 91, 93. (Thes-
mophories) ; t. II, p. :274 (Stcpteria. représentation mimétique des aven-
tures d'Apollon après sa victoire sur Python).
2. Visite du dieu: L. R. Farnell, o. L, t. IV, p. 283 (Délia).
PRKFACE XLIX
ment en relation avec les fôtes, qu'ils en sont l'espriJ,
d'ailleurs niulliple, et pas autre chose, représentation
animiste de la religiosité festivale. Par héros de fêtes,
on veut désigner une représentation analogue, mais per-
sonnelle. M. Czarnowski a peut-être étendu cette expres-
sion h des figures moins éphémères, mais avec le sentiment
que ces héros ont pu survivre à l'occasion qui les a fait
naître. En somme les fêles sont propices à l'élaboration du
divin ; elles paraissent l'être tout particulièrement à celle
du divin héroïque.
Les héros irlandais n'agissent pour ainsi dire qu'aux
fêtes. Cette relation constante est sans doute nécessaire.
Elle n'est pas spéciale à Tlrlande. C'est un fait général
que les dates de fêtes sont dates d'épisodes héroïques,
commémorés par les fêtes.
Les formes de la légende héroïque qui tendent vers la
littérature font particulièrement bien apparaître celte
relation. La littérature épique tout d'abord l'atteste.
C'est par excellence une littérature héroïque ^ Il n'est
pas d'épopée qui ne soit légende de héros, ni de légende
de héros qui ne soit une épopée possible. Or des récitations
du MaliAbhôrata et du RâmayAna- se sont faites et se font
encore dans l'Inde à la fête de la Holi, à la première lune
du printemps. La récitation des poèmes homériques aux
1. W. Wundt, Elemente der Volkerpsychologie, p. 452.
2. li. Lchmann, dans P. D. Chantepie de la Saussaie, Manuel d'his-
toire des reliyions, Irad. française, p. 410, sq. ; p. 425.
Czarnowski. d
PRKFACE
Panalhénées' n'était probablement ni un hommage à leur
beauté, ni un divertissement festival imaginé par un homme
de goùl; mais elle avait un sens religieux et polilique. On
a pensé qu'il s'agissait de symboliser l'unanimité d'Athènes
et de rionic par révocation de héros nationaux ; ce serait
un cas type du culte des héros. On vient de nous apprendre
que nos chansons de gestes devaient leur origine aux pèle-
rinages "^ ; Roland et l'archevêque Turpin ont été chantés
sur la roule de Compostelle ; les pèlerinages mènent à des
fêtes ou prolongent un état de fôte sur toute l'année. ElnGn
les filid ont exercé dans les fêtes leur office de récitateurs ;
ils y ont apporté des récils héroïques de circonstances, cir-
constances tribales, locales, nationales'. Il se peut donc que
les récits épiques aient été faits pour être récités aux fêtes.
Mais nous n'en avons pas la preuve. D'autre part nous ne
les voyons se présenter au concert des fêtes qu'avec des
héros tout faits et nous ne sommes pas en mesure de
savoir s'il en fut jamais autrement.
Pour analyser l'épopée de façon à expliquer ce qu'elle
doit el ce qu'elle apporte aux fêtes, tout spécialement en
ce qui concerne ses acteurs héroïques, il faut recourir à un
intermédiaire, qui est le drame. Usener l'a fait avec succès*.
Mais le drame est lui-même une des formes de la littéra-
ture héroïque dont la relation avec les fêtes est à la fois
plus générale, plus évidente et plus intime que celle de
l'épopée. On sait que les représentations dramatiques
1. G. Murray, The rise of the Greek epic, 1907, p. 171, sqq.
2. J. Bédier, Les légendes épiques, t. III, p. 39, sqq.
3. Czarnowski, p. 282, sqq.
4. H. Usener, De?' Stoff des griechischen Epos, dans Silzungsberichie
d. k. Akad d. Wiss. in Wien,ph. h. Klasse, l-, CXXXVII, 1897."
PREFACE LI
d'Athènes se donnaicut aux fùlos de Dionysos, les grandes
Dionysies, les Dionysies urbaines et les Lénéennes. Les
représentations dramatiques ont fait partout et longtemps
partie du i-iluel des fôtes. Elles sont restées liées aux
dates de fêtes bien après que le drame se fût émancipé
en genre littéraire et détaché de la reUgion. Il s'agit de
montrer que le héros appartient au drame comme le drame
à la fête et pourquoi ' ?
Mais à cet égard la tradition irlandaise ne fournit pas de
faits très instructifs. Pour la place qu'y tiennent les fêtes,
ce qui se passait dans celles-ci est bien mal connu. L'eCfort
qu'a fait M. Czarnowski pour ra|)epcevoir à travers les
mythes ne peut précisément pas suppléer, au point où nous
sommes, à l'absence de renseignements directs. EIn dehors
des récitations poétiques, la commémoration des héros com-
portait des jeux ; c'est aux jeux que se réduit, à notre con-
naissance l'élément dramatique des fêtes irlandaises. Ce
n'est pas assez pour étudier chez les Celtes le développe-
ment parallèle des cultes héroïques et du drame festival.
Il faut nous transporter en Grèce. M. Ridgeway* a sou-
tenu, il y a peu de temps, dans un livre sur l'origine du
drame grec, que la tragédie dépendait du ciilte des héros.
Le drame grec est un bon sujet d'études, puisqu'on peut
en suivre l'évolution depuis les formes les plus primitives
jusqu'aux plus élaborées du drame. Quand il produit ses
œuvres les plus parfaites, il est encore engagé dans le
culte et néanmoins son essor esthétique paraît aussi libre
que possible. On le croyait uni par des liens d'origine au
1. Cf. W. Wundt, Elemente der Vôlkerpsyckologie, p. 456, sqq.
2. W. Ridgeway, The origln of Iragedy, ivilh spécial références io
Ihe Greek tragedians, 1910.
LU l'RÈlACE
culte de Dionysos. A y regarder de près, ces liens sont
lâches. Bien avant que les concours tragiques des grandes
Dion3'sies aient été institués h Athènes, il y a eu, dans
d'autres villes, des chœurs tragiques, qui ont chanté et
dansé des tragédies, représentant l'histoire et les souffrances
de certains personnages. Ces personnages étaient des
héros. Hérodote nous en donne un exemple*. A Sic^'^one
des chœurs tragiques célébraient la passion du héros
Adraste sur son tombeau. Ces représentations en l'honneur
d'Adraste furent supprimées, dit Hérodote, par le tyran
Clisthène (493-560) et transférées par lui au culte de
Dionysos. Dionysos, à Sicyone, et peut-être aussi en
Atlique, a reçu les chœurs tragiques par substitution ^
Les représentations de Sicyone sont le plus ancien
exemple de représentations dramatiques que l'histoire ait
porté à notre connaissance. Qu'elles aient ressemblé aux
vieilles tragédies, c'est fort probable ; que ce fussent des
tragédies au sens propre, des chants du bouc, indépendants
du culte de Dionj'sos, Hérodote le dit et la chose est pos-
sible; car, s'il est exact que la Iragt'die soit par définition
un chant qui accompagnait le sacrifice d'un bouc, comme
le dithyrambe celui d'un bœuf, nous ignorons absolument
que le bouc fût une victime réservée à Dionysos ou spé-
cialement réclamée par lui\
Mais, d'autre part, c'est dans la légende héroïque et non
pas dans la mythologie que la tragédie grecque, fidèle,
selon M. Ridgeway, à ses origines, a toujours choisi ses
1. W. Ridgeway, o. /., p. 26 sqq. Hérodote, V, p. 67.
2. De la même façon le dithyrambe avait pasié du culte des héros
au culte de Dionysos. W. Ridgeway, o. l. p. 4.
3. L.-R. Farnell, o. L, t. V, 1909, p. 283.
PRÉFACE l.IU
sujets. Elle les a même choisis de telle sorte que des scènes
de culte funéraire s'y intercalaient naturellement. Les
personnages se groupent autour d'un tombeau; c'est celui
de Darius, d'Agamemnon ; c'est le tumulus des Sup-
pliantes. 11 y a des olTrande.s funéraires, des chants do deuil,
OoTvo'. et xouuo'l. Le mort ioue son rùle avec les vivants. On
le consulte, on le venge, on l'apaise, on l'évoque. La dis-
position même du théâtre est significative. Il y a un autel
sur lequel est fait le sacrifice à Dionysos; c'est la BuaéXTi ;
mais il y a sur la scène un autre autel, celui qu'utilise le
poète pour sa mise en scène ; c'est l'autel du tombeau
(,3toij.ô;). Ainsi le théâtre est le temple de deux cultes
juxtaposés, celui d'un héros et celui de Dionysos; le
deuxième est un intrus. La tragédie grecque, au surplus,
met en scène non pas des actions divines, mais des actions
humaines, des actes de héros. Ses représentations ayant
trait à la mort des héros, il est raisonnable de les
rattacher au culte funéraire. Le culte des héros en Grèce
était un culte de morts, mais il avait aussi d'autres
aspects.
La thèse de M. Ridgeway a été vivement combattue par
M. Farnell, Mais, si celui-ci a rendu le drame à Dionysos,
il ne l'a pas enlevé aux héros *. Ce n'est pas le dieu du
vin qui reste le dieu de la tragédie, c'est un dieu plus
vague et plus puissant, dieu de la fécondité, de la nature
qui s'éveille, pousse, lutte et meurt pour renaître. Le Dio-
nysos des Dionysies athéniennes était en réalité le Dionysos
l. L.-R. Farnoll, o. l. pp. 204. 231 sqq. A. Dietericha donné l'esquisse
dune théorie plus compréhensive dans son travail postlitimo, Die Entsle-
hutig der Tragûdie, dans Archiv fiir Religionswissenschaft, 1908, p. 162 ;
il y fait une part aux héros, à la liturgie en général, à celle des mys-
tères d'Eleusis en particulier.
LIV PRÉFACE
du bourg d'Éloulhèrcs', Dionysos Melanaigis^ à la chèvre
noire, le seul d'ailleurs qui ait quelque chose à faire avec
les chèvres, sinon avec les boucs. Or, celui-ci figure dans
une aventure héroïque, où sa nalure divine parait en aussi
bonne lumière que ses relations avec les origines du drame
et avec les héros. Il intervint dans un combat légendaire
que se livrèrent à la frontière de l'Attique le Béotien Xan-
thos (le blond) et le Messénien Melanthos (le noir); celui-ci,
avec l'aide du dieu, tua celui-là et le fait était commémoré
par la fête des Apaluries. Dans le mythe de Dionysos est
reproduit à plusieurs éditions un combat ou une passion
qui ressemble à ce combat du noir et du blond-, dont les
scholies de la mythologie classique nous font connaître les
aspects multiples et la grande popularité. Tels ont été, nous
dit-on, les sujets des plus anciennes tragédies. Uest fâcheux
pour la démonstration de cette thèse que la fête des Apa-
luries n'ait pas été une fête à représentations dramatiques.
Mais, si la preuve directe fait ici défaut, nous en avons
presque l'équivalent.
Ce sont des Jeux des fêles populaires qui nous le
donnent. Les paysans macédoniens représentaient naguère
encore, au Carnaval, des farces, qui rappelaient les péri-
péties du mythe dionysien ^ Notre tradition folklorique nous
apprend qu'une semblable figuration des génies agraires,
des péripéties et des antithèses de la végétation et du temps
1. L.-R. Farnell, o. l., p. 224, sqq.
2. L.-H. Farnoll, o L, t. Y, p. 88 sqq, 424, 169, i72, etc. Dans la mytho-
logie galloise, la rivalité de Gwynn Ile blond) et Gwylhur, condamnés
par le jugement d'Arthur, à se battre tous les premiers mai pour les
beaux yeux de Crekldylad, est un fait comparable : KvUiwch et Olwen,
Les Mabinoyion, Irad. J. Loth, 2» édit., t. I, p. 331.
3. L.-R. Farnell, o. L, t. V, p. 107. fête du Carnaval à Viza. Cf.
PRÉFACE LT
ont fourni aux lètes de l'Europe occidentale également
des thèmes très simples de drames'. C'est une théorie clas-
sique que les mummeries, batailles de masques et autres
petites pièces carnavalesques représentent en symboles et
actions dramatiques la concurrence des saisons. Mumme-
ries saisonnières et drame, telle est la suite de faits que
l'on se plaît à reconstituer-.
Mais que doivent être les personnages des pièces saison-
nières? Dans les villages sans histoire, ils restent esprits et
mannequins et cependant ils prennent assez aisément des
figures de personnat^es historiques^. Dans les cités grecques,
Usener nous l'a appris, ils sont montés en grade et sont deve-
nus des héros*. Les drames héroïques rudimcntaires, encore
tout proches du rituel mimétique de la fête, dont il sup-
pose l'existence, ne nous ont pas été conservés ; mais il
nous en est parvenu quelque chose, sous la forme de scènes
et d'épisodes épiques, dans les épopées homériques aux-
J.-C Lawson, Modem folk-lore and ancienl Greek religion, p. 221, 224
sq., 2?8. (Fêtes dramaliques du !•' janvier).
1. E.-K. Chambers, The mediaeval slar^e, t. I, p. 416, 274. R. Eisler,
Lfer Chiemijauer ^chiffKumzug vom 28"'" Februar Idli, dans Zeilschrift
des Vereins fûrVolkskunde, 1911. p. H52 sqq. R. Lobmeyer, Der Pfinyst-
quack in der Saargeyend, ibid. 1910. p. 3<J9.
2. L.-R. Farnell, o. l., t. V, p. 295. M. Farnell fail remonter la théorie
de la xzftapfft; an caractère sacramentaireetcatarthique des anciennes
fèlesà rcpr.'bcnlalions dramaliques; ibid, p. 2^7. Cf. H. Reicii, Der Mi-
mus, ein li/lerarentnicketungsijeschichtlicher Versuch, l'.i03 : cf. Année
sociologique, t. VIII, p. 050. K. Th. Preuss, Pkallisclœ Fruchlbarkeils-
Dâmonen als Trdger des all-mexikanischen Drainas, dans Archiv fUr
Anthropologie, N. P. t. I, p. 129, sqq.
a. V. ex. Guy Fawkes : Guy Fawkes day. 4 nov., cf. Folk-Lore, 1907,
p. 449.
4. H. Usener. Gôllernamen, p. 247 sqq.; id. Stoff des griechischen
Epos, l. l. passim ; id.. Heilige Handlung, dans Arcfiiv fUr Religions-
wissenschafl, 19o4, t. VII. j). 2X1 sqq; cf. id. Gôltliche Synonyine, dans
Rheinisches Muséum far Philologie t. III, p. 329 sqq.
LVI PRÉFACE
quelles ils onl fourni des rnalériaux. (]c sonl des canevas
de drames héroïques.
Mais alors, entre le drame el le héros, la relation, j)our
n'être plus la même, doit être encore plus étroite que celle
dont il était d'abord question. M. Ridg-eway nous engageait
à croire que le drame s'est formé autour du héros. L'autre
partie nous donne à penser que celui-ci s'est pour ainsi
dire formé dans le drame. Le drame le précède. C'est une
représentation, impliquée par une fête, de faits naturels et
surnaturels, dont les éléments, les moments, les images
antithétiques prennent une expression vivante et person-
nelle sous les espèces des héros. Bon nombre de ces héros
paraissent tout devoir au drame festival, leur nom, leur état-
civil, leur attitude et leur caractère. Tous lui devraient
au moins quelque chose de leur nature et de leur vitalité
héroïque; car, même dans ces drames primitifs, l'action
dramatique, le jeu des caractères, l'incarnation du type
par l'acteur ont pu contribuer à donner au personnage ou
à développer chez lui cette personnahté morale dont on a
voulu faire le caractère distinctif des héros*. C'est une
personnalité théâtrale.
La suite d'observations qui vient d'être présentée appelle
une réserve. Les faits auxquels nous venons de remonter
pour expliquer avec M. Farnell l'origine de la tragédie
dionysiaque, avec Usener l'origine des morceaux d'épopée
qui racontent des conflits héroïques, sont des rites mimé-
tiques saisonniers. Est-ce à dire qu'on nous ait montré dans
les rites mimétiques à la fois l'origine du drame et celle
1. W. Wundt, Elemenle der Vôlkerpsychologie, p. 200 sqq. K. Brey-
sig, 0. /., p. 178.
PRKFACE LVII
(les héros? La théorie certes est [)lnusible et les nrg'uments
(|ui larecûmmaiuleiit persuasifs, mais pas assez pour entraî-
ner la conviction qu'il n'y a eu de drames que de cette
origine et de héros que ceux de ces drames. Nous nous
garderons donc d'ériger en théorie générale des rapports
particuliers. Quant à Théroïsation de leurs acteurs, les rites
mimétiques qui fournissent le thème des saynètes saison-
nières n'en portent pas en eux-mômes la raison. Entre
les masques de feuillage, promenés, battus, aspergés,
poursuivis dans des fêtes villageoises et le plus impersonnel
des héros, la distance est déjà longue ; la structure des
rites mimétiques ne fournit rien qui aide i\ la franchir.
Une fois donnés par le rite un rôle, une attitude et
môme un nom, tout ce qui fait l'intérêt du drame et la
valeur de ses héros devait encore s'y ajouter, c'est-à-dire
ce qui l'a fait passer graduellement du conflit sommaire de
Xanthos et de Mélanthos aux débats et à la plainte
sublimes d "Œdipe ; mais c'est aussi pour nous l'essen-
tiel.
Le principe de l'héroïsation ne se trouve donc pas plus
dans le rite mimétique que dans le sacrifice ou dans tout
autre complexus rituel particulier. Reste à le chercher
dans la fête elle-même, puisque c'est à son occasion que
surgissent du rite mimétique et peut-être du sacrifice des
personnes et des personnes qualifiées. Aussi bien, les héros
supposés des tragédies primitives, dont il vient d'être ques-
tion, ont-ils été des génies de fêtes en même temps que des
génies saisonniers. Les héros irlandais, M. Czarnowski
nous en donne la preuve, sojit proches parents des génies
de fêtes.
b
LVIII PRÉFACE
Quand on parle de iùlc, on parle 6 la fois de temps et
do rituel ; le temps est consacré ; le rituel est public et
positif. Un rituel de fête est plus complexe, plus solennel,
plus important ou plus particulier qu'un rituel quotidien,
il intéresse et réunit plus de fidèles, occupe j)lus d'acteurs.
Les exécutants des actes religieux dans la fête sont en
effet des acteurs et leurs acoh'tes également, ou même leur
l'assistance. On peut en dire autant sans doute de toute
cérémonie religieuse; mais Taccoutumance journalière rap-
proche des gestes normaux, de la conscience laïque et
individuelle les rites qui ne sont pas publics ou se pratiquent
trop souvent. Ils se passent sur la scène oîi se passe la
vie ; dans le for intéritur, en tant qu'ils l'affectent, les sen-
timents qu'ils font vibrer sont devenus familiers. La fête
perd sa vertu dès qu'elle devient banale. Tant qu'elle
n'est pas demi-désuète, le caractère exceptionnel des actes
et des représentations y est vivement senti. Ce sont des
actes, des représentations et des sentiments de fête, qui
n'ont rien de libre, de spontané, malgré l'apparence, de
personnel, mais que meut une sorte d'automatisme collec-
tif. Les gestes s'enchaînent en rôles. Il }- en a pour les
protagonistes et pour le chœur entier de la foule en fête.
Ces rôles ne sont pas seulement l'exaltation de la
personne quotidienne, montant d'un ou de plusieurs degrés
dans la hiérarchie des valeurs religieuses. Ils sont repré-
sentation et symbole ^ Ils représentent tout ce que la fête
1. A. Oc\r\cV., WellermachenundNeujàhrsmondim y orden, dans Zei<-
schrif'l des Vereinsfilr Volkskunde, 1910, p. 57 sqq. (personnage respon-
sable et représentatiO-
PRÉFACE LIX
concerne ou sugp:ère. Dans les sociétés lolémiques, le
cas est clair, on représente le totem. A quelques degrés
de plus dans l'évolution sociale, la représentation est moins
directe ; elle se réfracte dans des atmosphères diverses ;
plusieurs couches d'institutions, plusieurs tableaux de
mvlhes se drossent entre la société qui se met en fête, les
pouvoirs religieux qu'elle veut évoquer et les fins qu'elle
se propose. Mais, dans la fête, il y a toujours une nécessité
de représenter, de figurer, qui finit par trouver son compte.
Il faut toujours invoquer et s'exprimer, désigner les puis-
sances intéressées et leur mode d'action', signifier les cir-
constances, le sens et l'objet de la fêle, traduire les besoins,
les désirs, les passions, les craintes de la société ou sim-
plement son bien ou son mal être, le plaisir ou bien l'énerve-
ment d'être ensemble. Tout cela s'exprime non pas tant
en paroles qu'en gestes, en gestes de personnages, par des
personnages et sous forme de jiersonnages faisant des
gestes -.
On a déjà décrit l'épanouissement de sentiments sociaux
et de représentations collectives, qui, dans une réunion
d'hommes, donne de l'objectivité, du corps à des sentiments
et à des notions que la vie coutumière disperse ou diffuse
et réalise des expériences que, dans d'autres conditions,
l'attention retiendrait à peine ^ Tout ce qui est commun
1. Représentation du dieu: Pausanias, IX, 22, 2 (Tanagra, Hermès
criophore).
2. I. A. Dickson. The burry-man, dans Folk-Lore, 1908, p. 379 sqq
(2* vendredi d'août): cf. Ibid, 1909, p. i'il : l'objet de la procession est
de procurer de la chance aux pécheurs; il y aura autant de poissons
que de poils sur le burry-man.
3. flubert-Mauss, Esquisse d'une théorie générale de la maqie. dans
Année sociolofjique, t. Vil. 1904, p sqq. Iv Uurkheim. Formes élémen-
taires de la vie religieuse, p. 520 sqq. Cf. K. lUilide, Psyché, 2* édit.,
t. II. pp. 1 sqq., 48 sqq. (les produits de la religion dionysiaque). Sur
I.X l'HKFACE
cl dépasse la conscience du moi devient extérieur, prend
substance, vie, ftme, esprit, personne. Ces âmes et ces
personnes se font une ligure de ce qu'elles trouvent. Elles
trouvent au moins celles des olTiciants. Ainsi l'argument
d'une fôte comporte des personnages, personnages surhu-
mains.
Mais, d'ailleurs, la pluralité des olficiants est déjù, pour
le rituel de la fête, un principe d'organisation dramatique'.
Qu'ils s'e.xprimenl en paroles et en prières, il y a quelqu'un
ou quelques-uns qui prononcent les prières ou qui les
dirigent ; le sectionnement social et la hiérarchie séparent
et différencient des parties dans le chœur ; mais toute la
masse ne fît-elle qu'une môme chose, elle ne le fait pas
partout de même ; la discipline n'est jamais parfaite ; il y
a toujours quelqu'un qui n'est pas en mesure, un choriste
qui improvise ; dans l'individu qui s'émancipe apparaît
déjà le soliste que les autres accompagnent et auquel ils
répondent. En somme, plusieurs tètes distinctes sont là et
plusieurs groupes, entre lesquels pourra se répartir la
masse confuse des évocations. Dans l'espace et la pluralité
s'analysent et se fi-xent les images de la fête. Cette répar-
tition des rôles et des valeurs symboliques contient le
drame en essence.
Il faut à des gens en fôte beaucoup de retenue, beau-
coup ou trop peu d'imagination pour s'en tenir au discours
les cérémonies orgiasliques du culte de Dionysos et les faits psychiques
qui s'y produisaient, cf. L.-R. Farneli, o. /.. t. V, pp. 152 sqq , 167, 161
eq., 186, 193. Sur la possession elles fêles, cf. J.-C. Lawson. o. /.. pp. 208,
288, 416; la description des fêtes de la mort et de la résurrection du
Christ en Thessalie, ibicL, p. o73 sqq., fournit un exemple de fête
typique et complet.
1. Fr -B. Gummere, The beginnings of poetry, pp. 441, 471. Cf. Année
sociologique, t. VI, p. 564.
PREFACE LXI
cl à la prière. Que le gesle complète la pensée, que des
anticipations figurées réalisent par avance l'attente, que
des masques rendent les dieux présents aux fidèles, le
rituel devient représentation et le m3llie se joue'. Voilà
pour l'action; il n'est pas de fêle qui, à quelque dcgié, n'en
comporte.
Quant aux acteurs, ils sont toujours prêts. Des officiants
aux plus simples laïcs, chacun se fait un personnage. On
revèl des insignes et des oripeaux, on s'endimanche, on
se déguise * ; de l'un à l'autre la dislance n'est pas grande.
On se fait et l'on se sent autre ; on a le diable au corps,
car l'on est possédé par l'esprit de la fôte. Une fête devient
aisément mascarade, mascarade éparpillée et désordonnée,
mascarade groupée et réglée. Toute coordination de la
mascarade en fait une représentation dramatique. Le drame
héroïque en est un degré supérieur.
Les personnages du drame festival, quand ils dépassent
l'état rudimentaire des génies anonymes, sont des héros
plutôt que des dieux. Le divin a plusieurs niveaux. A
devenir présent dans les rites, à subir les chances du
sacrifice, à coudoyer les hommes dans les fêtes, il doit
sinon se séculariser, du moins s'humaniser. Le dieu do la
fête n'est pas Dieu le Père, mais Dieu le Fils. Il descend
1. Représentation dramatique du Rapt de Proserpine aux Thesmo-
phories : L.-R. Farnell, o. /., t. III, p. 87, p. .'527 ; Clément d'Alexandrie,
Protrept., p. 14; P. -M. Moszkowski, Die Vôlkersiûuvne am Mamberano
in holiand. Seu-Guinea, dans Zeilschrifl fur Ethnologie, p. 191, p. 315
sq. : fête de la pleine lune de juillet, noces de la déesse Bimbajo et
du dieu .Mangossi, danse dramatique. — Ridgeway, o. l., p. 95: sha-
manisme et théâtre en Asie centrale, p. 100, etc.
2, L.-R. Farnell, o. l., t. V, p. 172 : bacchanls à la face plûtrée
(t!t2vo;) = Titans (mythe du meurtre du dieu-enfant par les Titans),
cf. Nonnus. 47, 733. Sur le déguisement des hommes en femmes, cf.
L.-R. Farnell. o. l. pp. 160. 273 (Dionysos), p. 107, (légende de Pen-
théc).
LXH PRKFACE
au plan de la vie humaine et se fait homme pour rencontrer
les hommes. Or, c'est précisément là qu'agissent les héros.
Le héros, forme séculière du dieu, est une sorte de per-
sonne divine qui convient à la fois aux drames religieux
et aux fêles. Les fêtes qualifient en héros les personnes
divines, qui y sont impliquées. Les dieux des cultes qui
se réduisent aux fêtes tendent vers le type du héros. C'est
le cas des dieux irlandais ; mais ailleurs qu'en Irlande des
héros ont été substitués aux dieux dans le culte des fêtes,
ou les dieux s'y présentent en figure de héros '.
11 faut observer également que le divin des fêtes leur est
souvent particulier ; c'est l'esprit même de la fête, qui
porte son nom ou quelque autre nom propre -; ce sont les
esprits divers, ou contraires des parties, des moments de
la fête, de ses antithèses, pour ainsi dire, et de ses rôles
opposés. Xés sur le plan de la \ie humaine, au milieu des
hommes, dont ils émanent, il n'y a pas de raison pour
qu'ils s'élèvent beaucoup au-dessus d'eux ; s'ils prennent
figure et rang dans la hiérarchie des figures divines,
l'état qui leur convient est celui des héros, qui sont à la
1. Voiries équivalences exposées par H. Usener. Gôltîiche Synonyme,
dans Rheiniches Muséum, t. LUI, p. 329. Associés héroïques de Dio-
nysos : L.-R. Farnell, o. l. t. V, p. 100 (Rhesos) ; p. 1(58 (Penthée),
Dionysos lui-même est un héros, ibicL, p. 130; voir plus haut p. xii.
n. 2.
2. Divinité portant une épithète fournie par le nom d'Hine fête,
L.-R. Farnell, o. /., t. V, p. 120 : Dionysos ftîoSat'^to;; (©eooaÎTÎa),
npotpjYa.Os (npoToûyata) ; p. 405, Ares r->^va'.xo6o'!vaç (Tcgée, fête
sacrificielle des femmes) ; cf. p. 129, 'Ic-ooaÎTTjç. — Personnifications de
la procession : J.-C. Lawson, o. L, p. 23, Ilsp-sp'a (^Ep-uopcta) nom
du personnage représenté dans une procession dont le but est d'obte-
nir la pluie. Cf. E. Fischer, Paparuda und Scaloian. dans Globes,
1908, t. I, p. 13 (Roumanie). — Personnifications de dates : l'arrivée
de Mars. Revue des traditions populaires, l'jO", p. 181. — Personnifica-
tions de choses sacrées, objets de fête .Retue des traditions populaires.
1907, p. 34.
PREFACE LXIII
fois hommes ci dioux ou déinons. Il leur rosle, au surplus,
toujours quelque chose des acleurs, dans lesquels ils
se sonl incarnés et avec qui ils se sont en quoique sorte
identiliés.
Convenances d'une part, origines de la représentation
d'autre part, voilà des raisons au rapport que nous suppo-
sons entre les héros et les fêtes. Il en est une autre toute
logique.
Une KHe a une date et elle est une date. Une date de
fête est un élément du temps, qui se distingue des autres
par des qualités particulières de telle nature que le sacré
peut s'y produire au milieu du profane ^ L'éternel y touche
au temj)orel. Ce qu'il ne perd pas à ce contact de son
éternité est entretenu par des répétitions sans fin. Les
points critiques du temps que sont les dates de fêtes for-
ment, les uns par rapport aux autres et par rapport aux
autres repères du temps, des systèmes d'éléments homo-
logues, qui sont tenus pour équivalents et qui se répètent
les uns les autres autant que faire se peut. Chaque fêle
reproduit donc une fête antérieure et toute la série des
mêmes fêtes un fait unique, mythique.
Cette répétition peut prendre deux aspects, suivant
l'importance relative (elle est variable) des idées contra-
dictoires qu'elle concilie, celui de la présence réelle et
celui de la commémoration. Dans ce deuxième cas, le fait
reproduit par la fête est lui-même situé dans le temps; c'est
un temps fort reculé, mais qui, en fin de compte, tient tou-
jours à l'histoire ; il ne se dépouille pas de ses éléments
1. Hubert -Mauss, Slélanf/es d'hisloire des religions, p. 189 sqq.
Etude sommaire de la représentation du temps dans la religion et la
magie.
l.XW PREFACE
chronologiques ; sa reproduction est ovant tout souvenir et
rappel. Les personnages dont les gestes sont commémorés,
ou censés tels, ayant existé dans le temps et pris place
dans la suite de Thistoire, ou du moins on le suppose,
ont précisément des caractères essentiels qui, entre les
personnes div^ines, distinguent les héros.
Certes, il y a des fôtes qui évoquent les héros, comme
tous les autres morts, pour qu'ils viennent prendre leur
part des dons que leur réserve le culte ; mais s'ils assistent
spirituellemenl à la récitation ou à la reproduction de leurs
actes héroïques, c'est en auditeurs ou en spectateurs ; ils
ne refont pas eux-mêmes leurs gestes mémorables et ne
subissent pas une deuxième fois leur destinée tragique. La
présence réelle est le fait des dieux. La commémoration
est l'indice des fêtes de héros. Ainsi s'établit, par rapport
aux fêtes, entre les dieux et les héros une distinction com-
parable à celle que nous avons déterminée par rapport aux
sacrifices. Les dieux, qui s'imposent à la dévotion ailleurs
que dans les fêtes, y descendent en pleine réalité \ Les
héros, dont le culte est plus rare et plus concentré aux
fêtes, y sont célébrés en figure. L'histoire du dieu est une
description ; c'est un mythe à proprement parler. Celle
du héros est une tradition, un on-dit du passé ; c'est une
légende. La permanence, l'infinité du divin n'appartiennent
qu'aux dieux-. Les héros sont du divin de circonstance,
discontinu et fini. Le dieu est un faisceau d'énergies vir-
4. J.-C. Lawson, o. l., p. o73 : « Happening to be in some village of
Eubœa during Holy Week, he had been struck by the émotion which (he
Good Friday service evoked ; and observing the next day the same
gênera', air of gloom and despondency, he questioned an old woman
about il ; whereupon she replied : « Of course I am anxious ; for if
Christ does not rise to morrow, we shall havé no corn this year. »
2. K. Breysig, o. Z., p. 7.
(
PREFACE LXV
tiit'lles. Le héros est un geste qui s'est fait une fois et s'est
fixé comme symbole.
La ligne de j)arlage entre les deux espèces est donc théo-
riquement très nette. Dans la pratique elle l'est moins. Les
fôtes présentent de subtiles combinaisons de représentation
réelle et de commémoration. Les fêtes chrétiennes, par
exemple, commémorent les faits de la vie du Christ et réa-
lisent sa présence dans un sacrifice qui renouvelle indéfi-
niment sa passion, ou bien réunissent la célébration de la
messe à la commémoration des saints. Il y a toujours une
part de commémoration dans les fêtes et par conséquent
une place de héros. Mais la commémoration pure ne con-
tente pas les fidèles des héros. Ils éprouvent le besoin de
les rapprocher d'eux pour leur rendre de la réalité et de
rafraîchir, pour ainsi dire, leur idéal héroïque ; ils le rajeu-
nissent en général en le changeante Par ce procédé tout
à fait analogue à celui qui a fait remplacer des héros
anciens par de plus récents, des dieux ont été transformés
en héros; pour vivifier la notion de leur présence et de
leur réalité, on les a humanisés et rajeunis. Les dieux des
fêtes tendent au type du héros; mais les héros ne s'écartent
jamais tout à fait des dieux. On peut dire que le type du
héros convient par excellence aux dieux des fêtes. Le plan
de la vie humaine et celui des activités divines se rencon-
trent dans les fêtes; les héros se trouvent à Tintersection,
représentants de l'un, instruments des autres, symboles
divins des sociétés. Ainsi les fêtes donnent lieu à la forma-
tion de personnages qui, réunissant le divin et l'humain,
sont des héros. D'autre part, une fois la notion de héros
1. Hubert-Maus.?, o Z . p. 193.
CZARNOWSKI.
LXVI PREFACE
couslihiôe, comme celle de dieu, elles ont v\r un terrain
favo!;il)le ;\ ces croisements du mythe divin et de la
léfj^ende héroïque, sur lesquels TaHenlion s'est souvent
poili'e ' .
Il y a des fêtes qui commémorent effectivement des évé-
nements historiques. Entre cette commémoration effective
et la commémoriition conventionnelle d'événements mj'-
thiques la différence originelle s'efface toute seule. Les
héros m^'lhiques, commémorés gratuitement, rejoignent
les héros historiques. La différence de leur origine n'en-
traîne pas entre les uns et les autres différence de fonc-
tions. Assez de légende, de mythe et de religiosité s'ac-
cumulent bien vite autour des faits et des personnages
historiques qui sont objets de fêles, pour que les uns
n'aient rien à envier aux autres. En revanche, les héros
historiques ont prêté aux héros mythiques un peu de leur
objectivité.
D'autre part, les rites à efficacité positive et pour ainsi
dire phvsique, dont on i)eut supposer qu'ils ont fait le
novau primitif des fêtes qui n'ont pas été dans le principe
destinées à célébrer des exploits réels, ont été débordés par
le mythe, quand elles sont devenues des fêles de héros ; le
but positif a été dépassé par la repn^entation". Celle-ci
est devenue à elle-même sa propre fin. C'est précisément ce
1. E.-B. Tylor, Primitive C'dlure, t. l, 3° édit., p. 34"^ sqi].
2. Plntarque. S'ilon, 29 : vSolon proleste quand Thespis lui confesse
If, caractéîre purom ^nt représentatif de ses pièces. Cf. W. Ridgcway,
o. L, p 58. _^ ,
PRÉFACE LXVH
qui s'est pass(^ dans les fêtes commémoratives. On y repré-
sente pour ropivsenter. Mais, si la partie de la fête qui met
en scène le héros arrive h n'être plus que représentation
et jeu, le héi-os lui-môme se réduit en représentation pure ;
il est, en tout et pour tout, dramalis persona. De là vient
que tant de héros sont des personnages de théâtre, dont
l'histoire se décompose en situations, l'être en attitudes et
en gestes et dont le caractère, que rien d'autre n'a dû déter-
miner, se compose, par contre, en caractère dramatique.
IjCs types moraux que le drame a mis en scène ont pu se
locfer sous des masques vides de héros.
11 ne suffit même pas de dire que la représentation dra-
matique de faits héroïques déborde le rituel positif de la
fête. Elle constitue elle-même un rite distinct. C'est en
tout cas un élément de surcroît, ajouté aux autres parties
de la fête. Il est indépendant de celles-ci et finit par l'être
de la fête elle-même. Quelque nécessaire qu'on puisse la
supposer t\ l'origine, la relation du héros et du drame, du
m\ihe et de la fêle apparaît, à prendre l'ensemble des faits,
comme assez lâche. Les fêtes changent de mythe ^. Les
mythes changent de fêtes et l'on sait que les fêtes à repré-
sentations dramatiques ont admis d'autres drames que ceux
dont leurs propres héros étaient les sujets. Elles deman-
daient des représentations, mais la pièce représentée leur
était indifférente. Cette autonomie relative du drame à
l'égard de la fête a été certainement en Grèce la condition
de son essor définitif. Les héros y ont gagné. Ils ont bénéfi-
cié de l'expérience humaine et de la réflexion que les hommes
ont portée sur eux-mêmes dans leur travail littéraire.
1. Exemple : L. R. FarnoII, o. !.. t. y, p. 191.
lAVIlI Pnh'lFACE
L'Iiéroïsalion so produit ou cours iVuu processus, qui
s'achève avec le développement du drame. Il commence
en religion et se termine en esthétique. Dans cette évolu-
tion de la représentation dramatique et de la fête, le
héros, être religieux, s'est donc lapproché, jusqu'.^ le
rejoindre, du héros littéraire. Ce n'est pas dire qu'ils
fussent identiques dès l'origine, que le premier ne fût
pas solidement implanté dans la pratique religieuse, ni
même qu'il soit complètement ou rapidement sorti de la
religion. Pour pratique que soit la religion, la représen-
tation pure y a sa place et elle est grande. Laisser en
dehors de la religion le mythe, quand il n'est pas unique-
ment employé à nourrir la piété et à donner un sens au rite,
nous paraît non seulement rétrécir la religion, mais l'ap-
pauvrir. Un insatiable besoin de réalité, mais aussi un
irrépressible besoin de fantaisie la mènent. Tous deux
d'ailleurs se contentent t\ bon marché; mais, en reli-,
gion, comme dans l'ensemble de la vie humaine, l'ima-
gination devance l'activité positive et finit par lui donner
des objets.
La religion ne se passe pas d'imagination, mais l'imagina-
nation qui la sert est religieuse. L'exemple des héros est
précisément fait pour montrer que, quand la repré.sentation
s'est émancipée, le mythe garde assez de valeur pratique
pour suppléer à ce que l'appui du rite ne lui donne plus.
En se déliant de tout rapport direct et spécial avec cer-
tains rites, certaines fêtes, certaines notions et certains
besoins religieux, la représentation du héros ne perd pas
d'un seul coup toute espèce de sens, de contre-partie senti-
mentale et morale. Elle n'est jamais un simple jeu d'imagi-
nation, dénué d'intérêt et de portée pourceux qui s'y livrent.
PREFACE LXIX
Imogc lumineuse qui surgit d'obscures réncxioiis, clic est
un [uMe (rjvHi'iicliun pour les pensées floUanlcs elles scnli-
ments confus ; elle est aussi un principe d'action ^ On peut
dire des héros, comme des saints, que leur vie est édifiante,
édilicalrice de valeurs qui ne sont pas les mômes, mais que
les religions n'ont pas dédaignées. Le spectacle de leurs
faits et gestes donne des exemj)les efficaces d'énergie, de
courage, de bon cœur, môme de bonne liumcur et de gail-
lardise. La fête à laquelle les fidèles prennent part est une
source de bienfaits moraux, parmi lesquels il faut compter,
au minimum, le réconfort et la distraction-.
Symboles divins des sociétés, acteurs idéaux de leur his-
toire, modèles de mérite, exemples de veitu, types moraux
et caractères, les héros ont passé par échelons du héros de la
religion à celui de la littérature, dans l'évolution du drame
et de l'épopée qui procèdent des fêles. Tous les héros, à
quelque degré que ce soit, étant des symboles et des types,
aident les hommes et les groupes d'hommes à prendre
conscience d'eux-mêmes. A chaque échelon, leur représen-
tation garde toujours une sorte de valeur pratique, dont la
religiosité ne varie et ne s'atténue qu'insensiblement. On
ne saurait marquer le point où elle s'abolit tout à fait.
Dans l'étude des héros, comme dans celle des fêtes, la
part de la religion et celle de l'esthétique ne peuvent à
aucun moment être exactement dosées.
M;iis, dans la mesure où il tend vers le héros histo-
rique et surtout vers le héros de roman, le héros s'éloigne
1. H. Jacoiii. dans Uostings. o. i. p. Go'J, du sentiment de bhakti
appliqué au héros, W. Wundt, Vôlkerpsychologie, t. IV, p. 65 sqq.
2. E. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, p. 537
sqq.
LXX PRÉFACE
du dieu. Ils se spécialisent chacun dans leur sens et se
font chacun leur domaine. Au dieu, les forces cosmiques ;
au héros, l'ingéniosité, la valeur et la misère humaine.
Us diffèrent comme le mythe et la légende. L'un se dirige
vers la métaphysique; l'autre penche vers l'histoire et le
conte. Nous sommes jiortés à croire que c'est un penchant
de nature. Nous ne connaissons en effet l'histoire des héros
que par des drames, des épopées ou des récits qui sont
des résumés d'épopées ou des di*ames en puissance.
Cette affinité des héros avec la littérature s'explique, s'il
est vrai que les fêtes, qui ont fait appel à ses essais
informes, réunissent les conditions dans lesquelles a pu
se former la notion de héros et se déterminer ses carac-
tères, si tout au moins son développement est en étroite
relation avec elles. Mais nous ne saurions dire que tous
les héros procèdent des fêtes. Nous croyons seulement
que les héros des fêtes sont les plus vivants, les {)lus colo-
rés, les plus populaires et les plus typiques, que les fêtes
constituent des circonstances éminemment favorables à
leur représentation et que l'exemple fourni par les fêles
est celui qui explique le mieux comment les sociétés se
sont pourvues de héros. C'est dans les fêtes, où elles se
concentrent, qu'elles peuvent se donner la plus complète
représentation d'elles-mêmes sous les esf)èces de leurs
emblèmes'. Le rôle que tiennent [)ar exemple les totems
dans les fêtes des sociétés australiennes a été naturellement
dévolu aux héros par les sociétés qui peuvent se recon-
naître en eux.
1. Par exemple les fêtes de métiers : yaKxs.la. L.-R. Farnell, o. /.,t. V,
p. 378. Sur la concentration de la vie sociale irlandaise aux fôtes, cf.
O'Gurry, Manners and Customs, t. II, p. 44; t. III, p. ai'2 eq.
PREFACE I.XXI
IV
.Nous avons dit quolle place la tragédie grecque faisait à
des scènes funéraires. Pourquoi d'ailleui's l'imagination des
hommes s'est-ello complue à se rcpiésenler la mort des
héros? I>e leui- existence dramatique c'est toujours le prin-
cipal épisode. Le fait se comprendrait si, par une nécessité
de nature, le héros devait figurer comme victime dans un
sacrifice réel ou idéal. Les héros du drame saisonnier, que
Ton a supposé à l'origine de la tragédie, meurent parce
que ce qu'ils symbolisent soud're ou disparaît ; leurs
triomphes sont temporaires et, en fait, les héros des fêtes
saisonnières triomphent moins qu'ils ne pâtissent'. Mais,
si l'héroisation est indépendante de tout rituel dont un
incident puisse être représenté par la mort du héros, pour-
quoi donc le héros meurt-il? Les héros qui n'ont pas vécu
meurent à l'image de ceux qui sont morts, parce qu'ils
revêtent leur condition humaine. Sans doute. Mais ils pour-
raient mourir sans bruit et passer. Non pas. Leur moit, fiit-
elle tranquille, n'est jamais banale. Elle a toujours quelque
chose de singulier, de surprenant, de tragique ou d'édifiant
qui attire l'allenlion. Souvent elle a le caractère d'une
épreuve. On nous dit que les héros devaient passer à
l'épreuve. Mais pourquoi fallait-il qu'ils y succombassent ?
La motl du héros est un élément de sa définition. En
Grèce, son sanctuaire est un tombeau ; son culte, un culte
1. La comparaison du coucher du soleil à la mort a fait traiter le
fliiMi Solaire en héros : J. Hliys, Cellic healhendom, p. 383 sqq., The
siin hero. Cf. W. Wundt, Vôlkerpsychologie, t. IV, p. 51.
LXXII PRÉFACE
funéraire, où il reçoit les services qui sont dus aux morts.
En Irlande, les fôtes, fôtes de héros, avaient pour llu'Alre
des cimetières; elles se célébraient entre des lumulus
funéraires, parmi lesquels se trouvait la tombe du héros
ou de rhéroïne dont elles commémoraient la mort. On ne
court aucun risque à généraliser. 11 est vrai qu'un grand
nombre de tombeaux héroïques ont été usurpés ou vides.
Il y en eut de supposés. En Irlande, chaque tertre, chaque
bulle naturelle ou artificielle est un ,s/rf/t, c'est-à-dire, en
fin de compte, un tombeau, et les personnages dont les
noms s'y attachent sont des héros. Qu'il y ait eu des
héros imaginaires et mythiques, on en tombe d'accord.
Mais que les héros en général aient été représentés
comme des morts, le fait n'est pas contesté. Or c'est la
représentation qui importe. Héros et morts sont notions qui
s'appellent ; culte des héros et culte des morts sont choses
connexes et qui varient ensemble*.
Il en est encore d'autres preuves. En Grèce, par exemple,
on constate que tous les dieux qui évoquent en quelque
façon l'idée des morts, par la position de leur sanctuaire,
par leur habitat, par leurs attributions, leurs aventures ou
leur mode d'action se rapprochent des héros ou peuvent
compter parmi eux ; tels sont les dieux chthoniens, tels
sont les dieux guérisseurs, qui révélaient leurs secrets par
le songe, comme les morts, et les dieux de la possession'-.
Quant aux personnages, probablement exceptionnels,
dont rhérojsation semble avoir devancé la mort, ou bien la
mort est passée si près d'eux qu'ils en sont restés touchés,
1. A.-C. Haddon, fleroes and hero-gods, dans Hastings, o. /., t. Vf,
p. 636.
2. J. llarrison, Prolegomena lo the sludy of Greek religion, \). 323 sqq.
ritEFACK LXXIIl
comme les martyrs cpargiiés ', ou bien ils sont morts par
figure, morts au monde. M. Czarnowski incline à considérer
riiéroïsation comme une sorte d'initiation', dont la mort
était l'agent ordinaire mais qui pouvait faire défaut ; nous
croyons en effet, pour prendre un exemple, que l'initia-
tion compliquée des compagnons de Finn était de nature
ù les héroïser avant la lettre ' ; or, quand on a voulu
représenter l'initiation ou l'expliquer en termes de lan-
gage courant, on a généralement recouru à la figure de
la mort et de la résurrection. Enfin, à l'intime relation des
héros et des fêtes conviennent leurs caractères de morts,
car les fôtes sont des dates du culte funéraire et, s'il est
des esprits dont la part qu'ils prennent aux fêtes soit
expressément mentionnée, ce sont les esprits des morts*.
Mais serait-ce la mort qui, en fin de compte, héroïserait
et n'avons-nous pas fait fausse roule en cherchant d'un autre
coté.^Un tombeau, un nom, une date, un geste mythique,
voilà la substance d'une légende et d'un culte héroïque.
Celte réunion d'éléments procède-l-elle de la mort? Le
héros est-il à jjro[)rement parler un mort puissant, un
mort à tnana ? La notion de mort puissant contient-elle en
substance tout ce que développe celle du héros *, celle de
mort, tout ce que suppose celle de mort puissant? Au
1. E. Lucius, An fange des Ileiligenkults, p. 61 sqq.
i. Czarnowski. p. 18:j. 1<j7.
3. Cf. Ch. Sqilire, The mythology of Ihe British Islands, 1910, p. 207.
4. 0. Sclirarlf*r, An/an religion, dans Ilastings, o. l., t. IF. p. 25.
P. Haupt. l'urim, p. 19 Hans Schmidt. Jona, p. 111. Cf. W. Wundt,
Elemenle der Vûlkerpsychologie, p. 140 : Und unler den GôltiTkidten
sind es vornchmiich jene, in dcncn Seelcnkiill und Jensiilsvorslel-
Iiingen ziisanimcngodosson sind. in denen sich die Molive zii dieser
dramatisrhen Wciterbildung der lilurgisclien Ilandiungen zusammen-
Dnden.
5. Cf. E. Rohde, o. l, 1, p. 146 sqq. : Lueius, /. /.. p. 20.
LXXIV PREFACE
pii'inior examen, le mort paraît èlre lorigii)ai du .'icros, le
iDOil ou rancèlre. Telle est, seniblc-t-il la réponse des faits
à la question que nous posions.
Il y a mopis et morts. Les héros sont des morts d'une
nature particulière qui les sauve de l'oubli où tombent
les autres moris. Ce sont des morts qui ne meurent
pas. Partout les morts s'éloignent des vivants en troupes
d'ombres pâles et anonymes'. Même là où la croyance
à la vie future est la mieux assurée, là mémoire des géné-
rations passées s'efface vite. La rude personnalité des héros
épiques se détache en traits violents sur ce fond terne.
Ce n'est pas le souvenir d'une énergie éteinte qui s'attache
à leur nom, mais une image toujours présente et toujours
rafraîchie. Quand le héros est représenté sur le plan des
autres morts, le contraste qui heurte sa faiblesse de mort à
son éminenle dignité de héros est choquant et pathétique.
«Comme j'aimerais mieux, dit Achille, travailler la terre aux
gages d'autrui, chez un pauvre paysan, à la huche mal gar-
nie, que de régner ici, comme Hades, sur les morts ^ »
Achille ne sait rien des siens et ne peut rien pour eux. A la
vérité, les hommes ont demandé aux héros les mêmes ser-
vices qu'aux autres morts, quand ceux-ci ne sont pas encore
oubliés. Les morts, qui tiennent aux deux mondes, sacré et
profane, sont en position den rendre; c'est la contre-partie
des soins religieux dont ils sont ^objet^ Ils ont des vues
1. K. Breysig, o. l., p. 177.
2. Homère. Odyssée, XI, 4^i0 sqq.
3. Oracle de héros : E. Bohde, o. l., t. I, 189 sqq.
PBÉPACE LXXV
sur rau-del;\; on les consulte. Ce sont des forces désinté-
grées, disponibles, mais non pas indépendantes, dont les
vivants peuvent conli-ôier l'application, s'ils ont le moyen de
s'en saisir. Mais on a lomarqué que les héros, à ce point de
vue, n'excelleni pas parmi les morts et ne justifient pas le
culte exceptionnel qui leur est rendu*. S'ils l'emportent
sur les autres, ce n'est pas par leur pouvoir, mais par
l'appel plus fivquent qui y a été fait; c'est par le sou-
venir qui s'attache à eux et les désigne aux solliciteurs.
Le souvenir même de leur vie terrestre est le plus clair
de leur veitu. C'est parce qu'ils ont servi les leurs de leur
vivant qu'ils ne cessent de leur pièler l'aide la plus efficace.
La puissance bienfaisante qui leur reste est celle de leur
mythe. Us ont une force d'exemple et de réconfort, et l'on
pense moins à la condition et aux dons surhumains de
leur âme immortelle que l'on ne se rappelle leurs gestes de
vivants. Quand les ombres de ses compagnons achéens
eurent épuisé le peu de vie qu'elles avaient retrouvé au
sang du sacrifice. Ulysse vit défiler d'autres ombres^, celles
de héros plus anciens; Minos, un sceptre à la main,
jugeait les morts; Orion chassait encore sur la plaine
d'asphodèle les bêtes qu'il avait tuées; Tilyos, Tantale,
Sisyphe, dans leur attitude consacrée, se détachent sur
le fond d'oubli en bas-rchefs; l'ombre d'Hercule tire de
l'arc^ ; mais Hercule lui-môme n'est pas là, vivant en liesse
avec les dieux immortels, soustrait à la mort ou réellement
divinisé.
Mais il y a d'autres héros, dont on a attendu des secours
I. K. Breysig, o. L, pp. G, 177.
i. Homère, Odyssée, XI., 568 sqq.
3. Ihid., 601, sqq.
LXXVl PREFACE
positifs, sans qu'ils fussonl j)oiir oiitniil ossimilés aux dieux.
Arlluir en est un; mais il n'était pas mort et pouvait reve-
nir'. A Castor cl PolUix, auxquels la mort laissait des
congés, Grecs et Latins ont su gré, en plusieurs occasions,
do retours opportuns et d'une aide efficace ^ Le cas d'Ar-
lliur n'est pas plus exceptionnel chez les Celtes que celui
d'Hercule chez les Grccs\ Nombreux sont les héros, et
particulièrement en Irlande, qui ont échappé à la déchéance
de la mort; leur mort est une transgression des portes inter-
dites; c'est ce qui en fait l'éclat digne de mémoire; ils
sont entrés vivants dans le monde des morts; mais ils y
vivent ; il en est même qui savent en revenir*.
En somme, si l'activité posthume des héros se distinguo
de celle des autres morts, c'est par des actes de vivants,
dont ils sont crus capables pour avoir vaincu la mort. S'ils
ont, en tant que morts, des mérites spéciaux, c'est par ce
que leurs reliques, quand il en reste, conservent encore
de leurs vertus et de leur force, c'est-à-dire de leur vie^ Le
culte des héros comporte un culte de reliques et le culte
des rehques est un culte de puissances présentes. Mais ils
vivent toujours en quoique manière i)ai' le souvenir et le
mythe. Honorés comme morts, le fait de la mort, n'ajoute
rien aux raisons essentielles qui leur font rendre un culte.
Leur prestige ne devrait rien à la mort, si celle-ci n'ache-
vait les épreuves qui les consacrent; leur pouvoir surna-
1. J. Rh>s, Celfic folk-lore, p. 493 sqq.
^. Sur la légende de la bataille du lac Régillc, cf. G. Wissowa.
Religion und Kul/iis cler Romer, p. 216.
3. Rhesos : Euripide, Rhesos. 970 sqq. L.-R. Farnell, o. L, t. V, p. 100.
4. A. Null-K. Meyer, The voyage of Bran, 189b, 2 vol.
u. Fr. Pfislcr, Der Rel'"{uienkult im Allertum, 1, 1909, cf. Année
sociologique, t. XII, p. 247.
PRIiFACE LXXVU
luivl y [)cn\; celui des autres morts y gag-no. Ce sont évi-
demment des morts puissants, mais en vertu de leur vie,
par la ténacité de celle-ci' et non pas parce qu'ils possèdent
d'éminenles qualités de morts. 11 est fort exact que les
héros sont des morts, mais c'est ce qui les différencie des
morts qui en fait des héros. Ce n'est pas la mort qui les
liéroïse. La considération qui s'attache au héros ne procède
pas de celle qui a pu entourer de craintes, de respects et
de soins les âmes immortelles des hommes, quels qu'ils
soient.
On lit dans VYnglinga Saga que, le dieu Frey, qui
régnait sur la Suède, étant mort, sa famille le cacha dans un
lumulus construit en manière d'habitation et dissimula sa
mort aux Suédois jusqu'à ce que ceux-ci fussent rassurés
^ ir les conséquences de sa disparition par une continuité
(le bonnes récoltes ■.
Ce récit donne l'exacte mesure de ce que valait un
liéros mort. Les héros sont de ces personnages dont on ne
peut pas croire qu'ils meurent ou dont la mort, n'étant
jamais escomptée, est une éternelle surprise, éternellement
léplorée. Les heureux^ les puissants et les forts sont natu-
rellement l'objet de pareils sentiments. La croyance à
l'immortalité de l'Ame triche avec la mort, par laquelle
sont inopinément brisées des vies, qui devraient continuer.
L'immortalité des chefs a précédé celle du commune Yoilà
pourquoi les héros vivants ou immortels surnagent entre
les morts.
1. K. Breysig, o. l. p. 177.
■2.. Ynglinga Saga, XII, dans The Saga Librarg, t. III. p. 22. Cf.
.M.-E. Scaton, dans llastings, o. l., t. VI, p. 667. Frey se présente dans
ce passage comme une sorte de roi-dieu.
:; . W Wundt, Elemenle der Vôlkerpsychologle. p. 39^.
LXXVIII PREFACE
Mais la nolion de la mort n'est pas une notion claire,
simple et partout la m<>me. Discourir en général sur la
représentation de la mort et des morts sans les définir est
h peine légitime. Elles présentent des variantes, dont les
affinités avec la représentation des héros méritent d'être
prises en considération. M. Czarnowski s'y est arrêté.
\J Ynglinga Saga ajoute que, lorsque les Suédois ont
connu la mort de Frey, ils se sont gardés de brûler son
corps, selon l'usage, mais l'ont conservé dans le tumulus,
pour l'avoir près d'eux'. Si la nolion de la mort est hési-
tante et incertaine, elle est constante en un point. Nulle
part on ne s'est représenté la mort comme un départ brusque
et définitif^, A son premier coup, la vie s'attarde encore
autour du cadavre. Partout on s'est imaginé un état passa-
ger de demie mort, qui dure ou peut durer tant que n'est
pas achevée la décomposition cadavérique. A ce premier
stade de la mort correspond une première série de rites
funéraires, veillée funèbre, sépulture provisoire, etc.
On verra que J\I. Czarnowski assimile la condition des
héros irlandais à cet état intermédiaire entre la vie et la
mort par lequel passent tous les morts, mais qui se prolon-
gerait pour eux indéfiniment. Il en donne des exemples
significatifs^. D'autre part la Grèce, pays à héros, est un
1. Ynglinga Sarja, XIII, l. /.. p. 29.
2. R. Hertz, Conlrihulion à une éJude sur la représentation collective
de la mort, dans Année >>ociologique, t. X., p. 48 sqq.
3. Czarnowski, p. 139. O'Curry, Manners and customs of the ancient
Irish, t. I. p. cccxxi.
r-RKPACE LXXIX
pays h vampires'. Les vami)iro.s, lanlôl danj^ereux et mé-
chants, lantôl bienfaisants et malhoureux, sont des morts
qui ne sont pas morls tout h fait; lein* corps n'a pas pu se
(lécompospr comme il faut, soit que les rites funéraires
n'aient pas été complètement exécutés h leur égard, soit
qu'ils aient manqué leur eiïel; leur Ame n'a pas quitté
leur corps. Or, plusieurs exemples, souvent cités, mon-
trent que la croyance des Grecs incorporait l'éner^e
posthume des héros t\ leur d(''pouille mortelle. Lorsque
Clisthène, tyran de Sicyone, dont il a été question
plus haut-, voulut faire échec au pouvoir que le héros
argien Adraste était encore caprdjie «l'exercer sur sa ville
il y lit apporter les restes de son ennemi particulier, Méla-
nippe, (ils d'Astacos. La tradition grecque relative aux héros
conserve le souvenir d'un tem[)s où les prédécesseurs des
(Irecs historiques n'incinéraient pas les morts, mais les
inhumaient dans des tombeaux qui étaient des chambres
funéraires'. Les tombes héroïques, en Grèce, étaient des
HôXo:, c'est-ô-dire des chambres voûtées, des tombes my-
céniennes, des habitations des morts, comme les grands
tombeaux mégalithiques d'Irlande, qui étaient les palais de
Trtafha dé Danann. En somme, tandis que l'on s'efforçait,
pour la grande masse des morts, de faciliter, de hâter la
désapproprialion dw corps, le départ de l'âme, on pensait,
semble-t-il, l'avoir empêché pour les héros.
Ce rapprochement de faits, s'il est légilime, fournit une
solution de la difficidté énoncée plus haut. On s'e.xplique-
rait de la sorte qwe les héros conservassent après la mort
1. J.-C. Lawson. o. l., p. 991 sq.. 4li sqq.
2. Voir plus haut, p. i.ii, n. 1.
3. W. Ridîîeway, Eavly âge of Oreece. p. oOS sqq.
LXXX PREFACE
leurs qualités de vivants, en y gagnant quelque liberté
dacliou, un peu de mystère et de surnaturel. Ils entreraient
d'ailleurs logiquement et régulièrement dans la classifica-
tion des morts. Ce sont des morts qui, pour une certaine
raison, n'ont pas dépouillé leur ftme. La raison vaut-elle
plus que l'effet? Peut-être. En tout cas, c'est au tombeau,
i\ la relique, suggérant l'idée qu'une vie latente y est
enfermée, capable de se réveiller avec sa puissance, que
s'adressent en fin de compte la révérence et le culte.
L'entretien, le service et l'usage de cette puissance
assoupie font l'objet et la raison de celui-ci.
Toutefois, nous n'avons pas comparé sans scrupule à des
corps de vampires les reliques de héros. Quand Cimon rap-
j)orta à Athènes celles de Thésée, c'étaient des os bien secs.
Les morts des maisons funéraires, comme les momies égyp-
tiennes, avaient passé par tous les degrés du rituel puri-
ficateur qui achève le stage des morts. La comparaison
proposée entre la condition posthume des héros et l'état
premier de la mort vaut certainement comme figure, nous
sommes moins sûrs qu'elle vaille comme raison, au moins
comme raison générale de l'héroïsation.
Mais, dans un cas aussi complexe, nous n'en sommes pas
à un facteur près. M. Czarnowski explique en effet fort ingé-
nieusement d'une autre façon, par l'idée que les Celtes se
faisaient de la mort définitive, non seulement les espérances
de salut qu'ils attachaient aux héros, mais l'aptitude générale
de ceux-ci à remplir un nombre indéfini de fonctions divines.
Les héros, selon les Irlandais, sont capables de revenir
sur terre en se réincarnant. Or toutes les âmes indifférem-
ment peuvent se réincarner. La mort les rend disponibles.
C'est sous celte forme que les Irlandais ont conçu la vie
PRKFACE LXXXI
d'oulre-tombe. Elle remplit un réservoir de vie que sans
cesse vident les naissances. Le pays des morts est le ber-
ceau de la vie. Les âmes en sont sorties, par troupes à
l'origine, puis une à une, pour peupler la terre des vivants.
Cette représentation d'une immortalité qui se déroule en
réincarnalions est apparemment en contradiction avec celle
d'une survie et d'une mort incomplète que nous venons
d'examiner, car la transmigration ne peut commencer
qu'au moment où la mort a produit toutes ses conséquences
et quand le corps est complètement désaffecté. Mais il ne
faut pas s'arrêter à cette contradiction; toutes les notions
religieuses en comportent et en concilient. Celle des héros
parait s'accommoder d'une pareille représentation de la
mort et de ses conséquences. L'immortalité commune des
morts est alors la raison et la condition de leur propre immor-
talité. Môme, la mort qui les consacre dans l'épreuve oij ils
succombent, les met en mesure d'exercer plus efficacement
leur vertu après une autre naissance. D'ailleurs, les âmes
ne se distinguent en aucune façon, ni dans l'autre monde
où elles doivent affiner, ni dans ce monde où elles s'agitent,
des autres esprits et, en particulier, de ceux qui circulent
en troupe invisible dans les fêtes. Le réservoir des uns et
des autres est le môme et fournit à tout indifi'éremment; les
mômes esprits deviennent, selon les hasards de leur affec-
tation, dieux, héros ou simples mortels. Ainsi le roi irlandais
Mongan passait pour être à la fois la réincarnation du héros
Finn et du dieu Manannan'. La synthèse des principes
contradictoires qu'enveloppe la nature héroïque se trouve
réalisée dans de pareilles conditions. Ce passage d'un même
1. Czarnowski, p. 16G sqq. A. Nutt-K. Meyer, Voyage of Bran, t. I,
p. 199 sqq.
Czarnowski. /
LXXXII PnKFACE
esprit à travers une pluralilé de fondions, qui le nu-ncn
du gouvernement de la nature à celui d'une tribu, en lui
donnant le moyen d'y ramifier indéfiniment sa parenté,
explique dune façon concrète quelle est par rapport c'i une
société la position du héros'. Par lui elle a prise sur le
monde où elle vit, sur lui est fondée l'autorité qui la gou-
verne et de lui émane la force sur laquelle elle compte, car,
si elle se représente une Ame de héros se réincarnant parmi
elle, c'est dans le chef qu'elle la reconnaît; en un mot elle
peut se résumer en son héros comme en son chef et son
représentant envers les dieux et envers les hommes. La
mort n'y contrevient pas ; elle ne fait que diversifier les
lions qui rattachent le symbolisé au symbole.
rsous venons de raisonner comme si les réincarnations
avaient été censées se produire dans un cercle de parenté
étroitement tracée Si quelque esprit de fantaisie a présidé
à la représentation des réincarnations, le cercle ne s'en est
pas trouvé indéfiniment élargi, car il ne s'agissait toujours
que de l'Irlande. Mais au moins les héros et les autres
morts ne sont plus séparés, dans celte conception, par des
différences irréductibles; les premiers ne se distinguent
que par un indice d'excellence. La discordance pathétique,
où se sont heurtées quelquefois la représentation de la mort
et celle du héros, semble être aplanie. La difficulté a
disparu, mais par omission ; les morts ne comptent plus; il
n'y a plus que des esprits parmi lesquels ceux qui reçoivent
un culte sont des héros, à moins que ce ne soient des dieux.
Malheureusement ce moyen de réduire les héros aux
morts ne nous est pas donné partout. La croyance à la
i. Voyage of Bran, t. I. p. 4^ sqq; t. II, p. l sqq.
2. Exemple des Hui Amalgada,cL Czarnowski, p. 1^9.
I
PREFACE LXXXIII
réincarnation des âmes n'est pas commune à toutes les
sociétés qui ont eu des héros. La Grèce s'en est passée.
Mais en outre la même difficulté reparaît d'un autre cùlé ; car
nulle théorie de l'au-delà ne dépouille plus complètement
les morts de leur humanité et de leur individualité que celle
dont il vient d'être question ; nulle ne fait mieux com-
prendre que les morts, comme pour les Grecs, deviennent
normalement des o?'1;j.ov£;, des genii, des forces ano-
nymes dépourvues d'attributs permanents'. Or, pour les
Irlandais, les héros, les dieux aussi, mais on a vu qu'ils se
ressenjblent, conservaient à travers leurs réincarnations
le souvenir de leur nom et de leur caractère. C'est à
notre avis un trait irréductible et spécifique. Aa-lijLOvîs et
Y^atoî^ sont deux noms et deux espèces. Toutes deux sont
alimentées par la mort. Le fait pur et simple de la mort ne
qualifie pas les héros. Tout au contraire, il faut demander à
leur caractère de héros la raison de la ténacité avec laquelle
leur âme doit demeurer attachée à leurs restes mortels et
leur nom à leur âme. Il s'agit, cela va sans dire, des héros
typiques, par rapport auxquels se définit par reflet la valeur
des autres, et dont il reste autre chose qu'un culte et un
monument. Car, là où sont développés les cultes héroïques,
il en est une foule que rien ne dislingue, pas même un nom,
du reste des morts obscurs et oubliés.
N'est-ce pas à titre d'ancêtres que les héros ont été
pourvus par l'imagination des leurs de ces dons qui les
4. H. Usener, Gôtternamen, p. 2o3 sqq.
LXXXIV PRÉFACE
distinguent des autres morts ' ? Nous avons en effet admis
que les sociétés à base de parenté sont fav 'iblcs au déve-
loppement des cultes héroïques. Les ancéti^j font aisément
figure de héros. Mais réciproquement des familles se sont
arrogé par libre choix comme ancêtres des héros disponibles.
C'est ainsi qu'un grand nombre de familles grecques fai-
saient remonter leur origine à Héraklès^, par désir de s'illus-
trer sans doule ; sans doute aussi pour a^oir oublié leurs
ancôlres véritables, car, là même où le culte des ancêtres
est pratiqué, il ne réussit à sauver la mémoire que des
plus prochaines générations. On a indiqué plus haut
que les principaux d'entre les héros n'avaient avec leurs
associés humains qu'une parenté de médiocre aloi. Ce sont
d'ailleurs ceux des groupes les plus larges, où la paternité
de l'ancêtre ne peut être qu'une paternité symbolique.
Placés en tête des généalogies dont les branches moyennes
sont tombées, les héros s'y dressent comme des figures
emblématiques. C'est moins par le sang que par les armes
qu'il sont les chefs de la parenté". Le héros ancêtre d'une
famille ou d'un clan est celui dont ils tiennent leur blason.
Tel Magennis, ancêtre de Conall Cernach, l'un des com-
pagnons de Cuchulainn. C'était de lui que venait l'insigne
de la main rouge, qui s'est perpétué. Dans une course, qui
avait pour prix l'attribution d'un territoire disputé par
deux tribus rivales, Magennis, près d'être battu, s'était
coupé une main et de l'autre l'avait jetée au but*.
1. II. Usener, Stoff des griechischen Epos, l. l., p. 19.
2. P. Friedliinder, Herakles, p. 139.
3. J.-F.-M. French, Prehistoric failhs and tvorship : XI, Irish tri-
bal badges, p. 165. P.-W. Joyce, A social history ofancient Ireland, t. II
p. 190 sqq.
4. O'Curry, Manners and customs, t. III, p. 265.
PREFACE LXXXV
La qualité de héros domine celle d'ancêtre, chez les per-
sonnages qui les possèdent toutes les deux, comme leur
condition de iiéros domine leur condition de mort. Elles
étaient au surplus parfaitement distinctes'. On pourra dire
que l'une procède de l'autre, mais laquelle? Bien loin
qu'il soit évident que le culte des héros dérive du culte
funéraire ou du culte ancestral, il est vraisemblable qu'ils
soient lun et l'autre une extension du culte des héros ^
La nature des héros s'exprime dans l'ensemble de leur
légende. Si la mort y ajoute quelque chose de capital, c'est
par ses circonstances. Chaque fois qu'elles sont rapportées,
elles sont en effet telles, qu'elles rehaussent la légende.
M. Czarnowski le dit très exactement : la mort des héros
a une portée sociale ^ Elle apparaît comme un sacrifice
ou comme une sanction, comme un exemple; elle est
violente, rituelle, exceptionnelle, magnifique. Si la mort
entre pour sa quote part dans la représentation des héros,
elle ne contribue à les qualifier qu'à la condition d'être
une mort de héros. Pour conclure ce débat, nous ne
croyons pas que la notion de héros résulte de l'adjonction
d'un déterminatif à la notion de mort, mais que la mort
est un adjectif aux autres éléments de cette notion.
1. Platon, Lois, 717 a, distingue cinq catégories d'êtres, auxquels se
rendent des honneurs divins, dans l'ordre suivant : dieux olympiens
dieux chlhoniens, démons, héros, dieu.x anceslraux, (Oeo( TraToaioî).
i. J.-K. llarrison, Prolegomena. p. SriO sqq. Cf. L. H. Gray, dans Has-
tings. 0 /., t. VI, p. 66i, sur l'évolution d'un culte de héros en culte des
fravasliis.
3. Czarnowski, p. 179.
LXXXVI PRÉFACE
C'est ce qui oj)parait assez clairement dans le cas des
héros, fort nombreux, qui font fonction de génies locaux'.
Une chanson ne saurait évoquer deux jeunes gens qui se
rendent ensemble au bord d'un lac, sans conclure qu'ils
s'y sont noyés. C'est une nécessité logique. La mort fixe
resj)nf, elle arrête le héros ou le dieu dans sa course, là
où son image doit rester attachée.
Mais de plus il semble qu'il y ait une convenance pour
ainsi dire esthétique entre la quahté des héros et le sort
final qui leur est imaginé. Un héros n'est complet que s'il
fait une fin paliiétique et plus encore, s( mble-t-il, si la
société qui se mire en lui a souffert de son désastre. On
s'étonne que les peuj^Ies prennent plaisir à commémorer
leurs défaites. La douleur rétrospective qu'ils y éprouvent
est une source d'intimes satisfactions.
Le goût esthétique de la douleur n'est pas une dépra-
vation sentimentale de l'humanité vieillie, ni un raffi-
nement de son âge adulte. Il commence très bas et très
tôt. Il trouvait sa satisfaction dons nombre de fêtes. Les
Anthestéries d'Athènes et les Adonies, avec leur étalage
de deuil, suivi de détente joyeuse, en sont des exemples. Le
jeu de la douleur, le rappel ou Tanticipation du chagrin,
qui ne blesse pas parce qu'il est anticipé ou passé, est un
contraste à la joie et au rire, mais il en est également un
équivalent et peut-être un stimulant.
S'il s'agit d'un personnage, une suite ininterrompue de
succès et de réussites ne plaît qu'à demi et finit par
déplaire. Dans le domaine de l'imagination, elle engendre
l'ennui ; la défaveur, dans la réalité. Il faut que les travaux
1. Czarnowf-ki, p. 263.
l'RKFACE LXXXVII
(l'Hercule se limitent à douze et qu'il meure. On ne compte
pas les catastrophes héroïques. Roland succombe, Siegiried
est trahi, Jeanne d'Arc est condamnée, les dieux d'Irlande,
qui sont dcs> héros, sont écrasés et s'enfuient sous terre
dans la paix de leur crépuscule.
Le pathétique relève l'intérêt des mythes héroïques. Mais
surtout, il faut au héros la pitié, la sympathie, le retour sur
soi-même que fait faire au public l'émotion rétrospective
de douleurs dont il eût j)u être affecté. Lorsque l'histoire
toui-ne trop bien, son héros nous reste étranger, il ne nous
touche pas; il n'est pas assez près de nous et n'est pas
assez réel.
La continuité du succès est un élément d'un merveilleux,
qui n'est pas le merveilleux héroïque, mais, par exemple,
celui des contes. Le conte doit finir bien. Le mythe héroïque
finit mal. M. Wundt a écrit avec beaucoup de justesse
que le héros du conte est un enfant, auquel s'ouvrent sans
limite le monde et les aventures'. Le hér^os véritable est un
homme, qui se heurte aux limites de son pouvoir et du pou-
voir humain.
La continuité des triomphes moraux, que remportent les
saints, conslitire l'une des difîérences qui les séparent des
héros. M. Czarnowski l'a notée justement". Ce sont les héros
de la religion, mais ce ne sont pas sauf exception, comme
saint Patrick, des héros par excellence. Trop parfaits ou
Iroj) heur'eux, ils ne passent pas par d'assez dangereuses
épreuves et leur impassibilité est trop inébranlable pour
qu'ils .soient aussi près du cœur des hommes que les héros.
1. W. Wuiidr, Elemenle der ]'ulkerp.<tycholo(jie, p. 371.
2. Czarnowi-ki. p. 316.
LXXXVIII PRÉFACE
Les faiblesses de ceux-ci et leurs échecs leur donnent de
l'humanité. Leur catastrophe achève leur type et finit de les
accommoder à leur fonction symbolique. Elle termine l'idéal
rôvé parla surprise de la mort. Elle ajoute, pour ainsi dire,
le mythe de celle-ci aux mythes de la vie. C'est en effet
par une véritable mythe de la mort que se termine la
légende du grand héros polynésien Maui, qui est un héros
entre les héros. Il a perfectionné hameçons et filets, inventé
le feu, péché les îles, enchaîné le soleil ; mais il est mort et
c'est parce qu'il est mort que la mort sévit dans le monde'.
Mythes de la vie, mythe de la mort, dans celui-ci comme
dans ceux-là le héros fait son personnage et c'est le per-
sonnage principal.
Mais c'est le mythe qui fait le héros, ce n'est pas la
mort. Nous ne pensons pas que, les morts une fois pourvus
d'âmes immortelles, quelques-uns d'entre eux n'aient eu
qu'à s'élever au grade de héros-. 11 y a des héros qui
effectivement sont des morts, d'autres qui ne sont que
mythe et légende. Nous pensons qu'on ne saurait les séparer
les uns des autres. Nous nous sommes surtout occupés des
seconds, croyant qu'ils doivent moins aux premiers que
ceux-ci ne leur doivent. Le développement normal de leur
légende les conduit au type du mort puissant. Les condi-
tions dans lesquelles elle se développe y sont d'ailleurs favo-
i. E.-B. Tylor, Primitive culture, t. I, 3« éd. p. 336.
2. J.-G. Frazer, The belief in imniortality and the worship of the dead
Gifford Lectures, 1911-12. M. Frazer donne comme exemple d'une pre-
mière forme de culte, procédant directement de la ri'pre>entation de Tâme
du mort, celui du serpent Wollunqua, chez les Wanamunga (Vu.stralie
septentrionale). Le Wollunqua est un totem, mais purement mythique
et seul de son espèce. Il est l'objet de fêtes à figurations dramatiques
dont le caractère désintéressé a été fortement mis en lumière par
M. Durkheim (lî. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie reli-
gieuse, p. b3y).
PRÉFACE LXXXIX
rables. La rnorl du héros convient en effet à ces fêtes tristes
où les sociétés troublées, ou bien anticipant leurs troubles,
se recueillent dans la contemplation de leurs peines ^ Entre
leur culte funèbre et le culte funéraire des échanges se sont
produits. Distincts à l'origine, ils se sont rejoints, croisés,
môme identifiés-. Des morts sont devenus des héros : les
héros des morts. C'est à cet état d'enchevêtrement que
l'Irlande présente leurs cultes. Tenir compte de leur confu-
sion n'est pas renoncer à les distinguer dans leurs ori-
gines?
Des témoignages importants de leurs différences spécifi-
ques nous ont été laissés. Ce qui reste du héros, en cas
d'extrême réduction, c'est un indice de fonction : héros
médecins, héros de la néoménie, chez les Grecs ^ Nous en
concluons qu'il est par essence et au fond un symbole de
fait social. Le tombeau est un support du S3^mbole. Les
héros tiennent moins aux morts qu'aux dieux de fonc-
tions, aux dieux particuliers, aux Sondergotier, définis par
Usener. Bon nombre de ces dieux spéciaux sont des héros.
Tels sont, entre autres, ceux des fêtes que nous avons ren-
contrés tout à l'heure, en discutant la relation du drame
festival et des cultes héroïques. Les héros sont des symboles
de fonctions et de caractères sociaux, qui rendent témoi-
gnage jusqu'à la mort, comme Hippolj'te, héros de la pureté*.
Moins limités dans leurs attributions ou dans le cercle de
1. E. Durkheim, o. l., p. 556 sqq.
2. Sur les effets de ce croisement, cf. Wundt, Volket-psychologie, l. l.,
p. 435.
3. Héros médecins : H. Usener, Gollernamen, ch. 10, p. 147. Nîojjir^v'.of; :
W. tjchmidt, Geburtslag, p. 88.
4. L. Séchan, La légende d'IIippolyte dans l'antiquité, dans la Revue
des études grecques, 19il, p. 105 sqq.
XC PREFACE
Iciirg fidèles, ils seraient devenus des dieux, malgré la
mort; mais d'ailleurs on sali (|u'ils le sont devenus.
Ce n'est pas que nous essayions, au terme de cet
examen, de réduire aux traits un peu secs du genius la
notion de héros, après nous être efforcés jusqu ici de ne
pas la dépouiller en l'analysant de ses enveloppes légen-
daires et littéraires. Elle ne se définit pas par la symbo-
lisation pure et simple, sans acception de signes. Le héros
est une personne, ou peut-être plutôt un caractère. Sa per-
sonnalité est parfois bien pâle, mais elle tend vers des
formes colorées et définies. La personnalité des héros est
définie par des actes, qu'ils ont accomplis une fois; ils ont
leur histoire ; cette histoire est une légende ; cette légende
importe à leur rôle. Le héros est une formation mytholo-
gique.
L'imagination qui fait les héros travaille sur des don-
nées limitées. Quand les hommes éprouvent le besoin de
transposer dans un mode relevé ce qu'ils font ou souffrent,
croient faire ou croient souffrir au pluriel et au collectif,
les mêmes verbes, mis au singulier, ont pour sujet le héros.
Les attaches humaines et sociales des héros restreignent
leur compétence et leur horizon et leur assignent dans l'ordre
des formations mythologiques un rang suboi'donné. Les héros
sont des divinités à la mesure des sociétés qui ne sont pas
très vastes. Ils ne symbolisent rien qui ne soit rétréci au
point de vue de celles-ci. Ils sont à la hauteur des étages
sociaux d'où le regard ne porte pas très haut. La mythologie
PREFACE XCI
populaire cultive les héros'. Les types de héros se dévelop-
ponl dans la mythologie quand elle tourne à la légende.
Mais ordre hiérarchique n'est pas ordre généalogique.
Sur la succession et rcnchaînement des formations mytho-
logiques nous sommes dans une complète obscurilé. Elles
réj)on(iont à dos besoins divers de l'esprit religieu.x, entre
lesquels nous n'avons aucune raison de supposer un ordre
chronologique. Dieux, héros, démons de diverses sortes sont
d'ailleurs interchangeables.
La formation mythologique que constituent les héros est
com|)le.\o; elle est variable; elle est flottante à la limite des
autres formations. Mais elle est marquée néanmoins de
traits assez fermes et reconnaissables. Elle comporte des
éléments essentiels. Notre examen, comme celui de
M. Czarnowski, en a retenu doux, Télément funéraire et
l'élément épico-dramatique des cultes et des légendes de
héros. Mort et tombeau d'une paît, fclos de l'autre sont
pour eux des données constitutives, dont l'importance
relative est d'ailleurs varicble. Il y a de part et d'autre des
possibilités de héros. Mais les ressources que les fêtes four-
nissent à la figuration, l'élan qu'elles donnent à l'imagina-
tion et la liberté qu'elles lui laissent sont pour l'élément
épique et dramatique des légendes de héros le principe et
la condition d'un développement merveilleux. C'est l'élé-
moiit positif de ces représentations. L'autre est en partie
négatif.
Le jeu de masques sacrés que possèdent los Indiens
Ilopis donne un exemple complet, clair et concret de
ce qu'est et de ce que comprend le panthéon héroïque
1. E. Rohde, Psyché, t. I, p. 191 sqq.
XCII PRÉFACE
d'une société. On les nomme Kalcinas. Nous en avons une
énuméralion complète, descriptive et illustrée *. « Les
Katcinas sont les poupées-masques des divers dieux des
diverses cérémonies du culte hopi; la marionnette a en
eflct maintes fois remplacé, dans le rituel, le personnage
masqué rcpréscntont le dieu ". » Chacune d'elles figure
dans une fête ou dans plusieurs fêtes. « Les Katcinas
sont les « Anciens des clans » ; ce sont, en môme temps
que des dieux, des ancêtres, réincarnés d'ailleurs dans leurs
descendants. Même celles qui ont été certainement inven-
tées, môme celles qui sont parvenues aux Hopis par
emprunt à d'autres pucblos, ou celles qui furent acquises par
héritage dedans éteints, sont figurées sous cette forme. » ''
Il y a parmi elles les figures d'êtres de toutes sortes et de
tout rang, mais qui, sous leurs espèces de Katcinas, font
fonction de héros. Elles sont introduites dans les fêtes pour
y faire, comme les héros, leur pai'tie représentative et sup-
plémentaire. Elles constituent un jeu de symboles que les
fêtes mettent en mouvement. Mais ces héros sont des
masques et les héros en général sont des personnages
dont la figuration est un jeu. Le langage en somme dit
juste, qui désigne d'un même mot les héros du culte et
ceux de la lilléralure. Les premiers ne sont complets que
quand ils ont déjà quelque chose des seconds.
1. W. Fewkcs, Ilopi Katcinas, 21*' Annual Report of tke Bureau of
American Etknology, 1904.
2. M. Mauss, dans Année sociologique, t. IX, p. 262.
3. M. Mau.ss. l. l., p. 263.
PREFACE XCIII
Les Kalcinas sont les symboles des clans hopis et celles
qui sont en disponibilité sont également conçues comme
des symboles de clans. De la même façon tous les héros,
quelle que soit leur afîectalion spéciale, sont des ancêtres,
des fondateurs, des symboles de sociétés. Pour quelques-uns,
c'est une convention. Pour la plupart, c'est un témoignage
véridique de leur nature et de leur origine. Ils émanent
effectivement de certaines sociétés. Celles qui tiennent du
clan sont favorables aux héros.
Les clans des Indiens Pueblos sont des clans tolémiques,
dans une société dont le totémisme a beaucoup évolué.
D'autres sociétés totémiques, par exemple en Australie,
ont imaginé des esprits', qui, par quelques traits, ressem-
blent aux héros; ce sont des morts du passé lointain, capa-
bles de revenir et de se réincarner, comme les héros irlan-
dais et les Kalcinas hopis, sans parenté immédiate avec les
hommes, mais placés au sommet de la généalogie des
clans. Ce sont des esprits totémiques. Les héros tiennent-
ils donc des totems? Le totémisme fournit-il un point de vue
d'où l'on peut voir se dérouler à partir du commencement
des religions le système entier des cultes héroïques ? Il est
tentant de remonter aussi haut et M. Czarnowski y a
songé. Il a énuméré, dans un appendice, quelques faits qui
i. B. Spencer et F.-J. Gillen, The native tribes of Central Australia.
pp. 73, 119. 387 sqq., 418, ol3. M. K. Breysig, o. l., p. 63, range les
esprils de VAlcheringa des Arunta au nombre de ses héros civilisa-
teurs, mais sans tenir compte de leur nature totémique.
XCIV PREFACE
peuvent paraître des survivances du totémisme ' mais
dont il est difïicile de conclure que le culte celtique des
héros se soit élevé sur une base de cullcs totémiques.
Héros et totems tiennent à des sociétés dont le clan est
la base et sont unis aux hommes par les liens de la parenté
lâche qui constitue clans et tribus. Entre leurs dépen-
dants humains et le monde, c'est du coté des hommes
qu'ils sont. Ressemblances et difl'érences de types sociaux;
différences et ressemblances de synjboles sociaux ; relation
des êtres imaginaires et des formes sociales ; le rappro-
chement des totems et des héros rappelle à la fin du livre,
sous une forme concrète et pressante, son problème prin-
cipal. S'il peut, à peu près, se poser en ces termes, les
données manquent encore pour en formuler un énoncé plus
précis. On parlera peut-être du clan héroïque comme on
parle du clan tolémique. Sur les rapports de l'un à Taulre je
souhaite que dautres nous renseignent. Mais ce n'est pas
la tradition celtique qui les mettra en mesure de nous ins-
truire là-dessus comme il faut.
H. Hubert.
1. Voici un fail qui me parait devoir être joint à la liste. Les habi-
tants du comté d'Ossory, en Irlande, ont une réputation de lycanthro-
pie, dont le plus ancien témoignage nous est donne par Giraldus Cam-
iirensis; ils la doivent à la présence parmi eu.x dun clan descendant des
loups (silinfaelchon), dont lancétre humain se nomme Laignech Faelad
(fael, le loup). Dans le comté d'Argyll, les Cinel Loairn sont un autre clan
du loup (gaélique loarn. loup) . Or le loup, ou plutôt le chien-loup, faelctiù,
a sa famille mythologique : chien-loup de Manannan, chien-loup du
Dispater gaulois. G. Henderson, Survivais in behef among ihe Cells.
p. ITi). J.-A. Mac Culloch, The religion of Ihe ancient Celts, p. il8.
Cf. H. Hubert, yoles d'archéologie el de philologie celtiques, I., Gweilgi,
l'océan et le carnassier androphage, dans Revue celtique, 1913. p. 8 sqq.
LE CULTE DES HEROS
ET SES COiNDITIONS SOCIALES
SAINT l'ATKK.K, UÉKOS NATIONAL DK LTRLANDE
INTRODUCTION
En disant que saint Patrick est le héros national des
Irlandais, nous n'entendons point que le culte rendu à
notre saint soit la continuation directe d'un certain culte
héroïque. Ce que nous avançons concerne la nature de la
représentation qui est à la base de ce culte et la raison
d'être de son caractère.
Or il est certain que j)Our ses fidèles irlandais saint
Patrick est autre chose qu'un saint patron dans le sens que
l'Eglise donne au mot, c'est-à-dire un élu qui intercède
pour eux auprès de Dieu. C'est un héros.
L'analyse que nous aurons à faire pour le montrer ser-
vira en même temps à déterminer ce qu'est au juste un
héros. Mais ce n'est pas pour nous dispenser d'une défi-
nition provisoire.
Emplois du mot héros. — Le mot héros a une double
acception.
On l'emploie pour désif^ner les morts divinisés des
diverses religions et plus particulièrement ceux du paga-
nisme classique. Mais bien que celte acception prévaille
dans la tradition scientifique, on y chercherait en vain une
CZARXOWSKI. 1
2 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HKROS
définition précise de la notion môme de héros. On la rem-
place par une explication génétique des cultes héroïques,
dans lesquels on voit tantôt un dévcloj)pemcnt do celui
qu'on rendait aux ancêtres ', tantôt une de formation des
cultes funéraires ', ou bien encore des cultes dont la raison
est dans le désir d'avoir des dieux d'essence humaine, plus
accessibles que les autres et qui servent d'intermédiaires
entre ceux-ci et leurs fidèles ^
A côté du vocabulaire des historiens, une tradition légi-
time du langage courant baptise héros tous ceux qui par
une action d'éclat ont acquis le droit à l'admiration pu-
blique. Ainsi les hommes dont le courage se manifeste
pour le bien de leurs prochains sont des héros. Sont encore
des héros les grands capitaines, les fondateurs de villes ou
d'états, les législateurs et, en général, tous les bienfaiteurs
de l'humanité. Enfin on nomme héros les personnages qui
détiennent un rôle de premier plan dans une suite quel-
conque d'événements historiques, aussi bien que les per-
sonnages imaginaires de la légende, de l'épopée, du drame
ou du roman.
A première vue on est tenté de voir là deux caté-
gories distinctes de héros ainsi que le font les savants
allemands, qui réservent le mot Heroen pour les hommes
divinisés et nomment les autres héros Heiden'. Mais
1. Par exemple Erwin Rohde, Psyché, Seelencult u. Unslerblichkeits-
glaube der Griechen, 4» éd., Tubingen 1907, I, p. 135 ss. Cf. p. 170.
t. Ernst Lucius, Die AnfUnge des Heiligenkulius in der christlichen
Kirche, hrsg. v. Gustav Anrich, Tubingen 1904 p. 20 ss. : le culte des
héros s'explique par le culte des morts. Les âmes des morts sont con-
sidérées comme « esprits d'un ordre supérieur ». A plus forte raison
les âmes de ceux qui pendant leur vie s'élevaient au-dessus du com-
mun des hommes deviennent des esprits très puissants et qui reçoi-
vent un culte particulier.
3. Par exemple Decharmc, Mythologie de la Grèce antique, 3» éd.,
Paris, s. d. p. 503 s.
4. Par exemple B. Symons dans le Grundriss der Germanischen Phi-
INTKODUCTION 3
rien ne justifie, à notre avis, une pareille distinction.
On verra, en effet, que les deux acceptions du mot héros
ont un fonds commun et que, par conséquent, on peut
les ramener i\ une conception générale unique, dont nous
allons d'abord énumérer les traits, quitte à revenir sur
l'emploi le plus spécial du mol.
Le héros est l'incarnation d'une valeur. — L'idée
qu'évoque le mot héi'os dans l'un et dans Taulre sens est
toujours celle de la perfection.
"HccuT a en grec le sens d^honune parfait. Primiti-
vement ce mot, qui veut dire protecteur, signifiait mâle,,
guerrier', mais Homère remploie déjà dans un sens hono-
rifique. Il appelle le héros àiAÛjAiov, sans bldmc, môme
lorsqu'il parle d'un criminel comme Aigistlios". Hésychius
glose Yifws par Suvaxôç, lo-yopôç, Yevvawç, o-£p6?% puis--
sant, fort, bien-né, vénérable. Le titre de héros est pour
Hésiode le synonyme d'une perfection telle, qu'aucun de
ses contemporains ne peut le mériter et qu'il le décerne aux
seuls personnages de l'épopée*.
Tous ceux qui ont étudié les héros ont constaté d'autre
part qu'ils « résument », ainsi que le dit Lucius, « l'en-
semble des qualités que l'on considère comme particulière-
loloffie de Hermann Paul, Strassburg 1893, vol. II, p. 4 s. : la légende
des Uelden est de caractère historique, celle des Heroeii de caractère
religieux (mylhisch). Les deux se trouvent mélangés dans l'épopée.
C'est l'objet de l'analyse scientificiue de les distinguer.
\. Cf. Boisac(i, Diclionnaire étymologique de la langue grecque, s. v.
2. J.-Ellen Ilarrison, Prolegomena to llie study ofGreek Religion, p. 333
ss. Cf. Rohde, op. cit., I. p. 154, note 1, sur l'emploi du mot TJpu); chez
Homère.
3. Cité chez Harrison, op. cil., p. 334.
4. Uohde, op. cil., p. 15;j, cf. p. 91 ss. — Une évolution analogue
s'observe dans le changement du sens du mot latin virlus qui a com-
mencé par signilier l'ensemble des qualités propres au i;ir et qui a
fini par désigner la perfection de l'homme.
4 SAINT l'ATUICK RT LE CULTE DES HEROS
ment précieuses f» l'époque où se forment leurs légendes ».
Le peuple voit dans les héros « son idéal le plus élevé et
le meilleur' »,
Catégories de valeurs incarnées par les héros. — Ce
n'est pas nécessairement un idéal intégral qui synthétise
toutes les vertus humaines.
La perfection du héros consiste à réaliser pleinement une
certaine valeur, nettement définie. Celle-ci peut être aussi
bien la valeur par excellence, vertu morale, sainteté, reli-
gion, dont découlent toutes les autres, que la valeur prin-
cipale d'une catégorie particulière.
Aussi le contenu de la notion de ^e>05 varie-t-elle à Tin-
fini. Elle est conforme d'une part à l'idéal de chaque civi-
lisation et de chaque époque. C'est la force physique,
l'habileté, la ruse qui font mériter le titre de héros aux
personnages d'Homère". Plus tard la môme civilisation
grecque personnifie un idéal moral en ses héros ^ Enfin les
philosophes, les mystiques, les morahstes deviennent les
principaux héros du monde gréco-romain* et en même
temps les chrétiens commencent à glorifier leurs martyrs
et leurs ascètes ^
i. Lucius, op. cit., p. 84 s.
2. Le titre opwç est décerné par Homère aux rois, aux nobles et en
général aux guerriers. Cf. Rohde, loc. cit.
3. Ainsi Héraclès est devenu pour les Stoïciens la personnification
de la vertu difficile par opi)Osilion au vice facile. Cf. l'histoire d'Héraclès
à la bifurcation des deux chemins.
4. Par exemple Pythagore : Kellner, IJellenismus und Christentum,
1866, p. l'J3 ss., 256 ss. ; Platon : Roscher, Ausfuhrliches Lexikon der
griechischen Mythologie, I, col. 2533. — Gelse considérait comme par-
ticulièrement digne d'un culte les héros Héraclès, Asclépios. Orphée,
Anaxarchc. Epictète et la Sibylle : Celse, dans Origène, VII, 53. —
Alexandre Sévère vénère particulièrement Apollonius de Tyane, le
Christ, Abraham et Orphée : cf. Eusèbe, Histoire ecclésiastique,
VII, 18.
0. Cf. Lucius, op. cit., p. 34 ss.
INTRODUCTION 5
Certains héros d'autre part incarnent l'idéal particulier
d'une secte religieuse, d'une société secrète ou d'une
confrérie. Tels sont, par exemple, Orphée dans le monde
antique ' ou les martyrs à l'aubo du christianisme ^. On
peut encore citer ici les saints qui sont plus particuliè-
rement vénérés par les divers ordres religieux, parce qu'ils
ont réalisé l'idéal de vie monastique propre à chacun de
ces ordres '.
On a encore une foule de héros spécialisés. Ainsi beau-
coup sont des guérisseurs*. Ce sont les parfaits médecins
qui réalisent tous les vœux des malades. D'autres person-
nifient les vertus guerrières. D'autres encore correspondent
à un idéal professionnel et comprennent surtout les inven-
teurs et les hommes qui ont excellé dans leur métier. Ainsi
à Sparte les boulangers vénéraient le héros Matton et les
cuisiniers le héros Keraon. Le potier Keramos recevait à
Athènes un culte comme héros ^
Ce sont donc des espoirs ou un idéal collectifs qui sont
incarnés par les héros.
Le môme phénomène se répète dans les temps modernes.
La glorieuse mémoire de Garibaldi est en Italie l'objet d'un
véritable culte héroïque. 11 y a des héros savants, comme
Galilée, Pasteur*, Léonard de Vinci, des navigateurs
1. Cf. Maas, Orpheus.
2. En effet, le cullc des martyrs se développe parce que le christia-
nisme a encore l'aspect dune religion de secte. Cf. Lucius, p. 49 ss.
3. Par exemple saint Bernard, saint François d'Assise, saint Ignace
de Loyola et, en général, tous les fondateurs d'ordres religieux.
*. Sur les héros guérisseurs et en général sur les héros spécialisés
cf. Roscher Lexikon, I, art. r^pm^, col. 2480 ss. ; Usener, Golternanien,
1896, p. 149 ss. : Ohiert. Beiirdffe zur Heroolor/ie der Griechen, 1875.
p. 3; .Milchhôfer dans Jahrbuch des archilolofj. Instituts, II, p. -J; dans
Mitleilungen des alhenischen Inslituls, II, p. 4G1 ; IV, p. IGl ss. — Les
héros guèrisst'urs par excellence de la Grèce sont Asclépios et les Asclé-
piades: .Machaon, l'odalirios, Polémocrate ; cf. Rohde op. ci^, Ip. 18b s.
5. Roscher. Lexikon, I, col. 2474.
6. Dans un concours organisé il y a quelques années par un jour*
0 SAINT l'ArniCK F.T l,K CULTK DES UKRdS
comme Glirislophc (Colomb, des explorateurs comme
Livinostone. Tout le monde connaît les Iutos de l'amour
parfait, Héloïse et Abélard, Roméo et Juliette dont les
tombeaux hypothétiques sont un but de pieux pèlerinages'.
Il n'y a pas jusqu'aux vices et aux crimes qui n'aient
trouvé des personnifications héroïques. Cartouche et, plus
récemment, le bandit italien Musolino ont été glorifiés par
la légende, le roman populaire, parfois même par de grands
poètes. C'est que l'aptitude à faire le mal, lorsqu'elle atteint
la perfection, excite l'admiration à l'égal de la vertu. Elle
représente aussi bien une catégorie de valeurs que la pré-
disposition au bien. D'autre part, tous ceux qui ont à se
plaindre de l'ordre établi sont enclins à voir dans les cri-
minels des révoltés, des champions de leur cause, des
redresseurs de torts. Ce sont ces justiciers que l'imagina-
tion populaire célèbre dans Robin Hood et Schiller dans
ses Brigands.
Le héros est un témoin et un champion. — Mais la
plus grande perfection ne suffît pas à elle seule à l'acquisi-
tion du titre de héros.
Le héros est avant tout le représentant, le témoin et par-
tant \e .champion de l'ordre d'êtres ou de choses dont il
incarne la valeur par définition.
Un exemple topique est le martyr chrétien. Il est le
témoin, jj-àoT-jp, de la foi. On ne le vénère pas seulement
comme modèle des vertus exigées d'un parfait fidèle. Il est
glorifié surtout parce qu'il est un homme qui a prouvé son
attachement à la religion chrétienne et par cela même a
Tial de Paris et dans lequel il s'agissait de nommer les plus grands
hommes du xix» siècle, Pasteur obtint la première place sur la liste à
l'immense majorité des votants.
\. La ville de Vérone vient d'acheter la « maison de Juliette » comme
monument de cette héroïne.
INTRODUCTION 7
rendu un lômoignage éclatant de la foi qui anime sa com-
munauté. Celle-ci a désormais de qui se réclamer.
L'exemple du martyr concourt au triomphe prochain du
Rovaume de Dieu. Sa mort est une victoire de l'esprit éclairé
par la Foi sur la faiblesse de la chair'. II est un champion
qui démontre |)ar le fait la valeur de la religion nou-
velle.
Les personnages de la fiction épique et dramatique eux-
mêmes ne sont des héros que dans la mesure où par leurs
luttes et leurs souffrances ils sont les témoins d'une idée ou
d'une passion. C'est à ce titre que Dante nomme Tristan,
Paris, Paolo et Francesca parmi la foule de ceux qui sont
damnés pour avoir trop aimé "^ Les preux de Charlemagne
ont affirmé par leurs exploits la gloire de la chevalerie.
Toute une classe de caractères humains est résumée dans
Otello ou lago, dans le roi Lear ou le père Goriot.
En somme le rapport entre le héros et la valeur qu'il
représente est comparable à celui qui existe chez Platon
entre l'essence des choses et leur représentation phénomé-
nale. Le héros réalise la valeur et, en même temps, il en fait
la preuve. 11 est, pourrait-on dire, une valeur active.
Reconnaissance sociale du héros. — La valeur en
question est une valeur sociale. Le héros est le représen-
tant d'un groupe ou d'une chose sociale.
Ainsi les héros des sociétés à base familiale sont des
ancêtres. A Athènes, par exemple, chaque o-A-r^ avait la
statue de son ancêtre sur la place publique. On proclamait
devant ces statues les noms des membres des cpuXai qui
avaient bien mérité de la patrie ou bien qui s'étaient cou-
1. Cf. l'analyse de la notion du martyr gloriCé dans Lucius, op. cil.,
p. aO ss.
2. Dante, Inferno, canfo V. v. 67 et v. 73 ss.
8 SAINT PATRICK KT I.E CULTR DES HÉROS
verts d'opprobre'. Ainsi tout ce qui louche le groupe familial
ou seulement un de ses membres atteint le héros ancêtre.
Les villes, les cités ont des héros qui sont leurs protec-
teurs, leurs défenseurs et à l'intervention desquels on rap-
porte tout ce qui touche à la vie de la collectivité. Ce sont
les héros arche g êtes. On les a nommés très justement les
magist)'ats surnaturels des cités. A cette catégorie appar-
tiennent les fondateurs de villes et d'états".
Les sectes et les confréries de toute nature vénèrent aussi
comme héros leurs fondateurs ou bien encore ceux d'entre
leurs membres qui ont incarné l'idéal du groupe. Chaque
membre de la secte ou de la confrérie, par cela môme qu'il
y appartient, participe aux bienfaits que le héros a réalisés.
Les étrangers n'en profilent qu'en second lieu s'ils n'en
sont pas entièrement exclus ^
Les groupes professionnels, les corps de métiers ont
pareillement leurs héros et leurs saints particuliers. Ils ont
créé la profession dont ils sont les patrons, ou bien ils l'ont
honorée par leur habileté. D'autres encore sont vénérés
comme des membres de la corporation qui se sont illustrés
par leur martyre et ont fait ainsi rejaillir leur gloire sur
leurs confrères*.
1. Pausanias, 1. I. c. 5; Démosthène, XX, 94; XXIV, 8; Isocrate,
Exceptio adversus Calli7naclium,^6\, éd. Didot. p. 268.
2. Très nombreux exemples dans Roscher, Lexikon, art. cité, et dans
Ohlert, OD. cit.. Cf. Fustel de Goulanges, La Cité Antique. livre III,
ch. V : Le culte des fondateurs.
3. Cf. Fustel de Goulanges, op. cit., p. 172 et p. 175: exclusion des
étrangers du culte des divinités poliades, qui souvent sont des héros.
— II va de soi que les cultes héroïques particuliers des sectes et
confréries sont des cultes intérieurs. Parfois môme ce sont des cultes
secrets.
4. Ainsi les saints Cosme et Damien, patrons des chirurgiens, ont
réussi des opérations merveilleuses. — Saint Crépin et saint Grépi-
nien, deux cordonniers qui ont souffert le martyre, sont devenus les
patrons de leur corporation. — On voit tous les jours des associations
professionnelles prendre le nom de quelque homme illustre dans sa
spécialité.
INTRODUCTION 9
Lorsqu'il n'est pas légué au groupe par une tradition
immémoriale, le culte du héros est le résultat d'une véri-
table élection.
Le héros est nommé par les pouvoirs publics compétents.
En Grèce, V/n'roïsation est régulièrement prononcée par
l'oracle de Delphes'. Plus tard, ce furent le Sénat, à Rome,
ou bien les magistrats municipaux, dans l'Empire, qui
décrétèrent l'institution des cultes héroïques*. En Chine,
les Pères des Murailles et des Fossés, qui sont les patrons
des villes, sont nommés parle chef de TÉgUse taoïste avec
l'agrément de l'Empereur \ Des héros sont également nom-
més par des corporations, des écoles ou des familles qui
les vénèrent comme patrons particuliers ^
De même les saints de la chrétienté primitive, qui sont
des héros d'une espèce spéciale, furent nommés par la voix
du peuple, tout comme les évoques. Peu à peu, la constitu-
tion de l'Eglise se transformant dans un sens monarchique
et centrahste, les évoques d'abord et plus tard Rome s'arro-
gèrent le droit exclusif de canonisation.
h'he'roïsation et la canonisation sont donc des actes
publics, analogues à l'institution d'un régime ou à la nomi-
nation d'un magistrat. L'individu peut tout au plus les
1. Exemples dans Pausanias, VI, 38, 5; VIII, 23, 7 : IX, 38, 3; Héro-
dote, I, 167; V, 114. — Cf. l'invention des reliques de Thésée sur l'ordre
de l'oracle : Plutarque, Vila T/iesei, cap. XX.KVI; Vita Cimoni, VIII;
Pausanias, III, 3, 7. — Cf. Rohde, op. cit., I p. 177 ss.
2. Exemples dans Corpus Inscript. Grsec, N" 2437 ss ; 3462, 3492, etc.
Cf. Roscher, art. cité, 2487 ss., 2534. — On ne peut confondre l'hérol-
sation par le Sénat ou les maf^islrats avec l'introduction de cultes
étrangers que décrètent les mûmes pouvoirs. Kn effet, quand un séna-
tus-consulto ordonne une introduction pareille, il s'agit de divinités
anciennes, qu'on transporte seulement à Kome, afin d'afTirmer ainsi le
lien de sujétion qui unit les provinces à la capitale. Ce n'est pas une
nomination de dieux nouveaux.
3. Cf. De Groot, Les cultes célébrés annuellement à Amoy (Annales
du Musée Guimet, série in-4», XX). p. 589 ss., cf. p. 72.
4. Rohde, op., cit., p. 353 ss. Roscher, art. cité, col. 2548 s.
10 SAINT PATRICK KT LE CULTK DES HÉnoS
provoquer en révélant, parexcm[)lc, Texislcnce d'un liéros.
Encore celle intervention se produit-elle toujours dans des
formes rituelles, admises comme formes régulières de la
révélation. Ainsi les songes sont un moyen classique par
lequel les héros et les saints se font connaître et réclament
un culte '.
Lors même qu'on ne peut indiquer une nomination solen-
nelle comme origine d'un culte héroïque, celui-ci tire sa
légitimité du même principe dont se réclame l'autorité des
régimes et des magistrats. C'est le cas des cultes qui datent
d'un temps immémorial, et qui sont ainsi légitimés par leur
ancienneté même.
Le fait est que le culte des héros prend l'aspect d'un
culte de magistrats. Celui des Empereurs romains est un
exemple topique. Les martyrs sont les maîtres, les goii-
vernants des villes'. En Chine, les Pères des Murailles
et des Fossés sont chargés de l'administration des villes^.
Ils sont d'ailleurs pour la plupart danciens mandarins et
ils constituent une hiérarchie parallèle à celle des fonc-
tionnaires vivants *.
De plus, tout comme un magistrat, le héros peut être
i. Ainsi un certain Naulochos est déclaré héros dans la ville de Priène
après qu'il est apparu trois fois en songe à Philios de Salamine en
compagnie de Démeter et de Korc : Rohde, op. cit.. Il, p. 359 note 3.
On fit un tel abus des songes pour découvrir les reliques de martyrs
inconnus que les synodes et les docteurs de l'Eglise s'en sont émus
comme d'un véritable scandale : Cf. Canon XIV du III" Concile de Car-
thage, dans Mansi, III. p. 'J71 : « Quae per somnia et per inanes quasi
revelationes quorumlibet hominum ubique conslituuntur altaria omni-
modo reprobentur. » On sait que les autels étaientérigés sur les tombes
des martyrs. Cf. aussi Sophronius, De peccalorum confessione, dans
Migne P. G., t. LXXXVI, p. 3369. Cf. Lucius, op. cit., p. loi ss.
2. Ainsi saint Démétrius martyre est « ô oeottôtt,; jjisTà Oeôv Tf)ç
•;rô).ewc ©î-ffjtXovixrjÇ », Jean, év. de Thessalonique, Miracula, cités par
Lucius, op. cit., p. 215.
3. De Groot, op cit., p. 572 ss., p. 589 ss.
4. Jbid., p. 589 ; Albert Réville, La religion chinoise (Bisloii'e des reli-
gions, III). 1889, p. 603.
INTRODUtrriON 11
destitué ot rcmplncr par un autre. Le fait s'est produit plus
d'une fois dans les villes grecques. En Chine, l'empereur
peut révoquer les héros qui négligent leurs fonctions'. De
même on voit des églises chrétiennes changer de vocables.
On les dédie i\ dos saints en vogue tandis que les vieux
patrons tombent dans l'oubli.
Le cultr du héros est un culte public. — Le fait que
le culte héroïque est chose publique, appert aussi de ce
qu'il est obligatoire à un degré plus élevé, pourrait-on dire,
que celui des morts en général ou des ancêtres anonymes.
Dans les groupes à base familiale, le culte du héros
résume celui de tous les autres ancêtres. L'admission à ce
culte équivaut à l'adoption. Le héros est l'ancôtre par
excellence, qu'on invoque toujours individuellement, tandis
que le culte des autres morts de la famille, en tant que culte
d'esprits individuels, devient facultatif après un certain
temps.
Quant aux héros des groupes qui sont des unités poli-
tiques, leur culte est obhgatoire dans la même mesure que
l'est la soumission aux pouvoirs constitués. Se dérober au
culte de l'Empereur équivalait dans l'Empire romain t\ un
crime de haute trahison, tandis que chacun y pouvait choi-
sir librement ses dieux. De même un citoyen qui ne pratique
pas le culte de ses héros municipaux lèse sa patrie. En un
mol le culte des héros est par excellence un culte d'Elat,
Pareillement, dans les corporations, chaque membre est
obligé de prendre part au culte du héros patron, tout en
restant libre de pratiquer en dehors de sa profession tel
culte qu'il entend. De plus, le héros est généralement le
seul mort auquel la corporation rende un culte. Tout au
1. De Groot. op. cil., p. 12 s.
12 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
plus reconduit-elle au cimetière ses membres décédés,
après quoi elle s'en désintéresse. S'ils reçoivent ultérieu-
rement un culte, c'est seulement de la part de leurs familles
et de leurs amis.
Ainsi les héros sont des personnages auxquels le groupe
humain a régulièrement délégué sa propre autorité. Ce
sont des représentants qui émanent du groupe.
Le héros incarne un idéal social. — Celui-ci les crée
et se voit en eux.
En effet, que ce soit un poète, un chroniqueur, ou un
hagiographe qui conte les exploits du héros, l'auteur n'est
pas un créateur dans le sens propre du mot. Il est surtout
un ordonnateur et un interprète. Il réunit autour de son
héros des thèmes que lui fournit la tradition, il les ordonne,
les amplifie. Sans doute il lui arrive d'en imaginer de nou-
veaux et d'en faire même le point culminant de sa narra-
tion. Mais l'attitude que prend son héros dans ces épisodes
dépend de la valeur sociale que ce personnage réalise. Le
choix même du thème est imposé au poète par son entou-
rage. Le public « n'attend du poète que ce qu'il connaît
déjà et il ne désire l'entendre que parce qu'il le connaît » *.
Il y a collaboration entre le poète et le milieu pour
lequel il chante. Celui-ci fournit un cadre tout prêt que le
conteur remplit mais qu'il ne peut élargir que dans une
certaine mesure. Et ensuite toute innovation acceptée par
}e public devient à son tour, au moins pour un temps, un
schéma obligatoire.
Au contraire, lorsqu'il s'agit de personnages ou d'épi-
sodes secondaires, les légendes héroïques emploient sou-
vent des traits qui attestent une pleine liberté d'invention.
1. Lucius, op. cit.. p. 85.
1
i
INTRODUCTION 13
En un mot le héros incarne le type humain particulier
à la société qui a créé sa légende. C'est bien en effet un
témoin qui justifie les idées essentielles c\ la vie collective.
Le héros est un homme. — Il ressort de ce qu'on vient
de dire que le héros ne peut être qu'un homme.
En efTel, c'est d'un homme seulement que les hommes
peuvent se réclamer comme d'un témoin de leur propre
mérite.
On peut dire que le héros est l'exaltation de l'homme en
opposition avec le monde des dieux et des esprits '. Car le
héros a la puissance effective d'un Dieu. Il faut bien qu'il
Taie dans l'intérêt de la valeur suprême, qu'il réalise acti-
vement en tant qu'homme et que champion.
Mais pourquoi lui est-elle conférée?
Conquête de la puissance héroïque. — Généralement
cet homme est un mort.
En Grèce tout particulièrement, la représentation du
héros est celle d'un homme mort. Pindare dit qu'on ne
peut devenir héros qu'après sa mort^ La notion de la mort
est à ce point essentielle à la conception grecque des héros
qu'on rencontre en Grèce des cultes héroïques dont le seul
l)rétcxle est l'existence d'un tombeau, souvent môme ano-
nyme'.
Le culte des héros se confond en Grèce avec celui des
morts et des dieux chthoniens.
i. Celle opposition est trôs nette par exemple dans le mythe de Pro-
mélhée, Ici que le rapporte Eschyle.
i. Pindare, V» Pylhique, v. 94 s.
3. Les fondateurs d'HéracIée, par exemple, trouvent à l'endroit qu'ils
I valent choisi pour construire la ville un tombeau. L'oracle leur ordonne
lie rendre un culte au héros qui y est enterre. Rohde, op. cit., I, p. ITi.
— Il y avait en Grèce un grand nombre de héros anonymes, dont on
ne connaissait rien, sauf leurs tombeaux. Exemples dans Rohdc, ibid ,
p. 174, note.
14 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Le lombemi du hùros est le lieu du culte '; le temps du
culte est la miil ou bien le crépuscule*. Les animaux des-
tinés à être immolés sont de teinte sombre. On ne les brûle
pas, mais on les égorge et on laisse pénétrer le sang dans
le tombeau par un trou \ Les fôtes des héros ont le môme
rituel que les fôtes funéraires *.
Comme les dieux chthoniens les héros sont représentés
sous l'aspect de serpents'*. Les pratiques du culte consacré
aux uns comme aux autres sont désignés par le mot
ivxyiJ^ew, tandis que les termes 8'jet.v, Ospairela sont réservés
pour le culte des Olympiens. Les héros sont des dieux
néfastes, comme les démons souterrains. Ils résident sous
terre, dans leurs tombeaux.
On retrouve la notion de la mort comme élément prin-
cipal dans le culte des saints chrétiens. Il est célébré sur
leur tombeau. La commémoration solennelle des saints a
lieu le jour anniversaire de leur mort. Les fêtes des martyrs
étaient aux premiers siècles de l'Eglise une reproduction
des fêtes païennes en Thonneur des héros et des morts \
S'il n'est pas mort physiquement, le héros est tout au
moins un homme qui est entré vivant dans le domaine des
esprits. Il est ainsi assimilé à un mort. Il en a les qualités
et les droits.
De ce fait il apparaît que la mort, dans le cas du héros,
i. Cf. Rohde, op. cit., I, p. 159 ss.
2. Rohde, I, |). 148 s. ; J.-E. Harrison, p. 338. — Il faut que les pra-
tiques du culte héroïque soient terminées avant l'aurore. Comme
exemples cf. Pindaro, III' Islamique, v. 83 ss. ; Apollonius de Rhodes,
I, 387; Pausanias, li, 11,7; YIII, 14,11, Plutarque, Solon, IX; Diogène
Laërce, VIII, 33, etc.
3. Rohde, I, p. 149. Cf. p. 6b.
4. J.-E. Harrison, p. 350 ss. ; Rohde, I, p. 149 s.
5. J.-E. Harrison, p. 326 ss. ; 341 ss. Cf. p. 15 ss.
6. J.-E. Harrison, p. 8 ss. ; p. 3bû ss.
7. Cf. à ce sujet Lucius, op. cit., livre I : i"> partie.
!
INTRODUCTION 15
est elle aussi un passage, une préparation, un degré de
perfeclionncment.
Ainsi certains héros ont été enlevés par les dieux comme
Héraclès. D'autres ont eiïectué des voyages en Autre-
Monde comme Orphée, Bran, fils de Febal, ou bien ils ont
vu des pays dont les traits sont ceux d'un pays divin,
comme le jardin des Hespérides, la Colchide que les Argo-
nautes et Héraclès ont visités.
La barrière infranchissable qui sépare le monde des
esprits du monde des hommes peut être encore levée par
voie d'initiation, et, en effet, les premiers initiés sont véné-
rés comme iiéros. Quelquefois l'acte héroïque consiste à
enfreindre ouvertement les interdictions rituelles, quitte à
encourir les sanctions de ce crime. Mais le groupe profite
de l'impiété du héros, grâce aux mystères qu'il a dévoilés.
Tel est par exemple le cas de Prométhée.
Un t^pe de héros qui se rapproche des initiés est l'ascète
et le moine chrétien. Ils sont glorifiés avant leur mort et
considérés comme saints. C'est que par leur genre de vie
ils se sont séparés du monde profane *. Ils réalisent le
Royaume de Dieu sur terre.
On a vu de même des saints dans les chrétiens qui ont
été désignés pour le martyre, mais auxquels la mort a été
épargnée. Ils sont des hommes que Dieu a marqués d'avance
comme élus".
En général la dignité héroïque appartient aux hommes
qui, d'une manière ou d'une autre, sont revêtus d'un carac-
tère sacré. Ainsi les rois de Sparte deviennent de plein
droit des héros après leur mort % et les mandarins chinois
i. Lucius, p. 396 ss. : les docteurs de l'Église tracent un parallèle
entre l'ascétisme et le martyre. Cf. p. 402 s. et p. 41.
2. Lucius, p. 61 s.
3. Rohde, I, p. 163 et note.
16 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
sont des personnages sacrés de leur vivant et héroïsés
après leur mort parce qu'ils sont représentants do l'Em-
pereur*. Tous les évoques de l'Eglise primitive cl tous
les papes jusqu'au iv" siècle sont saints. Ils ont été, pour
ainsi dire, canonisés par le fait de leur élection.
C'est que tous ces personnages participent en même
temps à la nature divine et à la nature humaine. 11 en est
de môme des fils de dieux et de tous ceux qui se sont unis
à des dieux ou des déesses et qui sont aussi considérés
comme héros.
S'il en est ainsi, c'est que le héros doit sortir du monde
des hommes afin d'atteindre la réalisation complète de la
valeur qu'il incarne par définition.
Cette valeur est représentée comme une puissance effec-
tive. Cette puissance est quelque chose de comparable à
celle à laquelle on a donné le nom de maim. C'est en géné-
ral une puissance mystérieuse, impersonnelle et surhu-
maine. La force du héros n'est pas créée par lui. Ce sont
des énergies mystérieuses, parfois hostiles, qui existent en
un milieu inaccessible aux hommes ordinaires. Le héros
abat les barrières qui les défendent, il les dégage, s'en
rend maître et prouve sa force en s'en emparant.
Aussi la représentation du héros est-elle souvent celle
d'un lutteur et le combat est l'acte héroïque par excellence.
Le héros LUTTEUR ET CONQUÉRANT. — Daus Ics sociétés
barbares cette lutte est purement physique, compliquée tout
au plus de ruse guerrière. Ainsi les héros de l'Iliade vain-
quent les dieux, détenteurs de puissance effective, ils leur
tendent des pièges. L'Héraclès des mythes primitifs n'est
qu'un homme d'un grand courage et d'une vigueur prodi-
1. De Groot, The religions system of CAina, I, Leyde, 1892, p. 220.
INTRODUCTION 17
gieuse, qui mène à bien des tâches difficiles, terrasse des
monstres et massacre des ennemis.
Mais peu à peu la lutte se spirilualise. On la transporte
dans le domaine moral. Le mt^me mythe d'Héraclès inter-
prété par les Stoïciens et les Cyniques est devenu l'histoire
symbolique de la lutte que soutient l'homme libre contre la
destinée et une apothéose de la vertu difficile qui triomphe
du vice et du plaisir.
Le martyr chrétien, l'ascète sont eux aussi des triom-
phateurs. Us ont vaincu la faiblesse de la chair, les péchés,
et ont humilié les païens et le démon. Les victoires ulté-
rieures de leurs coreligionnaires en sont rendues plus aisées
et la communauté entière participe aux grâces de son saint.
Les libérateurs de peuples, les grands capitaines, sont
pareillement des héros pour avoir réveillé l'énergie latente
d'une nation ou d'une armée. Môme lorsqu'ils n'ont pas
triomphé on les vénère quand-môme.
En général, l'acte héroïque consiste à démontrer au
groupe sa propre puissance malgré les difficultés dont
se hérisse une pareille entreprise. Plus elles sont effrayantes,
plus grande aussi est la dignité du héros. Il est non seule-
ment le dépositaire de la puissance mystérieuse de la
société, il en est le conquérant.
Héros protecteur de son groupe. — Le héros est aussi
représenté comme pair on ci avocat de son groupe.
Il met à son service la puissance effective qu'il détient.
Il en écarte les fiéaux. Les saints chrétiens et les héros
grecs font gagner des batailles aux habitants des villes sur
lesquelles ils étendent leur protection'.
1. La bataille de Salamine a été gagnée par les Grecs non grâce à
leur valeur, mais grâce aux dieu.x ol au.\ héros, suivant Thcmistocle lui-
même. Exemples nombreux dans Roïnie.passim, et dans Ohlert, op. cil.
Cz\!U40WSKl. 2
18 SAINT PATRICK KT LE CULTE l)i:s HKHOS
Ils veillent à ce que les lois soient respectées, îi ce que
les serments ne soient pas violés '.
C'est à eux qu'on s'adresse lorsqu'on a besoin de se
rendre bienveillante la volonté divine. Ils intercèdent auprès
de Dieu, ils font fléchir sa juste colère, ils obtiennent des
délais aux punitions. Les saints embrassent la cause de leurs
fidèles, môme lorsqu'il s'agit de pêcheurs endurcis. Ils les
font bénéficier de leur propre sainteté et obtiennent que la
justice divine leur soit clémente.
En résumé le héros, tel que le définit le langage, est un
homme ou un mort qui incarne une valeur et qui reçoit un
culte obligatoire comme détenteur du mana qu'il met au
service de son groupe.
Analyse de la notion du héros funéraire. — Nous avons
dit que le héros était généralement un mort.
C'est un mort qui se distingue nettement de la foule des
autres morts. Il est plus puissant, plus honoré, et, avant
tout, il reçoit un culte et non pas en tant que mort, mais en
tant qu'il fut tel ou tel individu.
Les héros sont des morts divinisés. — Le fait est que
les TÎpweç grecs, pour ne parler que de ceux-ci, forment
une catégorie à part entre les morts.
Leurs monuments funéraires sont des édifices de forme
particulière dont le nom seul, viptoov, suffît à prouver qu'ils
leur étaient réservés. Lorsque le tombeau du héros n'est pas
surmonté d'un rlpwov proprement dit, on y érige au moins
un monument commémoratif, priua, sur lequel sont repré-
sentées l'apothéose du mort héroïsé, des scènes de sa vie,
ou bien encore des emblèmes. On voyait par exemple un
1. Tel le héros Talthybios qui punit les Spartiates d'avoir tué les
ambassadeurs persans, el d'avoir ainsi offensé le héros, qui était leur
garant.
IMUODICTION 49
bélier sur le monument de Th veste près de Mycènes'. Très
nombreuses sont les stèles qui représentent le mort recevant
des libations, ou bien prenant part à un festin héroïque,
souvent en compagnie de dieux ou sous les traits d'un dieu.
Enfin les tombeaux héroïques sont signalés Ci l'attention
des passants par des inscriptions qui décernent au mort le
titre de /ipoj^'.
Mais ce n'est pas seulement par son aspect qu'un tom-
beau héroïque diiïère de ceux qui encombrent les cime-
tières. Il s'en distingue aussi par sa situation.
En effet, ce n'est pas dans les nécropoles communes en
dehors des murs que reposent les héros les plus vénérés,
mais au cœur même des villes, là où se concentre l'activité
commerciale, politique et religieuse, sur la place pubhque.
Ainsi le héros Battos est enterré sur le marché de Cyrène%
Adraste sur celui de Sicyone', des héros anonymes sur
ceux d'Elis et d'Héraclée. Les tombeaux d'autres héros
sont situés dans les prytanées, comme ceux de Ménippe
et dEchépolis, fils d'Alcathoos, à Mégare% dans les forte-
resses, dans des temples, comme celui d'Hyakinthos, qui
est sous le piédestal de la statue môme d'Apollon dans le
sanctuaire d'Amycles\ Le tombeau de Pélops est situé au
centre de Tenceinte sacrée et du mouvement de la fête,
dans l'Allis d'Olympie*.
1 . Pausanias, II, 18,2. Ce bélier commémore un épisode de la légende
(lo Thyesti.'.
2. Exemples réunis dans Roscher, Lexikon, l. c. Cf. aussi Rohde. II,
p. 359, notes 1 à 4.
3. Pindare, V» Vylhique, v. 93 ss.
4. Hérodote, V, 67.
5. Pausanias, VI, 24,7; Apollonius de Rhodes, Argonaut., II, v. 835
"S. cité par Rhode, I, p. 172 n. 5. Cf. Pausanias, I, 43,7.
6. Pausanias, I, 43, 2-3.
7. Ibid., 111, 19, 3.
8. Pindare, /• Olympique, v. 93 ss.
20 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
D'autres sépultures héroïques se voient aux portes des
villes, parfois môme, comme le tombeau d'Etole, fils
d'Oxylos, à Elis, sous la porte môme'. Ou bien encore
le héros est enterré à la limite du territoire, comme le fut
le héros Koroibos, ainsi que son père Mygdon ^
Au contraire, les morts qui ne sont pas des héros sont
enterrés au dehors de la ville, dans leurs tombeaux de
famille. U y a ainsi entre eux et une grande partie des
héros une différence de traitement, qui apparaît capitale,
lorsqu'on considère que ces héros sont précisément ceux
dont le culte est le plus ancien et le mieux enraciné, qu'ils
sont des héros types, auxquels on a seulement assimilé
tous ceux, qui sont le produit d'héroïsalions postérieures '•
Le héros grec est donc un mort privilégié entre tous les
morts. Son tombeau occupant un emplacement inusité pour
une sépulture, mais qui est normal pour l'édification d'un
sanctuaire divin, le culte qui s'y pratique prend néces-
sairement l'aspect d'un culte rendu à un mort exception-
nel, à un mort qui serait devenu un dieu.
En effet, certains héros sont directement associés aux
dieux dans la célébration du culte. Tel est à Amycles
Hyakinthos, qui a une part dans les offrandes apportées à
Apollon. La ligne de démarcation entre les héros et les
dieux est môme si peu nette que nous voyons de nombreux
dieux locaux transformés en héros par la croyance popu-
laire, et inversement un héros, môme obscur, est fréquem-
ment appelé Oîo^, dieu. Quelques-uns des personnages de
la mythologie et de l'épopée sont vénérés tantôt comme
1. Pausanias, V, 4, 2.
2. Ibid., VHI, 26,3 : tombeau de Koroibos. Ibid., X, 27.1 : tombeau
deMygdon, père de Koroibos,
3. Nous renvoyons en ce qui concerne celte question à Rohde, op.
cit., I, chap. : Die lleroen.
INTRODUCTION 21
dieux, tantôt comme héros, par exemple Asclépios, Héra-
clès ou Achille, qui était dieu en Epire et i\ Erylhres et
(|ui recevait en Ehde un culte héroïque'.
LES HÉROS SONT DES MORTS QUI GARDENT LEUR INDIVIDUA-
LITÉ. — Ainsi le héros est un mort qui est un dieu. Par là
même et par le fait du caractère exceptionnel de sa sépul-
ture, c'est un mort qui conserve son individualité intacte.
Tandis que le culte des autres morts en tant qu'individus
dure seulement aussi longtemps que la mémoire de leurs
proches, celui du héros s'adresse toujours à un personnage
distinct.
Son rlpojov est un sanctuaire qui lui est dédié personnel-
lement, comme les temples le sont aux dieux. On inscrit
sur le fronton le nom du héros ou son épilhète'. Il en est
de même des autels qui se dressent sur les tombes
héroïques. Le héros profite seul des offrandes qu'on y
apporte et des sacrifices qu'on y célèbre. Quand Ulysse
évoque Tirésias, il verse d'abord une hbation « pour tous
les morts » après quoi il offre un sacrifice particulier à
l'ombre du devin \
Et les générations successives ont beau rejoindre leurs
prédécesseurs dans l'oubli, le culte du héros persiste
immuable. Ainsi les habitants de Mégare célèbrent annuel-
lement des sacrifices en l'honneur des héros Térée et Inus*,
ceux d'Amalhonle en l'honneur d'Onésilos ^ Achille est
pleuré au moment du coucher du soleil par les femmes
1. (-f. Rohde, I, p. 183 s. et notes; Usener, GoUernamen p. 239.
2. Ainsi rii/ipa découverte dans l'T^pwov à l'ouest de l'Altis d'Olym-
pie portait les inscriptions : r,Qiuop, f,pa)o,-, f,pajov plusieurs fois répé-
tées. Curtius, Die Allâre von Olympia, p. 21 ss.
3. Odyssée, X, v. 516 à 540; XI, v. 23 ss.
4. Pausanias, I, 41,8; 42,8.
5. Hérodote, V, 114.
22 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
d'Elide'. La fôte funéraire du héros est répétée sans fin
avec la môme pompe à ses anniversaires, par exemple à
Sparte, où l'on célèbre régulièrement des jeux en l'hon-
neur de Léonidas. Tels sont encore les jeux en l'honneur
de Miltiade, de Brasidas, des Phocéens massacrés à Agylla".
En général tous les jeux périodiques de la Grèce passaient
pour avoir été institués en Thonneur de héros et n'avoir
été que plus tard placés sons l'invocation des dieux^. Par
contre les fêtes funéraires des hommes ordinaires ne sont
jamais répétées indéfiniment. On finit par ne plus les pleu-
rer qu'aux dates communes du culte des morts.
Ainsi le héros est toujours traité comme un esprit indi-
viduel. Il mène une existence indépendante, même dans
le triste monde de THadès. Loin de se mêler aux âmes
il les surpasse de toute sa grandeur héroïque. Il les
régit et les commande. Il échappe à la faiblesse des
ombres.
Sa puissance s'est même accrue. 11 n'est pas bon de
négliger le culte d'un héros : car il a les moyens de forcer
les hommes à le célébrer. Ainsi l'esprit d'Actéon dévastait
le pays d'Orchomène jusqu'à ce qu'on se fût décidé à
l'honorer comme héros et à célébrer en son honneur une
fête annuelle'. Les offenses faites aux héros sont cruelle-
ment vengées. Le poète Stésichore, qui s'était permis de
i. Pausanias, VI, 23,2.
2. Kohde I, p. loi s. Les lamentations sur la mort d'Achille dont on
vient de parler préludent aussi à des jeux.
3. Rohde, I, p. 132 note 1. Les jeux Néméens passaient pour commé-
morer Archémoros, les Isthmiques étaient célébrés pour Mélicerte,
puis pour Sinis ou Sicron ; les Pythiques étaient un àj-wv ir.'.zi(^io<;
pour Python, les Olympiques pour Oenomaos ou pour Pélops. —
Rohde remarque que tout n'est pas de la spéculation dans ces attribu-
tions. Le fait est avéré que d'anciens jeux en 1 honneur du héros Tle-
polemos qu'on célébrait à Rhodes, jeux dont parle Pindare, furent
plus tard dédiés à Helios.
4. Pausanias IX, 38,4.
INTRODUCTION 23
médire d'Hélène fut privé de la vue '. Un paysan, qui avait
coupé le bois sacré du héros local d'Anagyre, un village
attique, perdit sa femme : remarié, le héros suscita chez la
nouvelle épouse du sacrilège un amour coupable pour
son beau-fils ; comme le jeune homme résistait, sa belle-
mère l'accusa devant son père qui lui creva les yeux et
l'exila dans une île déserte; quant au sacrilège lui-môme,
devenu pour le monde entier un objet d'aversion, il finit
par se pendre, tandis que sa femme se jetait dans un puits ^
Le héros est un mort dont i/ame reste attachée a ses
RELK'UES. — Il est représenté comme continuant à vivre sa
vie humaine tout en participant à la nature des esprits.
En effet, la mort n'interrompt point l'activité morale et
physique du héros. Ses affections et ses haines persistent.
Adraste et Mélanippe, qui, leur vie durant, étaient ennemis
mortels, se haïssent après leur mort. Clisthène, tyran de
Sicyone, qui faisait la guerre aux Argiens, s'étant vu refu-
ser par l'oracle de Delphes l'autorisation de chasser hors
de la ville Adraste l'Argien, qui y possédait un sanctuaire,
fit donc venir de Thèbes l'image de Mélanippe, l'installa
dans le prytanée et lui fit rendre les honneurs jusque là
dus à Adraste. Mélanippe joua bien son rôle et fit battre les
Argiens.
Mais sa vie humaine, le héros la continue là où sont ses
reliques et son tombeau. Le tombeau est la demeure du
héros. Les offrandes qu'on lui apporte lui parviennent direc-
tementpar un tuyau pratiqué dans l'autel héroïque, sjyàoa*,
1 . Isocrale, Éloge d'Hélène, 64. Decharme, Mythologie de la Grèce
antique, p. 500.
2. Légende de Jérôme de Rhodes, fragm., dans Snidas, résumée
dans Rhode, I, p. 191.
3. Hérodote, V, 67.
4. On a trouvé un autel pareil au-dessus des tombes royales de
24 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
OU bien, comme à Amycles, par une porte qui s'ouvre sur
le côté de l'autel et qui mène à l'intérieur du tombeau*. Il
faut se f^arder d'élever la voix en passant auprès d'une
sépulture héroïque de pour de déranger le héros ^ Quand
on évoque les héros on aj)pelle leurs noms la face tournée
vers leurs tombeaux ^ .
C'est qu'on se représente l'Ame du héros comme liée à sa
dépouille mortelle. En effet, c'est dans leurs rchques que
réside la puissance effective des héros. La possession de ces
reliques assure la victoire dans la guerre, le salut devant
les fléaux, la protection en tout temps*. Aussi mettait-on
tout en œuvre pour les avoir. On les gardait comme d'in-
signes trésors. L'histoire grecque est rempHe de récits qui
nous rapportent des inventions ou des translations de
^eUques^ Nous ne citerons comme exemple qu'une des
plus typiques. Au moment où Cimon assiégait Scyros,
Mycènes. L'autel était rond, creux à l'intérieur et le tuyau qu'il formait
était ouvert des deux bouts. Le sang était donc absorbé par le sol du
tombeau.
1. Pausanias, loc. cit.
2. J.-E. Harrison, p. 340.
3. Ainsi les habitants de Phlionte appellent avant la fête de Demeter
le héros Aras et ses fils xaAoûu'.v Itic xàç a-Trovoàç, èç xaûxa ^)£7îovTe;
Ta fJLv^jjLaxa. Pausanias, II, 12, 5. — Cf. Rohde, I, p. 160 n. 3.
4. Par exemple l'oracle ordonne de transporter à Orchomène les osse-
ments d'Hésiode pour délivrer la ville de la peste. Pausanias IX, 38,3.
5. Exemples dans Rohde, I, p. 161, note 1 : translation des ossements
d'Oreste de Tégée à Sparte (Hérodote I, 67, 68. Cf. Pausanias, III, 3, 6;
11, 8 : VIII, 54, 3) ; translation des ossements d'Hector dllion à Thébes
(Paus., IX, 18, 3); de ceux d'Arcas de Mainalos à Mantinée (Paus , VIII,
9, 2) ; de ceux d'Hippodamic de Midée en Argolide à Olympie (Paus.,
VI, 20, 4) ; de ceux de Tisamène à Sparte (Paus., VII. 1, 3) ; de ceux
d'Aristomène de llle de Rhodes à Messène (Paus., IV, 32, 3). Toutes ces
translations avaient été ordonnées par l'oracle. — Invention de reli-
ques : on découvrit un jour dans le lit de l'Oronte un grand cercueil
de onze coudées de longueur, qui renfermait un cadavre. L'oracle
déclare que ce sont les ossements d'Oronte (Pausanias, VIII, 29,3). Le
navire qui porte l'omoplate de Pélops fait naufrage. Un pêcheur
retire de la mer une énorme omoplate qu'on reconnaît être la relique
perdue et qu'on transporte à Olympie (Pausanias, V, 13, 3).
INTRODUCTION 25
la Pythie consultée sur l'issue de l'entreprise, répondit
qu'elle ne finirait par une victoire que si l'on ramenait
î\ Athènes les ossements de Thésée ; Cimon découvrit dans
l'ilc la sépulture d'un homme armé, de très grande taille,
dans lequel on reconnut Tiiésée et dont la dépouille fut
rapportée en grande pompe à Athènes. Ainsi fut assurée la
prise de Scyros'.
Le héros funéraire est donc représenté comme un mort
dont l'Ame n'est pas tout à fait séparée de son corps, en
un mot comme un être spécial, mort, mais encore vivant.
La mort héroïque est celle qui a une portée sociale. —
Mais les héros ne se signalent pas seulement par les vertus
de leur vie et la puissance de leurs reliques. Leur mort
même diffère de celle des hommes ordinaires. Elle a une
portée sociale.
Tous ceux qui sont morts en combattant comme cham-
pions d'une cause générale, et tous ceux dont la mort est
un acte de dévouement sont désignés pour devenir des
héros'.
Toute mort qui a une valeur rituelle est aussi une mort
héroïque. Ainsi certains héros sont considérés comme tels
parce qu'ils ont joué de leur vivant un rôle proéminent
dans la célébration d'une fête. Tels, par exemple, les vain-
queurs des jeux olympiques ^ On glorifie parfois ceux qui
sont morts en un lieu saint, ou bien encore ceux dont on
1. Cf. plus haut, p. 9, note 1.
2. Ainsi beaucoup de guerriers tués dans les guerres contre les Perses
furent htTOlsés, par exemple les morts de Marathon (Rohde. II, p. 349,
n. 5). Cf. plus haut : jeux en l'honneur de Léonidas à Sparte. — Les
morts pour la patrie avaient à Athènes des fjLvrjfiara près de la route
qui menait à l'Académie. Ils étaient tous sinon des T^pcoe;, du moins des
hommes qui touchaient de près à cette dignité. (Description de leurs
monuments dans Pausanias, I, 29).
3. Exemples réunis chez Roscher, art. cité, col. 2526 ss.
26 SAINT PATHICK ET LE CULTE DES HÉROS
y a découvert les reliques. C'est le cas de nombreux
saints chrétiens, qui doivent leur inscription au martyro-
loge au seul fait que leurs ossements ont été découverts
dans les catacombes'. La mort de certains autres est
une sorte de sacrifice comme celle de Didon, d'Hamilcar,
d'Orphée ou encore des martyrs chrétiens. Il y a des héros
dont la mort est une expiation ou bien marque le terme
d'une expiation. C'est la mort des Pélopides ou d'Œdipc.
Enfm tout genre de mort susceptible d'une interprétation
mythique, une mort qui bouleverse l'ordre établi peut faire
un héros d'un homme quelconque. Telle est toute mort vio-
lente et mystérieuse, le suicide, la mort causée par la foudre,
par une catastrophe rare et incompréhensible. Les hommes
qui meurent subitement, surtout lorsqu'ils sont jeunes, la
première ou la dernière victime d'une épidémie deviennent
souvent des héros. On y voit des personnes marquées par
la divinité. Sont héros tous ceux qui ont été tués par les
dieux, comme Ajax filsd'Oïléus.
Ainsi la mort héroïque ou celle des héros est normale-
ment une mort tragique. En tout cas on ne peut la rame-
ner à ridée de décès physique.
Au contraire nous voyons qu'elle nous rapproche de la
notion du héros glorifié de son vivant. Il s'agit de l'entrée
rituelle d'un homme dans le monde sacré.
Or, c'est là-même la représentation du héros que nous
avons étudiée tout à l'heure. Le héros, tel que le définit le
langage, et le héros funéraire, sont au fond identiques.
Définition du héros. — Nous pouvons désormais essayer
de formuler le résultat de notre anal3'se en une définition
du héros.
1. Exemples dans P. Saintyves, Les saints successeurs des dieux,
Paris, 1909, I" partie.
INTRODUCTION 27
Le héros est un homme qui a rituellement conquis j par
les mérites de sa vie ou de sa mort, la puissance effective
inhérente à un groupe ou à une chose dont il est le repré-
sentant et dont il personnifie la valeur sociale fonda-
mentale.
Celte définition n'est que provisoire. Pour en donner une
formule définitive, il eût fallu entreprendre ici une élude
approfondie de tous les cultes, mythes et légendes héroïques
possibles. Telle quelle cependant elle nous paraît suffi-
sante pour distinguer les héros des autres personnages
sacrés, surtout dans les civilisations européennes dont nous
aurons à nous occuper. Il nous importe particulièrement
de les distinguer des dieux et des saints.
Les héros et les dieux. — Les héros, lorsqu'ils sont
l'objet d'un culte, sont une catégorie particulière de dieu.x.
Ils participent à leur nature et à leur puissance. Ils forment
une classe intermédiaire entre les grands dieux et les esprits
anonymes, parents de ceux-ci par leurs fonctions et de
ceux-là parce que leur personnalité est bien distincte.
Mais le héros est et demeure toujours un homme. Il
réunit en lui les deux natures divine et humaine. Son culte
révèle une tentative des homme pour rapprocher d'eux le
monde des dieux et s'en rendre les maîtres. C'est un dieu
humanisé.
Les héros et les saints. — Quant aux saints ils forment
une catégorie spéciale de héros.
Ils en réunissent, en efTet, les traits essentiels. Us sont
des hommes glorifiés, qui par leurs actes ou par leur mort
ont mérité une situation privilégiée entre les élus. Les fidèles
vivent en communion avec eux. Ils voient dans les saints
leurs avocats auprès de Dieu.
28 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Mais ce sont des héros d'une espèce particulière. La
nolion de sainteté est subordonnée à un idéal moral et reli-
gieux fixé par la théologie.
Le saint doit réaliser un type de vie morale et accomplir
des actes déterminés à priori par les textes sacrés et par la
tradition de TÉglise. A la fixation de l'idéal de sainteté
président d'autre part les croyances eschalologiques. Le
saint est Tinstrumcnl humain qui fait éclater la gloire de
Dieu et qui travaille au salut de ses prochains et au sien
propre.
La notion de sainteté est ainsi propre aux sociétés qui
sont constituées en églises ou en sectes, puisque ce sont
les conditions essentielles dans lesquelles une théologie
peut s'élaborer.
Ce qui suivra, va démontrer, espérons-le, que saint
Patrick n'est pas seulement un saint, mais plus exacte-
ment un héros.
CHAPITRE PREMIER
LOEUVHE DE SAINT PATBICK EN IRLANDE
L'existence môme de Saint Patrick a été mise en doute.
Ceux qui l'ont admise ont apprécié si diversement son rôle
qu'il faut pour se faire une opinion s'adresser directement
aux sources '.
De i,' existence de saint Patrick. — De l'existence de
saint Patrick^ on a deux sortes de preuves : directes et
indirectes.
1. Pour écrire ce chapitre nous avons mis à contribution les études
de J.-H. Todd, Memoir on saint Patrick, Ihe apostle of Ireland, Dublin,
1864 ; Benjamin Robert, Élude critique sur la vie et l'œuvre de saint
Patrick, liibeuf, 1883 (Thèse présentée à la Fac. de Théol. l'rot. de
Paris) ; J.-B. Bury. The life of saint Patrick and his place in hiatory,
London. 1903. Les appendices critiques du dernier de ces livres, le
meilleur que nous connaissions sur la question, nous ont été particu-
lièrement utiles.
2. Contestée pour la première fois, à notre connaissance, par
E. LedwWhi Antiquities of Leland, Dublin. 1793», puis par C-G. Schœll
{De ecclesiasticœ Brilonum Scolorumque liistoriœ fontibus. Berlin, 1851)
et Loofs lAnliquœ Britonum Scotorumque ecclesix quales fuerunt mores,
LipsiîC, 188i). Cf. réfutation dans Benjamin Robert, op. cî7. Cf. Zimmer, art.
Keltische Kirche, dans liealencyklop'idie fiir Protestanliiche Théologie,
où l'e.xistence de saint Patrick est admise, mais comme celle d'un obscur
évoque du Leinstcr dont la mémoire fut au vu» siècle substituée à celle
du véritable apôtre de l'Irlande. Cf. la réfutation de cette tlièse dans
Bury, op. cit., p. 384 ss. Comme tous ceux qui contestent l'existence de
saint Patrick en tant que personnage distinct, l'identifient avec Palla-
dius, nous revii^ndrons sur leurs arguments en discutant cette question.
Leur principale raison est que Bède aurait assurément parlé de saint
Patrick, si ce personnage avait réellement converti l'Irlande. Mais le
silence de Bède s'explique par le but môme de son lUsloria Ecclesias-
30 SAINT PATRICK KT LE CULTE DES HEROS
C'est d'abord l'anliquilé de son culte en Irlande. Elle
est attestée par un hymne liturgique latin en l'honneur de
Patrick, V Hymne de Secundinus\ Celte composition est
sûrement antérieure au milieu du vi* siècle, et tout fait
croire qu'elle dalc du v°. La forme en est empruntée à un
hymne de saint Hilaire. Inusitée en Gaule après le v® siècle,
on n'en trouve point d'autre exemple en Irlande^. C'est
tica. Il s'y agit de décrire l'histoire du christianisme chez les Anglo-
Saxons et non dans les Iles Britanniques en général. L'bglisc d'Irlande
n'intéresse Bède que dans la mesure où elle exerça une influence directe
sur le christianisme breton. Il parle donc de l'abbaye de lona et de ses
missions, mais n'a aucune raison de parler de Patrick, lona et les autres
fondations de suint Columcilie étaient d'ailleurs en concurrence avec les
fondations qui se réclamaient de saint Patrick (Cf. Tirechân, dans Tri-
parlite Life, II. p. 314, 1. 8 ss.). Cf. la discussion et la réfutation de l'ob-
jection tirée du silence de Bède dans Bury dans English IlistoricalReview,
juillet, 1903 et l. c. p. 386. M. Bury, ibid., note 2, remarque encore qu'au
temps de Bédé les actes de saint Patrick étaient pour la plupart rédigés
en irlandais, par conséquent inacessibles à l'auteur de Vllisloria Eccle-
siaslica, et que la plus ancienne rédaction latine ne datait que de trente
ans environ. Mais la Confession, VEpilre et l'Hymne de Secundinus
existaient. — De notre côté, ajoutons la répugnance de Bède à parler
des Celtes et de leur Eglise. Il les hait, les considère comme schisma-
tiques, et s'ap|)lique à en dire le moins de bien possible.
i. Mss : Antiphonarium Benchorense {,Ant. Bench.) du viu« siècle, Bibl.
Ambrosienne. Milan, et deux Libri Hymnorum, l'un du couvent des
Fransciscain de Dublin (Fr. L. H.), l'autre du Trinity Collège, Dublin
{Lib. Ilymn.), du xiii» siècle. — Publié une première fois par Colgan dans
Triadis Thaumaluryse... Acla, p. 210 s. (App. 111 ad Vil. Pair.) puis par
Thomas Ware (Wareus) dans Opuscula Sancti Patricii, 1656, p. 144 ss.,
d après Vr. L. H. Version de Ant. Bench. dans Muratori. Anecdota Am-
brosiana, IV, p. 127 ss., réimpression dans Migne, Patrologia Latina,
LXXII, p. 582 s. — Éditions critiques : J.-H. Bernard et Robert Atkinson,
The Irish Liber Uymnoi'um, London, 1898 (Henry Bradshaw Society publ.
for 1897, vol. XUI et XIV), 1, p. 7-p. 13 ; Whitley Stokes dans Triparlite
Life, II p. 386-p. 389 (d'après fV. L. H. comparé à Ant. Bench.). On trou-
vera dans les préfaces à ces deux éditions des renseignements sur les
Mss. Il y a encore une édition par J. -II. todd, dans The Book ofHymns,
Dublin. 1855, mais on ne peut s'y fier.
2. Whitley Stokes, Triparlite Life. I, Inlrod. p. CIX : Le même mètre
est employé dans un hymne d'un certain Camelacus, contemporain de
saint Patrick. Cf. Secimdiîius : « Aùdite ômnes amantes Deum sâncta
mérita »...; saint Hilaire (dans Bernard et Atkinson op. ci^, I, p. 36-42):
« Ymnum dicat lùrba fratrum, ymnum cântus pérsonet ». Ce mètre
est très ancien. Cf. la chanson des soldats de César : « Cœsar Gàllias
si'ibegit, Nlcomedes Ceesarem ». — Les strophes de YHymne de Secun-
dinus sont de quatre vers. Chacune commence par une autre lettre de
l'alphabet.
l'oeuvre de saint PATRICK EN IRLANDE 31
donc à l'époque où rinfluence de l'Eglise gallicane se fai-
sait sentir en Irlande ' et probablement [)ar un contem-
porain des missionnaires venus du continent, que l'Hymne
de Secundiniis a ûté composé. Sa teneur lui fait assigner
d'autre paît une date très proche de la mort de Patrick.
On n'y trouve, en effet, mention d'aucun miracle, rien qui
indique une légende en voie de formation — et cepen-
dant, malgré les termes généraux des louanges, on voit
que l'auteur connaissait la vie et les vertus du saint'.
Le nom à désinence latine de notre saint fournit une autre
présomption en faveur de son existence réelle. Tous les
autres saints vénérés en Irlande, à re.xcoption de quelques
compagnons et disciples immédiats de saint Patrick, ont
des noms gùidéliqucs '. Le nom même de saint Patrick a
1. A partir du v» siècle jusqu'au milieu du vu» l'Église d'Irlande se
développe indépondammenl. ISes relations avec le reste du monde
catholique sont purement théoriques. Cf. plus loin, chap. vi.
2. Cf. avant-dernière strophe, premier vers : saint Patrick est un
modèle de piété ; il chante les hymnes et l'Apocalypse. — Whitley
Stokes remarque que l'auteur de l'Hymne de Secundinus emploie le
présent pour parler du saint, et il en conclut â la très haute antiquité
de la composition. Quanta l'attribution à Secundinus, elle est évidem-
ment erronée, s'il est exact que ce personnage mourut en 447 (Annals
of LUiter, éd. Hennessy, I, sub anno) , donc quatorze ans avant
saint Patrick. Pour M. Bury, l'emploi du pn-sent et l'absence d'allu-
sions biographiques indiquent que l'hymne est antérieur à la mort du
saint. Mais il contient une allusion à la mort de Patrick : « Testis
Domini fidelis in lege catholica ». Le « témoin du Seigneur » est le
saint qui est déjà mort, et qui reçoit un culte. Ce vocable désignait
primitivement les martyrs, plus tard ceux qui étaient déjà entrés dans
la Gloire. L'hypothèse de M. Bury que le vers cité pourrait faire allu-
sion à un voyage de saint Patrick à Rome pour être éprouvé dans son
orthodoxie par le pape, est insoutenable. (Un voyage de ce genre est
mentionné dans Ann. of Ulsler, sub anno 441). Cf. aussi les strophes
1,3, 5, 9 et 11 où le saint est glorifié comme ne peut l'être qu'un
homme entré dans la Paix du Seigneur.
3. Cf. Félire Oengusso céli Dé, éd. Whitley Stokes dans Henry
Rradshau: Society publ. for l'J05, vol. XXIX : The Marlyrology of
Donerjal ou O'Clery's Calendar, éd. J.-H. Todd et W. Reeves, trad.
J. O'Donovan, {Irish Archœol. and Cellic Soc), Dublin ; Félire hui
Gormâin, éd. Whitley Stokes. {Henry Bradshaw Soc). Cf. aussi la
liste des anciens évéques qui sont tous des patrons locaux, dans James
Ware (Warcus) De prtesulibiis Hiberniae Commenlarius, Dublin, 1665.
32 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
été complètement inusité en Irlande avant une époque
relativement récente'. Aussi bien les anciens Gôidels ne
pouvaient-ils le prononcer. Ils en firent Cothraige avant
d'apprendre à dire Pafrdic ". Un pareil nom ne serait pas
devenu celui d'un saint populaire s'il n'avait eu pour lui
une tradition fortement ancrée ^
— Des disciples ou compagnons de Patrick qui ont des noms latins,
seul Benignus (Benen) jouit d'un culte répandu. Encore ne le doit-il
qu'à sa connexion parliculiôrement étroite avec saint Patrick. (Cf.
chap. m)- Les autres : Auxilius (Aussailc), patron à Killosy (Clé
Kildare); Iserninus, confondu à tort ou à raison avec saint Filh et
vénéré sous ce nom à Aghade (Gté Carlow) et dans la région de
, Clonmore (limite dis Ctés Carlow et Wicklow) ; enfin Secundinus
' (Sechnall) patron à. Dunshaughiin (près Tara, Gté Meath) et, peut-être,
vénéré aussi à Armagh. ne jouissent que d'un culte purement local et
n'ont, pour ainsi dire, point de légende. Ils n'apparaissent que dans
celle de St. P.. comme personnages épisodiques. Cf. Ware, op. cit., sub
nom. lac. ; Bury, op. cit., pp. H7 et note, 163 s., 259 note, 319. Rôle
légendaire : Muirchu, \'ie de saint Patrick, dans Tripartite Life, II, p. 273
(Cf. Armais of. Vlsler, s. a. 439) : Tirechân, Vie de St. P.. ibid., p. 331,
J. H. Todd, Saint Patrick, 174 ss. — On pourrait alléguer contre nous
l'exemple des deux saints Colomban. Mais dans leur cas il s'agit de
noms monastiques empruntés au symbolisme chrétien : l'un est
appelé Columcille, ce qui signiGe Colombe d'Église, l'autre Columba,
11 est manifeste que ni Palricius, ni aucun des noms des compagnons
du saint n'ont une origine pareille.
1. Ce n'est qu'à partir du .\» siècle qu'on rencontre en Irlande des pré-
noms étrangers. Jusqu'à la conquête normande (1172) ils sont très rares,
même parmis les gens d'iiiglise. Actuellement Patrick y est le prénom
préféré. On le rencontre dans presque toutes les familles. Paddy est le
sobriquet par lequel les Anglais désignent les Irlandais depuis le xvi«s.
2. Le son p manquait complètement à l'irlandais primitif (cf. Ven-
dryès. Grammaire irlandaise, Paris, 1907). Il ne fut introduit que
par les ecclésiastiques parlant latin. Cf. id., De Hibernicis vocabulis
quae a latina lingua oriqinem duxerunt, Paris 1902. — Dans les pre-
miers temps les Irlandais remplaçaient le son p par k (écrit c) dans
les mots empruntés, par exemple purpura devint corcur, pascha — case,
presbijier — cruimther. — Sur Cothraige cf. en particulier Zimmer op.
cit. La forme Col/iraige se rencontre pour la première fois dans V Hymne
de Fiacc, strophe 3 (viu» siècle), éd. Whitley Stokes et John Sirachan
dans Thésaurus Palœohibemicus II, Cambridge, 1903. p. 307. —
Tirechân (vii« siècle), /. c, p. 3o2, latinise ce nom en Cotliirtiacus, et
ibid. p. 310 on a : « ad petram Coithrigi et p. 331 : « pelra Coithirgi ».
— M. Bury a signalé les traces de la prononciation la plus ancienne
dans la forme latinisée Quadriga dans Colgan, Vita 11^ . et Quolirche,
ibid., Vita IV^ . (Art. Tradition of Muirchu's Text dans Hermathena,
1902, p. 200).
3. Ce que nous venons de dire n'implique nullement qu'en Irlande on
l'oeuvre de saint PATRICK EN IRLANDE 33
Les écrits de Patrick : de leur authenticité. — Mais il
existe deux écrils de Patrick, témoignages directs de son
existence. Ils sont connus sous le nom de Confession de
saint Patrick et d'Épftre aux chrétiens sujets du tyran
Coroticus\
L'attribution de ces écrits à notre saint est commune à
tous les manuscrits. Un de ceux-ci, qui contient la plus
ancienne copie de la Confession date de 807 ou 808'. Mais
n'ait point rendu de culte aux saints de l'Eglise universelle. Au
VII* siècle on croyait posséder des reliques des saints Pierre, Paul,
Laurent et Ktienno à .\rmagh et Dunseverick (Tirechân. l. c, pp. 301
et 3i9). La Saint-Michel et la Saint-Martin sont les dates de fêtes popu-
laires (Extraits du Ms RawUnson B. 512 de la Bibl. Bodiéienne dans Tri-
parlite Life, Il p. 556 s et p. 560 s.: trad Whitley Stokos en regard). En
845 la fête des saints Pierre et Paul, le 29 juin, est célébrée à l'abbaye
de Roscrea (Cté Tipperary) au milieu d'un grand concours de peuple.
L'oenach (fêle et réunion publique) commençait, lorsque surgiront les
Danois. Mais ils furent repoussés par la grâce de Pierre et de Paul
{Cotadh Gaedhel re Gallaibh, éd. J.-H. Todd, Rolls Séries, London,
p. 14, trad. p. 15).
1. Éditions consultées: Whitley Stokes dans Triparlile Life, II, Con-
fessio, p. 357 ss.: Epislola (version du Ms Cotton Nero E 1) p. 375 ss. ;
Rev. N.-J.-D. White, Libri sancti Palricii dans Proceedinr/s of Ihe Roy.
Ir. Acad , XXV, Sect. C. n" 7, Dublin 1904. Nos références se rapportent
aux pages de l'édition Stokes, la plus accessible, mais nous avons con-
fronté chaque fois le texte avec celui de l'édition critique du Rév.
White. Cf. les introductions des deux éditeurs pour tout ce qui con-
cerne les Mss et les éditions antérieures.
2. Livre d'Armagh lA), Ms de contenu divers, compilé par le scribe
Ferdomnach pour Torbach, abbé d'Armagh (m. 808;; actuellement au
Trinily Collège de Dublin. Sur le Ms. et sa date cf. Rev. Charles Graves
dans Proceedings of ihe Roy. Ir. Acad., III, p. 316 p. 334 et p. 356 ss.;
Edmund Hogan,S. J. dans/l;ia/ec/a fiollandiana. I. Bruxelles, 1882. p. 532
ss. : Whitley Stokes dans Triparlile Life, I, Jntr. p. xc-cxix. — Mais
M.Gwynn. cité dans Bury, op. cil., p. 224, croit que les documents relatifs
à saint Patrick n'ont été copiés dans A qu'après la mort de l'abbé Tor-
bach, donc après 808. En tout cas ils sont du premier quart du ix* siècle. —
Une édition diplomatique de A a été récemment |)ubliée par M. Gwynn.
mais elle nous est demeurée inaccessible. — Il manque quelques pas-
sages de la Conf. dans A. qu'on a complété d'après un Ms de la Bibl.
Roy. de Bruxelles. Ces passages appartenaient sans doute possible au
texte primitif et ont été omis par le copiste soit par mégarde, soit parce
qu'ils étaient désobligeants pour l'auteur. L'n d'eux notamment a trait
à un grave péché commis par saint Patrick dans son enfance. —
Zimmer, loc. cit., a émis l'hypothèse que le texte primitif de la Conf.
contenait plus de détails autobiographiques. Cf. la réfutation de M. Bury
dans English llistorial Review XVIII, juillet 1903, p. 544 ss.
CZARNOWSKI. 3
34 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
amtôriniromcnl, les linf;i()gfaphes irlandais du vu'' siècle ont
déjà connu les deux documents en question et leur attribu-
tion t\ saint Patrick'.
L'analyse rend évidente leur authenticité^.
Ce qu'aurait visé un faiseur d'apocryphos serait l'édifi-
cation par l'exemple, soit la gloiification du saint, soit
enfin l'exposé d'une doctrine sous l'autorité d'un grand
nom. Or on ne trouve rien de pareil ni dans la Confession
ni dans VEpitre.
L'auteur y donne à chaque instant des preuves d'humi-
lité très sincère. Des expressions comme ego... peccator
rtisticissimiis . . . fideliinn^ ne sont pas d'un faussaire. 11
y a dans ces écrits une tendance manifeste à s'amoin-
drir, à se refuser tout mérite. Patrick s'avoue sot, igno-
rant. Il n'a jamais étudié à fond la théologie ni le droit,
et il a oublié ce qu'il en avait appris. Il manie difficile-
ment le latin depuis le temps qu'il est forcé de parler
continuellement en langue vulgaire*. Dieu a bien voulu
se servir de lui plutôt que d'autres, plus dignes par la
vertu et la science. Mais il n'a été que le vil instrument de
la Divinité ^
1. Cf. plus loin, p. 71 s.
2. Elle est reconnue actuellement par tous les historiens du christia-
nisme irlandais. Zimmer, qui antérieurement en avait douté, l'admit
depuis (op. cit.).
3. Conf., p. 357, clpastim. Cf. Conf., p. 374; « Patricius peccator indoc-
tus scilicet Hiberione conscripsit », et Épistola p . 375 : « Patricius peccator
indoctus scilicet Hiberione constitulus episcopum me esse fateor ».
4. Conf. p. 359 : « Timui... ne incederem in linguam hominum... qui
optime ilaque iure et sacras litteras utroque pari modo combiberunt,
et sermones illorum ex infantia nunquam mutarunt, sed magis ad per-
fectum scmper addiderunt. Nam sermo et loquela mea translaia est
in linguam alienara, sicut facile potest probari ex saliua scripturae
mese, qualiter sum ego in sermonibus instructus atque eruditus. »
Cf. ibid : « quatinus modo ipse adpeto in senectute mea quod in iuuen-
tute non comparaui ; quod obstilerunt peccata mea ut confirmarem
quod antea perlegeram ». Ibid. p. 367 : « Breuiter dicam...qucT uerbis
exprimere non ualeo, nec iniuriam legentibus faciam. ».
5. Conf. p. 360 s. : « Eram uelut lapis qui iacet in luto profundo, ut
l'oeuvre de saint PATRICK EN IRLANDE 35
La Confession parle, il est vrai, des conversions opérées
par Patrick, de ses tribulations, de son ascétisme. Mais
c'est quelle a pour but de défendre son auteur contre
une accusation d'indignité qui avait été portée contre
lui. On venait de proclamer qu'il avait jadis commis un
péché qui entraînait sa déchéance de la dionité épiscopale.
Or Patrick ne nie pas sa faute, quoiqu'il se plaigne de
ce que ce soit un ancien ami qui soit son accusateur. Il
allègue seulement pour sa défense le fait que Dieu a bien
voulu de lui pour accomplir de grandes choses, et la pre-
scription, plus de treille ans écoulés depuis son péché. Il
n'était même pas diacre lorsqu'il le commit'. Il nous narre
encore ses remords et les punitions que Dieu lui infligea
uenit qui potcns est et in sua miserioordia sustulit me ; et quidem sci-
licet sursum adleuauit et collocauil me in sua parte... Unde autem
admiramini magni et pusilli, qui timetis Deum, et uos Domini ignari
rcthori^i... audite et scrutamini, quis me stultum excitauit de medio
eorum qui uidentur esse sapientes, et legis periti et potentes in ser-
mone et in omni re. » — Ibid., p. 361 : « Et non eram dignus, neque
lalis ut hoc Dommus seruulo suc concederet. » Cl. ibid., p. 366 :
saint Patrick ne se sentait pas digne de i'épiscopat. — Cf. Conf.,
paasim.
1. Conf., p. 363 : u Et quando temptatus sum ab aliquanlis seniori-
bus meis qui uenerunt et peccata mca contra laboriosum episcopatum
meura... [lacune) ...utique in illo die fortiter impulsus sum ut caderem
(Cf. Psaume CXVIII, 38) hic et in îeternum; sed Dominus pepercit pro-
selito et percgrino jjropter nomen suum... Occasionempost annos tri-
ginta inuenerunt (correction de M. White ; les Mss ont « occasio-
num — inuenerunt me ») et aduersus uerbum, quod confessus fueram
antequam essem diaconus... Nescio, Deus scit, si habebam tune annos
quindecim et Deum unum non credcbam nisi e.x infantia mea, sed in
morte et in incrcdulilate mansi, donec ualde castigatus sum... » lors
que le péché fut commis. Patrick le confessa à son meilleur ami, qui
(Conf., p. 360) le soutint plus tard lorsqu'il s'agit de l'ordonner évoque,
cl qui le trahit enfin. Il parait ressortir de la Confession, qu'on avait
lancé an écrit diffamatoire contre Patrick : ibid., p. 365, le saint a un
songe : un écrit déshonorant est « contre sa face « (« scripfum erat...
sine honore s). Une voix le console : « maie uidimus faciem designati
Dudato noraine ». M. Bury, op. cit., p. 318 et note, suggère que « sine
honore » et « nudato nomine » signifie que les ennemis de Saint Patrick
omettaient intentionnellement son titre d'évéque. Mais on peut inter-
préter aussi ces expressions comme des métaphores qui désignent le
déshonneur en général.
36 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
avant d'en faire son instrument'. Toute la Confession est
ainsi le récit des crises de conscience d'un homme voué au
souvenir d'une faute et qui, guidé par les signes de la
grAce divine, consacre sa vie à la racheter.
Quant aux mentions des « milliers d'hommes » baptisés
qu'on trouve dans YÉpîtrc, elles s'exphquent aisément.
L'Épitre est destinée à ranimer les sentiments de solidarité
chrétienne parmi les guerriers du chef Corolicus, qui
avaient massacré et réduit en esclavage les néophytes de
Patrick. C'est pourquoi le saint leur rappelle les conver-
sions que Dieu avait opérées par son intermédiaire, une
œuvre qu'ils risquaient de compromettre.
L'auteur de la Confession et de YÉpitre est entièrement
exempt de toute forfanterie hagiographique.
En effet, il n'y a aucune trace de miracles proprement
dits dans les deux écrits. Les faits que Patrick considère
comme miraculeux sont à leur place dans les écrits d'un
mystique. On en rencontre de plus étonnants dans d'autres
œuvres autobiographiques reconnues authentiques. Après
un long jeûne et des mortifications multiples, Patrick entend
des voix^ Une autre fois un homme lui apparaît en songe,
porteur d'un cartel où il lit un appel des Irlandais qui
veulent être délivrés des ténèbres du paganisme^. Enfin
i. Conf., p. 363 : « ualde castigatus sum », etc., et passim.
2. Conf., p. 361 ; cf. la voix entendue en songe, p. 3o, note. Patrick
a un cauchemar et se sent opprimé par Satan : Conf., p. 363.
3. Conf., p. 364 : Cet homme se nommait Victoricus. Il venait d'Irlande,
porteur d'innombrables lettres dont il montra une à Patrick «... et legi
principium epistolae » dit le saint, « continentem, Vox Ilyberionacum.
Etduni recitabam principium epistolœ putabam enini in mente (ou « ipso
momento »?) audire uocem ipsorum qui erant iuxta siluam Focluti,
quae est prope mare occidentale. Et sic exclamauerunt quasi ex uno orc,
Rogamus te, sancte puer, ut uenias et adhuc ambulas inter nos ». —
A la suite de ce songe Patrick en raconte encore deux autres pendant
lesquels il s'entend réconforté par des voix et confirmé dans sa réso-
lution d'aller en Irlande.
L OEUVRE DE SAINT PATRICK EN IRLANDE 37
Patrick raconte qu'ayant débarqué sur un rivage désert, les
vivres vinrent à manquer. Le capitaine demanda à son pas-
sager pourquoi son Dieu, qu'il disait tout-puissant, ne leur
venait pas en aide. Patrick répondit qu'il fallait d'abord
se convertir de bonne foi, avant d'attendre quelque chose
de la gn\ce divine. C'est ce que fit le capitaine. Le même
soir Dieu envoya aux naufragés un troupeau de porcs*.
Un dernier signe de l'authenticité de la Confession et
de YÉpUre est la manière dont y sont mentionnés les faits
biographiques. Rien de ce qu'a fait Patrick en Irlande n'y
est raconté. On n'y trouve que des allusions et à peine
çà est là un court développement. Il s'agit évidemment de
faits contemporains, bien connus des lecteurs. Par contre
les passages relatifs à la jeunesse de Patrick avant sa
venue en Irlande comme missionnaire, sont relativement
riches en détails biographiques.
Nous pouvons donc conclure que ces écrits sont de saint
Patrick, et partant, qu'il a réellement été un personnage
historique.
Patrick et Palladius. — Mais, a-t-on suggéré, il doit
être identique à un autre missionnaire, Palladius, envoyé
en Irlande, dit Prosper d'Aquitaine dans sa Chronique,
par le pape Célestin I" en 431,", un an avant la
1. Conf., p. 362 s. : « Et alio die cœpit gubernator mihi dicere : Quid
(est) chrisliane? Tu dicis Deus tuus magnus et omnipotens est. Quare
ergo pro nobis orare non potes? quia nos a fama periclitamur. Difficile
(est) unquam ut aliquem hominem uideamus. — Gonvertemini e.x fide ad
Dominum Deum meum, cui nihil est impossibile, ut cibum mittat uobis
in uiam 'ueslram usque dum saliamini, quia ubique habundat illi.
— El adiuuante Deo. ila factum est. Ecce grex porcorum in uia ante
oculos nostros apparuit. et multos ex iilisinterfecerunt et bene refecti... »
lis trouvèrent encore du miel.
2. Epitome Chronicon, éd. Mommsen dans Afon. Germ. Hist., Série in-4»,
Auclores a/itiquissimi, IX {Chronica minora I), p. 473 : « Ad Scolos in
Christum credentes ordinatus a papa Celestino Palladius priraus épis-
38 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
date gént'ralement admise pour la venue de saint l'a-
trick'.
L'itinéraire de Palladius en Irlande coïncide, en cfTet, en
partie avec celui de Patrick. De plus, un texte du
vin'' siècle dit que Palladius était nommé aussi Patricius'^
On a encore fait valoir que Pat ricins n'est pas un nom,
copus mittitur w. — Le ronseignement est d'une autorité indisculablr.
La première édition de ÏEpil, Cliron. est de 444 et Prosperesl très bien
informé. Mais c'est la seule mention qu'on ait de cette mission. Tous
les autres textes qui en parlent dérivent, en effet, de celui de Prosper.
Cf. Bède, Historia ecclesiastica genlis Anglorum, lib., 1, c. 13 : « Anno
Dominicre incarnalionis CCCCXXIII Theodosius... cuius anno Imperii
VIII Palladius ad Scotos in Christum credentes a pontifice Romansp
ecclesiae Celestino primus mittitur episcopus ». — Les auteurs irlandais,
qui n'admettent pas qu'il y ait eu des chrétiens en Irlande avant la venue
de saint Patrick, modifient le sens du texte de Prosper. Cf. Muirchn,
dans Triparlite Life, II, p. 272 : Palladius archidiaconus papœ Ctelestini
urbis Roma? episcopi... ordinatus et missus fucrat ad hanc insolam...
conuertendam ». La preuve que le texte de Muirchu dérive de \'Epi-
tome Chronicon est dans la désignation de Palladius comme archi-
diacre. Ci.Epilome Chron., loc. cil, p. 472. — Le passage relatif à Palla-
dius dans Nennius, Historia BriLonum § aO, éd. Mommscn, Mon. Germ.
Rislor., Auct. Antiquissimi, XllI, 2, p. 194, a une source intermédiaire
entre Prosper et Muirchu, peut-être la source de celui-ci : « missus
est Palladius episcopus primitus a Celestina cpiscopo et papa Romai
ad Scotos in Christum conuertendos » — Cf. enfin Sigeber de Gem-
bloux, Chronica, éd. Pertz dans hon. Germ. liist., Série in-folio, VIII,
(Scriptores,W), p. 302, s. a. 432 : « Celestinus papa ad Scotos in Chris-
tum credentes Palladium primum mittit episcopum ».
1. Schoell, op. cit., Zimmer op. cit. — Le dernier auteur croit que
Palladius-Patricius fut un obscur saint local, tiré de l'oubli par les Irlan-
dais en quête d'un patron. Il aurait été nécessaire aux champions de
l'influence romaine, les méridionaux, paur amener à l'unité ecclésias-
tique les Irlandais du Nord. — M. Bury, op. cit., p. 389, observe avec
raison qu'il aurait été plus simple de nommer le pseudo-apôtre Palla-
dius, d'autant plus que les plus anciens hagiographes savaient que sa
mission lui avait clé confiée par Rome et qu'il pouvait servir les des-
seins que leur prête Zimmer. L'identification de Palladius avec saint
Patrick est un moyen d'esquiver la difficulté, mais elle n'a aucun fond.
Cf. plus loin.
2. Notice du continuateur de Tirechân dans A, TripartHe, Life : II,
p. 332. Cf. Bury op. cit.. p. 389 note ; on a confondu Palladius avec un
des doublets de saint Patrick, Patrick l'Ancien ou Sen Patrick. —Voir
la légende de Palladius dans Muirchu, Triparlite Life. II, p. 272 : il
débarque au même endroit que saint Patrick, à 'Wicklow, y est mal
reçu et ne fonde que trois églises. Il s'en va dans la terre des Pietés et
y meurt. M. Bury, op. cit., croit qu'il s'agit des Pietés d'Irlande, non
de ceux d'Ecosse.
L OEUVRE DE SAINT PATRICK EN IRLANDE 39
mais un titre. Il aurait appartenu à Palladius et aurait été
pris pour le nom même du saint.
Palladius et Patrick sont pourtant deux personnages
diiïérents.
Dans le cas présent le mot Patricius n'est pas un titre.
L'auteur de la Confession et de l'Zi/jiïVre se nomme lui-môme
ainsi. Et les renseignements qu'il nous fournit sur sa famille
excluent l'hypothèse que la dignité de palrice lui eût
appartenue. Le père de Patrick était décurion, et les décu-
rions étaient de petites gens vers la fin de l'Empire
Romain \
On sait d'autre part que Palladius a été ordonné évêque
par Célestin I' ' en personne et que c'est de lui qu'il tenait
sa mission". Or Patrick n'est jamais allé à Rome avant sa
venue en Irlande^.
Aucune trace d'un pareil voyage ne peut être relevée
dans les deux opuscules de Patrick, ni dans aucun des
écrits qui lui sont attribués, authentiques ou douteux, les
Dicta Patricii et son Hymne. Il était pourtant de son inté-
rêt d'invoquer l'investiture romaine comme argument
contre ses détracteurs, et il l'aurait fait s'il l'avait possé-
dée.
1. Episl., p. 377 : « Ingenuus fui secundum carnem : decurione patre
nasoor. » Sur les décurious au iv« et v» siècle cf. Dili, Roman sociely
in tfie lasl cenlury of the Western Empire, 1. III, ch. ii.
2. La présence de Palladius à Rome est signalée une première fois
en 429: Prosper d'Aquitaine, loc.cil., p. 472. — Dans son écrit Con-
tra Collalorem, rédigé vers 437 (c. ti dans Migne. P. L., LI, p. 271),
Prosper loue Célestin I" d'avoir fait de l'Irlande une nouvelle pro-
vince ecclésiastique : « et ordinato Scotis episcopo dum Romanam
insulam sludet servare calholicam fecit etiani barbaram Christianam ».
3. Ce fait fournit une explication possible du silence de Prosper
à l'égard de saint Patrick. — Il est probable que Prosper a été à
Rome en 431 ot qu'il a inséré dans sa chronique la mention de Palla-
dius parce qu'il fut présent aux préparatifs de cette mission. Cf. Zim-
mer, op. cil. — Les circonstances des deux missions, étudiées p. 4o s..
expliquent d'autre part suflisamment pourquoi Prosper et Bède s'inté-
rcsseut k Palladius et non à saint Patrick.
40 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Le Icxle de la Co?}fession et deVÉpîtreîounùld'aïWcurs
des preuves décisives de ce fait que la mission de noire
saint ne partit pas de Rome.
La première est que Patrick ne se servait point de la
Vulgate. Ses citations, qu'on a comparées au texte de la tra-
duction hiéronymienne, le démontrent suffisamment ^ Or
la Vulgate était par excellence dès le début du v" siècle
la version romaine des Écritures.
La Confession contient en outre une déclaration de foi
fragmentaire, visiblement extraite d'un formulaire ^ Elle
nous éclaire définitivement sur le point de départ de
Patrick. Les symboles de la foi n'étaient point, en effet,
unifiés au v* siècle. Chaque missionnaire propageait la tra-
dition de l'Eglise dont il dépendait ^
Or, aucune parenté n'existe entre les formulaires parti-
culiers à l'Eglise de Rome^ et celui de saint Patrick. Sa
1. Pour la confrontation voir l'édition White, loc. cil., des écrits de
Patrick. Les extraits de l'Ancien Testament sont certainement coUa-
tionnés dans une version latine de la Bible, plus ancienne que la Vul-
gate. Il en est de même pour la plupart des citations (moins nom-
breuses) du Nouveau Testament. Quelques-unes à peine paraissent
avoir été prises dans la Vulgate. M. Bury suggère que saint Patrick
citait de mémoire, d'après une version qu'il avait étudiée encore en
Gaule et qu'il vérifia plusieurs extraits dans une copie de la Vulgale.
Que saint Patrick ail possédé un exemplaire de celle-ci, c'est pos-
sible, puisqu'elle était connue déjà de Fastidius qui écrivait en Grande-
Bretagne vers 430 (Cf. Galland, notice sur Fastidius, dans Migne, P. d.,
L, col. 581). Mais saint Patrick ne considérait certainement pas la
Vulgate comme texte classique. Selon nous, il est improbable qu'en
des écrits comme les siens il eût cité la Bible de mémoire, comme le
veut M. Bury. 11 a certainement contrôlé ses extraits dans une Bible
dont il se servait habituellement. Il a donc apporté en Irlande un autre
texte que la Vulgate (Cf. N.-J.-D. White, loc. cit., p. 231).
2. En deux fragments, Conf., p. 358 et p. 374. Publiée séparément dans
August ï{a\\n,Bibliothek der Symbole u. Glaubensregeln der alten Kirche,
3« édit., refondue par le D-- Ludwig Uahn, annotée par le Professeur
Harnack, Breslau, 18!)7, p. 331. Le texte y est une réimpression de
l'édition de Migne, très défectueux.
3. F. KaUenhnsch, Dos apostoliche Symbol, I. Cf. aussi les formulaires
divers dans Hahn, op. cit.
4. Symboles romains et italiens dans Hahn, op. cit., §â 17 à 43.
l'oeuvre de saint PATRICK EN IRLANDE 41
déclaration de foi appartient à une « famille » de textes
inspirés des formulaires orientaux, et qui sont, pour la
plupart, d'origine gallicane.
Ainsi l'on constate une grande analogie entre le Credo
de Patrick et la traduction que Phœbadius d'Agen fit du
symbole de Xicée '.
L'archétype de la majeure partie de notre texte est une
version latine d'un symbole grec antérieur au iv" siècle.
On retrouve, en effet, les articles relatifs au Fils, à son
engendrement, h sa mort et à son ascension disposés
dans le môme ordre et rédigés en des termes presque iden-
tiques dans une déclaration de foi fragmentaire de Vic-
torinus de Peltavium, martyrisé sous Dioclétien en 303".
L'origine grecque du formulaire de saint Patrick est démon-
trée par la rédaction de l'article qui concerne l'homogé-
néité du Père et du Fils, et par sa position avant l'article de
foi en la Création ^
1 . Mansi, Concilia, II, p. 166 : Uldizjorfi'j, et; ôeÔv, TravxÉpa irav-
Toxpâropa, -âvTOJv ôcclziu'j te y.iI àopatrwv xotTjâv, yal e;; sva x'jpiov
'It,70Ùv ^P'.JTÔv TÔv U'.Ôv TOÛ OtOÙ. fîVVTTlBÉvTa £■/. Xo'j TiaTpôî jJLOVOYÎVTJ,
TOUTÏITT'.V Èx TTÎ; O'jtTtaÇ TOÙ Ta-OÔç, Oçôv SX ÔeOÙ, CptLd £"/. CpOJTOÎ,
Geôv àÀT,Oivôv Èx Oeo'j àÀTjO'.vo'j, Yîvv/-,0£vca, oi ro'.T/JâvTx, ô'[jioojjiov
Tt]) lîa'pt, ol oj ri riv-ra ey^''-''"-'» "-^ "' ^"' "V ojpavô) xa-. z~'. tt,?
TT.C. » — Trad. du pape Damase, llahn, § 199, p. 271 s. : a Credimus
in unum Deum Patrem omnipotontcm, creatorcm visibilium et invisibi-
lium. Et in unum Dominum nostrum Jesum Christum Filiuni Dei,
nalum ex Pâtre unigenilum, hoc est, ex substantia Patris, Deum ex
Deo, lumen ex lumine,Dcum vcrum ex Deo vero, nalum non creatum,
unius subslantiae cum Pâtre, quod gradée dicunt Omousion, per quem
omnia factasunt, sive in caelo sive qua? in terra. »
2. Hahn, op. ci/., § 13, p. 17 (Les mots en italique se retrouvent chez
Patrick) : et huius (P. eius) Filium (P. Jesum) Christum [l\ qui cum
Paire scilicet fuisse teslamur) anle originem sœculi (P. spiritualiter)
apud Patrem (P. inenarrabiliter) genitum (P. a7ite omne principium et
per ipsum facta sunt uisibilia et inuisibilia) hominem factum in anima
vera et carne ulraquo miseria et morte dévida et in cœlos a Pâtre
(P. ad Palrem) receplum. — Cf. Kattenbusch, op. cit., I, p. 188 et
p. 212 ss. — Petavium est Pettau en Styric.
3. Cf. les symboles : de Cyrille de Jérusalem, Hahn, op. cit., § 124,
p. 133 ; d'Kpiphanius, ibid., § 125, p. 135 et § 126, p. 136 ; le symbole
pseudo-athanasien un Codex Vaticanus n» 1431, iôtci., §127, p.l37 s. Cf.
42 SAINT PArniCK ET LE CULTE DES HEROS
Il est cerlaiii, d'autre part, que le modèle de notre
texte était répandu en Gaule. La disposition et les termes de
l'article relatif à la Création par le Fils sont ceux du sym-
bole do Phœbadius d'Ag'cn et de la traduction que saint
Hilaire de Poitiers fit du symbole adopté en 343 au synode
de Philippopolis'. Enfin il y a une analogie remarquable
entre la déclaration de foi de Patrick et les symboles péla-
giens ou néo-pélagiens '"'.
Ce furent donc renseignement et les méthodes de l'Eglise
gallicane que saint Patrick importa en Irlande et, par con-
séquent, il ne peut être question de le confondre avec Palla-
dius\
La préparation de saint Patrick. — Mais quelle tut
exactement l'Église qui fournit à saint Patrick les éléments
de sa doctrine, et ses méthodes de conversion ?
Il est d'abord acquis qu'elle était située en Gaule même,
et non dans une province placée sous l'influence du chris-
tianisme gaulois, par exemple en Bretagne. Patrick consi-
dère les membres du clergé gaulois comme ses frères et ses
symboles syriaques, ibid.,§ 129, p. 140; § 131, p. 143; § 132, p. 145.—
Cf. le symbole en usage en Cappadoce, tel qu'il a été rapporté par
Auxence de Milan, ibid., p. 149.
1. Patrick : « Jesum Christum... et per ipsum facta sut uisibilia et
inuisibilia ». — Phœbadius, chez Hahn, op. cit., § 189, p. 239 : « Cre-
dimus Jesura Christum... per quem omnia facta sunt... visibilia et invi-
sibilia. I) — Cf. Symbole de Philippopolis. trad. par saint Hilaire, ibid.,
§ 158, p. 190 (le texte original de ce symbole est perdu).
2. Déclaration de foi de Pelage, ibid., § 209, p. 288 ss. — Cette décla-
ration est d'ailleurs strictement orthodoxe. — Déclaration de foi de
Julien d'Eclanum, ibid.. § 2M, p. 293.
3. Dans la déclaration de foi de saint Patrick, Marie n'est point men-
tionnée. — Or presque tous les symboles connus en parlent, notam-
ment tous ceux d'origine romaine et gallicane. — La déclaration do foi
de Victorinus ne contient pas d'article relatif à Marie. Mais on ne peut
en conclure à une parenté encore plus étroite de ce texte avec celui de
saint Patrick, ni à une omission intentionnelle. Les deux déclarations
sont, en eflet, fragmentaires.
l'oeuvre de SAlNr PATRICK KN IRLANDE 43
maitres ; il voudrait les revoir ; il voit en eux ses modèles*.
Quant à l'endroit précis la tradition courante indique à
la fois Lérins et Auxerre". Après les travaux de M. Bury,
on peut considérer comme démontré que saint Patrick
subit on effet l'influence de ces deux centres de culture
chrétienne.
Un séjour de notre saint h Lérins est indiqué par la pre-
mière phrase des Dic(a Patricii, relative à un voyage
qu'il fit « à travers la Gaule et l'Italie jusqu'aux îles qui
sont en la Mer Tyrrhéniennc » '. Ainsi que l'a remarqué
M. Bury, il n'y a aucune raison de mettre en doute l'authen-
ticité de ce Dictum'". De plus, aucun milieu n'était aussi
1. Conf., p. 370 : « iibentissime paratus irem... in Gallias uisitare fra-
tres... » Dans VÉpîIre, p. 378, saint Patricli dit comment les chrétiens
de Gaule amassent de l'argent pour racheter leurs correligionnaires
captifs chez les païens, et il montre quel contraste il y a entre ces
mœurs pieuses et ceux de Coroticus. qui massacre des néophytes ou
les vend chez des peuples apostats ou païens.
2. Tlrechân, loc. cit., p. 302 : a erat hautem in una ex insolis quaî
dlcitur Aralanensis u. Le P. Hogan dans son édition de Tirechân, dans
Analecla Bollandiana , I, Bruxelles 188-, note au passage en question,
propose de lire Lerinemis. Cette lecture est généralement admise. —
Muirchu. édit. Hogan, ibid., p. t>o'l : a... sanctissiraum episcopum
Alsiodori (Antissiodori) ciuitate, principem Gerraanum summum donum
inuenit (se. Patricius), Aput quem non paruo tempore demoratus, iuxla
id quod i'aulus ad pedes Gamaliel fuerat, in omni subiectione et patien-
tia atque obœdientia. scientiam, sapientiam castitatemque et omnem
utilitatem... totoanimi desiderio didicit, dilexit, custodiuit. » — Cf. Muir-
chu édit. Stokes, loc. cil., p. 272 ; c'est saint Germain qui a préparé
saint Patrick à sa mission.
3. Triparlile Life. Il, p. 301 : « Timorem Dei habui ducem ilineris
mei per Gallias atque italiam. etiam in insolis quœ sunt in mari ïyr-
reno. »
4. Bury, op. cil., p. 228 ss. : Les Dicla sont des expressions favorites
de saint Patrick, notées par quelque scribe. Laulhenticité du second Dic-
tum est certaine: il est la répétition d'une phrase de VÉpitre. Cf. Dicla :
n De sœculo recessistis ad paradisum. Ueo gratlas » et Épilre, p. 37'J :
a Deo gratias : crcduli baitllzati de saeculo recessistis ad paradisum ».
Le fait que ce Diclum occupe la seconde place est une garantie de
l'authenUcité du premier. M. Bury reconnaît d'autre part avec raison
le style de saint l'atrick dans la i)remiére partie de celui-ci (limo7'em...
mei. Cf. aussi Gallias et Conf., p. 370). Quant à la seconde partie, on la
retrouve dans Tlrechân: « ambulauit et nauigauit (Patricius)... per
Gallias alque Italiam tolam atque (Dict. etiam) in insolis quae sunt in
44 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
propice ù l'éclosion d'un document pareil à la déclaration
de foi de Patrick que les communautés des Marseillais',
dans lesquelles prévalait l'influence de l'Eglise d'Orient.
D'autre part la tradition veut que saint Patrick ait été
préparé à sa mission par saint Germain d'Auxerrc. 11 avait,
paraît-il, l'intention de poursuivre sa préparation à Rome
lorsque arriva la nouvelle de l'échec et de la mort de Palla-
dius. Patrick fut ordonné évoque en toute hâte et envoyé à
sa place ". Cette tradition fournit une interprétation plausible
du propre témoignage de saint Patrick. Il ressort, en effet,
jnari Terreno, ut ipsc dixit in commemoratione laborum w. M. Bury a
démontré que Tlrcchân entend par Commemoralio laborum un recueil
dactes de saint Patrick dont le premier Diclum faisait partie. (M. Bury
sappuie ici sur l'étude paléographique du MS ^ de M. Gwynn) . Il est
donc certain que la seconde partie du premier Dictum n'a pas été
ajoutée à la première après coup, d'après Tlrechàn. — Il existe encore
un troisième Dictum, mais il est certainement apocryphe.
1. Ainsi nommait-on les communautés monastiques du littoral gaulois
de la Méditerranée qui étaient devenues le foyer d'un pélagianisme
atténué. Les plus importantes étaient les fondations de Cassien à Mar-
seille et surtout celle de saint Honorât à Lérins. Les chefs de l'opposi-
tion contre la doctrine intransigeante de saint Augustin sur la grâce
divine étaient, au début du v« siècle, Cassien lui-môme, Vincent de
Lérins. Faustus, moine de saint Honorât et plus tard évêque de Riez.
— D'autre part les influences orientales étaient particulièrement fortes
dans ces monastères. Cassien avait visité les couvents de lOrienl avant
de fonder celui de saint Victor à Marseille. Saint Honorât fonda le sien
au retour d'un pèlerinage en Orient. Ce fut d'ailleurs l'exemple des
ascètes de la Thébaïde qui fit éclore le monachisme gaulois. — Enfin
Lérins en même temps qu'une retraite pour les hommes fatigués du
monde, était un foyer intellectuel de premier ordre. On sait que de là
sortit une série d'hommes remarquables dans l'histoire de l'Église. —
Cf. sur Lérins et Marseille : Besse, Premiers monastères delà Gaule méri-
dionale dans Revue des questions historiques, l'Mi: Tillemont, Mémoires
pour servir à ifnsloire ecclésiastique des six premiers siècles de l'Église,
Paris. 1700 ss. : XII (art. sur saint Honorât), XV (art. sur Hilaire, Euche-
rius, Vincent, Maxime de Riez), XVI (art. sur Faustus); saint Hilaire
d'Arles, Serrno de vila sancti Honorati dans Migne, P. L., L, p. 1249 ss.
— Sur le mouvement intellectuel et les influences orientales à Lérins
et à Marseille, cf. Harnack, Dogmengeschiclite ; Ebert, Histoire géné-
rale de la littérature du moyen-âge, Irad. Aymeric et Condamin, Paris,
1884, I ; œuvres de Cassien, dans Migne P. L., XIL ; Vincent, Commo-
nitorium, ibid., L; Faustus, De gralia Dei et libero arbilrio, ibid.,
LVIIl, p. 183 ss. —Caractère de la vie menée à Lérins : Eucherius, De
laude eremi, ibid., L.
2. Muirchu, loc. cit., p. 272.
L OEUVRE DE SAINT PATRICK EN IRLANDE 45
de la Confession que notre saint, après un séjour en Gaule,
se rendit en Grande-Bretagne et qu'il y eut conscience de
sa vocation. Il quitta ce pays pour se préparer à exercer
son ministère. Ceux dont dépendait son expédition se ren-
seignèrent sur son compte en Grande-Bretagne, car son
élévation à Tépiscopat rencontrait de l'opposition. Il fut
enfin nojnmé évoque et partit pour l'Irlande sans revenir en
son pays ' .
La tradition concorde également avec ce qu'on sait du
rôle joué par l'Eglise d' Auxerre dans la régénération catho-
lique en Grande-Bretagne etdeTintérêt qu'on y témoignait
pour les aiïaircs d'iilandc.
La Bretagne était en proie au pélagianisme. L'instigateur
du voyage de saint Germain en Grande-Bretagne (429)
avait été Palladius" et il y a même une relation certaine
entre ce voyage et la mission de celui-ci. Le pélagianisme
1. Conf., 364 : « et iterum post paucos annos in Britannis eram cum
parentibus meis ». Là il a les visions mentionnées plus haut, et se
décide à aller en Irlande après une longue hésitation : « Hiberione non
sponte pergebam donec prope deficiebam » (%bid., p. 363). — Son ami
lui prédit qu'il deviendra évèque, et il soutint sa candidature en Grande
Bretagne, pendant labsence du saint : « et comperi ab aliquantis fra-
Iribus.. . , quod ego non interfui nec in Britannis eram, nec a me orietur
(M. Bury propose « oriebatur »), ut et ille in mea absentia pro me
pulsaret ». — Le seul pays voisin de la Grande-Bretagne où saint
Patrick pouvait se préparer à sa mission était la Gaule.
2. Prosper, loc. cil., p. 472 : « Agricola Pelagianus. Severianiepiscopi
Pelagiani filius, ecclesias Britannis? dogmatis sui insinuatione corrum-
pit ; sed ad insinuationem Paliadii diaconi papa Cœiestinus Germanum
Antissiodorensom episcopum vice sua mitlit et deturbalis hereticis Bri-
tannos ad catholicam fidem dirigit. » On ne sait pas si Palladius était
diacre de Rome ou d'Auxerre. La dernière supposition est probable.
Cf. Vie de saint Germain par Constantius de Lyon, (AA. SS. Julii. II,
p. 20u-p. 220) G. 12. La mission de saint Germain y est décrite comme
ayant été décidée par un synode dévèques gaulois, rassemblés à cause
des plaintes venues de Grande-Bretagne. Saint Loup de Troyes fut
l'auxiliaire de saint Germain. Dans le cas où le renseignement de Cons-
tantius est exact (et la date de la Vie. écrite en 480 ou peu après le
garantit), il faut voir dans Palladius le porte-parole de saint Germain
auprès du pape. Cf. Bury, op. cit.. p. 297, auquel nous empruntons
cette hypothèse. — Sur la Vie de saint Germain par Constantius, cf.
W. Levison dans Neues Archiv, XXIX, p. 112.
46 SAINT PATRICK ET LK CULTE DES HEROS
breton menaçait, en cfTet, d'atteindre les chrétiens établis
en Irlande, et il fallait à tout prix qu'ils eussent un
évèque^ C'est à leur intention que Palladius fut ordonné.
Prosper ne dit rien des païens qu'il devait convertir^.
Bref, sa mission fut la conséquence de celle de saint Ger-
main et elle entraîna celle de saint Patrick \
Considérons enfin qu'en sa qualité de Breton membre du
clergé orthodoxe''. Patrick ne pouvait rester étranger aux
luttes qui remuaient son pays et dont saint Germain était
un des champions, et nous pourrons conclure à la véracité
de la tradition.
Les moyens personnels et le caractère de saint
Patrick. — Saint Patrick passa donc par deux des meil-
1. Bury, op. cit., p. 50 ss. — Remarquons que Tenvoi en Irlande
d'un évoque ordonné par le pape en personne ne s'explique que par
limportance e.xceplionnelle de celle nomination. Sinon un archevêque
gaulois quelconque eut pu nommer et ordonner le nouveau prélat. Or
la grande œuvre du pontificat de Céleslin I" fut l'écrasement du péla-
gianisme, achevé sous Léon le Grand. — Notons encore que Prosper,
qui note avec tant de soin la nomination de Palladius, fut un des chels
des orthodoxes en Gaule et mena la lutte contre les pélagiens. Cf.
abbé Valentin, Saint Prosper d'Aquitaine, Toulouse, 1900. — S'il est
exact que Pelage ait été originaire d'Irlande (Zimmer, Pelagius in
Irland, p. 18 ss.) ou même seulement issu d'une famille gùidelique éta-
blie en Grande-Bretagne (Bu^*, The origin of Pelagius. dans Hermathena,
XXX, p. 26 ss.) le danger était imminent pour les chrétiens d'Irlande. —
Sur l'existence de communautés irlandaises en ce pays avant l'arrivée
de Palladius, cf. plus loin.
2. Cf. texte cité de Prosper.
3. Le fait que Palladius, et non saint Patrick, a été ordonné par le
pape en personne, loin d'infirmer cette vue. la corrobore. Seul le pre-
mier évoque nommé avait besoin de cette haute consécration. Le
prestige que l'autorité de Rome lui avait donné passait à tous ses suc-
cesseurs. Peu importait qui ordonnerait son remplaçant. Bury. op.
cit., p. 60 s. — Cf. ci-dessus, n. 1.
4. Le serai-pélagianisme de Lérins s'accorde parfaitement avec
l'anti-pélagianisme d'Auxerre. Faustus de Riez, semi-pélagien lui-même,
combat énergiquement l'hérésie. Saint Hilaire d'Arles et saint Loup de
Troyes, deux anti-pélagiens prononcés, sont sortis du monastère de
Lérins. — D'ailleurs on n'a pas de preuve que saint Patrick ait été un
défenseur du libre arbitre. La parenté de son symbole de foi avec des
symboles semi-pélagiens ne prouve nullement une identité de doctrine.
L OEUVRE DE SAINT PATRICK EN IRLANDE 47
leures écoles de missionnaires qu'il y ail eu au v siècle. A
Lérins lo renoncement et l'ascétisme florissaient et à
Auxerre saint Germain donnait l'exemple d'une des plus
belles énergies qui eussent été jamais au service de l'Église.
Et si notre saint ne mit point à profit toutes les ressources
d'Au.\erre et de Lérins pour atteindre beaucoup d'adresse
au jeu des subtilités théologiques, ni pour acquérir une cul-
ture littéraire bien solide', du moins connaissait-il à fond
les Ecritures, et son orthodoxie était parfaite".
Patrick suppléait d'ailleurs aux lacunes de son instruc-
tion par des qualités personnelles de premier ordre.
Il avait, en premier lieu, l'expérience du peuple qu'il se
proposait de convertir. Sa patrie était la Grande-Bretagne
toute voisine. Il y était issu d'une famille ecclésiastique \
Par son origine môme il était donc en mesure d'être ren-
seigné sur les Irlandais*. Mais ce qui conférait à Patrick
1. H l'avoue lui-nr^rne. Cf. i)liis hant. — Son latin fait foi d'ailleurs de
ce qu'il ne se trompait pas.
2. La Confession et VÉpî/ve sont fleuries de citations, et le style des
deu.x écrits est plein de réminiscences bibliques. Cf. White, éd. cit. —
Quant à l'orthodoxie elle apparaît dans la déclaration de foi de saint
Patrick et elle est garantie par sa préparation gallicane. Saint
Patrick se considère d'ailleurs comme « chrétien romain », Ep. p. 378.
— M. Bury, op. cil., a très bien démontré Tabsurdité de la thèse qui
veut faire de saint Patrick un schismatique.
3. Conf. p. 357 : o Kgo Patricius... patrem habui Calpornum diaco-
num filium quendam Politi filii Odissi presbyteri qui fuit in uico Ban-
nauem Tabernlaî ». — (M. Bury, op. cit., p. 322 ss., corrige en Ban-
nauenta fierniae). — Ibid. p. 36i : « et iterum post paucos annos in
Brilannis eram cum parentibus meis » ; ibid. p. 370 : « uoluero...
pergere in Britannias et libcntissime paratus irem quasi ad patriam et
parentes ». Bannnuenta Berniae (?) n'a pas été identifiée.
4. Au.x IV* et V» siècles les relations étaient continuelles entre la Grande-
Bretagne et l'Irlande. Cf. Lolh., dans Rev. Celtique XVIII, p. 304: Kuno
Meyer, dans Trans. of Ihe hon. Soc. o/" CymmrorforioH, d89b-96, p. 64;
Rhys, dans Archaeolofjia Camhrensis, 1895, p. 18 ss.; Vendryès, op. cit.,
p. 47 ss. "W.-C. Borlase. The Dolmens of Ireland, London, 1897,
II. p. 3;)i s. et p. 3o3. — Des incursions et des pillages d'Irlandais en
Grande-Bretagne sont mentionnés flans Bède. Chvonica maiora, éd.
Mommsen dans Mon. Germ. Ilist.. série in-i", Auclores antiquissimi,
XIII (Chronica minara, III), p. 301 et p. 303. Cf. Joyce, op. cit., I.
48 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
une supériorité évidente sur tout autre missionnaire, c'était
d'avoir vécu en Irlande. Des pillards irlandais l'avaient
enlevé, en effet, à l'âge de seize ans et il avait passé six
années captif en leur pays*.
D'autre part, Patrick est un homme d'une haute valeur
morale et religieuse.
Sa piété et son ascétisme étaient exemplaires. Dès
l'époque de sa captivité il se levait la nuit pour faire péni-
tence au dehors malgré la pluie ou la gelée. 11 s'appliquait
aux jeûnes et arrivait à faire cent oraisons par jour. Et
jamais aucune paresse ne l'arrêta, tant était grande en lui
l'ardeur à servir Dieu ^.
Sa croyance en sa vocation était mystique et profonde. Des
voix ou des songes la lui avaient indiquée toute sa vie.
Au retour de Lérins, demeurant auprès de ses parents en
Grande-Bretagne, il vit une fois en songe un homme, appelé
Victoricus, qui venait d'Irlande porteur de lettres nom-
breuses. Sur l'une d'elles Patrick lut : « Voix des Irlan-
dais », et plus bas « les fils de la forôt de Fochlut t'appel-
lent... » Aussi se croyait-il appelé par le Seigneur, et ni les
prières de ses parents, ni les cadeaux qu'ils lui offrirent ne
purent arrêter sa vocation -. Les dangers mêmes le réjouis-
p. 73 ss., p. 76 ss. — Il existait des colonies irlandaises en Grande-
Bretagne ; cf. Zimmer, Nennius vindicalus, p. 85.
i. Conf. p. .357 : p. 361. — La tradition est que l'endroit où saint
Patrick fut captif soit situé dans les environs du mont Slemish en
Antrim. Mais M. Bury remarque que les probabilités sont pour la
forêt de Fochlut. C'est de là en effet que Patrick sentend appeler
plus tard (Cf. p. 36, n. 3). Bury. op. cit., p. 334 ss.
2. Conf. p 361 : «... posfquam Iliberione deueneram, cotidie pecora
pascebam et frequens in die orabam, magis ac magis itaque accede-
bat amor Dei et limor ipsius. et fides augebatur et spiritus agebatur,
ut in die usque ad cenlum orationes et in nocte prope simiiiter ; ut
etiam in siluis et (inj monte manebam (et) ante lucem excitabar ad
orationem per niuem. per gelu. per pluiam, et nihil mali sentiebam
neque ulla pigritia erat in me, sicut modo uideo, quia tune spiritus in
me feruebat ».
3. Conf., p. 368. Cf. p. 36, notes 2 et 3.
l'oeuvre de saint PATRICK EN IRLANDE 49
saient. 11 y voyait l'occasion de bien mériter de Dieu, et il
espérait qu'un jour la grâce du martyr lui serait réser-
vée'.
Patrick n'était p^uidé enfin par aucune ambition person-
nelle, son dévouement ù la cause du salut des 6mcs n'avait
pour motif que son désir de plaire h Dieu et un amour pro-
fond et sincère pour le peuple d'Irlande "•
L'œuvRE DE SAINT Patrick. — Quaut à l'énergie et au
génie politique de Patrick, la grandeur de son œuvre en
témoigne.
Il ne fut point, sans doute, le premier qui eût annoncé
l'Évangile aux Irlandais. Lorsqu'en 432^ il débarqua chez
eux, il y avait déjà des chrétiens dans l'île. INIais ce chris-
tianisme ne subsistait en Irlande qu'à l'état difTus, sans
organisation ecclésiastique complète, sans évoques même*.
1. Con/:, p. 368. Cf. ibid. p. 371 et p. 372, p. 373, p. 374.
2. Conf., p. 374 (fin) : p. 372 ; p. 373; et passim.
3. Annals of Ulsler, éd. Hennessy et Mac Carthy, s. a.
4. Cf. texte de Prosper, p. 37 n. 2. — L'élection de l'évêque par la com-
munauté est la règle générale au v« siècle. Mais lorsqu'il s'agit d'une
communauté de création récente, ou trop faible pour trouver en elle-
même les éléments nécessaires à la formation d'un haut clergé, le
pape ou un archevêque quelconque nomme un évoque de son choix.
C'est ce qui arrive aussi dans le cas où l'élection aurait été viciée ou
rendue impossible dans les communautés qui élisent d'ordinaire
elles-mêmes leurs évoques. Cf. Boucharlat, Élections épiscopales sous
les Mérovingiens, Paris, 1904, p. 20 ss. — M. Bury, op. cit., p. 350
remarque que la phrase de la Conf., p. 368 : « ad plebem nuper
uenientem ad credulitatem » fait supposer une certaine extension du
christianisme avant la venue de saint Patrick. Sinon l'auteur aurait
employé primum, plutôt que nuper. — Patrick dit avoir été emmené
par ses ravisseurs en môme temps que « tôt milia hominum ->, que
Dieu avait punis ainsi de ce qu'ils s'étaient éloignés de lui. Il y avait
donc des chrétiens en Irlande au moins dans la classe des captifs.
— Ainsi que le remarque Zimmcr, op. cit., un certain nombre de
mots d'Église ont en irlandais une forme qui ne dérive pas directe-
ment du latin, mais de mots britonniques empruntés au latin. Ainsi
Va long, caractéristique du britonnique remplace Va long latin dans
les mots irlandais Irindoil (trinilalem), altoir (altare), caindloir
(candelarius). nollaic (nalalicia), popa {papa) etc. Or les compagnons
CZARNOWSKI. 4
50 SAINT PATRICK ET LK CULTE DES HÉROS
Los pouvoii's jHiblics ne le reconnaissaient pas. Patrick en
fit une Eglise puissante, dotée de tous ses organes,
ofTiciellcmcnt reconnue, et il lui soumit d'immenses
nagions.
L'organisation ecclésiastique créée par saint Patrick eut
pour base le monastère ^ L'exemple de Lérins et des suc-
cès qu'avaient remportés les ordres monastiques dans leur
lutte contre le paganisme rural en Gaule, était évidemment
présent à l'esprit de l'apôtre. Mais son mérite est d'avoir
appliqué à l'Irlande la seule organisation qui convînt à ce
pays. Il n'y avait, en effet, en Irlande, ni agglomérations
urbaines ou môme villageoises, ni résidences fixes de
cours royales, qui pussent servir de centres aux commu-
nautés chrétiennes. Très largement conçus, embrassant non
seulement les moines proprement dits, mais encore toute
une population qui voulait participer à une vie chrétienne
plus intense, les monastères furent en Irlande ce qu'ont
été les cités des provinces romaines. Ils devinrent les
de Palladiiis étaient certainement de langue latine. On constate donc
ici, comme on pouvait s'y attendre, les traces d'une christianisalion de
l'Irlande par les Bretons, antérieure à la mission de Palladius. —
Enfin M. Bury a fait valoir que le cycle pascal en usage en Irlande
jusqu'au vu» siècle parait y avoir été adopté avant les missions de
l'alladius et de saint Patrick. En efîet, ce cycle est de quatre-vingt-
quatre ans et ses limites sont la quatorzième et la vingtième lune. Or
au temps de saint Patrick la Suppulatio Romana avait pour limites la
seizième et la vingtième lune, et tout l'Occident s'y conformait. Le
mode de calculer la date de Pâques en usage en Irlande est une sur-
vivance de l'Eglise du iv siècle et on n'a point de trace qu'on s'en
servit encore en Gaule au début du v» siècle. Comme saint Patrick avait
reçu sa préparation en Gaule il est improbable qu'il soit allé chercher
dans quelque coin perdu de la Grande-Bretagne un compul pascal
vieilli. Bury, op. cit., p. 371 ss., croit donc pouvoir conclure que
saint Patrick trouva en Irlande des communautés chrétiennes se ser-
vant de l'ancien comput, et qu'il ne voulut ou ne put pas le remplacer
par un autre.
1. Tous les néophytes de saint Patrick qui désirent servir Dieu se
font moines ou nonnes : Conf., p. 369, Ep., p. 378. Ils sont tellement
nombreu.x que saint Patrick ne peut les énumérer. — L'organisation
monastique de l'Église n'exclut point, naturellement, l'existence de
clercs isolés.
l'œuvre de saint PATRICK EN IRLANDE 51
sièges des évéchés et assurèrent une stabilité parfaite au
fonctionnement de la vie ecclésiastique ',
D'autre part saint Patrick fit du christianisme la religion
prépondérante parmi les chefs. Ce n'est pas qu'ils eussent
partout et toujours réservé un bon accueil à l'upùtre. 11 lui
arriva d'ôtre fait prisonnier avec ses compagnons, enchaîné
et menacé de mort". Le roi suprême, Loegaire mac Niall,
ne se laissa pas convertir \ Mais en fin de compte le saint
sut gagner leur faveur. 11 fil son possible pour ne les
blesser en rien, et ne point provoquer de persécution '. Il
faisait des largesses aux brethemain {ju^es arbitraux), aux-
quels il ne distribua pas moins, dit-il, d'une somme égale
à la composition pour meurtre de quinze hommes libres ^ Il
donnait des cadeaux aux chefs, pour qu'ils permissent à
leurs fils de le suivre, et il rétribuait encore ceux-ci ^ Et
jamais on ne vit Patrick accepter aucun présent, ni ceux
1. Cf. plus loin, ch. m, pour les détails et les références. — Dès les
plus anciens documents connus on n'a point de traces d'autre organi-
sation que celle des monastères. Armagh elle-même, la métropole, est
une abbaye.
i. Conf., p. 372 : «^ comprehenderunt me cum comitibus meis. Et illa
die auidissime cupiebant interficere me. Sed tempus nondum uenerat.
Et omnia quecumque nobiscum inu<'nerunt rapuerunt illud. etmeferro
uinccrunt. Et quarto deoimo die absoluit me Dominus de polestate
corum, et quidquid nostrum fuit redditum est nobis propter Deum
et neceàsarios amicos, quos ante preuidimus ».
3. Tlrechân, loc. cit., p. 308. D'autres Vies disent qu'il se convertit
par peur. Tirechàn représente assurément la tradition vraie. Si Loe-
gaire s'était converti, un tel triomphe de saint Patrick aurait rendu
impossible la formation de toute tradition contraire.
4. Conf., p. 371.
5. Conf., p. 372 : a Vos autem experti estis quantum erogaui illis qu
iudicabant per omnes regiones quos ego frequentius uisitabam : cen-
seo enim non minimum quam pretium quindocim hominum distribui
illis. » Le '( pri.x d'un homme » était de vingt et une bétes à cornes.
Cf. Arbois de Jubainville dans Rev. Celtique, VIII, p. lo9.
6. Conf., p. 372 : « Ego inpendi pro uobis ut me caperent. et inter
uos et ubique pergobam causa uestra... Intérim premia dabam regibus,
prœler (Ms. propter) quod dabam mercedem fdiis ipsorum qui mecum
ambulant ». — Sur les « reges » cf. ch. vi.
52 SAINT SATRICK ET LE f.ULTE DES HÉROS
qu'on lui oiïrail pour Tordinalion des clercs, ni ceux que
jetaient sur l'autel les néophytes enthousiasmés'. Enfin
l'enseignement du saint provoqua un entraînement irrésis-
tible parmi la jeunesse des deux sexes. Les fils et les filles
des chefs entraient dans les ordres en foule, de sorte que
Patrick avoue n'en plus connaître le nombre".
Quant à la partie de l'Irlande que l'apôtre conquit au
christianisme, il est impossible de la déterminer, même
approximativement. Tout ce qu'on peut dire, c'est que sa
mission atteignit les extrémités occidentales de l'île, là où
s'étendait la forêt de Fochlut, et que le quartier général
de Patrick était dans la région comprise entre la Blackwa-
ter (qui se jette dans le Lough Neagh) et le Strangford
Lough. La dislance entre ces deux régions est énorme.
Aussi faut-il supposer que le saint les réunit par une série
d'établissements ecclésia.stiques, et comme il existe des tra-
ditions relatives à son activité en Meath, il est probable
qu'il passa par ce royaume pour se rendre dans l'ouest ^
1. Ib. n Forte autem quando baplizaui tôt milia hominum speraue-
rim ab aliquo illorum uel dimedio scriptule? Dicite mihi et reddam uo-
bis (Sam. XII, 3). Aut quando ordinaiiit ubique Dominus clericos per
modicitateni meam et ministerium gratis distribui illis ? Si poposci ab
aliquo illorum uel pretium uel calciamenti mei, dicite aduersus me et
reddam uobis magis ». La scriptula, screpall, était une monnaie d'argent
pesant vingt-quatre grains, Joyce, Social Ihstory, II, p. 381 s.
2. Conf., p. 37i>, p. 36'J ; Ep., p. 378 : les « filii et filiœ rcgulorum »
deviennent moines et vierges du Seigneur.
3. Conf. p. 372 : « ubique pergebam causa uestra, ubi nemo ullra
erat, et ubi numquam aliquis peruenerat qui baptizaret, aul clericos
ordinaret. aut populum consummaret ». — Le fait que saint Patrick a
séjourné dans la région de la forêt de Fochlut est démontré par sa
vision. Cf. p. 36 n. 2. 11 y e.xistait au vu» siècle de nombreuses églises qui
se réclamaient de saint Patrick. — Sur la région nord-est, cf. plus loin
p. 53 et note. — Sur l'activité de saint Patrick en Meath, cf. Tirechân,
toc. cit., livre I", etMuirchu, loc. cit., p. 277 s. La partie la plus impor-
tante de la légende y est localisée. Mais le caractère mythique en est
tellement prononcé (cf. ch. m) qu'il est impossible, à notre sens, d'en
tirer aucune conclusion historique. On sait d'autre part que les rois de
Meath furent des chrétiens d'orthodo.xie fort douteuse jusqu'à la
seconde moitié du vi» siècle. Les druides conservèrent une situation
L ŒUVRE DE SAINT PATHICK EN IRLANDE 53
Fondation de la métropole d'Armagh. — Le couronne-
menl de l'œuvre de Patrick fut la fondation de l'abbaye
d'Armagh, qui devint le centre religieux de l'Irlande. Les
évoques qui s'y succédèrent étaient les « héritiers » {co-
77iarf)ii) de saint Patrick, et à ce titre, ils prétendaient
exercer leur juridiction sur toutes les églises de l'île '.
On ne peut prouver cependant que le saint ait formelle-
ment institué cette suprématie. La partie méridionale de
l'Irlande refusa en effet longtemps de la reconnaître" et ses
premiers évéques connus, s'ils agissent de concert avec
saint Patrick, ne paraissent pas dépendre de lui \
officielle à leur cour jusqu'à cette époque (Cf. la Mort de Muircertach
mac Erca.éd. Whitley Stokes dans flei;. Celt., XXIII, § 37).— L'Église
est très circonspecte en ce qui concerne la mémoire de ces rois. Auss
ne saurions-nous admettre les conclusions de M. Bury, op. cit., p. 111 ss.,
sur l'activité déployée par saint Patrick à la cour des rois suprêmes.
Tout ce qu'on peut tirer des textes, c'est que des communautés chré-
tiennes ont probablement existé en Mealh au temps de saint Patrick
(cf. la légende de saint Lomnan, citée p. 267), et qu'au viii» siècle on y
faisait remonter à lapôtre la fondation de quelques églises. 11 est donc
probable que saint Patrick passa par là, mais que ses succès y furent
peu importants. Nons sommes enclins à attribuer plutôt la conversion
définitive du royaume de Meath aux successeurs de saint Patrick et à
ses disciples.
1. Annals of Ulster, éd. cit., s. a. 444; Muirchu, ioc. cit., p. 292. —
Cf. Tripartile Life, II, Append., listes des évéques d'Armagh. — Cf. les
ouvrages sur saint Patrick mentionnés p. "29, n. 1, et Reeves, The An-
cient Churches of Armar/h. Dublin. — Cf. Hymne de Secundinus : « ciui-
las Régis munita supra montem possita », parabole qui désigne saint
Patrick. Mais ne s'agit-il pas ici en même temps d'Armagh, la ville sainte
sur la cime d'une colline^
2. L'unité ecclésiastique de l'Irlande sous la suprématie d'Armagh
ne fut définitivement constituée qu'au .synode de Birr (« Synode d'Adam-
nan •>) en (j'j7. Le nord de l'Irlande avec Armagh se conforma alors à
la discipline romaine. Les églises du sud avaient déjà adopté la ton-
sure romaine et le cycle pascal Dionysicn en 634. — il n'existait pres-
que pas de traditions sur saint Patrick dans le sud. Muirchu, qui écri-
vait à Slébte (Sletty) en Leinster n'avait à sa disposition que des actes
d'origine septentrionale (Bury, op. cit., p. 261 s.) — Cf. Haddan et
Stubbs, Counciis and... ecclesiastical documents, I, app. D.; II et III,
passim ; Wasserschlebenj, Die irische Kanonensammlung , Introd.,
2* éd., Leipzig. 1885.
3. Lettre circulaire contenant trente canons d'origine diverse, dite
Synodus I Patricii, chez Haddan et Stubbs, op. cit., II, p. 323 ss.
54 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Mais il est certain qu'en faisant d'Armagh son propre
siège épiscopal, Patrick forma le noyau de Torganisalion
métropolitaine future. Lui-môme était le chef incontesté de
l'Eglise du nord de l'Irlande. Tout l'édifice ne tenait que
grâce à ses efforts personnels '. Ses successeurs directs ne
l'oublièrent pas ; ils fabriquèrent au besoin des légendes
pour maintenir la tradition. Aussi, les circonstances poli-
tiques aidant, leurs droits furent-ils officiellement reconnus
par Rome. Le pallium leur fut conféré au vu' siècle, et
plus tard ils obtinrent la dignité de primats d'Irlande -.
Mort de saint Patrick. La vitalité de son oeuvre. —
Patrick mourut vers 460 '. Le lieu probable de sa mort
et de sa sépulture est Saul en Lecale *.
Avant sa mort il eut la douleur de voir son œuvre com-
promise par ses propres compatriotes et coreligionnaires,
qui sous le commandement d'un chef nommé Goroticus
accompagné de Pietés et de Scots païens, firent une incur-
sion en Irlande, massacrèrent des néophytes à leur sortie de
la cérémonie du baptême et en emmenèrent d'autres pri-
sonniers. Patrick réclama en vain la liberté de ceux-ci au
« Gratias agamus Deo Patri et Filio et Spiritui sancto. Presbiteris et dia-
conibus et omni clero Patricius, Auxilius, Isserninus episcopi salutern ».
Le document est authentique (Bury. op. cit., p. 239 ss.), sauf interpola-
tions possibles. — Rien dans cette lettre ne fait soupçonner que saint
Patrick ait été supérieur aux autres évèques.
1. Conf., p. 370 s. « Eram uelut lapis... in luto..., ut uenit, qui potens
est, et in sua misericordia sustulit me : et quidem scilicet sursum adle-
uauit etcollocauit me in sua parte, ammiramini... quis me...excitauit de
medio eorum qui uidentur esse sapientes. — Cf. Conf., passim., par
ticulièrement p. 370 : Patrick craint de quitter l'Irlande pour ne point
perdre le fruit de son travail.
2. Cf. Wasserschleben, op. cit., Introd.
3. 461, suivant Ann. Ulst., éd. cit., s. a. ; Nennius, Rist. Brit., XVI.
— Les Annales Cambriae (Rolls Séries) donnent 457. — M. Bury admet
comme certaine la première date : Tirechân's Memoir on saint Patrick
dans Engl. Histor. Review, Avril 1912, p. 239 ss.
4. Bury, Life of saint Patrick, p. 209 s. et p. 380 s.
L CEUVRE DE SAINT PATRICK EN IRLANDE 55
nom de la fraternité chrétienne. Corolicus les vendit ou les
distribua i\ des païens ^
Mais le christianisme avait poussé en Irlande des racines
assez jjrolondes pour résister à de pareilles épreuves. Et
malgré les appréhensions de Patrick lui-même sur la vita-
lité de la nouvelle Eglise ', elle ne cessa plus de se déve-
lopper.
Aussi peut-on dire que saint Patrick mérite pleinement
le titre d'apôtre des Irlandais. S'il profita des efforts de ses
prédécesseurs anonymes, et si, après sa mort, les prêtres
païens gardèrent encore longtemps un caractère officieP,
il fjut voir en lui néanmoins le fondateur authentique de
l'Église d'Irlande.
i. Epistola, loc. cit.. C'est la seule source qu'on possède sur cette
incursion. Corolicus était roi à Alcluith (Rock, of Clyde). Zimmer,
op. cit.
i. Conf., p. 370.
3. Cf. d'Arbois de Jubainville, Les druides et les dieux celtiques,
Paris 1907, ch. sur les Druides en Irlande; du môme. Introduction à
l'élude de la littérature celtique, Paris, 1880, p. 34 et 196 ss. Cf. Annals
of the Four Maslcs, éd. 0' Donovan, année iioo ; Whitley Stokes, Lives of
Saints from Ihe Book of Lismore, p. xxviii.
CHAPITRE II
LA LÉGENDE DE SALNT PATRICK
ÉTUDE SOMMAIRE DES TEXTES
La légende broda complaisamment sur la trame ténue
des données historiques.
Itinéraire légendaire de saint Patrick. — Elle fixa
l'itinéraire de saint Patrick avec une extrême précision*.
Après avoir touché la terre d'Irlande une première fois à
Inbher Dee en Leinster, puis séjourné dans les îles Skerries,
saint Patrick accomplit un immense itinéraire qui commence
en Lecale, atteint au nord le lieu de son ancienne captivité,
le Mont Miss, puis continue par mer jusqu'à l'embouchure
de la Bornée De là il reprend sa route à travers la Plaine de
Breg'', avec arrêt à Tara, franchit les deux Tethbro* et Mag
1. Cf. Bury, op. cit., App. B. et du môme, Itinerary of Patrick in Con-
naughf, l'roceedimjs of the Roy. Ir. Acad., XXIV, Sect. C, Dublin,
1903; Shearman, Loca Palriciana. Dublin, 1879, est un livre utile, mais
qu'il faut manier avec circonspection.
2. Muirchu dans Triparlile Life, II, p. 273 ss. Tirechân, tôic/.. p. 303,
fait venir Patrick directement des lies Skerries à Tembouchure de la
Boyne et il ne parle pas d'Inbher Dee. Mais c'est la tradition de Muir-
chu qui devint classique dans toutes les Vies subséquentes.
3. Muirchu, loc. cit., p. 286. arrête à Tara l'itinéraire de saint Patrick.
Les légendes qui suivent dans cette Vie ne sont pas localisées, sauf
celle de la fondation d'Armagh et celle de la mort du saint. La suite de
l'itinéraire est résumée ici d'après Tirechân. Outre Tara, cet auteur
mentionne encore Tailtiu. Uisnech Midi et une série de localités
moins importantes, que saint Patrick visita dans la Plaine de Breg.
4. Région qui comprenait le comté actuel de Longford et l'ouest du
comté de Westmeath.
o8 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
Slochl', pour allcindrc le Sliannon au Lough Bofin ■. II fait
le tour (lu Connaught, en passant par le pays des Hûi
n-Ailella, par Mag Ai, par Tir Amalgaidh, Mag Domnon,
Achad Fobuir et le Mont Aigle pour revenir dans le sud de
Mag Ai\ De là l'itinéraire se continue à travers le Munster
septentrional et le Leinster et aboutit fi Slébtc. Enfin on
retrouve le saint à Tara, puis en Lecale et chez les Hùi
Niallain, oîi il fonde Armagh. En somme, tous les lieux de
quelque importance politique ou religieuse, sauf ceux de
l'extrême sud-ouest, sont compris dans cet itinéraire.
Thèmes de la légende. — La légende est morcelée en
une infinité d'épisodes. Mais un coup d'œil suffit pour se
convaincre qu'il ne s'agit en réalité que de la répétition
et des combinaisons d'un assez petit nombre de thèmes
fondamentaux, qui peuvent être facilement classés.
Ainsi tous les récits des victoires du christianisme sur le
paganisme, récits qui remplissent la plus importante partie
des Vies, se ramènent aux thèmes suivants :
Tantôt c'est un druide qui oppose les pratiques de la
magie à la puissance surnaturelle du saint et dont les
maléfices se retournent contre lui-même. Les démons s'em-
parent de lui. C'est là un thème qui est développé dans
d. Mag Slecht n'est pas mentionnée dans Tirechûn. Mais il y a des
raisons pour croire que cette localisation était connue de son temps.
Cf. à ce sujet Bury, Itinerary, p. 154 ss.
2. Tircchân, loc. cit., p. 312 : saint Patrick passe le Shannon « per
uadum duorum auium ». Pour lidentiGcation du lieu avec les lacs
Bofin et Killglass cf. Bury, Itinerary, et Life of saint Patrick, p. 133 s.
M. Bury a démontré que Tidentification proposée par Whitley Stokes,
Tnpartite Life, II, p. 312, note, ne peut être maintenue. Stokes
interprétait « uadum duorum auium» comme traduction de Snam-dà-én
« the swimming of two birds », et le considérait comme nom du Shan-
non entre Clonmacnois et Clonburren.
3. Ailleurs, p. 329, Tircchân dit que saint Patrick franchit le Shannon
« tribus uicibus ». M. Bury, Itinerary, p. 164 ss. croit que Tirechûn
construisit un seul itinéraire en confondant les traditions de trois
voyages distincts en Connaught.
LA LÉGENDE DR SAINT PATRICK 59
d'innombrables légendes hagiographiques, dont une des
plus ty|)i(iues, celle qui raconte la lutte de Simon le Magi-
cien contre saint Pierre, a précisément servi de modèle aux
auteurs des Vies de saint Patrick. En efîet, le druide meurt
exactement de la m<^me manière que Simon. 11 est préci-
pité du haut des airs par les démons et se fracasse le crâne
contre une pierre '.
La lutte de saint Patrick contre les druides prend encore
la forme d'un tournoi entre deux prêtres appartenant à
deux religions ennemies, ou bien môme entre deux magi-
ciens. Aux rites païens l'apôtre oppose des rites chrétiens
de même aspect. Par exemple il allume un feu de Pâques
en face du feu sacré d'une fête, et il annule les effets des
pratiques magiques par des miracles contraires. Ce tournoi
aboutit à une ordalie par le fou, qui doit décider entre le
champion de la Foi et le suppôt des démons. Naturelle-
ment le premier en sort vainqueur ■.
Patrick lutte aussi directement contre les démons. Il les
attaque dans leurs repaires, les idoles qu'ils habitent. Tant
qu'il est en vie, aucun démon ne peut demeurer dans l'île ^
Enfin, des chefs s'opposent à la mission de Patrick, soit
qu'ils refusent simplement de se laisser baptiser, soit qu'ils
trament des attentats contre le saint ou ses compagnons. La
punition qui atteint ces païens endurcis est toujours la
môme : par l'effet de la malédiction de Patrick le pouvoir
passe de leur maison dans celle d'un de leurs frères qui se
trouve toujours là, à point nommé, pour se convertir*.
i. Muirchii, p. 281 s. — Cf. Vie de saint Pierre l'Apôtre dans la
Légende Dorée.
2. Mnirchii. p. 281 ss. ; TIrechân, p. 306 s. et p. 325 s. Cf. chap. m.
3. Vie Tripar li te àans Tripartite Life, I. p. 90 et 112 s.: Homélie
du Lebar Brecc, ibid., II. p. 474 s.. Cf. Giraldiis Cambrensis, Topoqra-
phia Hibemica, éd. Uimock {RoU's Séries), p. 180 : saint Patrick a
chassé de l'Ile tous les reptiles venimoux.
4. Muirchu, p. 285 s. n Quia resisisti doctrinae meae et fuisti scan-
60 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Dans un seul cas le chef récalcitrant, qui est dans l'espôce
l'ancien maître de Patrick, se suicide : il ne peut supporter
ridée que son ancien esclave devienne son chef spirituel'.
Quant aux attentats dont certains de ces chefs se ren-
dent coupables, ils échouent de deux manières.
La plupart sont déjoués par un miracle. Tantôt c'est im
tremblement de terre qui disperse les ennemis de saint
Patrick, tantôt le sol s'entr'ouvre pour les engloutir. Ou bien
un charme dérobe le saint à la vue des assassins apostés
sur son chemin, et ceux-ci voient passer au lieu des chré-
tiens un troupeau de cerfs. Une autre fois on verse une
goutte de poison dans la gourde de Patrick. Mais l'apôtre
fait geler le contenu de la gourde à Texception de la goutte
meurtrière qu'il verse à terre'.
Cependant les criminels réussissent parfois à faire une
victime . Seulement ce n'est pas Patrick qu'ils tuent,
c'est son cocher, qui, informé de leurs intentions, s'était
fait passer pour son maître. Suivant une autre version de
la légende, les païens tuent intentionnellement le cocher
du saint pour voir ce que Patrick entend par le pardon des
injures.
En dehors de ces combats contre les démons, les
druides et les chefs païens, les Vies de saint Patrick
comportent quelques récits qu'on peut ranger dans la
catégorie des contes pieux, de caractère didactique.
On vient d'en citer un, celui où l'on raconte le dévoue-
ment du cocher de saint Patrick. Une autre légende glorifie
la patience d'un roi, Aengus de Cashel, et sa soumission à
dalum mihi, dit l'apôtre au roi Loegaire... nullus... erit ex semine tuo
rex in aelernum ». En effet le trône passe à la descendance d'un des
frères du roi. Ct. Vie Tripartite, l. c , deuxième et troisième partie,
passim.
1. Muirchu, p. 275 s.
2. Muirchu, p. 281 ss., Tirechân, p. 306 s.
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 61
lapulre. Pendant qu il prononçait un sermon en pré-
sence de convertis nouveaux, saint Patrick appuya par
mégarde le bout de son bâton sur le pied d'Aengus et le
perça de part en part. Mais le roi attendit sans mot dire la
fin du sermon, croyant que sa souiïrance était nécessaire à
son baptême. Le saint l'en récompensa. 11 lui octroya sa
bénédiction et lui prédit que ses descendants jouiraient tou-
jours du pouvoir.
L'ascétisme de l'apôtre lui donne comme un avant-goût
des joies célestes. Un jour qu'il se mortifie dans l'eau
glacée d'une rivière, il aperçoit les « miracles habituels du
ciel » qui s'entr'ouvre. Une autre fois, il jeûne pendant
quarante jours sur le sommet d'une montagne, jusqu'à ce
que le Seigneur lui ait envoyé un ange pour le réconforter
et lui promettre l'accomplissement de tous ses désirs*.
Ce sont encore des thèmes de contes pieux, comme on
en rencontre dans la littérature hagiographique de tous les
pays, qui ont fourni l'épisode où les cinq doigts de saint
Patrick éclairent comme autant de torches ", ou la légende
dans laquelle un néophyte déclare avoir vu des étincelles
sortir de la bouche du saint*. L'endroit où se tient saint
Patrick est toujours sec, même lorsqu'il pleut dans l'île
entière *. La première nuit qui suit la mort de saint Patrick,
ce sont des anges qui veillent sur son corps. Ils font
entendre une musique si douce, que tous les clercs s'assou-
pissent ^ Le soleil s'arrête dans sa course au moment où
1. Tirechân, p. 322. Cf. Colgan, Vita Ul", et Vie Triparlite dans Tri-
parlite Life, I.
2. Muirchu. p. 29.t. La môme légende se répète dans les Vies du bien-
heuri'U.x Marianiis Scolus et de saint Sebald, citées dans Delehaye, Les
légendes liaf/iograpliiques, 2° ùd., Bruxelles, 1906, p. 57.
3. Tlrechàn. p. 330 (légende de Gosacht fils de Milchu), et p. 308 (con-
version d'Ere).
4. Muirchu, p. 2'J4.
5. Muirchu, p. 297.
62 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
l'apùlre entre dans la Ciloire de Dieu, et pendant toute
Tannée qui suit les nuits sont moins ténébreuses ^
Une croix avait été placée par erreur sur le tombeau
d'un païen. Patrick, qui avait l'habitude de prier à chaque
croix qu'il rencontrait, passe à côté de celle-ci sans s'ar-
l'ôter. Il ne l'avait pas remarquée : il ne voyait que les
croix des sépultures chrétiennes".
11 ressuscite un païen pour le baptiser et celui-ci meurt
une seconde fois^
Une princesse apprend que si elle se convertit, elle peut
devenir Tépouse du Fils de Dieu. L''apôtre la baptise et elle
meurt immédiatement. Cette légende existe en deux ver-
sions, dont l'une tient une place importante dans les Vies
de saint Patrick'.
Beaucoup de ces épisodes sont à la limite entre les contes
pieux et les contes populaires proprement dits.
On raconte par exemple que le saint ayant demandé
au chef local d'Armagh Daire, qu'il lui fît don d'une col-
line pour y construire une église, n'obtint qu'une portion
de la vallée. Peu après un cheval qui appartenait au chef
étant entré dans le pré de l'apôtre, l'animal tomba mort.
Daire allait assassiner Patrick, mais sur le champ il tomba
malade et ne guérit que grâce au saint. Un peu d'eau
bénite qu'il donna aux serviteurs du chef suffit à ranimer
le cheval mort et à rendre la santé à Daire. Pour le
récompenser Daire lui envoya un beau chaudron de cuivre.
Mais Patrick accueillit ce précieux cadeau avec une indif-
1. Muirchu, p. 296 s. ; Continuateur de Tirochan, Triparlite Life, II,
p. 332.
2. Muirchu, p, 294.
3. Tirechân, p. 324 s.
4. Tirechân, p. 314 s. ; Muirchu B, éd. Hogan, p. 577. Légendes sur le
môme thème, citées dans J.-H. Todd, Saint Patrick, p. 459 et note.
\
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 63
lérence si marquée, qu'il fallut lui donner ce qu'il deman-
dait Daire lui concéda la colline d'Armagh, sur laquelle
le saint construisit son église'.
Voici encore un autre thème de conte populaire, celui
de la mort simulée qui provoque la mort réelle. Des païens,
voulant se moquer de saint Patrick, induisirent l'un d'entre
eux à faire le mort et prièrent le saint de venir le ressusciter.
Quand Patrick arriva et leva le manteau dont on avait re-
couvert le simulateur, celui-ci n'était plus qu'un cadavre^.
Elnfin la légende qui raconte les funérailles de saint
Patrick et la concurrence des églises rivales pour la pos-
session de son corps est entièrement composée d'éléments
qu'on retrouve dans des contes populaires. Une querelle
s'élève'; on allait en venir aux mains; la mer inonde
la plaine et sépare les adversaires*. Le soin d'indiquer
le lieu où doit reposer le corps, est laissé aux bœufs qu'on
attelle à la bière et qu'on laisse aller sans guide jusqu'à
ce qu'ils s'arrêtent^
Un nouveau miracle se produit pendant les funérailles
de Patrick. Chacun des deux partis qui se contestaient la
possession du corps voit apparaître devant lui un char tiré
par deux bœufs. Mais, tandis que les gens d'Uladh suivent
les vrais bœufs, l'armée d'Airthir est guidée par un attelage
1. Muirchu. p. 290 s.
2. Muirchu, p. 286 s.
3. Muirchu, p. 298 s. ; Continuateur deTirechàn, loc. cit.
4. Muirchu, p. 299.
'■). Muirchu, p. 298 s. — Le continuateur de Tirechân fait allusion à
cette légende {loc. cit.). — C'est là un thème qui se répète dans plu-
sieurs légendes hagiographiques et dans des contes antiques, par
exemple celui de l'syché. Cadmus est lui aussi conduit à Thèbes par
un bœuf. Cf. les légendes des saints Cyrille de Gortyne, Auxentius de
Chypre, Menas l'Kgyptien (où les bœufs sont remplacés par des cha-
meaux). Cf. la légende du « Christ des Dames Blanches » de Tirlemont,
cités dans Delehaye, op. cil., p. 35 et note, p. 37 et note. Cf. ibid., p. 34,
le thème du vaisseau errant, porteur de reliques.
64 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
fantôme, qui finit par s'évanouir*. On sait que ces sortes de
mirages sont un lieu commun des contes de tous pays.
Tous ces épisodes et d'autres encore se répètent avec la
môme monotonie sur laquelle nous allons revenir. Mais
nous allons passer en revue et analyser dans les chapitres
suivants ceux de ces épisodes où se révèlent le caractère
et la personnalité du saint héros.
Personnalité de saint Patrick. — Dans cet entrecroise-
ment de thèmes lé<^cndaires la mémoire de ce qu'avait été
réellement le caractère moral de saint Patrick a entière-
ment disparu.
Il devient hautain et vindicatif. Sa colère ne se tourne
pas seulement contre les chefs récalcitrants, dont il fait
déchoir la postérité, ou bien contre ceux qui lui ont fait un
tort, comme Daire ; dans sa fureur de malédiction Patrick
n'épargne même pas les objets inanimés.
On a battu ses serviteurs dans la rivière Sele; elle est
maudite et ne sera plus jamais poissonneuse. On tue quel-
ques-uns des compagnons de Patrick à Uisnech Midi. Il
maudit les pierres d' Uisnech qui ne pourront même plus
servir à chauffer un bain. Une terre sur laquelle des
ouvriers travaillaient le dimanche est dévastée par la mer
et transformée en désert salé par l'effet de la malédiction
de saint Patrick'. Des rivières sont maudites uniquement
parce que Patrick n'a pas réussi à y pêcher du poisson''.
1. Muirchu, loc. cit. Cf. Légende parallèle dans la Vie de saint Paul
Aurélien dans Vies des saints de la Bretagne Armorique par Albert Le-
grand, éd. A. -M. Thomas, Quimper, 1901, p. 104.
2. Muirchu. p. 289.
3. Malédiction de la Sele (Blackwater, Mealh) et de l'Oing « quia
dimersi sunt duo pueri de pueris Patricii in Saeli », Tirechàn, p. 328
(cf. p. 307); de la Dub (DufT ou Bunduff, Sligo), « quia postulauit (pis-
catores) et nihil piscium dabant sancto », ibid.\ la Drowcs est bénie
par saint Patrick et depuis elle est poissonneuse, ibid. — Malédiction
d'Uisnech: Tirechàn, p. 310. Cf. Colgan Vita F/» auctore Jocelino, cap.
C et Vie Tripartite, 2» partie, loc. cit., p. 80.
LA LÉGENOE DE SAINT PATRICK 65
Ce qui dans la lûgcndo peut rappeler le vrai saint Patrick
c'est sa piété et son ascétisme. Encore sont-ils grossis à
les rendre méconnaissables. On verra plus loin que la péni-
tence de saint Patrick a le caractère d'un jeûne magique,
que c'est un rite efficace employé contre le ciel pour lui
arracher des concessions. Et les austérités que les hagio-
graphes font supporter à notre saint dépassent ce que le
plus grand des ascètes eût pu endurer \ Ici encore
Patrick devint un personnage de convention, sans rapport
avec la réalité. C'est ce type conventionnel qui nous inté-
resse au premier chef.
Les Vies de saint Patrick. — Cette légende est com-
plètement développée et les traits caractéristiques de son
héros sont définitivement fixés dès la rédaction des plus
anciennes Vies de saint Patrick qui soient connues.
Deux siècles environ les séparent du temps où vécut
le saint. C'est plus que suffisant pour mûrir un mythe.
Aussi les Vies subséquentes ne feront-elles que multij)her
les épisodes et les amplifier sans en modifier le fond. Leur
valeur au point de vue de l'étude de la légende consiste
en ce qu'elles sont plus explicites que les premières
rédactions connues. Les thèmes légendaires y sont plus
développés, et, comme ils se répètent à l'infini, on a la
possibilité de faire de l'un à l'autre d'utiles comparaisons.
Certaines obscurités des plus anciens textes deviennent
ainsi susceptibles d'une interprétation exacte'.
1. Muirchu, p. 293 : saint Patrick chante chaque jour tous les psaumes»
les hymnes et l'Apocalypse. 11 fait cent signes de croix à chaque heure
du jouret de la nuit. Muirchu B, éd. llogan, p. 576 s. : saint Patrick entre
dans la rivière pour y prier la nuit. Leau est tellement froide que per-
sonne ne pourrait y tenir. « Nam se aquam calidam sensisso testabatur. »
— Sur le Mont Aigle, saint Patrick reste quarante jours et quarante
nuits sans rien boire ni manger.
2. Nous ne pouvons entreprendre ici une- étude complète de tous les
CZAHNOWSKI. 5
66 SAINT PATRICK. ET LE CULTE DES HÉROS
Seul, le type moral du saint parait à première vue subir
une évolution au cours des siècles. Il se plie à l'idéal de
chaque époque. Le rude lutteur que nous venons de carac-
tériser devient peu h peu un personnage plein d'iiumililé et
de pardon. Mais cette modification n'est qu'apparente. Les
hagiographes n'introduisent ni ne suppriment rien dans la
légende. Ils se bornent à énoncer une appréciation générale
dans leur préambule*.
Les deux plus anciennes Vies connues. — Dans la
seconde moitié du vu* siècle deux Vies ouvrent la
liste des œuvres hagiographiques consacrées à saint
Patrick .
La première fut écrite par l'évoque Tirechân, disciple
d'Ultan, évêque à Ardbraccan en Meath ". Comme il ressort
du texte qu'Ultan était mort lorsque l'ouvrage fut composé,
celui-ci est postérieur à 637 \ Tirechân parle d'autre part
d'une grande épidémie toute récente, ce qui ne peut avoir
thèmes exploités parles hagiographes subséquents. Une étude pareille,
occuperait un livre, et n'apporterait pas grand'chose d'utile pour nous
Les textes relatifs à saint Patrick ont été étudiés par Todd, op. cit.,
Zimmer, op. cit. ; Reeves, Ecclesiasiical antiquities of Down, Connor and
Dromore, Dublin ; Whitley Stokes, Tripartile Life, I. Introduction (surtout
au point de vue de la filiation des Mss. et philologique). Les recherches
les plus complètes ont été faites par M. Bury dans une série d'articles
cités au cours de ce chapitre. Mais M. Bury a envisagé les documents
hagiographiques avant tout au point de vue de leur valeur historique.
11 a donc forcément négligé tout un côté de la question. M. Bury attri-
bue d'ailleurs aux Vies de saint Patrick, une importance comme sources
qui nous parait injustifiée. Ainsi la localisation d'une légende, même
très ancienne, ne prouve pas que saint Patrick ait passé par l'endroit
donné. Du rôle joué par certains personnages dans la légende on ne
peut de môme conclure à ce que saint Patrick ait été en relation
directe avec eux. Ce que nous venons de dire s'applique en particulier
à la légende de Tara, étudiée dans le chapitre suivant.
1. Cf. Vie Triparlite, VHomélie du Lebar Drecc et la Vie du Livre de
Lismore.
2. Tirechân, p. 302 et p. 311 (Ultanus) « cuius alumnus uel discipulus
fui » ; « qui nutriuit me. »
3. Annah. of Vlsler, s. a.
\
L\ I.Kf.ENDF, DE SAINT PATRICK 67
trait qu'à la peste des années 664-tîG8 V La Vie de Patrick
par ïirechân a donc été rédigée après cette date" .
La seconde des deux Vies a été rédigée par Muirchu
Maccu Machlhéni^, un ecclésiastique du Leinster. Muirchu
écrivait par ordre de Tévêque Aedh de Slébte en
Leinster, et il lui dédia son œuvre*. Celle-ci ne peut
1. Tirechân, p. 311 : « post mortalitates noiiissimas ». Ann. of Ulst.
s. a.
2. Ms.. Livre d'Armagli. Éditions utilisées : du P. Edmund Ilogan dans
Documenta desanclo Palricioex Libro Armachano,Analecla Dollancliana,
li. p. 35 ss. et p. 213 ss.; de Whitley Stokesdans TripartileLife. II, p. 30iss.
Nos références se rapportent aux pages de cette dernière édition. —
Sur la Vie cf. Hogan, introduction à son éd. ; Whitley Stokes, Tripartile
Life, I, Inlr.. p. xci ; Bury, Tirechân s Meinoir on saint Patrick, Engl.
flistor. flei'..avriH9Ui, et. le même, Life of saint Patrick,]). 248 ss. Il y a
une étude de M. Gwynn sur Tirechân dans son édition du Livre d'Armagh,
Introd., ch. m, que nous n'avons pu consulter. Mais les principaux
résultats en sont mentionnés par M. Bury, op. cit., loc, cit., et p. 229
et p. 230. — Cf. aussi les ciudes surle iiyj'e d'Armagh, mentionnées plus
loin.
3. Deux Mss. : Livre d'Armagh {A), où manquent quelques chapitres, et
un Ms. de la Bibliolhèrpio Royale de Bruxelles {B}, complet. Dans ^ il y
a une liste des chapitres (pii permet d'identifier ceux de B. — Éditions :
Hogan, loc. cit., p. o^l ss., texte complété d'après les deux Mss. ; Whitley
Stokes, Triparlite Life, 11, p. 269 ss., texte de A collationné avec B ;
ibid.. p. 496 ss. les chapitres manquants sont réimprimés d'après l'édi-
tion Hogan. — Nos renvois sont faits à l'édition Stokes, sauf pour les
chapitres qui manquent dans A. Nous renvoyons en ce qui concerne
ceux-ci à l'édition Hogan et nous les indiquons : Muirchu B. — Études
sur le texte et l'auteur: préfaces des éditeurs : Gwynn, op. cit., cité dans
Bury, Life of -mini Patrick, pr 239 s. ; Bury, The tradition of Mtnrchu's
text. dans Hermathena XXVIII ; le même, Life of saint Patrick,
p. 255 ss.
4. Miirchu maceni Machthéine est nommé dans une liste d'évêques,
d'abbés et de rois présents au synode de Birr en 697 :Kuno Meyer, Cdin
Adamndin dans Anecdola Oxoniensia, (Mediaeval aud Modem Séries),
Oxford, 1903, p. 18. — La région où il exerçait son ministère est
déterminée par sa connexion avec Aedh (cf. note suivante), par l'exis-
tence d'une localité nommée Kilmurchon (Église de Muirchu) dans le
comté Wicklow. Colgan, Acla >'.S, p. 463 et n. 31, enfin par le fait que son
père Machthéne, dont il traduit le nom par « Cogitosus », rédigea une
Vie de sainte Brigit de Kildare, patronne particulière du Leinster. Sur
Cogitosus cf. Charles Graves dans Proceedings of the Roy. Ir. Acad.,
VIII. p. 269 ss.; lispo.silo, ifj., XXX. C„ p. .321.
Muirchu, p. 269. — Slébte, act. SIelty sur la Barrow, Queen's
County, était un centre religieux de premier ordre dans le sud-ouest
de l'Irlande. — Les rapports do Muirchu avec Aedh permettent d'éta-
blir avec certitude les raisons qui présidèrent à la rédaction de la
68 SAINT PATRICK ET LK CULTE DES HÉROS
donc être postérieure à 699, date de la mort d'Acdh'.
Ces deux Vies se font suite. Celle de Muirchu suit un
ordre chronologique à partir de la naissance du saint jus-
qu'au moment où il parvient à la cour du roi suprême
d'Irlande, centre du paganisme. Patrick y remporte un
triomphe définitif, couronnement logique de ses labeurs.
Tirechân commence son œuvre par le récit de cet événe-
ment, et narre l'une après Tautre les tournées de mission
entreprises par la suite.
Les deux Vies se complètent d'autre part au point de vue
de l'extension géographique du culte de saint Patrick.
Muirchu habite le Leinster. Mais il ne situe dans cette pro-
vince qu'un épisode de la légende. La plus grande partie
de son œuvre est remplie de traditions de TUlster oriental
et central et du voisinage de Tara. Tirechân rapporte des
légendes du royaume de Meath, et surtout du Connaught'.
Il en connaît quelques-unes du Thomond et des parages
de Kildare.
Enfin Patrick est chez Muirchu un saint dont les faits et
Vie. Aedh a été en effet un des grands artisans de l'unité ecclésias-
tique irlandaise. Il alla à Armagh pour se soumettre à son autorité et
« offrit son église à Patrick pour toujours » (Notice de A, dans Tri-
parlite Life, II, p. 346). Il a été au synode de Birr, en même temps que
Muirchu. C'est dans le nord de l'Irlande que notre auteur alla d'autre
part se documenter. La Vie de Muirchu a donc pour cause la récon-
ciliation des églises irlandaises. Elle a pour but de faire connaître en
Leinster le patron métropolitain : Bury, Life of saint Patrick, p. :26l s.
1. Chronicon Scotorum. éd. W.-M. Hennessy IRoll's Séries), London,
1866, p. H2, s. a. 696 (correction d'O'Flaherty : 699). Mais les An7i.
of Ulster donnent l'an 700 comme date de la mort d'Aedh. — M. Bury.
art. dans The Guardian, cité dans Life of saint Patrick, p. 256, envi-
sage la possibilité que seul le premier livre de Muirchu ait été rédigé
avant la mort d'Aedh. La solution de la question dépend de la valeur
qu'on attribue à la notice finale du livre premier : « haec. Muir-
chu... dictante Aiduo... conscripsit ».
2. Sa tribu appartenait aux Hûi Amalgada de Connaught. Tirechân,
p. 300, raconte qu'Enda, fils d'Amalgaidh. fit cadeau à saint Patrick de
son fils Conall et de sa part d'héritage. « Per hoc dicuntaliiquia serui
sumus Patricii usque in prœsenlem diem. »
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 69
gestes uni lieu à lu cour du roi suprême et là où étaient
localisées les institutions centrales, tandis que Tirechân
nous montre la place qu'il occupe dans la vie locale. Les
deux faits auxquels aboutit la mission de Patrick chez
Muirchu sont l'implantation du clu'islianisme à la cour du
roi suprême et la fondation du siège métropolitain d'Ar-
magh. Tirechân mène son héros d'un territoire à un autre
et le montre organisant partout la vie religieuse locale.
Si nos deux auteurs se complètent ainsi, c'est qu'ils ne
procèdent pas l'un de l'autre, ni d'un archétype commun.
Pour le constater il suffît de comparer les passages de
Muirchu et de Tirechân qui traitent d'un même fait légen-
daire.
Suivant Muirchu, Patrick parvint à convertir le roi
suprême. Tirechân, au contraire, affîrme que le roi s'obs-
tina ù rester païen. 11 ne peut s'agir ni chez l'un ni chez
l'autre d'une erreur dans l'interprétation d'une même
source, puisque tous deux ils motivent la décision du roi^
Les acteurs et le lieu de la légende qui raconte la mort
subite d'une princesse convertie, sont différents dans les
deux Vies. Suivant Tirechân, il y a deux jeunes filles,
F'édelm la Rousse et Ethnc la Blanche, filles du roi
suprême Loegaire. La scène se passe à Gruachan, en Con-
naught. Chez Muirchu la princesse se nomme Monesan.
Son père est un roi saxon. Le lieu n'est pas indiqué, mais
il est certain qu'il n'est pas situé en Connaught".
1. Muirchu, p. 285 : « melins est me credere quam mori », dit le
roi. Tirechân p. 308 : * non potuit credere {scilicet. rex) »... « Nam
Neel pater meus non siniuit mihi credere, sed ut sepeliar » d'après les
rites païens.
2. TlrechAn, p. 314 s. ; Muirchu li, p. 577, chapitre : « De morte Monei-
sen Sa.xonis3ae ». Muirchu dit que Monesan fut enterrée à l'endroit
même de sa mort. Une chapelle fut construite sur sa tombe. Au temps
de l'auteur on avait récemment transporté les reliques de la sainte
dans une église voisine.
70 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉHOS
Vies AjsTÉRiEunES a Muirchu et Tirechan. — Celte
diversité s'explique par la nature des sources où puisèrent
Muirchu et Tirecliân.
Ils se réfèrent tous deux à des écrits hagio<^rnphiques
antérieurs. Tirechan mentionne un hvrc qu'avait possédé
l'évoque Ultan et où il trouva une partie de ses renseigne-
ments ^
Or, ces écrits constituaient une littérature déjà riche et
par conséquent pleine de contradictions. Muirchu s'en plaint
amèrement*, et l'étude critique du texte de nos deux auteurs
démontre qu'il avait raison.
Il résulte des travaux de M. Bury que les sources de
Muirchu et Tirechdn n'avaient point la forme d'une nar-
ration continue'. Tout au plus peut-on supposer cette con-
tinuité à la source où Muirchu puisa la matière de ses
premiers chapitres. C'étaient des recueils d'actes*, plus ou
moins chronologiquement ordonnés, et d'origines les plus
diverses. On y trouvait des poésies ^ Généralement c'étaient
des légendes locales. La langue de ces collections était
l'irlandais.
Les notes du Livre d'Armagh dites Additainenta Fer-
1. P. 302 : « ex libro... Ultani episcopi ».
2. P. 269 : « mulli conati sunl ordinare narralionem istam... sed
propler difficilimum narrationis opus diucrsasque opiniones et pluri-
morum plurimas suspicione, nunquam ad unura certumqiie historiae
tramiteni peruenierunt »... « pauca haîc de multis sancti Patricii gestis
parua perilia, incertis aucloribus », etc.. « carptim grauatinique cxpli-
care aggrediar ».
3. Opéra cit. et Sources of Ihe earhj Patrician docurnenls dans Engl.
Hist. Rev., Juillet 1904.
4. Cf. Muirchu p. 295 : « miracula tanla qua; alibi scripta sunt ».
M. Bury est parvenu à reconstituer une partie du contenu du Liber
Ultani. Il y entrait diverses légend es disparates, et, comme sources,
les Dicta Patricii.
0. Chez Muirchu deux passages, la prophétie des druides sur
Patrick et l'histoire de Maccuil, ont eu une source poétique (p. 274 et
p. 2S6). Chez Tirechân dans la légende des princesses converties et
mortes immédiatement le texte traduit une poésie irlandaise.
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 71
doinnachi sont un exemple de ce g^enre de recueil'. Tout
le second livre de Tirechân lui-même n'est qu'un recueil
de cette sorte, dont les éléments sont mis en ordre tant
bien que mal pour former un itinéraire.
De toute cette littérature on ne possède que la traduction
latine d'un fragment relatif à la captivité de saint Patrick.
M. liury l'a signalé^ dans deux Vies du recueil de Col-
gan, moine franciscain du xvii" siècle, qui a publié deux
volumes de Vies de saints irlandais.
Les SOURCES des hagiographes. — 1. Sources directes.
— La part des sources directes est presque nulle dans la
composition de tous ces actes et Vies. Sans doute Tire-
chân a connu les Dicta Patricii^, et la Confession*.
Muirchu ou, ce qui est plus probable, un de ses auteurs;
utilisa les deux écrits du saint". Il connaissait l'Hymne
1. Le copiste a commencé par les traduire, mais s'en est lassé, non
à cause des difficultés du latin, assure-t-il, mais parce que la profu-
sion des noms propres rendrait le texte obscur malgré tout. Cf.
plus loin.
2. Vitœ II et /K». Bury dans Hermathena, i902, p. 185 ss. et Life of
saint Patrick, p. 268 s.
i. Tirechân, p. 302 : cf. p. 43 et n. 44. — La citation est suivie des mots
n ut ipso dixit in commemoratione laborum ». On a supposé que saint
Patrick avait laissé un écrit autobiographique. M. Bury, Tirechàn's
Memoir, loc. cit., et Life of saint Patrick, p. 230, a démontré le manque
de fond de cette hypothèse. Il croit que Tirechân en écrivant : « utipse
dixit ». ne pensait qu'au Dictum Patricii, qu'il a trouvé — la certi-
tude est absolue sur ce point — dans le Liber L'itani. Les mots « in
commemoratione laborum « désignent ce recueil d'actes. Nous nous
rangeons entièrement à celte opinion. Cf. Gwynn, cité dans Bury, op.
cit., p. 229 s.
4. P. 310 : « et expendit Patricius etiam pretium xu animarum
hominum... ut in scriplione sua adfirmat ». cf. p. 308 : « et haptUzauil
lot milia hominum in die illa » et Confession : a tôt milia liominutn...
in Domine ego baptizaui ». — Conf. p. 361, 1. 31 s. : « audiui... ecce
nauis tua parala est », et Tirechân : a dixit (angelus), ecce nauis
tua parala est, surge et ambula », p. 330, 1. 19.
5. Muirchu, livre premier et dans le livre II le chapitre : « de con-
flicta Patricii aduersum Coirthech regem Aloo » (titre dans A, liste des
chapitres), Muirchu B, p. 577. Cf. Bury, op. cil.
72 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
de Secundinus'. On trouve enfin dans son livre la trace
d'un document perdu depuis et qui concernait le séjour de
saint Patrick h Auxerre^
Mais ces documents sont bien pauvres en détails biogra-
phiques, et encore faut-il les interpiélcr. Aussi nos hagio-
graphes n'en tirèrent que quelques données chronologiques
et des faits isolés dont ils jalonnèrent leur récit, en les
déformant d'ailleurs '.
D'autre part l'époque de la vie du saint qui intéressait le
plus les hagiographes était celle de l'apostolat. Or, les
sources que nous venons d'énumérer se rapportent presque
entièrement à l'enfance et à la préparation ecclésiastique
de saint Patrick.
Sources des hagiographes. — II. La tradition orale. —
Ce fut dans la tradition orale que les hagiographes trou-
vèrent la trame et le fond de leurs récits.
Ainsi que l'a remarqué déjà M. Benjamin Robert *, Tire-
chân présente un exemple typique de leur méthode d'in-
formation.
1. p. 296 : « quicumque hymnum qui de te (se. de Patricio) composi-
tus est... cantauerit. » Cf. Muirchu, p. 293 : (chapitre « de deligentia
oratiODis », J. 1) et Hymne de Secundinus : « Ymnum et Apocalipsem »...
(strophe Y).
2. Cf. chapitre précédent, p. 44 s. Sur la tradition de Muirchu qui
concerne Palladius, p, 38, note.
3. Muirchu assigne aux études ecclésiastiques de saint Patrick la
durée de trente ou quarante ans (p. 272), Tirechân celle de trente ans
à son séjour à Lérins (p. 302). Ces chiffres proviennent d'une interpré-
tation erronée de la Confession, où il est dit qu'une trentaine d'années
se passèrent entre le moment où saint Patrick confessa sa fauteel celui
où on la lui reprocha. Les mots « antequam eram diaconus » et
« contra laboriosum episcopatum meum » ont induit les hagiographes
en erreur.
4. Op. cit., p. 48 : la Vie de Tirechân « se compose de notes prises
par l'auteur dans différentes biographies aussi bien que dans les tra-
ditions orales »... ; elle « nous montre le procédé des auteurs de
l'époque ».
LA LKGRNDE DE SAINT PATRICK 73
Une grande parlie de ses renseignements lui vient « ex
ore » de l'évoque Ullan '. Il complète ainsi ce qui man-
quait dans le livre du môme personnage. Dans son second
livre Tirechân recueille des traditions de tribus et de fa-
milles, qui certainement n'ont jamais été rédigées par écrit,
des contes locaux attachés à des rivières, des pierres, des
tumulus. Il note ce qu'on lui raconte à propos des reliques
dans les églises où il passée On trouve dans sa Vie des
légendes imaginées pour expliquer des proverbes \ Il se
renseigne auprès des vieilles gens *. Il a beaucoup
voyagé et il rapporte scrupuleusement tout ce qu'il a
appris.
Muirchu ne procède pas au même degré que Tirechân
de la tradition orale. Il invoque pourtant aussi une fois le
témoignage des vieillards. Mais les textes qu'il avait à sa
disposition avaient été composés suivant la méthode de
Tirechân. Ses « auteurs » écrivaient ce qu'ils avaient
appris par les récits de leurs anciens '.
On pourrait s'attendre à ce que l'œuvre ainsi produite
fût disparate. La personnalité légendaire de saint Patrick,
construite d'éléments pris de toutes mains, risque d'être
contradictoire.
1. P. 302, 1. 2. eti. 24; p. 311, 1. 23 s.
2. P. 307, 1. 5 ss. ; p. 310, 1. 29 ss. ; p. 313, I. 26 ss. ; p. 319, 1. 4 s. ;
p. 329. 1. 21 s. ; p. 330, 1. 15 s. ; p. 331, 1. 2. Cf. p. 309, 1. 32 et p. 328,
1. 10 ss.
3. P. 317 : « de hoc est uerbum quod clarius est omnibus uerbis
scoticis, similis est caluus contra ca/)Zt/ » (capiilalum). — Cf. Bury, Life
of saint Patrick, p. 241.
4. P. 311 : n omnia quae inueni... a senioribus muitis ». — p. 307 :
Ste Calnea d'Alh Brôn « emulgebat lac ab damnulis feris, ut senes
mihi indicauerunt ».
5. P. 296, dernière ligne.
6. P. 269 : « secundum quod patres eorum et qui ministri initie
fuerunt sermonis tradidcrunt illis ».
74 SAINT PATRICK. LT LR CULTE DES HÉROS
11 n'en est rien. La synthèse est faite et elle est remar-
quablement homogène.
(]'cst que les hagiop^raphes ont toujours présent à l'es-
prit leur but, qui n'est point d'écrire l'histoire du saint,
mais d'en faire l'apologie. C'est ce qui dicte le choix qu'ils
font dans les légendes qu'ils recueillent. Et celles qu'ils
font entrer dans les Vies sont toujours adaptées de ma-
nière à réaliser un idéal de saint et de héros'.
Assimilation d'éléments épiques et mythiques. — La
majeure partie des traits qui constituent la personnalité
légendaire de saint Patrick a été empruntée aux traditions
mythologiques et épiques de l'Irlande.
Cette assimilation sera étudiée plus loin. Nous nous
bornerons donc à constater ici qu'elle servait la cause d'édi-
fication, que les hagiographes s'étaient imposée. Dans un
pays comme l'Irlande, encore à demi païen d'esprit, sinon
de nom, très attaché à ses traditions, on ne pouvait frapper
autrement les imaginations. Pour imposer l'enseignement
qui se dégage de la légende de saint Patrick à un peuple
encore tout à la mémoire de ses héros antiques, il n'était
point de meilleur moyen que de faire de Patrick un héros,
plus grand et plus puissant que les autres.
Assimilation de saint Patrick aux personnages bibli-
ques. — Mais les hagiographes n'eurent garde de ne pas
1. Ainsi Muirchu nous montre dans son premier livre comment les
manifestations do la grâce divine suivent une marche ascendante
dans la vie de saint Patrick. Le livre II est un recueil de miracles
dont chacun a une valeur édifiante particalière. — Le but de Tirechân
est de démontrer l'étendue de l'œuvre personnelle de saint Patrick
et par là de soutenir les prétentions d'Armagh. C'est pourquoi il a choisi
un ordre topographique dans sa Vie. — Sur les idées qui présidaient à
la rédaction des Vies de saints voir : Cari Albrecht Bornoulli, Die Heili-
gen der Merowinger, Tubingen, 1900, livre l": Hippolyte Delehaye,
Les légendes hagiographiques, 2» éd., Bruxelles, 1906, surtout ch. m.
LA LKUENUE DE SAINT PATRICK 75
adapter ces traits mythiques et épiques au type traditionnel
de sainteté chrétienne, tel que les Ecritures le leur avaient
légué.
A chaque pas les auteurs des Vies cherchent dans les
textes sacres un parallèle ou une justincalion pour tel ou
tel acte du saint, et toute la rhétorique louangeuse dont
ils l'encensent est entièrement empruntée à la Bible'.
On prend d'autre part délibérément des thèmes aux
deux Testaments, souvent môme sans les déguiser. Et
toute une série de légendes est née, soit de la réthorique
mal comprise des Vies et des hymnes, soit de comparai-
sons avec des épisodes bibliques que les hagiographes
subséquents transforment en faits biographiques".
Messianisme. — On assimile d'abord saint Patrick au
Messie.
Les prophéties, les paraboles et les « figures » de
TAncien Testament furent interprétées comme se rappor-
tant à l'apôtre des Irlandais \ Un parallèle fut tracé entre
le peuple élu de Dieu et les Gôidels, élus de saint Pa-
trick. Il leur apporta la Révélation du Royaume de Dieu,
comme le Messie l'avait apportée aux Juifs*.
1. Muirchu, passim. Cf. surtout l'Hymne de Secunditius, loc. cit., où
il n'y a rien que de la rhétorique empruntée aux ccritures.
2. Muirchu, p. 296, en fournit l'exemple le plus explicite : « Et con-
tra noctem terminus pones. Quia in illa die mortis eius (se. Patricii)
nox non erat, et per duodecim dies in illa prouincia, in qua mortis eius
e.xequiae peractaj sunt, nox non inruit et pallor non tantus erat noctis,
et astriferas non induxerat Hesperus umbrjis ». Il est évident que les
mots « et — pones » désignèrent primitivement l'œuvre de saint
Patrick prise au sens flguré. Cf. Hymne de Secundinus, strophe L : saint
Patrick est une lumière qui éclaire tout le siècle.
ô. Muirchu, p. 274, et passim; Hymne de Fiacc dans Thésaurus
Palaeohtbernicus, II, p. 307 ss. versets 10 et 11, 19 à 22 ; Colgan VitalU^,
§ 30, p. 23 ; ibid., Vila iV», § 53, p. 42 ; Vie Tripartile, !'• partie, p. 2
(trad. p. 3) ; Homélie du Lehar Brecc, p. 428 s. (trad. p. 429 s.).
4. Captivité des Hébreux et empire du démon sur les Irlandais ;
76 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Et de môme que le messianisme clirétien remit la Révé-
lation définitive à la fin des temps, au moment où le Messie
reviendra juger les bons et les mauvais, les Irlandais
attendent de saint Patrick qu'il revienne pour les introduire
dans la vie éternelle. Au Jugement Dernier, il remplacera
pour eux Jésus-Christ'.
Héros bibliques. — Les traits caractéristiques des grands
personnages de la Bible cl leurs miracles furent aussi mis
à contribution pour magnifier saint Patrick.
Comme Moïse, Patrick parle à un ange dans un
buisson ardent ^ Il jeûne quarante jours sur la cime
d'une montagne, comme Moïse, Elie et Jésus-Christ^.
Un continuateur de Tirechân ajoute que Moïse et
Patrick ont vécu tous deux cent vingt ans et qu'on
ignore le lieu de leurs sépultures respectives*. Enfin
Vie Tripartite, 1" partie, p. 4 ss. (trad. en regard). — Le roi suprême
Loegaire est un autre Nabuchodonosor et sa résidence, Tara, une
seconde Babylone : Muirchu, p. 278. — Le trouble du roi à la nouvelle
que saint Patrick est venu en Irlande, est le même que ressentit
Hérode lorsque naquit Jésus : ibid., p. 279. — Glose à l'Hymne de
Fiacc dans Thésaurus Palœohib., II, p. 310 : « Victor, i. angel com-
munis scotticœ gentis sein. Quia Michael angélus Ebrseicae gentis ita
Victor Scottorum ». Cf. ibid.. p. .318, 1. 22 s. — Cf. légende du Juge-
ment Dernier, plus loin, et ch. m.
1. Muirchu, p. 296. — Cf. ch. iv.
2. Muirchu, p. 2',i5 : sur le chemin de saint Patrick « rubus arserat et
non combure(ba)tur, sicut antea Moysi prouenerat in rubo ». C'était
l'ange Victor qui était dans le buisson. Cf. Continuateur de Tirechân,
loc. cit., p. 331.
3. Tirechân, p. 322 : « Mosaicam tenens disciplinam et Heliacam et
Chrislianam. »
4. Le chiffre cent vingt est déjà connu de Muirchu, p. 296 : « totius
eius uitœ annis cxx », mais il ne fait pas de rapprochement avec
Moïse. Le chiffre en question ne parait pas avoir été imaginé ad hoc,
mais provenir de l'addition de diverses données chronologiques : Bury,
op. cit., p. 382 ss. — Le continuateur de Tirechân, Tripartite Life, II,
p. 332, énumère quatre points de ressemblance entre saint Patrick et
Moïse : 1° « anguelum de rubo audiuit; » 2o il jeûna quarante jours et
quarante nuits ; 3o il vécut cent vingt ans ; 4» « ubi sunt ossa eius nemo
nouit ». Quelques Vies subséquentes répètent ces quatres points dans
LA LKGENDE DE SAINT PATRICK 77
on donna plus tard î\ saint Patrick un bàlon miraculeux '.
Josué arriMa le soleil. Ce miracle se répéta à la mort de
saint Patrick. Mais pour celui-ci le soleil resta douze jours
entiers sans se coucher".
Joseph est trahi par ses frères et vendu pour trente écus.
Patrick est vendu pour trente sols par un homme auquel
il avait accordé sa confiance. Joseph et Patrick furent
tous deux les intendants de leurs maîtres.
Enfin, comme Jésus-Christ, saint Patrick entre en une
salle dont les portes sont fermées*.
le nit^me ordre : Ncnnius, Disloria Brilonum, loc. cit., p. 198; Colgan,
y lia III", ad finem.
i. La légende du bAton n'apparaît pour la première fois qu'au
IX* siècle, dans Colgan, Vita 111. Mais chez Tlrechân, p. 324, saint Patrick
ressuscite déjà un géant en perçant sa pierre tombale de son bâton et
en en touchant le mort. — Pour la légende du bâton, cf. ch. iv.
2. Muirchu. p. 296 ; cf. Hymne de Fiacc. loc. cit., v. 28 à 30.
3. Colgan, Vita IV", § XIII, p. 48. — La Vie Tripartite, version de Col-
gan. § XXIV. p. 120, remplace les trente sols par un chaudron de
cuivre : « vas electionis pro elixalionis vasculo commutans cum qui-
busdam mercatoribus pro a^neo cacabo divendidit (Patricium Cianna-
nus) M. Le chaudron adhéra à la main de Ciannan. Cet avertissement
du ciel le fit se repentir et il racheta Patrick.
4. Muirchu, p, 282. I. 27 ss. ; Vie Tripartite, 1" partie, dans Tripartite
Life. \, p. 52, I. 20 s. (trad. p. 53). Cf. Colgan, Triadis Thaumaturgae
Acta. Sancti Columbae Vita /« , § IV, p. 321 ; eiusdem Vita 11". % IV,
p. 326: eiusdem Vita IV". auctore Adamnano, préambule, p. 338 col. 1
et livre II c. 1. p. 350 : saint Columcille répète le miracle de Cana. —
L'assimilation au.\ personnages bibliques a été la plus complète dans
le cas de sainte Brigit. On l'a assimilé à Marie. Cf. Hymne de Broccàn
en l'honneur de Urigil.du Lib. Hymn. dans Thésaurus Palxohibernicus,
11, p. 327 ss., vers 4 : « Brigit mathair morurech » — » Brigit mère de
mon Seigneur » ; vers G3 : « Bamenn innahimthechtaib, baôenmalhair
maie rlg mair » — « elle était pure en ses démarches, elle était la mère
unique du Fils du Grand Hoi ». La glose à ce vers, H)id., dit : << ba
hocn de matribus xpi brigit » — « était une de malribus Christi Brigit ».
— Cf. Hymne irlandais c/'t///an, chez Whitley Stokes, et Strachan, Thé-
saurus Palœohibernicus, II, p. 32.i, vers 6 : Brigit est « in chrùib co
blàthib inmathair (su « — « la branche fleurie (lilt. avec fleurs), la mère
de Jésus. » — Cf. Hymne latin d'Ultan, chez Atkinson et Bernard. The
irish Liber Hymnorum, I p. 14 s. v. 7 s. : «... per istam uirginem Maria;
sancta; similem » : glose à similem : «. i. ar is i Brigit Maire na nGoidel »
— « i. e. car Brigit est (la) Marie des Grtidels » ; vers. 15 s. <• Christi ma-
trem se spopondit diclis et fecit factis Brigila aut amata ueri Dei regi-
na ». — Cf. ofiice de sainte Brigit, publ. à Paris en 1622, réimpr. chez
78 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HKROS
Amplifications des vies subséquentes. — Il est une
partie de la légende que Muircliu et Tirechân laissèrent
peu développée. C'est celle qui concerne les antécédents
de Patrick. Les hagiographcs suivants y suppléèrent.
I. Gnièalogie de saint Patrick. — On fabriqua à
Patrick une généalogie sacrée et profane. C'était une chose
importante en Irlande, pays aristocratique.
Au IX® siècle, on découvre que les ancêtres du saint
étaient juifs. Ils étaient venus s'établir en Grande-Bre-
tagne après la ruine de Jérusalem ^ Non contents de faire
descendre Patrick du peuple élu, les généalogistes établi-
rent encore que saint Martin de Tours avait été son oncle
maternel ".
La généalogie profane fait de Patrick un descendant en
droite ligne du premier roi des Bretons, Brito^.
Naturellement on finit par concilier ces deux généalo-
gies. On en fut quitte pour faire de Brito un Israélite.
II. — Légendes d'enfance. — Après la généalogie
viennent les légendes d'enfance '.
Colgan, TriacUs Thainnaturgae Acta, append. VI ad Vitas beat. Brig.
p. 600 col. 2. Lectio sexta : « Tune vir quidam sanctus in Synodo dor-
miens vidit visionem et surgens ait : Haec altéra Maria que habitat inter
nos. » Respons : « Virgo deportatur, honor ci amplius cumulatur : syno-
dus instabat, nona Brigida Stella micabat. Sacra cohors plaudit, quia
signum celitus audit. » Vers : « Praesbyter banc aliam denuntiat esse
Mariam »... — Cf. Vie de sainte Brigit du Lebar Brecc, Whitley
Stokes Three... homilies, p. 84, trad. p. 85.
1. Colgan, Vita /F«, §j, p. 35.
2. Colgan, VitalV", auctore Probo, §1, p. 65 ; Vie Triparlite, 4" partie
loc. cit., p. 8 (trad. p. 9) : Marianus Scotus dans Pertz. Mon. Germ. Hist.,
VII, p. 481.
3. Homélie du Lebar Brecc dans TripartileLife, II, p. 432 (trad. p. 433).
Cf. généalogie de saint Patrick dans Lebar Brecc, fac-similé, p. 13, col. 1.
Une variante d'après un autre Ms. chez Atkinson et Bernard, loc. cit.,
II, p. 177. Patrick y est le treizième descendant de Brillus « a quo sunt
Briltani nominati ».
4. Klles apparaissent dans les Vies du ix» siècle et y ont atteint d'un
coup leur plein développement. Cf. Colgan Vitae lU. IV, F* auct. Probo,
///* ; Vie Tripartile, loc. cil. ; l'homélie du Lebar Brecc ; la Vie du JAvre
Lismore.
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 79
Ici les hapographes n'inventèrent rien de neuf. Ils adap-
tèrent seulement des thèmes empruntés soit f» la légende
de la mission de saint Patrick, soit à la littérature hagio-
graphique courante.
On voit donc Patrick enfant dompter des bètes féroces;
il ressuscite son père adoptif et sa sœur. Ce sont là des
lieux communs.
Le roi des Bretons s'éprend de la mère de saint Patrick
déjà enceinte. Jalouse, la reine tente d'empoisonner la
sainte femme. Par la vertu de Patrick le poison est changé
en caillou. Patrick naît ce caillou en main.
Une autre fois des gouttes d'eau qui tombent des doigts
de Patrick se transforment en feu. Ce n'est qu'une adapta-
lion du thème des doigts lumineux *.
III. Légende des voyages, — Les hagiographes dévelop-
pèrent enfin une importante légende autour des voyages
que saint Patrick accomplit avant sa venue en Ir-
lande.
Le point de départ de celte légende est dans les faits
historiques, tels que les écrits de l'apôtre et la tradition les
ont rapportés. Mais au vu" siècle la légende n'était encore
qu'en germe. Tout ce que Muirchu et Tirechân ajoutent
aux sources historiques, est le nombre d'années que
l'apôtre a consacré à ses études en pays étranger.
Tout au plus peut-on supposer que le livre de l'évêque
Ultan, auquel renvoie Tirechân, donnait quelques détails
1 . Autres légendes. Le clerc aveugle qui baptise Patrick recouvre
la vue. La fontaine du baptême devient miraculeuse. — Patrick fait
flamber de la glace (développement ultérieur du thème des gouttes
d'eau changées en feu). — Patrick change de la neige en lait et en
beurre pour payer l'impôt. Une fois que le roi les a vus. le lait et le
beurre redeviennent neige (thème de substitution, très fréquent dans
les contes populaires). — A l'issue de la captivité de Patrick, laquelle
dura sept ans, son maître voulu le marier et le libérer. On choisit une
captive dans une autre région de l'Irlande. Patrick reconnut sa sœur
dans sa fiancée.
80 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
supplémentaires sur les pérégrinations du saint'.
Pourtant Tirccliân recueille une tradition qui, plus tard,
entrera dans la légende des voyages de Patrick. C'est
la légende de saint Sachcll, Baptisé par Patrick pendant
la tournée que celui-ci fit en Gonnaught, Sachell alla à
Rome avec l'apôtre".
Dans la légende développée, chaque phase du voyage
correspond à un degré des initiations de Patrick '. En voici
le schème.
Patrick va étudier auprès de saint Germain à Auxerre.
De là il se rend à Tours, où saint Martin lui confère la
prêtrise, ou bien, s'il a déjà reçu celle-ci des mains de
saint Germain, l'ordination épiscopale.
Deuxièm.e phase du voyage : Patrick vient à Rome. Le
pape Célestin rend hommage à sa sainteté. Il lui confie la
mission de convertir les Irlandais. Suivant d'autres Vies le
pape ordonne Patrick évoque. Pendant la cérémonie on
entend les enfants de la forêt de Fochlut appeler Patrick.
Troisième phase : Patrick se rend en un lieu désert, où
Dieu lui-môme converse avec lui et le confirme en sa mis-
sion. Ce lieu est invariablement situé dans les parages de
la Mer T^Trhénienne. C'est de préférence une île, quelque-
fois une série d'îles. Toutefois, dans deux Vies, c'est une
montagne du rivage, le Mont Hermon.
Dans ces îles, Patrick reçoit de Dieu un bâton miracu-
leux, signe visible de l'aide divine.
Celle troisième et dernière phase des voyages de Patrick
est la plus amplement racontée. C'est là aussi que la fan-
1. Tirechân, p. 302 ; « omnia » qui sont relatifs à la vie du saint
jusqu'à son arrivée en Irlande « inuenietis... in plana eius historia
scripta ».
2. p. 301. — Cf. ci-dessus, p. 31 n. et 39 s.
3. Vies, Colgan, IV", 111", T" par l'robus. La légende atteint son
maximum de développement dans la Vie Tripartite.
I.A LÉr.ENDE DE SAINT PATRICK 81
laisie des hagio^raphes a placé le plus de traits miraculeux,
empruntés soit au séjour de Moïse sur le Mont Sinaï, soit
et surtout aux traditions païennes de l'Irlande. Nous aurons
à étudier plus amplement ce dernier point.
Les textes. Les Vies types. — Ainsi accrue se constitue
à partir du ix" siècle la version type de la légende de saint
Patrick'.
Les plus anciennes variantes connues en sont : la
Vifa III' du recueil de Colgan, écrite en Irlande, au ix® siè-
cle, d'après un archétype interpolé en Grande-Bretagne,
ainsi que l'a démontré ^L Bury^; la Vie rédigée par Pro-
bus au x" siècle "* ; enfin la plus riche de toutes, modèle des
rédactions postérieures, dite Vie Tripartite *.
1. Recueils imprimés : Josephus Colganus (Colgan), Triadis Thauma-
lurgse, seu... SS. Palricii, Columbx et Brigilœ... Acta, Lovanii, 1647 :
Sept Fie*, dont cinq latines originales (11'- VI"), une traduite de l'irlan-
dais et publiée sans le te.xte original (VII' vel Triparlila), et une éditée
dans le te.xte avec traduction il"). Seules les Vies I", VI' et Triparlila
ont d'autres éditions. — Colgan a muni son édition d'appendices et de
notes très précieu.x. — Whitley Stokes, Triparlile Life of sainl Patrick
xiilh olhers documents relaling lo thaï saint, London, 1886, (Rolls Séries),
deu.x volumes à pagination continue) : Cinq Vies, divers documents et
les écrits de saint Patrick. Entre autres tous ce qui a trait à saint Patrick
dans les M&s. A; Fr. L. H., Lebar Brecc, y a été publié. — Les autres
recueils seront nommés à mesure.
2. Bury, A Life of saint Patrick dans Transactions of llie Roy. Ir. Ac-
XXXII, secl. C, Part III ; Dublin, l'JOo. — La seule version publiée est
celle de Colgan, Vita lll'. Le texte en est très défectueux, interpolé et
amplifié au début et à la fin. Les Mss. de celte Vie représentent deux
recensions différentes.
3. Colgan, Vila V'. L'auteur, Probus, dédie son œuvre à un certain
Paulinus. On ne sait rien de précis sur ces deux personnages. Colgan
émet l'hypothèse (p. 21'.t) que Probus est identique avec Coenachair,
abbé de Siane en Meath, mort en 948 et que Paulinus est Mael Pois
évoque et abbé dlndedhnen près Slane, mort en 920. Cf. critique chez
Bury, Life of sainl Patrick, p. 273 s. La Vita V' ne parait pas être anté-
rieure à la moitié du x« siècle. — Analyse chez Bury, Life of saint
Patrick, p. 274 ss.
4. Deux éditions. La première, traduction latine uniquement, dans
Colgan, op. cit., Vila I'//° alias Triparlila. Colgan a eu à sa disposition
des Mss. perdus depuis. Seconde édition, et première du texte irlan-
dais original, par Whitley Stokes, Triparlile Life, I, d'après le Ms.
CzAH.NOWSKr. 6
82 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Les versions connues de la Vie Triparlite sont rédigées
en un irlandais qui, suivant AVliilley Stokes, n'est pas
antérieur au xi'' siècle. Mais des allusions historiques
relevées par les auteurs qui se sont occupés de cette Vie
démontrent qu'en son ensemble elle est une refonte d'un
texte datant de la seconde moitié du ix' siècle \
Les SOURCES des Vies types. — Ces Vies senties plus
anciens textes qui relatent explicitement la légende de
voyages".
Quant au reste leur teneur générale et la plupart de leurs
épisodes sont puisés dans des documents plus anciens,
perdus en grande partie. C'est ce que fait voir l'examen
de deux groupes de textes fragmentaires.
Le premier est entièrement consigné dans un seul manus-
crit, le Livre d'Armagh, compilé en 807 ou 808 par le
scribe Ferdomnach^. Ces textes sont réunis surtout en vue
Rawlinson, B. 12 d'Oxford, confronté avec le Ms. Egerlon 93, du British
Muséum. — Les deux versions, celle de Colgan et celle de Stokes,
diffèrent considérablement. Cf. Whitley Stokes, In troduc lion k son édi-
tion. Les Mss. Baivlinsonei Egerlon omettent en outre un long passage
dans la première partie de la Vie, que Whitley Stokes a complété
en réimprimant le texte de Colgan. — Nos renvois sont toujours faits
à l'édition Stokes, sauf pour le passage en question, pour lequel nous
renvoyons directement à Colgan en le mentionnant expressément. —
Analyses : Whitley Stokes, Inlrod. à son éd., et Mac Carthy, The Tri-
parlile Life of saint Patrick, dans Trans. Roy. Ir. Ac., XXIX, part.
VI, Dublin. 1889.
1. Whitley Stokes, Tripartile Life. I, Inlrod., p. LXIV ss. et p. LXIII.
— Le plus ancien rédacteur de la Vie Tripartile était un contemporain
de Cenngecàn roi de Cashel, mort en 897, et il écrivait peu après le temps
de Connacân, fils de Colmân, mort en 855. Une rédaction de cette Vie
existait aux temps de Joseph, évéque d'Armagh, mort en 936. Cf. Bury,
Life of saint Patrick, p. 270.
2. On trouvera dans Bury, op. cit., p. 274 ss. une comparaison des
trois Vies en ce qui concerne la légende des voyages.
3. Sur le Livre d'Armagh et les documents relatifs à saint Patrick
qu'on y trouve cf. Charles Graves dans Proceedings of IheRoy. Ir. Ac,
III, p. 316 ss. et p. 356 ss. ; Reeves, ibid., 18'Jl et 1893; Whitley Stokes,
loc. cit., Introd. ; Hogan, loc. cit., préface; Gwynn, loc. cit. (non con-
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 83
de soutenir les droits du siège métropolitain. Aussi se rap-
portent-ils pour la plupart fi la mission de saint Patrick.
C'est d'abord un a|)pcndice à la Vie de Tirechân et qui
fait corps avec elle. Kerdonmacli a dû le trouver dans le
même manuscrit que la Vie '. Cet appendice contient une
mention du voyage do Patrick à Rome, et, entre autres
choses, la comparaison entre lui et Moïse.
Vient ensuite une série de légendes locales sans lien entre
elles. Elles ont été réunies par un scribe d'après diverses
sources. On les nomme Additamenta Ferdomnachi^.
Le Liber Angueli, du même manuscrit, rédigé vers
l'année "oO au plus tôt, est une énumération des privilèges
du siège métropolitain d'Armagh révélés à Patrick par un
ange^.
Le document le plus important du Livre d'Armagh est
un mémorandum delà vie de Patrick, simple liste de noms
de personnes et de lieux qui ont été en relation avec le
saint. Celte liste permet de contrôler l'antiquité des légendes
de la Vita Tertia et de la Vie Tripartite \
suite). — Éditions des documents relatifs à saint Patrick : Hogan, loe.
cit., I, p. 552 ss. ; II, p. 3j ss. et 213 ss. (incomplète); Whitley Stokes
dans Tripartite Life, II, p. 269 ss. (édit. complète) ; les fragments qui
contiennent des noms ou des phrases entières en irlandais chez Whitley
Stokes et John Strachan, Thésaurus Palaeohibernicus, II, Cambridge,
1903, p. 259 ss. — Edition du Ms. entier par M. Gwynn.
1. Tripartite Life, II, p. 331 s. — Cf. Bury, op. cit., p. 251.
2. Ihid. p. 334 ss. Texte latin et irlandais. — Les documents copiés
par Ferdomnach furent réunis par les soins des successeurs de saint
Patrick à Armagh. — Une partie concerne le Leinster. Whitley
Stokes suppose qu'ils ont été communiqués à Armagh par Muirchu ;
M. Bury, op. cit., p. 253 croit que ce fut l'évoque Aedh de Slebte qui
les transmit aux abbés d'Armagh. C'est d'autant plus probable qu'une
visite dAedh à Armagh est mentionnée immédiatcmentaprèsleslégendcs
du Leinster.
3. Ibid., p. 352 ss. — La tradition qu'un ange avait donné à Armagh
des privilèges territoriaux est déjà connue de Tirechân, p. 312 : « Deus
dédit illi (Patricii) tutam insolam cum hominibus pcr anguelum Domini ».
4. Publiée par Whitley Stokes à la suite de la Vie de Tirechân, loc.
cit.
84 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Le contenu du Livi'e d'Armagh est entré presque entiè-
rement dans la Vie Tripai'tite et dans la partie de cette
Vie qui concerne la mission de saint Patrick on ne trouve
que peu de chose qui ne soit pas mentionné par Ferdom-
nach.
Les TEXTES. Les continuateurs de Muirchu. — Le
deuxième groupe de textes se rattache à la tradition que
représente Muirchu. Il comprend trois Vies.
La plus ancienne est une courte Vie métrique irlandaise
dite Hymne de Fiacc\ Elle dérive soit d'une source appa-
rentée à Muirchu, soit directement de Muirchu et de
quelques autres documents hagiographiques. MM. Whit-
ley Stokes et Strachan concluent à la dater de l'année 800
environ.
Malgré son peu de longueur Y Hymne de Fiacc est de
première importance pour l'étude de la légende de saint
Patrick. Nulle part, en effet, on ne la trouve résumée ainsi
en quelques points, qu'évidemment l'auteur considérait
comme essentiels. C'est, d'autre part, le texte où le
caractère messianique de saint Patrick est le plus
manifeste.
Les deux autres Vies de ce groupe sont les Vitœ />"
et /P du recueil de Colgan. Elles dérivent toutes deux
d'une source qui procédait à son tour de Muirchu et d'un
autre document plus ancien que Muirchu et qui était relatif
à la captivité de saint Patrick^. A ces sources les deux Vies
en question en ajoutent une troisième, commune 5 la
1. Publié la première fois par Colgan, op. cit., Vila 1". Éditions mo-
dernes dans Triparlile Life, II, p. 404 ss., dans Goidelica, p. 126 ss.,
dans Thésaurus Palœohiberîiicus, II, p. 308 ss. et dans Alkinson et
Bernard, The Book of Ilymns. Cf. Bury, Saint Patrick, appendice.
2. Cf. Bury, op. cit., Appendice,
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 85
Vita ni" et qui contenait les légendes d'enfance complète-
ment développées ' .
Ces deux Vies ne sont pas postérieures au ix'' siècle.
L'historia Britonum. — Nous ajouterons à cette énumé-
ration le résumé de la légende de saint Patrick inséré vers
Tan 800 dans ÏHistoria Britonum de Nennius. Il procède
de Muirchu, de Tirechan et du continuateur de celui-ci.
On y constate quel était le cadre de la légende à la fin
du viii' siècle à Armagh, car il n'y a aucun doute que
l'auteur du résumé puisa dans des sources qui lui furent
procurées par les clercs d' Armagh. C'est le plus ancien
essai de systématisation de ces traditions hagiographiques
que nous possédions*.
\'lES POSTÉRIEURES A LA ViE TrIPARTITE. CcS VicS
n'ont d'importance que pour démontrer la persistance du
type une fois formé. En effet, elles dérivent presque toutes
de la Vie Triparlite.
Les plus dignes de mention sont : Y Homélie du Lebar
Brecc, manuscrit du xiv" siècle; la Vie paraît avoir été
rédigée au xiii* siècle'. La Vie du Livre de Lismore, un
manuscrit du xv" siècle, donne à la légende de saint
Patrick un certain tour sentimental, dans le goût du temps '.
Une seule de ces Vies plus récentes que la Tripartite,
se classe à part. C'est la Vie écrite par Jocelin, moine
1. Ibid.
i. Éd. Mommsen dans Monumenta Germanise Historica, série in-4s
Chronica Minora, III. Berlin, 18'J5. p. 194 à p. 198 et passages concernant
saint Patrick, p. l.)8 s.: aussi dans Triparlite Life, 11. p. 498 ss.
(extrait d'après le Ms. Harleian 3859 de Dublin). Analyse dans Bury,
loc. cil.
3. Éd. Whitley Stokes dans Triparlite Life, II, p. 428, p. 488.
4. Éd. Whitley Stokes dans Lives of saints from Ihe Book of Lismore,
Oxford, 1890 [Anecdota Oxoniensia, Mediaeval and Modem Séries, V).
86 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
(l'oripne p^alloise résidant en Angleterre fi Furness. II floris-
sait vers la fin du \if siècle. Sa Vie écrite entre il 80 et
il 80, est composée directement d'après des sources plus
anciennes que la recension connue de la Tripartite. Toutes
ces sources nous sont connues. Seulement Jocelin les
connaissait dans d'autres versions que celles qui nous ont
été conservées \
Textes isolés et fragmentaires. — 11 existe enfin une
série de documents hagiographiques autres que les Vies,
qui ont de la valeur pour Fétude de la légende et du culte
de saint Patrick.
Ce sont d'abord les martyrologes. Le plus ancien de ceux
qui mentionnent Patrick, est \e Martyrologe de Luxeuil, du
vil" siècle ^ Les plus importants sont le Martyrologe cCOen-
giis\ qui date de l'année 800 environ*, le Martyrologe de
Donegal ^ et le Martyrologe rédigé par Mael-Muire hùa
Gormain '.
1. C'est la Vita Fi" de Colgan.
2. Le passage qui intéresse saint Patrick a été publié dans Tripartite
Life.
3. Deux éditions, toutes deux de Whitley Slokes. La première, parue
dans les publications de l'Académie Royale d'Irlande sous le titre
Félire Aengusso. The calendar of Aengus the Culdee, Dublin, 1880,
contient, en plus du texte d'Oengus, les gloses et les commentaires du
Lebar Brecc , mentionnés ci-dessous. La seconde, texte seulement,
formant le vol. XXIX de la collection de la Henry Bradshaw Society,
Londres, 1905 et portant le titre Félire Oengusso céli Dé, est de beaucoup
supérieure à la première. Nos références ont trait à cette dernière
pour ce qui concerne le texte à la première pour les commentaires du
Lebar Brecc.
4. Whitley Stokes, Préface à l'édition de 190a, p. vu; Thurneysen,
dans Zeitschrifl fur cellische Philologie, I, p. 345, touche à cette ques-
tion de date en s'appuyant sur deux travaux de Slrachan.
b. Martyrology of Donegal, éd, J-H. Todd et William Reeves. Dublin,
Î864.
6. Félire hûi Gormain, éd. Whitley Stokes (Henry Bradshaw Society, IX).
Londres, 1895.
LA LKGENDR DE SAINT PATRICK 87
Les autres textes sont de toutes catégories, depuis des
hymnes jusqu'à des p^loses.
Le plus ancien est un court hvmnc irlandais dit Prière
de Nin'uie, du viii siècle'. Les seuls litres de gloire de
notre saint y sont ses combats contre « les druides au cœur
dur » et sa piété.
Le x*" siècle nous donne le G/ossaire de Cormac ' avec
quelques fragments de légendes et renseignements sur le
culte. Un passage parle de saint Patrick comme d'un des
auteurs du Senchus Màr, recueil de lois irlandaises. La
môme tradition se retrouve dans la préface du Senchus Mûr ^
et dans un texte du Lehar nah Uidhre, manuscrit du
XI* siècle*.
Du xiii° siècle, peut-être plus tôt, on a les préfaces des
hymnaires irlandais aux hymnes de Secundinus, de Fîacc
et ù l'hymne dit Lorica Patricii. La matière en est connue
dans son ensemble par des textes plus anciens ^
Dans le Lebar Brecc se trouve une série de gloses et
uned'annotationsau Calendrier d' Oengîis\ Ces textes, quoi-
qu'on n'en puisse déterminer la date, sont d'une très grande
valeur. Ils permettent d'utiles comparaisons entre les thè-
mes de la légende de saint Patrick et celles d'autres saints.
1. Ninine's Prayer dans Thésaurus Palœohibernicus, II, p. 322.
2. Sanas Cormaic. Éditions : 1° Whitley Stokes dans T/iree irish glos-
aaries. Londres, 1862 (sans trad.): le même a publié en 1868 une tra-
duction et des notes de J. ODonovan sous le titre Connues Transla-
tion. 2" Kuno Meyer, dans Anecdola from Irish Manuscripts, Halle
a. S.. 1912. IV.
3. Dans Ancient Laus oflreland, I, p. 4 ss.
4. Comlholh Loegairi co cretim, éd. Charles Plummer dans Rev.
Celtique, VI, p. 101 ss. ; extrait dans Tripartile Life, II, p. 562.
T). Publiées d'après Fr. Lib. Ihjrnn., dans Tripartile Life, II, p. 3S1 ss. et
p. 402, dans Alkinson et Bernard, The irish Liber Uymnorum, Lon-
dres, 18'J7. (Publications de la Henry Bradshaw Society, XIII et XIV.);
dans Thésaurus Palœohib., II, p. 298 ss.
6. Publiées dans Fe'lire Oengusso, V» édition.
88 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Enfin, le Saltair na Rann, un recueil de poésies reli-
gieuses, dont la langue est antérieure au xii' siècle, par ses
allusions donne une idée de la place éminenle occupée
par l'apôtre dans le panthéon irlandais'.
1. Éd. W'hitley Stokes, dans Anecdola Oxoniensia (Mediaeval and
Modem Séries, I), Oxford, 1883.
CHAPITRE III
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK
ET LA MYTHOLOGIE IRLANDAISE. — LES FETES
Caractère général de la légende de saint Patrick.
— De l'ensemble des Vies, dont on vient d'étudier le déve-
loppement littéraire, ressort à première vue deux carac-
tères essentiels de la légende.
L'un est le caractère national de la légende de saint
Patrick. Le second est son caractère mythique.
Nous ne sommes point en présence d'une légende his-
torique, mais d'un enchevêtrement de mythes qui s'en-
trecroisent comme les fils dun tissu. C'est ce que nous
montrerons dans les pages qui suivent.
Pareil à un dieu, le saint commande aux forces de la
nature, il manie à son gré le tonnerre, suscite des inonda-
tions et des tremblements de terre. Il ordonne au soleil de
luire et à la neige de fondre. Les luttes de Patrick contre
les suppôts du paganisme, les druides, ont l'aspect de
batailles entre puissances opposées et également divines ^
Or les manifestations du pouvoir des héros sur la nature
et les combats divins sont — on le verra — des thèmes
familiers à la mythologie irlandaise.
Nous commencerons par étudier l'aspect mythique de
1. Cf. Muirchu, p. 281 ss.
90 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
la légende. Une analyse minutieuse de ce qu'elle emprunta
au système irlandais de représentations religieuses nous
fera comprendre son caractère national. A mesure que nous
avancerons dans celle analyse, et que nous comparerons
noire saint à ses prédécesseurs mythiques, nous nous ferons
une idée plus précise de ce que c'est qu'un héros et nous
serons mieu.x à mesure de démontrer qu'il en est un. Nous
accomplirons du même pas celte double marche de notre
recherche.
La TRAME CHRONOLOGIQUE DE LA LÉGENDE DE SAINT
Patrick est mythique. — Dans la légende de saint Patrick,
le mythe n'apparaît pas seulement dans une broderie d'épi-
sodes, qui serait étrangère à la trame du récit. Cette trame
est, pour ainsi dire, saturée de mythes. Bien plus, elle-
même est mythique.
Considérons la suite des événements et la chronologie de
notre légende.
Toutes les périodes de la vie du saint, toutes les phases
caractéristiques de son activité ont des durées convention-
nelles de sept, quinze ou trente ans. C'est assez dire
qu'elles sont imaginaires. Ainsi Patrick fut baptisé à sept
ans, on le fil prisonnier à quinze ans, il demeura en
captivité pendant sept ans, ses voyages durèrent encore
sept ans et enfin il passa sept ans dans le Connaught. Le
saint a trente ans lorsqu'il se met à étudier les Ecritures,
il poursuit cette élude pendant trente ans, puis il évangé-
lise l'Irlande pendant soi.xante ans. Il meurt à l'âge de
cent vingt ans ' suivant le continuateur de Tirechân.
Par contre, suivant Tirechàn ^, le premier cycle des exploits
1. Tirechàn, l. c, II, p. 302. Cf. Muirchu, p. 296 et Muirchu B, p. 551 s.
Cf. documents du Livre cl' Armar/k dans Tripai'lile Life, II. p. 300 et p. 331.
2. Tirechàn, p. 302.
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 91
de Patrick en Iilandc se déroule dans le courant d'une seule
année. Les Vies plus récentes se bornent à prolonger celte
durée de deux nouvelles périodes fermées : les quarante
jours du Carême et les cinquante qui s'écoulent entre
Pâques et la PenteciMe.
Mais il y a d'autres traces de mythe dans celte légende,
et des plus importantes.
L'un des traits du mythe, c'est sa correspondance à des
rites. C'est môme le signe des mythes les plus essentiels
d'une religion, que de correspondre à une fôlc ou à un sys-
tème de fêtes. Or, la partie la plus importante de notre
légende, celle qui relate la mission de saint Patrick, et qui
est d'ailleurs la seule où l'on trouve des dates précises, est
toute entière celle d'une fête. Tous ses épisodes sont groupés
autour de Pâques et des fêtes qui constituent le cycle
pascal.
Suivant Tirechdn, Patrick débarque en Irlande le Samedi
Saint, et c'est le soir du même jour qu'il livre un combat
décisif au paganisme à la cour du roi suprême. Le jour de
Pâques éclaire le triomphe définitif de la Foi dans Tara, la
capitale de l'île. Le lendemain Patrick implante le christia-
nisme en un autre centre important, Tailtiu, et, durant
l'octave de Pâques, il finit d'évangéliser la Plaine de Breg
tout entière, c'est-à-dire, l'apanage particulier du roi
suprême '.
Les autres hagiographes ne diffèrent de Tîrechân qu'en
ce qui concerne la date du débarquement en Irlande et celle
de l'épisode de Tailtiu. Mais il s'agit toujours de dates qui
dépendent de Pâques. Ainsi, suivant une tradition posté-
rieure, saint Patrick serait venu en Irlande le premier jour
du Carême ^
1. Tlrechiin, p. 306 ss.
i. Additamenla Ferdomnachi dans Livre d'Armafjli, l. c, p. 334.
92 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Quant à Muirclm', il parle de deux débarquements
successifs, dont le premier eut lieu sur la côte d'Ulster.
L'apôtre convertit une partie de celte province, puis, comme
Pâques approchait^ il reprit la mer et arriva le Samedi Saint
dans l'estuaire de laBoyne. On voit que Muirchu représente
le temps passé par Patrick en Ulster, comme une période
d'attente avant PAques, et d'ailleurs il ne s'agit ici que
d'une légende parallèle à la légende principale. L'hagio-
graphe a trouvé le moyen de les insérer toutes deux dans
son récit en les sériant tout simplement.
Un autre événement important de la vie de saint Patrick
est daté de la Pentecôte. L'apôtre gravit le Mont Aigle en
Gonnaught afin d'y demander à Dieu de lui promettre une
récompense pour l'œuvre qu'il entreprend. Cette récom-
pense est accordée à Patrick le jour de Pâques suivant,
lorsqu'il a mené sa mission à bonne fin ".
En résumé, le cadre chronologique, dans lequel se meu-
vent les personnages de notre légende, est constitué par un
cycle de fête et un cycle d'années. Ce ne sont évidemment
pas des préoccupations d'ordre historique qui ont donné
lieu à son établissement. Le principe qui y a présidé est un
principe conventionnel, une règle de composition litté-
raire.
La MYTHOLOGIE IRL.\NDAISE A UNE TRAME CHRONOLOGIQUE
ANALOGUE. — Or la mythologie irlandaise tout entière est
régie par une convention identique.
Ce sont les grandes fêtes saisonnières qui en forment,
pour ainsi dire, les pivots. Les faits et gestes des dieux ont
toujours lieu — on le verra par la suite — à la fête de
1. Muirchu, p. 273 s. et p. 278 s.
2. Vie Jriparh^e.éd. WhitleyStokes.p. 116; Colgan, Vila III" , ca^p . 85.
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 93
Samhain qui marque le début de la mauvaise saison, ou
bien î\ Beitaine, premier jour de l'été, ou bien encore à
lune des fêtes qui tombent au milieu d'une saison.
Il en est de môme dans répopée. Plusieurs récits du plus
ancien cycle, celui d'Ulsler, ont trait à des événements
qui se passent entièrement à Sam/iai)i\ ou bien, ce qui
est le cas dans la grande compilation épique dite Tdin Bô
Ciialnge, à des événements qui se suivent « de Samhain
jusqu'A Imbulc », premier jour du printemps'. Dans le cycle
épique du liéros Finn. ou cycle de Lcinster, on trouve un
roi, Conn Ccleatliach, dont la naissance et la mort survien-
nent toutes deux à Samhain, un mercredi'.
On verra que la fête de Pâques, sur laquelle s'ordonne
la légende de saint Patrick, équivaut à Samhain.
D'autre part, de môme que la vie de saint Patrick suit
une chronologie fondée sur des nombres conventionnels,
la vie des héros se décompose en périodes d'une durée
cyclique. Les événements s'y suivent à des intervalles d'une
1. Par exemple, les événements que raconte le morceau épique
Serglige Conculaind {Maladie de Cùchulainn). publ. par M. Windisch
dans Irisclie Texte, I, p. 197 ss. Traduction française par M. Dottin
dans H. d'Arbois de Jubainville, L'Epopée celtique en Irlande (Cours
de littérature celtique, V). p. 174 ss. — il suffit d'ailleurs pour se con-
vaincre du rrtle de Samhain dans le cycle d'Ulster, de comparer les
quelques légendes publiées dans ce dernier recueil.
2. Cùchulainn, le héros de l'Ulster, arrête une invasion à la frontière
de sa province 6 luan taite samna co tuile n-imbuilc « depuis le lundi
de Samhain jusqu'à Imbulc », Tàin Bô Cùalnge, éd. Ernst Windisch,
Leipzig, l'JOo, 1. 2'JOO. Cf. ibid., 1. 3180, 1. 4593. Le fait que les événe-
ments commencent à Samhain ressort de ce que les ennemis de l'Ulster
choisissent pour envahir cette province le moment où tous les guerriers
en sont terrassés par la maladie de la neuvaine, {Tâi7i, 1. '225 ss),
maladie qui est l'elfet d'un charme et qui a lieu à Samhain, suivant
un récit, la Neuvaine des Ulates (éd. Ernst Windisch dans Verhandlun-
gen der Kgl. Sdchs. Gesellschaft der Wissenschaften, Histor.-philo-
log.Klasse, Leipzig, 18S4. (Trad. française âixns Épopée celtique, \^. 320
ss.)
3. Catli Mutghe Léana, publ. par O'Curry, Dublin, (Celtic Society),
18jd. p. 98 (trad. p. 99).
04 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
saison, ou bien de trois, neuf et quinze jours '. Le roi Gonn
Cclcalhach. par exemple, vit cinquante-trois ans, ce qui est
la somme de deux nombres cycliques, cinquante et trois*.
Le parallélisme est donc absolu entre la légende de saint
Patrick d'une part, et les compositions mythologiques et
épiques de l'autre.
I
LE CYCLE MYTHOLOGIQUE IRLANDAIS
Les invasions mythiques et saint Patrick. — I. Saint
Patrick est un étranger. — Leur parenté est môme plus
intime encore. La légende de saint Patrick répète des
épisodes essentiels de la mythologie irlandaise. Bien
mieux, elle est un chapitre supplémentaire de celle-ci.
Tout d'abord, remarquons que notre saint est un
étranger, et qu'il est venu en Irlande par mer.
A première vue, il n'y a ici rien qui ne soit strictement
historique. Les missionnaires qui venaient prêcher l'Evan-
gile aux Gôidels ne pouvaient évidemment prendre une
autre route. Quant à l'origine de saint Patrick, elle est
mentionnée plusieurs fois dans la Confession et YEpître.
1. Cf. en particulier The Pursuil of the Gilla Decair, éd. Standish
OGrady dans Silva Gadelica, vol. Il (traductions) p. 292 : les guerriers
de Finn, le grand héros du Leinstcr, passent leur temps à chasser de
Beltaine à Samhain, et de Samhain à Beltaine ils jouissent de l'hospi-
talité des hommes d'Irlande. — Sur les périodes de quatorze, neuf,
sept et trois jours, cf. Hogan, Calh Ruis na Rig for Boinn, p. 3 et p. 19 ;
Tàiîi, éd. citée, p. 2't s. et p. 271: Acallamh na Senorach, éd. O'Grady
dans Silva Gadelica, passim; Neuvaine des Ulates, loc. cit., etc.
2. Cath Muifjhe Léana, loc. cil. — Sur les nombres cinquante et trois
cf. Loth, L'anne'e celtique, dans Revue celtique, XXV, p. 113 ss. — Cf.
H. d'Arbois de Jubainville, épopée celtique, index des noms communs,
sous trois, cinquante et cent cinquante (trois fois cinquante). Les dieux
et les héros irlandais vont par trois Cf. Kuno Meyer, The irish Triads,
(Todd Lectures Séries, Dublin), les figurants des légendes, guerriers,
femmes, enfants, les bestiaux, etc., vont par cinquante et trois fois cin-
quante.
LA LK(.KNDR DE SAINT PATRICK 95
Mais ce détail a néanmoins une grande importance
mytholog-iquo, à toi point qu'il est probablement le germe
de l'évolution mythique de notre légende. C'est à lui que
saint Patrick doit pour une bonne part sa priorité sur les
autres saints Irlandais, qui eux aussi ont étudié en Gaule
cl sont revenus en Iilande, et dont certains y ont môme
précédé l'apùlre^si l'on en croit leurs légendes. Aucun de
ces vieux saints n'est célèbre comme grand convertisseur.
C'est qu'ils leur manquait un prestige que la croyance
irlandaise attachait, pour des raisons que nous allons voir,
i\ la qualité d'étrangers.
II La venue de saint Patrick est l'avènement et un Règne.
— Remarquons encore que l'évangélisation de l'Irlande
par Patrick est représentée comme l'avènement d'un
Règne nouveau. Ce règne remplacera celui des démons
et de leurs suppôts, les druides.
On l'attend avec anxiété, et dès longtemps il est Fobjet
de prophéties. Un homme tonsuré viendra par mer pour
construire des villes, édifier des églises, et planter des
croix en tel nombre, qu'elles pourraient remplir un
royaume. Il détrônera les rois et les chefs, il ruinera la
puissance des druides et son règne durera en l'éternité'.
1. Par exemple un desdeu.x saints Ciaran, cf. Betha Ciar ain, ùan^ Silva
Gadelica.
2. Muirchu, p. 274, donne une traduction latine des vers que les
druides avaient composés pour prédire la venue de saint Patrick. La
Vie Triparlite, éd. Stokes, j). 34, en donne le texte irlandais :
Ticfa tâilcend lar muir meir- Tête rasée viendra par la mer
cenn (?) furieuse (?)
a brait toUcend, a chrand croin- son manteau percé au haut, son
chend : bâton recourbé au sommet;
a mias inairthiur a tigi sa table à l'iisl de la maison ;
fris{g)erat a mûinler huili toute sa famille lui répondra :
A7nen, amen. Amen, amen.
L'Hymne de Fiacc, l. c, p. 314, dit que dans les clans d'Irlande avait
cours une projthétie qu'un Régne nouveau viendrait et durerait jus-
qu'au jugement Dernier. — Cf. Muirchu, p. 28i : les druides disent au
96 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
III. Itinêl'aire de saint Patrick. — Enfin il y a lieu de
tenir compte de rilincraire suivi par saint Patrick avant de
débarquer en Irlande.
Cet itinéraire comprend une visite aux îles de la mer
Tyrrhénienne.
Ici encore le point de départ de la légende est un fait
consigné dans les Dicta Patricii. Mais il y a loin de l'aus-
tère Lérins aux îles merveilleuses des Vies. Elles sont une
sorte de paradis terrestre.
La vie et la jeunesse y fleurissent sans souffrir de la
fuite du temps. Patrick débarque en une île, dans laquelle
un jeune couple attend sa venue depuis le temps que le
Dieu incarné passa parmi les hommes. Jésus a commis les
deux jeunes gens à la garde de son bâton avec mission de
le remettre à Patrick, en môme temps que de signifier au
saint l'ordre de devenir l'apôtre des Irlandais.
A proximité est un mont où le Seigneur en personne
confirme cet ordre à saint Patrick*. Celui-ci se met donc
en route et débarque en Irlande dans Plnbher Boinne^
Arrivé là il entreprend immédiatement la conquête de l'île
à la Foi. Il arrive le même soir à Tara et y terrasse le
paganisme en une bataille décisive.
Or, le noyau de la mythologie irlandaise, en tous les cas
de ce que Ton appelle le cycle mythologique irlandais,
qui comprend toute l'histoire des dieux, mais auquel se
rattachaient par des liens étroits les autres cycles, les cycles
roi Loegaire d'éteindre à tout prix le feu de Pâques allumé par saint Pa-
trick, sinon le nouveau venu regnabit m œtermnn.
1. Vie Tripartite, éd. Stokes, p. 28; Colgan, Vita Uh , c. 23.
2. Muirchu, p. '27'J ; Tlrechân, p. 306; cf. les autres Vies. Suivant
Muirchu. saint Patrick essaya d'abord de débarquer près de Wicklow,
mais repoussé par les habitants, il se retira dans une lie voisine de la
côte, la Patricks Island actuelle, et de là il alla en Ulster, puis à l'em-
bouchure de la Boyne [loc. cit., p. 275 s.). — Cf. plus loin, litinérairc
et le double débarquement des Tùatha Dé Danann.
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 97
épiques, est la représentation d'une série d'invasions,
venues, comme la mission de saint Patrick, d'outrc-mer,
d'un pays qui ressemble aux îles de la mer Tyrrhénienne,
et ayant suivi à peu près le môme itinéraire. La suite de
ces invasions constitue un corps d'annales fabuleuses, et
leurs différents épisodes rhythment le cycle annuel des
saisons.
Les invasions mythiques de l'Irlande. — Dans toutes
ses versions connues l'histoire des invasions est iden-
tique dans ses grandes lignes, et partout elle est repré-
sentée comme l'histoire la plus ancienne de l'Irlande. Entre
les textes qui lui sont consacrés, le plus circonstancié est
une vaste compilation du xi" siècle, intitulée Lebar na
Gabala, ou Livre des Conquêtes^
L'Irlande a subie en tout cinq invasions successives.
La première fut celle de Partholorr. Il venait de l'Espagne,
qu'il avait été obligé de quitter après avoir tué son père.
1. Une édition de ce texte, la première, est annoncée par M. Mac-
alister. Une traduction française in extenso, peu recommandable, a été
publiée par M. Lizeray. Nous nous sommes servi du résumé publié
dans Le Cycle mythologique irlandais {Cours'de littérature celtique, II),
par d'Arbois de Jubainvillc. — Les autres textes sur les invasions
mythiques de llrlande sont : VHistoria Britonum, attribuée à Nennius ;
l'Histoire d'Irlande de Geoffrey Kealing. qui florissait au xvip siècle;
un poème d'Eochaid hûa Flainn, mort en 984. qui énumère les envahis-
seurs, mais ne donne que très peu de détails.
i. Suivant le Lebar na Gabala. Parlhoion n'aurait été que le second
des envahisseurs. Avant lui vinrent en Irlande Cessair et Fintan.
Mais l'histoire de cette invasion est une addition tardive. Les textes
plus anciens, comme Nennius, ne la mentionnent pas. De plus, suivant
un texte du ix« siècle, le récit de Tûan mac Cairill, « personne n'occupa
l'Irlande avant le déluge ». Or les compilateurs du Lebar na Gabala
commencent l'histoire de Partholon par les mêmes mots, bien qu ils
fassent venir Cessair en Irlande quarante jours avant le déluge.
Cf. H d'Arbois de Jubainville,C'yc/e Mylhol , p. 66 s. ; The Story of Tûan
mac Cairill, éd. Kuno Meyer. dans Alfred Nuit et Kuno Meyer, The
Voyage of Bran, II. Londres 189". p. 286, § 4 (version du Ms La«rf 610,
de la bibliothèque Bodléienne d'Oxford). — Nous n'avons donc pas
tenu compte de la légende de Cessair.
CZARNOWSKI. 7
98 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
Bel, roi de ce pays'. Le jour de son arrivée on Irlande
est le jour môme de la fôte de Bel, la fôle de Bellaine^
Le pays que Parlliolon venait coloniser avec ses compa-
gnons était déjà occupé par une autre race, les Fomôraig.
C'étaient des gens à lète de chèvre, qui n'avaient qu'un
œil, un bras et un pied. Partholon eut à les combattre.
Sa race créa des lacs, des rivières et des plaines. Après
quoi elle fut entièrement emportée par une épidémie qui
commença le jour môme de Bellaine et qui ne dura que
jusqu'à la fin de la semaine. Le lieu de cette catastrophe
fut Sen Mag, la Plaine Antique^ la seule qui existât avant
l'arrivée de Partholon en Irlande, et où toute sa tribu
s'était réunie afin de procéder sans difficultés aux enter-
rements ^ Mais, suivant une autre tradition, ce lieu est la
Plaine de Breg*, ce qui ne contredit d'ailleurs aucune-
ment la première; Sen Mag était une contrée purement
mythique, celle où se réunissent et meurent les dieux, par
conséquent une contrée qui peut être localisée en tout
endroit de quelque importance religieuse. Or, celle de la
Plaine de Breg est exceptionnelle, c'est le centre religieux
de l'Irlande païenne ^
L'histoire du second envahisseur de l'Irlande, Nemed^,
(le Sacré'), répète celle de Partholon. C'est encore un
1. H. (l'Arbois de Jubainville, Cycle Mythol., p, 37, et p. 38.
2. Le Glossaire de Cormac, qui a été rédigé au x« siècle, dit que
beltine veut dire feu de BU, un dieu païen. Sanas Cormaic, éd. Kuno
Meyer, p. 12, sous : Belllaine. — Cf. Kuno Meyer, Tochmarc Emire,
dans Bev. Celt., XI, p. 443 : Bel est le dieu de Beltaine.
3. Sanas Cormaic, éd. Kuno Meyer, p. 107, au mot Tamlachla.
4. Eochaid hiia Flainn, dans Livre de Leinster, facsimilé publié par
l'Académie Royale d'Irlande, p. 6, col. 1, ligne o.
5. C'est là que se trouvent les lieu.x des trois grandes fêtes pan-gôi-
déliqiies. Tara, Tailliu, et Uisnech Midi, et les fameux fumulus de
Brugh na Boinne. Dans la Tàin Bo Cùalnge, les génies sont désignés
par le nom d'hommes de Breg (Tain, lignes 3599, 3647).
6. H. d'Arbois de Jubainville, Cycle Mythol., chap. v.
7. Nemed, « sacellum « Zeuss. éd. Ebel : ou de nem, « ciel »?
LA LÉr.ENDR DR SAINT PATRICK 99
chef venu d'Espagne le jour de Bellaine, vainqueur des
Fomùraig-, oréaleur de lacs et de rivières. Une épidémie
qui luo en un seul jour Nemed el deux mille membres de
sa tribu met fin à son règne.
Les survivants tombèrent sous le joug des Fomôraig. Ils
durent leur abandonner, en guise de tribut, les deux tiers
des enfants nés dans l'année, des récoltes et du lait. La
date du payement était Samhain, le lieu Mag cetne, ou la
Même Plaine, c'est-à-dire la plaine qui est toujours iden-
tique à elle-même, le pays de l'éternité.
Les fils df^ Nemed ne tardèrent pas à se révolter contre
leurs oppresseurs. Ceux-ci dominaient l'Irlande du haut
d'une tour de verre située dans une île, Tor Inis, ou Tlle de
la Tour. Ils y furent assiégés par les insurgés, la tour fut
prise et le chef des Fomôraig, Conann, tué. Mais le frère de
Conann vengea cette défaite en exterminant la race entière
de Nemed.
Ce massacre fut suivi d'une troisième invasion, celle des
Fir-Iiolg , des Fir-Domnann et des Galiôin^ . On les
englobe tous dans la dénomination de Fir-Bolg.
Il s'agissait cette fois de tribus alliées des Fomôraig. Elles
reconnaissaient pour déesse suprême la reine de ceux-ci,
Domnu. Comme les Fomôraig, les Fir-Bolg étaient l'incar-
nation de tous les vices. Méchants et bavards, ils aimaient
les ténèbres et abhorraient la musique, la poésie et tous
les arts en général.
Mais ils ne jouirent pas longtemps de la domination
exclusive de l'Irlande. Une nouvelle race, les Tûatha Dé
Danann, envahit l'Ile une quatrième fois*.
1. D'Arbois de Jubainville, op cit., chap. vi.
2. Ibid.. chap. vu.
100 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Les Tûatha Dé Da?iaîin, ou Tribus de la déesse Danu,
sont en contraste complet avec les Fir-Bolg. Ce sont des
génies bienfaisants, protecteurs de la vie humaine, animale
et végétale. Ils aiment la musique, la poésie et les arts. Ils
sont versés dans toutes les sciences et en particulier dans
celle des druides.
Les Tûatha Dé Danann arrivent en Irlande à Beltaine.
Mais ils attendent, pour se montrer, qu'ils se soient avancés
dans l'intérieur du pays. Selon les uns, c'est un brouillard
épais qui les rend invisibles. Mais d'autres disent qu'en
débarquant ils avaient mis le feu à leurs vaisseaux, et que
c'est la fumée de cet incendie qui les avait dérobés aux
regards*.
Cette deuxième version du mythe a pour nous une
importance particulière, car, ainsi qu'on le verra, elle pré-
sente une grande analogie avec un passage de la légende
de saint Patrick.
L'arrivée des Tûatha Dé Danann fut le signal d'âpres
luttes pour la domination de l'Irlande. Elles finirent par
l'écrasement définitif des Fomôraig à Mag Tured, en Gon-
naught, le jour de Samhain. Suivant une tradition plus
récente, cette défaite avait été précédée par celle des Fir-
Bolg, survenue au même endroit, après des combats qui
durèrent du 5 au 9 juin.
Les circonstances de la victoire remportée par les
Tûatha Dé Danann sur les Fomôraig font l'objet d'un récit
détaché, intitulé Cath Maighe Tured, la Bataille de Mag
Tured ". Nous y apprenons que les deux races ennemies
étaient parentes l'une de l'autre. Les tribus de la déesse
1. Keating, lïistory of Ireland, éd. Comyn {Msfi Texts Soc, IV),
Londres 1902, p. 212.
2. Whitley Stokes a publié ce texte dans la Revue celtique, XII,
p. 52 ss. avec traduction anglaise. Une trad. française se trouve dans
V Épopée celtique de H. d'Arbois de Jubain ville.
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 101
Danu sont commandées par le dieu Lug, dont le grand-
père maternel est Balor, chef des Fomoraig. Sa mère adop-
live, Tailtiu, fille de Magmôr, appartient à la môme race.
Lug tue Balor en lui lançant une pierre de sa fronde'.
La cinquième et dernière invasion fut celle des ancêtres
directs des Gôidels -.
Ils venaient d'Espagne. Leur émigration fut provoquée
par les circonstances suivantes.
En Espagne il y avait une tour construite par le roi
Bregon. Un soir d'hiver Ilh, fils de Bregon, aperçut la
côte d'Irlande du haut de cette tour. Accompagné de trois
fois trente guerriers il s'en alla donc reconnaître le pays
des Tùatha Dé Danann.
Ceux-ci étaient justement occupés à se partager le ter-
ritoire d'un de leurs chefs, qui avait été tué. On invita Ith
à être l'arbitre du litige. 11 prononça une sentence équitable,
mais comme il avait eu l'imprudence d'y donner libre
cours h son enthousiasme pour l'Irlande, les Tùatha Dé
Danann crurent bon de le tuer, dans la crainte que l'idée
de s'emparer du pays ne vînt à leur hôte.
Mal leur en prit, car les compatriotes d'Ith organisèrent
une expédition chargée de venger sa mort. Quatre fois neuf
vaisseaux firent voile d'Espagne en Irlande sous la conduite
de Mile, fils de Bile, fils de Bregon. Cette expédition
débarqua à Bcltaine dans l'Inbher Scène, à l'extrémité sud-
ouest de l'île. De là l'armée de Mile gagna le Mont Miss
en Munster, y batailla pendant trois jours contre les Tùatha
Dé Danann et leur infligea une défaite.
Poursuivant sa marche dans l'intérieur de l'Irlande,
1. Calh Maighe Tured, §§ 133-135.
i. Résumée d'après le Cycle Mythologique, ch. x et xi.
102 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
l'armée viclorieusc arriva devant Tara, la résidence des
trois rois qui se partageaient le pouvoir suprême. Des pour-
parlers furent engagés, suivis d'une sentence arbitrale. Les
fils de Mile durent reprendre la mer et ne tenter un nou-
veau débarquement qu'après avoir mis une distance de
neuf vagues entre eux et la côte.
A peine s'étaient-ils conformés h cette sentence, qu'une
tempête assaillit leurs vaisseaux, les repoussant au large.
Elle avait été déchaînée par la magie des Tiiatha Dé Danann.
Mais le magicien et poète en chef des fils de Mile, Amairgen,
l'apaisa par ses incantations. Pourtant les envahisseurs ne
purent débarquer sans perdre une partie de leur monde.
Cette fois le débarquement eut lieu dans l'Inbher Boinne,
d'où les fils de Mile marchèrent sur Tailtiu, dans la Plaine
de Breg. Ils y remportèrent sur les Tùatha Dé Danann
une victoire qui les rendit maîtres de l'Irlande. Les dieux
vaincus se retirèrent dans de somptueuses demeures sou-
terraines, les sidh, où ils vivent invisibles aux humains.
Thème général des mythes d'invasions. — Ici s'arrête
l'histoire dès invasions mythiques.
On reconnaîtra sans peine que tous ses chapitres sont
des développements différents d'un thème général unique.
Celui-ci est la lutte de deux tribus divines, qui sont en
réalité deux générations d'une seule race \
1. M. Squire, Mythology of British Islands, p. 69 s., supposequc les
tribus dont parlent les histoires dinvasions ont réellement existé. Elles
ont été divinisées par les Gôidels, qui ont eu à combattre contre elles
après être venu en Irlande. C'étaient les « savage aborigines » de
l'Irlande, que les Gùidels, plus civilisés, considéraient comme des êtres
à demi diaboliques, à demi divins. — Nous croyons qu'il se peut bien
qu'un souvenir de luttes anciennes avec des peuplades non gôidéliques
ait subsisté dans les mythes. Ceci est d'autant plus probable que
l'épopée connaît certaines tribus irlandaises qui sont issues des Fir-
Domnann et des Gaiiôin. Les Galiôin jouent même un rôle dans la
Tàin Bô Cûalng e comma clan allié du Connaught (làin, p. 51 ss. —cf.
ibid., 1. 3004 et 3180 ; le héros Ferdiad appartient au clan des Fir-Dom-
LA LÉGENDE DE SAINT PATRU:K 103
Elles sont toutes originaiies d'un môme pays, situé au
delà de la mer de Touesl. En cfîet, la Tour de Bregon, que
les textes localisent en Espagne, est évidemment identique
à la Tour de Conann, qui s'élève dans Tor-lnis. On verra
plus loin qu'il s'agit du pays et de la forteresse des morts,
et que leurs localisations diverses sont le fait des évhéme-
risles ii-landais des x' et xi' siècles.
Les batailles des dieux ont lieu entre parents. Lug tue
Balor, Partholon tue son père Bel. Les Fomôraig, maîtres
de la tour ancestrale des dieux, sont assiégés par les fils de
\emed. Ce sont toujours des révoltes déjeunes dieux contre
leuis propres anciens.
Quant à la victoire des jeunes dieux elle est représentée
comme une libération. On se rappelle la manière dont les
Fomôraig opprimaient les fils de Nemed. Ils avaient fait
peser une tyrannie pareille sur les Tiiatha Dé Danann avant
la bataille de Mag Tured. La puissance bienfaisante de
Partholon, Nemed et des tribus de la déesse Danu ne put
s'exercer qu'après avoir vaincu les génies malfaisants.
Comparaison de la légende de saint Patrick avec les
MYTHES d'invasions. — I. Identité des itinéraires suivis
par le saint et les dieux, et identité des pays d'où ils
viennent. — Or la légende qui raconte la venue de saint
Patrick en Irlande reproduit ce type de mythe dans sa
presque intégralité.
On y retrouve d'abord le vieux pays des dieux ; ce sont
les îles de la Mer Tyrrhénienne. L'étymologie et la géogra-
phie populaires étaient déjà bien incapables de distinguer
entre cette mer, en irlandais i)fuir Torann, et la mer qui
baigne Tor-lnis, Muir Torinaig. Déplus, les hagiographes
nann;. — Mais ceci n'empêche point que l'histoire des invasions ne soit
purement mythique.
104 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
ont décrit les îles visitées par saint Patrick, comme un lieu
où Dieu se manifeste de préférence, un lieu dont les traits
sont à la fois ceux du Mont Sinaï et du paradis terrestre.
Aussi les îles de la Mer Tyrrhénienne ont-elles été finale-
ment confondues avec le pays des dieux. Elles en sont un
équivalent dans les légendes épiques \
Quanta l'itinéraire de saint Patrick à partir de son débar-
quement jusqu'à sa première rencontre avec les druides,
c'est l'itinéraire même des fils de Mile après leur seconde
descente dansTîle. 11 est vrai que celui de Tapôtre aboutit
à Tara et non à Tailtiu ; mais, outre que Patrick va à
Tailtiu le lendemain, cette difîérence s'explique par l'im-
portance politique et religieuse de Tara, importance sur
laquelle nous aurons à revenir.
II. — Comparaison des thèmes. Les combats de saint
Patrick contre les druides et les démons. — D'autre part
le thème fondamental de la légende de saint Patrick est
formé par la lutte de deux puissances spirituelles qui se
manifestent dans des formes sensiblement pareilles.
Afin d'éprouver laquelle des deux religions en présence
est supérieure, le roi et les notables irlandais organisent un
concours entre leurs représentants. Les druides suscitent
des ténèbres, ils font tomber la neige au printemps.
A quoi saint Patrick répond en faisant réapparaître le
soleil et en ordonnant à la neige de fondre*.
Les druides essayent de confondre l'apôtre en blasphé-
mant et en lui jetant des sorts. Mais les démons emportent
les blasphémateurs, auxquels ils fracassent le crâne, et les
sorciers sont engloutis par la terre qui s'entrouvre sous
leurs pas^.
1. Cf. làin, p. 589 etSerglige Conculaind, éd. Windisch, p. 218 ss.
2. Muirchu, p. 281.
3. Muirchu, p. 281 ; Tlrechân, p. 307, p. 325 s.
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 105
En général, la vie entière du saint n'est qu'une série de
batailles. Il confond les druides, il chasse les démons qui
habilaionl les idoles, il suscite un tremblement de terre
qui fait de nombreuses victimes lorsqu'on essaye d'attenter
à sa vie. Dans toutes ces luttes les puissances surnaturelles
sont seules en jeu. Les hommes ordinaires n'y assistent
qu'en spectateurs, sauf dans le cas du tremblement de
terre, qui d'ailleurs est plutôt la sanction d'un crime qu'une
forme du combat. Toutes ces batailles peuvent être consi-
dérées comme parallèles aux batailles des dieux païens.
111. Le thème de la libération dans la légende de saint
Patrick. — Elles le peuvent être d'autant plus que leur
issue est représentée comme une libération.
Les Irlandais sont un peuple naturellement enclin à la
Foi du Seigneur. Leurs sages anciens, leurs législateurs
avaient même reçu l'inspiration directe du Saint-Esprit'.
Mais la tyrannie des démons pèse sur le pays, ils infestent
le territoire entier et se servent des méchants druides
pour opprimer les Ames. Patrick est le champion divin qui
brise ce joug odieux.
Une menace de son bAton sufïit pour faire fuir un esprit
malin qui animait une idole". Tous les démons sont forcés
de quitter l'Irlande à jamais, tourmentés par le son de la
clochette du saint, qu'on entend partout^ Il en est de
même des serpents et des dragons
Patrick a même rendu impossible le retour de l'ancienne
tyrannie. Il a obtenu de Dieu que l'île ne souffrît point de
la persécution de l'Antéchrist. Sept ans avant le Jugement
1. Ancient Laws of Ireland, I, p. 1 ss.: «jugements de la vraie nature
que le Saint-Esprit avait prononcés par la bouche des brelhemain
(jurisconsultes) et des justes poètes d'entre les hommes d'Irlande. »
(Introduction au recueil de droit dit Senchus Môr).
2. Vie Tripartite, p. 90; Colgan, Vita III', cap. 46.
3. Vie Tripartite, p. H8.
106 SAINT PATIUCK ET LE CULTE DES HÉROS
Dernier l'Irlande sera engloutie par les Ilots, pour ne repa-
raître qu'au moment où les morts iront se réunir à la vallée
de Josaphat'.
Enfui, la légende associe la réussite môme de la mission
de saint Patrick à sa libération personnelle, qui est en même
temps une libération du joug païen. Arrivé en Irlande, le
saint comprend qu'il lui faut avant tout porter le prix de
son rachat au chef, qui l'avait autrefois tenu en captivité.
Mais ce chef préfère se donner la mort qu'accepter ce prix
— car il sait que son ancien esclave lui apporte les trésors
de la Foi, et que c'est lui qui deviendra le maître. Or
l'ancien oppresseur de saint Patrick était un druide fort
expert dans l'art des maléfices ■.
La libération personnelle de l'apôtre est ainsi un prélude
symbolique à la libération du peuple irlandais. Elle est,
d'autre part, un rappel des anciens mythes, dans lesquels
on voyait la mort de l'oppresseur faire de l'esclave un
maître, la mort du père libérer le fils.
II
iMYTHES ET LÉGENDES DES FÊTES IRLANDAISES
LE SACRIFICE ET LES COMB.ATS DES DIEUX
Nous n'avons pas encore rendu compte du fait que les
épisodes de ces mythes ont lieu à des jours de fête.
Divisions de l'année irlandaise. — Voyons donc quelles
sont ces fêtes.
L'année irlandaise est divisée en deux grandes périodes
de six mois, la mauvaise et la belle saison, dont chacune
1. Colgan, Vita III', cap. 85; Cf. Continuateur de Tirechân dans Tri-
partite Life, II, p. 331.
2. Muircbu, p. 275 s.
LA LÉr.ENDE DE SAINT PATRICK 107
compte à son tour deux saisons de trois mois. Celles-ci
sont subdivisées en demi-saisons de (iiiarante-cinq jours
et en périodes de quai-anle jours*.
Le premier jour de chaque saison est une fête solennelle.
Ce sont : Samhain^ ou Samhtnn, qui tombe le l" novembre
et ouvre la période hivernale de six mois*; Beltaine, pre-
mier jour de la période correspondante d'été et qui coïncide
avec le l'"*" mai 3; Lugnasad' et Oimelc, ou Imbulc'^^ fêtes
qui marquent le début de l'automne et du printemps et qui
sont célébrées, la première au l""" août et la seconde au
l"*" février.
Les demi-saisons et les périodes de quarante jours com-
\. Suivant M. Lolh, arl. cité, l'année celtique a encore compté des
mois de vingt-sept jours. Mais on n'en trouve pas trace dans l'épopée
irlandaise ni dans les documents sur les fêtes ou les dates critiques des
Gôidels. Pour les périodes de quarante et quarante-cinq jours cf. ci-
dessous.
:i. Cf. Giossary ta the Calendar of Oengus the Culdee, éd. Whitley
Stokes dans Tkree Irish glossaries. p. 137; cf. Fëlire Oenqusso, éd. de la
Henry Bvadshaw Society, au i" novembre : cf. aussi H. d'Arbois de
Jubainville, Les Assemblées publiques de l'Irlande (Extrait du Compte-
Rendu de l'Acad. des Inscriptions et Belles-Letlres), Paris, Picard, 1880,
p. 20.
3. La fétc du 1" mai, le May Day des Anglais, porte encore le nom
de Bellene en Ecosse et en Irlande, cf. The Folk-Lore Journal. Sur la
date ancienne, cf. Kuno Meyer, llibernica Minora, dans Aiiecdota Oxo-
niensia {Mediaeval and Modem Séries, part. VIII). O.xford, 1884, p. 49.
— Un autre nom de Beltaine était Cetsoman : Sanas Cormaic, édit,
Kuno Meyer, p. 24, an mot Cétsamun.
4. C'est la fête actuelle de Lamnas, Lamnastide. Sur la date ancienne
cf. O'Curry, On llie Manners and custonis of Ihe ancieni Ii-ish, Dublin,
1873, II, p. bSi s. et p. 547 : Joyce, A Social histoj'y of ancieni Ireland,
Londres, 11)03, II, p. 380. Un autre nom de Lugnasad était Bron-
trogain.
0. Satias Cormaic , éd. Kuno Meyer, sub Oimelc. — Dans la Tâin Bô
Càalnge les mots co laite n-imbnilc de la version du Livre de Leinster
(éd. citée lignes :!J900, 31S6, 4J'j:i) sont remplacés par go taille n-ear-
raig/i, « jusqu'au printemps » dans la version du Ms. Sloive (Windisch,
Tdm, glossaire, au molimbulci et cossin celdin in n-imbulc (ibid. 1. 24T3)
est dans Stowe : cossin cetàin ier b-fel Brigde (ibid., p. 345, note 9),
« jusqu'à mercredi après la fôte de Brigit », c'est-à-dire, après le
1" février; Cf. Fëlire liai Gormdin, édit. Whitley Stokes, p. 28 (1" fé-
vrier) .
108 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
menccnt également par des fêtes. On les désigne par les
noms de leurs saints patrons'.
De toutes ces fêles celles de Samhain, de Beltaine et
de Lugnasad ont été les dates de grandes solennités, dès
le plus ancien temps auquel les textes nous permettent de
remonter. On ne sait en revanche rien sur la manière dont
les païens célébraient Imbulc, qui devint plus tard la fête
ecclésiastique et populaire de sainte Brigit, ni sur les autres
fêtes, dont certaines sont devenues depuis d'importantes
solennités chrétiennes.
Nous étudierons les trois grandes fêtes irlandaises con-
jointement, afin de pouvoir comparer les représentations
qui leur sont attachées.
1. Ce sont d'abord, en comptant à partir de Samhain ; le 12 décembre,
quarante et unième jour, la Saint-Finnian ; quarante et un jours après,
le 22 janvier, lanniversaire de la mort des filles de saint Comgall. puis,
après deux nouvelles périodes pareilles, la fête de saint Ciaran de
Saighir, le 5 mars, et celle de saint Ruadan, ou Rodan, le 15 avril.
Quarante jours après Beltaine on a la Saint-Columcille, le 9 juin, et, de
même, après Lugnasad, la fête de saint Ciaran de Clonmacnois, dit
mac in t-sair (fils d'artisan). Cf. Félire Oengusso, éd. de lyOb, pp. 251,
37, 80, 106. 139, 193. Les fêtes de demi-saison sont : la Sainl-l'atrick,
fixée au 17 mars dans les Martyrologes, mais dont Tirechân, p. 333,
dit expressément quelle doit être célébrée in medio neris et pendant
trois jours, c'est-à-dire du 15 au 17; la Saint-Moling, qui tombe au
17 juin [Félire. p. 141) et la fête de saint Coeman Brecc, le 14 septembre
(ibid., p. 194). — L'importance de ces fêtes ressort d'abord de ce qu'elles
sont placées sous l'invocation des plus grands saints irlandais, dont
plusieurs, les saints Finnian, Columcille, Ciaran, Comgall. Ruadan,
sont nommés entre les « douze apôtres de l'Irlande » (Félire, Notationes,
p. 168 et Prologue, vers 181 ss., p. 25) et autour desquels la floraison
légendaire est la plus touffue. De plus ce sont des fêles non seulement
ecclésiastiques, mais populaires, dans les rites desquelles on relève des
survivances du paganisme (cf. à ce sujet Wood-Martin, Traces of
elder faiths in Ireland, Index, aux noms des saints en question). Saint
Molingestle patron de Luachra Dedad, un lieu d'assemblée périodique
païenne des plus importantes dans le sud de l'Ile. (Cf. plus loin,
chap. IV.) Enfin certaines de ces fêtes sont la date de mythes païens.
C'est à la Saint-Columcille que finit la bataille entre les Tùatha Dé
Danann et les Fir-Bolg (elle commença le premier jour de la sixième
semaine après Beltaine et dura quatre jours). Une autre bataille a eu
lieu à la Saint-Finnian, bataille qui est le sujet d'un récit, Cath Almaine,
dont le caractère de mythe festival sera démontré plus loin, p. 127 ss.
Pour la Saint-Patrick, voir ci-dessous.
la légende de saint patrick 109
Caractère géiséral des assemblées de fête en Irlande.
— Les fôtes sont en Irlande roccasion de grandes assem-
blées populaires, qui concentrent, pour ainsi dire, toutes
les manifestations de la vie sociale'.
EUles sont d'abord de grandes solennités religieuses^.
C'est aux assemblées de fôte qu'ont lieu les foires et les
échanges. La vie économique y atteint son maximum d'in-
tensité*.
On y conclut aussi des mariages, en particulier des
mariages temporaires, pour un an'.
Les assemblées sont encore le moment où les litiges sont
soumis à l'arbitrage des brethemain^ les juristes de pro-
fession. C'est pendant ces réunions qu'on modifie les lois
anciennes et qu'on en édicté de nouvelles. On y procède
de même au règlement de toutes les questions politiques'.
Enfin les fêtes donnent lieu, comme de raison, à de
grandes réjouissances publiques, parmi lesquelles les audi-
tions des poètes et des musiciens*, les banquets et les jeux
athlétiques tiennent le plus de place,
Une trêve marque le temps de la fête. Il est interdit de
s'y rendre en armes \
La participation à l'assemblée festivale est obligatoire.
1. Cf. d'Arbois de Jubainville, Assemblées, p. 5 ; p. 8.
2. Cf. ci-dessous, p. 111 ss.
3. Ibid., p. 16; cf. Sanas Cormaic, éd. citée, p. 32, au mot Coibehi.
11 y avait à Tailliu, où se tenait une gtande assemblée à Lugnasad,
une colline appelée tulack na coibche « Colline du Marché » ; cf. aussi
Aenach Carmain, poème publié par O'Gurry dans Manners and Cus-
toms, m. Appendice 111.
4. H. d'Arbois de Jubainville, Assemblées, p. 8 et p. 12.
a. O'Curry, Mannei's and Cusloms, II, p. 8 ss. ; pour exemple cf.
Aenach Carmain, loc. cit., : les affaires du Leinsler sont réglées tous
les trois ans à la fêle de Carman.
6. Aenach Carmain, loc. cit., strophes 58 à 65.
7. Joyce. Sucial history, II, p. 448 ; Ancient Laws, III, p. 265 ; cf.
Tfte Death of Kinrj Uermot dans Silva Gadelica, II, p. 77 ; Boroma [Tlie
Tribule), ibid., p. 402.
110 SAINT PATRICK ET I-E CL'LTE DF.S HEROS
On ne peut s'y soustraire sans sanction. Tout Ulale qui
manquait de se rendre h la f<^te de Samhain, que le roi
Conchobar présidait à Emain Mâcha chaque année, deve-
nait immédiatement fou et mourait dans la journée*. Les
lois irlandaises obli<:^ent les pères nourriciers des jeunes
nobles à leur fournir des chevaux pour aller aux fêtes et
prendre part aux courses*.
Diverses CATÉGORIES d'assemblées festivales. les assem-
blées NATIONALES. — En Irlande chaque clan célèbre
Samhain, Bcltaine et Lugnasad pour son propre compte. A
côté de ces fêtes particulières il y a aux mêmes dates des
solennités de royaumes provinciaux et de grandes assem-
blées où est représentée llrlande entière.
Celles-ci ont lieu dans la Plaine de Breg, l'assemblée de
Samhain à Tara, celle de Beltaine à Uisnech Midi et celle
de Lugnasad à Tailtiu^.
La première, qu'on désignait aussi par le nom de Fête de
Tara, Féis na Temrach, était la plus importante. C'est
à cette assemblée qu'avait lieu l'élection du roi suprême *
et le droit de la convoquer constituait un des privilèges de
ce souveraine
La Fête de Tara était périodique en principe *, mais les
1. Fragment du récit intitulé Naissance et règne de Conchobar, publié
par M. Windisch dansi?"wc/ie Texte, III, p. 210.
2. Ancient Laws of Ireland, II, p. 154.
3. H. d'Arbois de Jubainville, Assemblées, p. 21 s. ; O'Curry, op. cit.,
II, p. S ss. ; cf. The Dealh of King Dermot, loc. cit., p. 77 ; The Birlh of
Aedh Slàine, ibid ., p. 88 : Keating. éd. Dinnoen (suite de l'éd. Comyn),
publ. de ïlrish Texts Soc. VIII, p. 246 ss.
4. Cf. élection du roi Lugaidh Riabn-derg dans Serglige Concvlaind,
loc. cil., § 21 ss. et élection du roi Conn Cetcathach dans Cath Muighe
Léana.
5. John ODonovan, The Book of Righls, now for the first time edited
by... Dublin, Celtic Society, 1847.
6. Elle était célébrée tous les trois ans suivant Keating, éd. Dinneen,
LA LK(JENDE I>E SAINT PATRICK Hl
rois de l'époque historique paraissent ne l'avoir ordonnée
qu'en cas de nécessité. En d'auties lieux les assemblées de
Samhain se réunissaient annuellement, ou bien tous les
trois ans. La fôte durait trois jours, Trene Samna '.
Quant t\ la célébration de Lup^nasad b. Tailtiu et à celle
de Beltaine à Uisnccli Midi, elles paraissent avoir eu lieu
annuellement, et, en tant que solennités du royaume de
Meath, avoir dépendu des rois suprêmes''. Mais on ne sait
rien sur le temps qui séparait deux assemblées pangôidé-
liques aux mêmes dates et aux mêmes endroits.
D'ailleurs la périodicité des deux fêtes en question a
varié suivant les lieux. Ainsi la grande assemblée provin-
ciale du Leinster fl Carman, qui se réunissait à la fête de
Lugnasad, était tenue une fois tous les trois ans. Elle
durait sept jours'.
Rituel général des fêtes. Offrandes de prémices.
— On a dit tout à l'heure que les trois grandes fêtes irlan-
daises étaient des solennités religieuses.
Elles comportent d'abord des offrandes de prémices. Un
récit épique, la Cour faite à Emei\ dit qu'à Beltaine on
Irish Testa Soc, VFII. p. 432 et p. 250. Dans le morceau épique
Birlhof AedhSUiine. loc. cit., II, i). 88, il est dit que la fête de Tara
était célébrée à c/ia7Me Samhain. — Tara ayant été détruite au vi« siècle,
et la dernière fêle de Tara ayant eu lieu en 560, on manque de docu-
ments directs sur les dates des célébrations successives, puisque les
chroniques irlandaises relatives à ces temps reculés sont très succintes,
et souvent même tirent leurs informations de l'épopée. Sur la célébra-
tion cf. poème d'Eochaidh Eolach dans Keating, loc. cit.
4. Serglige Conculaind, loc. cit., p. 205, § 4. Naturellement les assem-
blées et les foires ont pu à diverses époques et dans divers lieu.x durer
plus longtemps. Ainsi l'assemblée de Tara durait sept jours suivant cer-
tains documents, un mois suivant d'autres, ou bien même six semaines.
Cf. Joyce, op. cit.. Il, p. 436. ,
2. Birlh of Aedh Slâine, loc. cit., p. 88 (Tailtiu); Deatk of King
Dermot, loc. cit., p. 77.
3. Aenach Carmain, loc. cit., p. 512 et 529 ss.
112 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
donnait au dieu Bel le croît de toutes les sortes de bétail '.
A Samhain, suivant un autre récit, la Bataille de Crinna,
les druides offraient aux dieux des glands et une partie
des récoltes*. C'est à la même date que les fils de Nemed
payaient, on se le rappelle, leur tribut de lait et d'enfants
aux Fomôraig. Les Dinnsenchas, recueil de légendes locales
compilé au xii" siècle, parlent d'offrandes de nouveau-nés
faites par les Gôidelsà une idole, Cromm Grùaich, à Mag
Slecht, le jour de Samhain \ A Tailliu également on tuait
des bestiaux en l'honneur des dieux et on brûlait les pre-
miers-nés *.
Le SACRIFICE DES FÊTES. — FeSTINS SACRIFICIELS. — LcS
fêtes comportaient un sacrifice.
La viande que l'on consommait aux banquets provenait
d'animaux sacrifiés.
C'était de la viande de porc ' . Le Glossaire d'O'Da-
1. Tochmarc Emire, éd. Kuno Meyer, Rev. Celtique, XI. p. 442 : Do
asselbhthea dine cecha celra for se(i)lb Be(i)l. Del-dine iarom. i.
Bellline.
2. The Battle ofCrinna, éd. Standish Hayes OGrady, dans Silva Gade-
lica, vol. trad.. p. 360; Keating, éd. Dinneen, vol. cité, p. 246.
3. Dinnsenclias métriques de Mag Slecht, éd. Kuno Meyer dans The
Voyage of Bran, II, Londres 1897, app. B, strophe 4 :
Do cen bùaid A lui sans gloire
marbtais a claind toirsig trûaig, Ils tuaient leur progéniture pi-
toyable, misérable
co n-immud guil ocus gàid, Avec beaucoup de lamentations
et péril
a fuil do dàil imm Chromm Crû- Pour verser leur sang autour de
aich Cromm Crùaich.
4. Dinnsenchas métrique de Tailtiu, dans le Livre de Ballymote,
p. 404, 1. 4 et 5 du fac-similé publié par Robert Atkinson pour l'Aca-
démie Royale d'Irlande, Dublin. 1887.
Na leora fola fillte Les trois sangs défendus
ro pridchais Palraic indte (Patrick y prêcha) :
dam, ocus guin bo m-blicht. Bœufs et tuer vaches à lait
loiscid leis fas imprimichl. Aussi contre l'action de brûler les
premiers-nés (?J.
1. Cf. par exemple le festin de Samhain dans The Death of Muircer-
LA LEGENDE DE SALNT PATRICK 113
vorcn nous apprend qu'à Samhain chacun devait î\ son
suzerain une offrande nommée fuirec : c'était un porc qui
était tué et mangé*. Saint Adamnan, qui florissait au
vil* siècle, certifie qu'on engraissait les porcs en automne
pour en égorger de grandes quantités au début de l'hiver,
c'est-à-dire à Samhain '. Ce sont ces porcs qu'on man-
geait au banquet festival.
Les porcs sont des animaux impurs en Irlande. Il est
interdit aux rois et aux nobles de les garder daus l'enclos
sacré qui entoure leur demeure *. D'autre part les porchers
sont des personnages importants ^ Xous avons donc
affaire à des animaux sacrés.
Les dieux qui vivent dans un état de fête perpétuelle
tachmac Erca, §§ 19, 22, dans Rev. Celtique, XXIII, p. 408 s. p. 410 s.
En général la viande de porc est servie aux banquets d'honneurs. Cf. par
exemple, Saissance et régne de Conchobar, dans Irische Texte, H, p. 210
(le héros Fergus dévore chaque jour sept porcs et sept bœufs) et sur-
tout Scél MucciMic-Datho. éd. Windisch, dans Irische Texte, I, p. 96 ss.
(description d'un festin de viande de porc). Cf. description des ban-
quets de Tara dans O'Curry Manners and Customs, II, p. 15.
2. O'Davoren's Glossary, éd. Whitley Stokes dans Archiv f. Celtische
Lexikographie, II, p. 366, n» 978 : Fuirec. i. nomen bid fearthar ria not-
laicc. ut est f(a) er, fuirec ocunrl. i, in banb samna (Fuirec. c'est le nom
de la nourriture offerte (au seigneur) avant Noël, ut est faer, fuirec, etc.,
c'est-à-dire le cochon de Samhain). — Cf. ibid., p. 363. n" 977 : Faer. t.
ainm bid doberar do ligerna isin fogmur, ut est faer, fuirec, furnaide,
Nô faer. i. in mult fogmuir. i. iar inbuain (Faer, c'est le nom de la
nourriture offerte au seigneur en automne, ut est faer, fuirec, fur-
naide. Ou bien faer est le mouton d'automne, c'est-à-dire, après le
printemps (?). — Cf. aussi, ibid., p. 367, n» 983. sous Furnaidhe. On
nomme ainsi la nourriture consommée en hiver entre le Nouvel An et la
Chandeleur, ou jusqu'à Bellaine, et qui consiste en salaisons et sau-
cisses.
3. \'ita Columbae, édit. Reeves (publications de la Irisk Archseol. and
Cellic Society), p. 135.
4. Ancient Laus of Ireland, IV, p. 382.
3. Cf. Hanas Cormaic éd. Kuno Meyer, p. 75 sub Mugh-éme. — Les
porchers irlandais, semblables en ceci à nos bergers, étaient plus
particulièrement capables d'avoir des accointances avec les puis-
sances occultes. C'est à eux que se révèlent les esprits. Cf. la légende
de la fondation de Cashel, chez Keating, éd. Comyn, p. 124, et O'Curry.
Mss. Materials, pp. 485 et 623. Deux porchers voient un chœur d'anges
CZARNOWSKI. 8
114 SAIM PATRICK ET LE CULTE DES IIÉHOS
passent leur temps à des festins de viande de porc '. Ces
porcs renaissent dès qu'ils sont mangés. Une légende qui
raconte la mort du roi Muircertach mac Erca dit comment
ce héros et ses guerriers mangèrent de ces porcs divins au
banquet de Samliain'-.
Le porc de Samhain est donc une victime rituelle, sa
mort un sacrifice. Les festins de cette fête sont des ban-
quets sacrificiels.
Le feu de fête. — Ses caractères généraux. — Mais le
rite qui est, pour ainsi dire, au centre même des cérémonies
religieuses à Samhain comme à Beltaine, consiste à allumer
un feu. On y procède la veille de la fête au soir, avant le
banquet.
Ce feu est un feu nouveau. La veille de Samhain tous
les foyers d'Irlande doivent être éteints sous peine de mort\
On les rallume au bûciier sacré. On les rallume aussi au
feu de Beltaine, qui, suivant le Glossaire de Comme, était
suscité par les druides au moyen d'incantations*.
Le feu de Beltaine avait en outre des vertus lustrales
chanter sur le sommet du roc de Cashel. Ce chœur angélique n'est que
l'ancienne ronde des fées christianisée. En effet le Rock of Cashel éia'û
un lieu hanlé ainsi que l'indique son nom, Sidh Druimm, la « Crète du
Palais des Génies ». — On connaît dcu.\ porchers dieux dont l'histoire
est traitt'O dans le récit de la Génération des deux Porchers (éd. Win-
disch dans Irische Texte III,, avec traduction. Traduction de la version
du Livre de Leinster dans Voyage of Bran, II, p. 58 ss., autres versions
p. 66 ss. Une traduction fran(,-aise d'après un Ms Egerton a été publiée
par H. d'Arbois de Jubainville en appendice au livre Les Druides et les
dieux celtiques à formes d'animaux).
1. H. d'Arbois de Jubainville, Cycle Mythologique, pp. 275 et 277, cf.
p. 318.
2. Cf. plus loin, p. 118.
3. Keating, éd. Dinneen, vol. cité. p. 246 : les druides allument à
Samhain un feu à Tlachtga, dans la Plaine de Breg et, pendant que
ce feu brûle, tous les foyers de l'Irlande doivent être éteints. — Cf. d'Ar-
bois de Jubainville, Assemblées, p. 21.
4. Sanas Cormaic, éd. Kuno Meyer, p. 12, au mot Belllaine : Belltaine.
i. beil-tine. i. tene bil. i. dà tene sôinmech, dognitis na dràilhe co
LA LÉGENDE DE SAJNT PATRICK 115
et régénéialriees. Le Glossaire déjà cité nous apprend
qu'on y amenait le bétail afin de le préserver des
maladies '. Aujourd'hui encore le jour de Beltainc on fait
passer dans le môme but les bétes à cornes entre deux feux
voisins'.
Mais l'importance rituelle des feux de Beltainc et de
Samhain consiste surtout en ce qu'ils sont des feux sacri-
ficiels. A défaut de témoignages directs nous le conclue-
rons de l'analyse des mythes qui s'y rattachent.
De la correspondance des mythes et des rites, tant
tincetlaib moraib — (Bellaine. c'est-à-dire, bil-lene, c'est-à-dire, feu
bienfaisant, ce sont deux feux que les druides produisaient par le moyen
de grandes incantations (ou avec incantations). » — Cf. Dinnsenchas
du Ms. de Rennes, éd. Whitley Stokes dans Rev. Celtique, XV, p. 297,
n» 7 [Midé) : Mide fut le premier qui alluma un feu en Erin à Uisnech
pour les clans de Nemed. et tous les feux d'Irlande furent allumés à
ce feu. 'Ce mythe correspond évidemment à un rite. On répétait chaque
année le feu d'Uisnech : on devait y allumer les foyers comme on le
fll pour la première fois.
1. Sanas Cor maie, suite du texte cité : doberdis na cethra atarro ar
tedmaiiduib cec/ui bliadna — « ils amenaient à ces feux les bestiaux
contre les maladies de chaque année. » Cf. Keating, éd. Dinneen,
vol. cité, p. 24G.
2. Joyce, op. cit.. I, p. 291 : on fait passer le jour de Mai, ou bien la
veille de la Saint-Jean, les bestiaux entre deux bonfires. Pour guérir les
bêtes malades on allume un feu nouveau en frottant deux bouts de
bois l'un contre l'autre et on procède comme ci-dessus. — Les feux
de fêtes étaient très répandus en Irlande et on les allume encore
en certaines localités. Par exemple dans le comté Donegal on allume
des feux le Jour de Mai (Beltaine), la veille de la Saint-Jean et au
!•' août (Luguasad). — Jusqu'en fîSS on plantait au Jour de Mai dans la
paroisse de Maghera (Down) un maypole sur la place du marché, on
nommait un Hoi et une Heine de Mai et le jour suivant on organisait un
festin. Une quête couvrait les frais de la cérémonie. Aujourd'hui on
allume à Maghera des bonfires la veille de la Saint-Jean, et le jour sui-
vant les franc-maçons de l'endroit se réunissent en un banquet {The
Folk-Lore Journal de Londres. II. 1884, p. 90 s. — Cf. Evelyn Marlinesco
Cesaresco. ibid., I, 1883, p. 158 : « in some parts of Ireland they sfill
plant a may-lree or may-bush before the door of the farm house,
throwing it at sundown into a bonfire ». — Dans la paroisse de Cahir-
corney on plante la veille de la Saint-Jean des pieux sur le faite des
plus hautes collines. Au sommet de ces pieux sont attachés des paquets
de paille et l'on fait des feux au[our (Ibid., II, 1884, p. 213). — Sur les
rites de l'Arbre de Mai et du feu, cf. Mannhardt, Wald-und Feldkulle,
2» éd. posthume, Berlin, 1904, I p. 160 ss. clpassim.
416 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
(l'excmplos ont été signalés, qu'on est en droit de la con-
sidérer comme un postulat vérifié par l'expérience, et dont
on peut se servir avec prudence, à fin de démonstration.
Personnages divins qui meurent aux fêtes. — \. La
légende de Muircertach. — Un exemple typique est
fourni par le récit de la Mort de Muircertach mac Erca ^
Muircertach, fils d'Erca, premier roi d'Irlande issu de la
race d'Eogan ou branche septentrionale des Hûi Xéill, est un
personnage historique, qui florissail au vi^ siècle". Mais dès
le X* il était devenu un héros épique' et cent ans plus tard
1. l'ublié sous le titre The Death of Muircertach mac Erca par
Whilley Stokes dans Rev. Celtique, XXllI, p. 396 — p. 430, avec trad.,
d'après le Livre Jaune de Lecan (YBL), qui fut copiée au xw siècle, et
le Ms. H. 2. 7 du Triiiity Collège de Dublin, qui est postérieur de cent
ans environ. Une partie des vers intercalés dans la prose du récit ont
été omis par l'éditeur « as merely repealing what bas been already
lold in clearer language ». Av. -propos, ibid., p. 395.
2. Muircertach mac Erca, roi d'Ailech ou des Hùi Néill du Nord,
apparaît pour la première fois dans les chroniques comme vainqueur
du roi de Munster Ailill Molt dans la bataille d'Ocha en 482, suivant le
Chronicon Scotorum, éd. William Hennessy, collection des Masters of
ihe liolls: en 482 ou 483, suivant O'Flaherty dans Annals of the Four
Masters, éd. J. O'Donovan ; en 482 ou 483 secundum alios suivant les
Annals of Ulster, éd. Will. Hennessy et B. Mac Carthy. En 484 [Chroni-
con Scotorum, sub anno) M. gagne la bataille de Graine ; en 487 celle de
Cill Osnaigh dans Mag Fea sur Aengus mac Nathfraeich, roi de
Munster et sa femme Eithne Uatach, fille du roi de Leinster Criom-
thann mac Enna Cennselach. Ce Criomthann avait été tué en 484
(Chronicon Scotorum) par Eochaidh Guinech d'ibh Bairrchc, allié de
Muircertach. 11 s'agit donc d'une longue guerre entre les Hùi Néill, qui
prétendaient à la souveraineté, et les rois du sud. (Sur la rivalité du
nord et du sud cf. Cath Muighe Léana, qui en raconte la cause.) En 508
Muircertach devient roi d'Irlande. En ol8 il vainct Ardgal mac
Conaill Crimthainne maie NéilT dans la bataille de Detna en Uruimm
Breg. La guerre contre le Leinster recommence et Muircertach est
vainqueur des troupes de cette province en 528 à Cenn-Eich et Ath
Sighe et en 530 à Eblinn, Mag .Ailbe et Almain, et il met au pillage
Cliach (Dublin). La même année il bat les armées du Connaught à
Aidne. Il meurt en 531 (Chronicon Scotorum).
3. Un poème de Cinaed hùa Arfacain, mort en 'J73, mentionne
Muircertach dans une énuraération des grands héros anciens, immé-
diatement après les héros des cycles épiques d'Ulster et de Leinster.
Publ. par Whilley Stokes dans Rev. Celtique, XXIII, p. 310 ss. (trad.
p. 311), strophe 26 .: « le tombeau du noble Muircertach est près de
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 117
on connaissait sur sa mort tragique des poèmes, dans les-
quels le roi se noie dans un tonneau de vin et est brûlé le
jour de Samhain par la faute de sa concubine '.
Les circonstances essentielles de la mort de Muircertach
sont les mômes dans la version bien connue du récit, qui
date du xiv" siècle.
Un jour, proche de Samhain, le roi qui revient de la
chasse ramène en son chfttcau de Cletech sur la Boyne
une femme d'une beauté merveilleuse. Elle avait consenti
à lui donner son amour sous trois conditions : le roi doit
répudier sa femme légitime ; aucun clerc ne pénétrera
jamais dans la maison qui abrite la nouvelle concubine
royale ; jamais Muircertach ne prononcera le nom de celle-
ci.
Elle s'appelle Osnad, Easnadh, Sîn, Gaeth, Garb^
Gem adaig, lasnad^ Taethan — ce qui signifie : Soupir,
Son, Tempête, Vent-Apre, Xuit-d'Hiver, Cri, Lamenta-
tion, Gémissement. Le récit la désigne le plus souvent
par le nom de Sin, Tempête-.
Cletech au nord-est ». — Un poème, attribué, sans dout« faussement,
à Cennfaelarth le Savant, qui florissait au vu» siècle, et qui est cité par
le Chronicon Scotoritm, s. a. 497, chante les causes de la bataille de
Seghais, dans laquelle Muircertach vainquit le roi de Connaught
Duach Tengumha.
1. Poème cité par Tigernach, mort en 1088, dans ses Annales^
éd. Whitley Stokos, dans Rev. Celtique, XVII, p. 132, sub anno 531.
Répété Chronicon Scolorum, même année : « Muircertach mac Erca
(fut) plongé dans un tonneau de vin, et brûlé et blessé la nuit de
Samhain sur la hauteur de Cletech. ainsi que le dit saint Cairnech :
— J'ai peur pour la femme, autour de laquelle s'agiteront les tempêtes
nombreuses, pour l'homme qui sera brûlé et que le vin va noyer sur
le coteau de Cletech...
Sin est la femme qui t'a tué, ô fils d'Erca, comme je le croie. Ses
noms sont nombreux (Cf. plus loin, les noms de Sin). Elle mettra
quelqu'un dans l'ignorance.
La femme dont le nom est Sin n'est pas aimée à cause du roi, que
le feu brûlera, que le vin noiera dans la maison de Cletech. »
2. Cf. Chronicon Scotorum l. c, (à la suite du poème) : « Sin dit en
énumérant ses noms : — Soupir, Tempête, Vent-Apre, Gémissement-
d'Hiver, Lamentation ».
ti8 SAINT PAiniCK ET LK f.L'LTR DF.R HÉROS
Tout le monde à Clelech croit que Sin est une f(''e, une
bandéa, car le roi l'a rencontrée assise sur le tumulus
hnnlô de Brujçh na Boinnc, et parce qu'elle lui a déclaré
« connaître les lieux secrets », c'est-à-dire les s/dh. Le
récit explique qu'elle était seulement une magicienne très
puissante, mais le fait est qu'il s'agit d'une bandéa, comme
l'indique l'interdiction de prononcer son nom, interdiction
qui est un lieu commun des contes de fées.
Dès le banquet qui suit son arrivée, Sin pratique une
série d'enchantements. Elle suscite d'abord deux armées
de fantômes qui s'entre-tuent sous les yeux des convives.
Puis elle prépare pour ceux-ci un festin magique avec des
fougères et de l'eau du fleuve qu'elle a changé, les unes en
porcs et l'autre en vin. Ces porcs renaîtront dès qu'ils seront
mangés et ce vin ne tarira jamais dans les vases.
Mais le lendemain tous les convives sont pris d'une fai-
blesse extrême. Le roi sent que sa mort approche.
Cependant Sin poursuit ses enchantements. Deux ar-
mées nouvelles apparaissent devant Cletech, l'une com-
posée d'hommes bleus, l'autre d'hommes sans tètes. Elles
provoquent le roi qui sort et fait un grand carnage de ces
fantômes. Sin le nomme leur roi. Puis une nouvelle troupe
barre la route à Muircertach, qui tombe dessus à grands
coups d'épée et continue le massacre jusqu'au moment où
l'enchantement est dissipé par saint Cairnech. Le roi
s'aperçoit alors qu'il était en train de sabrer des pierres.
Mais à Cletech, dont l'entrée a été interdite au saint
moine, le charme reprend. On arrive ainsi au septième jour
des enchantements de Sin. C'est la veille du mercredi
après Samhain.
Les convives du roi sont ivres et ils dorment après le
festin magique. Soudain un grand vent que Sin a suscité
vient gémir autour de la forteresse. « Voilà — dit le roi —
LA I.KC.ENDE DE SAINT PATRICK 119
le soupir [osnad] d'une nuit d'hiver [gem-adaifj). » Et quand
UTie tourmente de neige succède au vent, il dit que la tem-
pête [sin) est Apre. Muircertach a ainsi prononcé trois fois
le nom de sa maîtresse.
Aussi la mort le guette. Lui et ses guerriers sont aussi
faibles qu'une femme en couches. Il a des rôves affreux,
dans lesquels il se voit tantôt périr dans l'incendie de sa
forteresse assiégée, tantôt enlever par un griffon qui le
dépose dans son nid, lequel brùlc avec le roi et le monstre.
Or ces rêves sont les signes précurseurs d'une mort pro-
chaine, ainsi que l'explique au roi son druide.
Enfin le roi finit par s'endormir profondément. Alors Sin
se lève, elle prend tous les javelots qu'elle trouve dans la
maison royale, et elle les dispose en dehors de la forteresse
la pointe tournée vers celle-ci. Puis elle met le feu à la
maison dans laquelle dort le roi.
Aussitôt une armée surgit devant Cletech. Ses cris
réveillent Muircertach qui n'a plus d'armes pour se
défendre. 11 sort, voit les assaillants escalader les remparts,
fuit dans sa maison et, comme celle-ci brûle, il cherche un
refuge suprême en se plongeant dans un tonneau de vin
où il meurt noyé. Le feu lui tombe sur la tète et brûle
de son corps cinq pieds de long.
II. Légende de Flann. — Voilà pour Samhîiin. Bel-
taine est l'anniversaire d'une tragédie toute pareille.
Une légende rapporte qu'à cette date le roi Diarmaid
mac Corbhaill assiégea un certain Flann, fils de Dima^ qui
habitait dans la plaine d'Uisnech. La maison de Flann fut
incendiée. Celui-ci chercha à se sauver en se plongeant
dans une baignoire, mais il s'y noya et son corps brûla
avec la maLson '.
1. Death of k'ing Dermol, l. c , p. 77 s. — Diarmaid mac Cerbhaill
120 SAINT PATHICK KT LE CULTE DES HEROS
III. La mort de Muircertach et de Flann sont sacrifia
cielles. — Ces deux légendes sont-elles simplement des
histoires tragiques quelconques ?
On verra que non. La mort de leurs deux héros est une
mort rituelle.
Les incidents qui précèdent celle de Muircertach sont les
incidents d'une fête qui est celle de Samhain. L'histoire
du roi brûlé est un mythe qui correspond à cette f<ite.
On nous y parle d'abord de banquets qui sont des
banquets de fêle et qui se composent d'aliments identiques
à ceux du festin des dieux.
On y voit apparaître des esprits en foules. En effet, les
« hommes bleus », les « hommes sans têtes » de la lé-
gende sont des esprits magiques. Ils sont une « armée de
sorcellerie » \
Le roi et ses convives sont dans un état particulier, une
faiblesse extrême, qui est un état caractéristique des jours
de fêtes ^ Ainsi un récit, la Neuvaine des Ulates, nous
apprend qu'à Samhain les guerriers d'Ulsler sont aussi fai-
bles que des femmes en couches^. Le jour de Samhain
est, comme Muircertach, un roi historique du vi» siècle, qui devint héros
épique. Cinaed hùa Artacain le mentionne dans son poème sur la
mort des héros, strophe 32, loc. cit., p. 312. — Il devint même le per-
sonnage central de tout un cycle de légendes épiques.
1. Loc. cit., p. 422, § 40 : gair na slûag siabra ocus ndràidechta
imon tech, « le cri de l'armée de sorcellerie et de magie autour de la
maison ».
2. Loc. cil. p. 418, § 33 : 0 lliainiic in fledugad immorro ro laigset na
sloig iarsin ocus ni raibi nert mna seola a nduine dib, « quand le
banquet fut fini, la troupe se coucha et dans aucun d'eux il n'y
avait la force d'une femme en couches. » Cf. ibid., § 34 (aussi les vers,
p. 420) et §36, p. 420 s.
3. Deux versions de cette légende ont été publiées par M. Windisch
dans Verhandl. der Kgl. Sâchs. Gesellschaft der Wissenschaften, hist.
philol. Klasse, Leipzig, 1884. — Traduction française d'après les deux
versions, combinées de manière à n'en faire qu'une seule, par d'.\rbois
de Jubainville, dans Rev. Celtique, VII, p. 227 ss. et Épopée Celtique.
— Cf. Dinnsenclias de Rennes, éd. Whitley Stokes, dans Rev. Celtique,
XV, p. 45 (Armagh).
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 121
des fées enchantent le grand héros du cycle d'Ulster,
Cûchulainn, qui reste sans forces, presque sans vie,
jusqu'à la fétc de Samhain suivante'.
Enfin le roi s'unit i\ une déesse. Or, le mariage
divin est parmi les événements des fêles de tous pays un
des plus communs. Les Mariages de Mai en sont un
exemple connu entre tous".
Ainsi les événements qui précèdent et qui préparent en
quelque sorte, la mort de Muircertach sont les incidents
d'un mythe festival, et la mort même du roi est le mythe
d'un sacrifice de Samhain. Le druide qui explique le
songe du roi lui dit : « Is i long i rabadais... .i. long in
flailhiusa... ocus is in long do bâdud, tusa do taircsin,
ocus do saegal do thoidecht ». — C'est le vaisseau dans
lequel tu as été... c'est-à-dire le vaisseau de la royauté...
et ceci est le vaisseau qui fait naufrage et toi tu dois être
l offrande (?), et ta vie prendra fin.
1. C'est le sujet même du récit Serglige Conculaind , éd. citée.
La période d'un an, de Samhain à Samhain, pendant laquelle Cûchu-
lainn est malade, équivaut aux neuf jours de la maladie des Ulates,
neuf jours qui s'allongent jusqu'aux trois mois d'une saison dans la
Tàin Bô Cûalnge (loc. cil., à propos d'Imbulc). Elle équivaut en général à
toute période fermée qui commence à la même fête et aussi à la
durée de la fête elle-même. En effet, en Irlande, comme ailleurs, un
cycle fermé de temps équivaut k l'éternité et par conséquent à tout
autre cycle. Cf. par exemple l'histoire de la Conquête du Sid/i : Le
dieu Dagda permet à son Cls Aengus de s'installer dans son palais
souterrain pour un jour et une nuit. Aengus en profite pour y rester
toujours, puisque le jour et la nuit renferment en eux l'éternité.
(Résumé de la légende chez d'Arbois de Jubainville, Cycle Mythol.,
p. 270 ss). — Même thème dans l'histoire du Tribut du Leinster, telle
que la relatent les annales : O'Grady, Fragmentary Annals, dans Silva
Gadelica, II, p. 422-4i3, aux années 67d-69o : Adamnan avait permis
au roi Finnachta de remettre son tribut d'un jour et d'une nuit. On
ne le paye plus jamais depuis, sous prétexte qu'il a été remis pour
l'éternité. — Sur l'étpiivalence des périodes fermées, cf. U. Hubert,
Étude sommaire de la représentation du temps dans la religion et la
magie. Rapport de l'École Pratique des Hautes Études, Section des
Sciences Religieuses, 1905.
2. J.-G. Frazer, Lectures on the early kistory of Kingship, Londres,
1905, p. 154 ss. et Lecture VI; Mannhardt, op. cit., I, p. 422 ss.,
p. 437 ss. ; p. 444 et passim.
122 SAINT PATRICK ET I.K CULTK DES IlÉnOS
Il en est de niôme de la mort de Flann, dont la légende
n'est évidemment qu'une réplique de celle de Muircertach.
Seulement le sacrifice est ici un sacrifice de Beltaine.
IV. Le rite qui correspond aux mythes de Muircertach
et de Flann est le feu de fête. Équivalence des diverses
formes du sacrifice. — Or le seul rite de Beltaine et dé
Samhain qui corresponde à ces deux mythes est le rite du
feu.
On n'a, il est vrai, aucune preuve, qu'on y brûlât un
homme. Mais Kcaling, un historien du xvii^ siècle qui a eu
à sa disposition des documents perdus depuis, affirme
qu'on y brûlait des offrandes '.
D'autre part une histoire, la Cour faite à Becuma', nous
permet d'établir avec certitude l'équivalence des diverses
formes du sacrifice et un sacrifice dans le feu sacré.
Becuma était une bandéa qui avait été condamnée par
les dieux à mourir sur le bûcher pour adultère^. On lui
fit toutefois grâce de la mort et la sentence fut changée en
sentence d'exil. Elle quitta le pays des dieux. Arrivée en
Irlande Becuma devint la femme du roi.
Mais dès qu'elle fut reine, des fléaux de toute sorte rava-
1. Éd. Dinncen, vol. cit6, p. 246.
2. Chez Sullivan, volume diniroduction à OCurry, Manners and
Cusloms, p. 333.
3. La condamnation dune femme au brtcher pour crime d'adultère
ou d'inconduite est un lieu commun des contes et légendes irlan-
daises. Exemples dans The Cause of the baille of Cnucha, éd. W. Hen-
nessy, dans Rev. Celtique, II, p. 91 : The Greek Emperor's Daughter, éd.
St.-H. O'Grady, dans Silva Gadelica, l (vol. des te.xtes), p. 414 ; légendes
de saints dans Kilkenny Archseol. Journal, 1868, p. 333; chez Sullivan,
op. cit., p. 322 et note ibid., p. 334 ; commentaire du Lebar Brecc au
Félire Oengusso, dans l'éd. de 1880, p. 63, a, 7. — Dans tous ces récits
la peine est commuée, ou bien n'est pas exécutée par suite d'un inci-
dent quelconque, et c'est ce qui fournit la matière de l'histoire. Mais
si Ton en croit un passage du Livre de Leinsler, le bAcher aurait été
réellement la punition qui attendait les femmes adultères : « c'était
autrefois la coutume de brûler toute femme qui avait commis la faute
de luxure à rencontre de ses obligations ». Cité par Hennessy, loc. cit.,
p. 91, note. — Cf. César, De bello Gallico, 1. VI.
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 123
gèrent le pays. Il n'y avait plus de récoltes ni de lait. Les
druides consultés dirent que le crime de la reine était cause
des nialliours et que pour conjurer ceux-ci il fallait sacrifier
un fils do vicrp^e et asperger de son sang- la porte de Tara
et la plaine voisine '.
On trouva l'enfant, mais comme on allait le tuer, sa mère
obtint qu'on lui subslituAt une vache. Le sacrifice de
l'animal eut tout reffct désiré.
l'n sacrifice animal peut donc remplacer celui d'un
homme fils d'une vierge, c'est-à-dire, on le verra plus loin,
fils d'un dieu. Et à son tour ce sacritice équivaut à la mort
d'un dieu dans le feu -.
D'autre part, l'objet du sacrifice de Becuma est iden-
tique à celui qui est assigné à la célébration des fêtes
irlandaises. En effet, il ne s'agit pas seulement d'une
expiation dans notre légende. Ce qu'on a en vue, c'est
d'assurer les récoltes et l'abondance du lait. Or c'est pré-
cisément l'effet que, suivant les Dinmenchas^ les anciens
Gôidels attendaient de leurs offrandes à Gromm Cruaichle
jour de Samhain\ et de même, la célébration de Lugnasad
!. Le thème de l'enfant fils de vierge qui doit être sacrifié est d'inspi-
ration chrétienne. Cf. la légende qui raconte la fondation de Dinas
Emris dans le Pays de Galles par le roi Gortigern. Les druides font
rechercher le fils d'une vierge pour le tuer et asperger de son sang les
fondements de la forteresse. On trouva l'enfant, mais quand il fut mis
en présence des druides il les confondit en discutant avec eux et con-
vainquit le roi de le relâcher. Cet enfant devrait se couvrir plus tard de
gloire sous le nom de Merlin l'Lnchanteur. (Nennius, llisloria Brilo-
num, éd. Mommsen, p. 182 s. — On reconnaîtra, croyons-nous, Jésus
discutant avec les docteurs dans ce fils de vierge, destiné à être sacrifié
et qui discute avec les savants du paganisme.
2. Sur ce système de substitution cf. H. Hubert et M. Mauss, La
nature et la fonclion du sacrifice, dans Année sociologique, II, p. 43 ss.,
et dans l/é/anf/es d'histoire des religions, Paris l'JOO.
3. Dinnsenchas métriques de Mag Slechl, loc. cit., strophe â :
Blichl is ilh Lait et blé
ùaid nochungitis for rith Ils lui demandaient bien vite
dar cend Irin a sotha slriin... Au prix du tiers de leur postérité
entière...
124- SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
ù Carman assurait au Leinster la prospérité matérielle
pendant la période qui séparait deux assemblées succes-
sives *.
La divinité môme, en l'honneur de laquelle on célébrait
cette dernière fôte, ressemble en tous points à Becuma.
C'était aussi une déesse venue un jour d'un pays d'outre-
mer, et dont la présence en Irlande eut pour effet de tarir
le lait des vaches et de faire brouir les blés. Les conju-
rations des Tiïatha Dé Danann , qui étaient alors les
maîtres de l'Irlande, firent cesser l'influence maligne, mais
en môme temps causèrent la mort de la déesse. La fête a
été instituée pour commémorer cet événement ^.
Ainsi le mythe de Becuma est bâti sur un thème com-
mun de mythe festival irlandais, et le sacrifice de cette
déesse équivaut à un sacrifice de fête.
1. Dinnsenchas métriques de Carman du Livre de Ballymote (Aenach
Carmain), chez O'Curry. Manners ai\d Cusloms, III, app. III, p. 328 :
En célébrant la fôte de Carman les hommes du Leinster s'assuraient
« blé, et lait, et la liberté du joug de toute autre province irlandaise,
et vaillants héros royaux, et prospérité dans chaque ménage, et abon-
dance de chaque (sorte de) fruit, et bonne pêche ». S'ils négligeaient
la célébration ils étaient sûrs de tomber en décrépitude et dans une
vieillesse précoce, et d'avoir des rois trop jeunes. — Cf. O'Dionovan,
Book ofRights, p. LUI : bvôn-trogain (autre nom de Lugnasad) cet dérivé
dans un glossaire irlandais de brôn=n faire sortir de » et /7*o^an=aterre »;
brôn=trogain est donc la fête qui fait sortir les fruits de dessous terre.
Cette étj'mologie est fausse : Brôn signifie chagrin, affliclion. Cf. Revue
Celtique XI, p. 443 : is an do-broni trogan fua torthib, « il as then sorrows
the earlhunder its fruit ». Quoi qu'il en soit, l'idée d'abondance était
liée à la célébration de Lugnasad.
2. I>innse?ic/ja5 de Rennes, éd. Whitley Stokes, dansflei'. Celtique, XV,
p. 3H s. (trad. p. 313 s). Cf. Dinnsenchas du Livre de Ballymote, chez
O'Curry, loc. cit., p. 326 (trad. p. 527) : Une femme, Carman, vient
d'Athènes en Irlande avec ses trois fils, Violent, Noir et Méchant, fils
d'Anéantissement, fils de Ténèbres. Par leurs incantations ils ruinent
les Tùatha Dé Danann en faisant brouir les blés. Les Tûatha Dé
Danann leur opposent un poète, un faiseur d'incantation, un druide et
une femme devin, qui grâce à leur science magique forcent les trois
fils de Carman à quitter l'Ile en jurant « par les dieux qu'ils ado-
raient » de n'y plus revenir. Carman demeure comme otage et meurt
bientôt de chagrin. Le lieu de sa sépulture porte son nom depuis, et on
institua une assemblée de lamentation (oenach nguba) sur sa tombe.
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 125
L'idée d'une mort divine est également présente dans
la célébration de Lugnasad.
On a vu quelle raison les Dinnsenchas donnent aux
solennités célébrées h Carman. Suivant une autre légende,
rapportée par le môme texte, mais qui n'est pas un doublet
de la première, un certain Scn Garman arriva un jour à
Carman avec une jeune fdle, Mesc, qu'il avait enlevée en
Ecosse. Mesc mourut de honte et Sen Garman fut tué par
les frères de la jeune fdle. C'est pour les pleurer qu'on
aurait institué la fôte^
De même la fùte de Lugnasad à Tailtiu fut célébrée
pour la première fois par le dieu Lug pour honorer la mort
de sa mère adoptive, Tailtiu, fille de Magmor^
Le caractère religieux, et plus exactement, rituel de
toutes ces morts ressort du récit de la Neuvaine des Ulates.
On y voit la déesse Mâcha, qui était devenue la femme
d'un homme d'Ulster, mourir après avoir gagné de vitesse
les chevaux du roi aux courses de la fête d'Emain Mâcha.
On l'avait forcée à courir, quoique enceinte de deux
jumeaux qu'elle mit au monde en arrivant au but^
1. Ibid., cf. chapitre suivant.
2. Dinnsenchas de Rennes, loc. cit., n» 99 : « Tailtiu, fille de Magmôr
était la femme d'Eochu le Rude, fils de Dua le Sombre... elle était la
mère adoplive de Lug, fils de Muet-Champion. Ce fut elle qui pria son
mari de défricher pour elle la forêt de Cuan, de manière à ce qu'on put
tenir une assemblée autour de son tombeau. Et puis elle mourut aux
calendes d'août et ses lamentations et ses jeux funéraires furent célébrés
par Lugaidh. C'est pourquoi nous disons Lugnasad. » — Cf. aussi Catfi
Maighe Tured, éd. citée, § 55, et Lebnr na Gabala, passage relatif à la
bataille de Mag Tured, trad. H. d'Arbois de Jubainville dans Épopée Cel-
tique, p. 400. — La plus ancienne version connue de la légende de
Tailtiu, et qui est en môme temps la plus développée, est conservée par
un poème de Cuan hûa Lochain, mort en 1024 (Gwynn, Poems from Ihe
Dinnsenchas dans Todd Lecture Séries, Vil). Sur Tailtiu, fille de Mag-
môr, cf. H. d'Arbois de Jubainville, Cycle Mythologique, p. 136 ss.
3. Loc. cit.; cf. Dinnsenchas d'Armagh, ville voisine d'Emain, et où
l'on célébrait une fùte à Samhain : Mâcha, femme de Nemed, mourut
tuée à Armagh et l'assemblée a été instituée en son honneur. Une autre
126 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Or, les courses sont la cérémonie la plus importante de
Lugnasad'. Elles ne sont pas un simple jeu sportif, mais
un rite, puisqu'on les célèbre « autour » d'un tombeau,
dans le but de commémorer un mort. Et parmi les courses
de Carman, il en est une qui est réservée aux femmes, ce
qui correspond au sexe des divinités dont on célèbre la
mémoire ^.
La mort des déesses de Lugnasad est ainsi liée à la
célébration des rites de la fête. Et leur mort est, nous n'en
doutons pas, un sacrifice — un sacrifice du dieu qui ne dif-
fère pas essentiellement des autres sacrifices de la fête.
La mort du dieu de la fête est le thème général de
TOUTES les fêtes IRLANDAISES. — Aiusi Ic thème de la mort
des dieux, ou de personnages qui leur ressemblent et les
remplacent, est commun aux mythes et aux légendes des
grandes fêtes irlandaises. On verra qu'il est encore le fait
des autres dates critiques.
Un récit éqique, la Bataille d'Allen nous en fournit une
preuve *.
tradition reproduit la légende d'Emain, qu'elle situe seulement à
Armagh, Dinnsenchas de Rennes dans Rev. Celtique, XV, p. 45 s.
1. Sur les courses de Tailtiu, cf. poème cité de Cuan hûa Lochain. A
Carman il y avait sept courses, une chaque jour : Aenach Carmain,
strophes 21 ss. ; Dinnsenchas de Rennes, p. 312 (trad. p. 314). — Une
assemblée de Lugnasad dont les courses étaient réputées était tenue
sur le Curragh de Kildare. On la nommait Oenach Colmain ou Oenach
Life: William Hennessy, The Curragh of Kildare, dans Proceedings of
the Roy. Irish Academy, IX, p. 343.
2. Cuan hiia Lochain, chezG^'ynn, Poems from the Dinnsenchas (Oenach
Taillen).
3. Aenach Carmain, strophe 44 : « La fête des femmes du Leinster
dans l'après-midi. . Les femmes dont la gloire n'est pas petite au-de-
hors, leur course est la troisième course. » Strophe 4o : Avant la course
les femmes doivent déposer leurs joyaux, dont la garde est confiée aux
hommes de Leix. — A Tara il y avait une Maison dei femmes sur la
pelouse où se tenait l'assemblée : Dinnsenchas de Rennes, Rev. Cel-
tique, XV, § 26.
4. Cath Almame, The Battle of Allen, publiée par Whitley Stokes
LA LÉliENDE DE SAINT PATRICK 127
Le fait se passe le quaranlirme jour après Samhain,
la Saint-Finnian '. Le texte raconte les circonstances d'une
défaite infligée par les troupes du Leinsler à celles du roi
suprême. Le principal héros est un poète, Donn-bô, qui fut
tué dans la mêlée et qui ressuscita, après qu'on eut rap-
proché sa tète coupée de son tronc.
Cette histoire a plusieurs traits d'un mythe.
Les guerriers du roi suprême organisent un grand ban-
quet la veille de la fclc et ceux du Leinster font de même
après la bataille ^
Il y a tant d'esprits dehors, pendant la nuit, que per-
donne ne se hasarde à sortir de la salle de festin par peur
des mauvaises rencontres et de la tempête qui hurle au
dehors^.
En arrivant à Allen les guerriers du roi suprême arra-
chent le toit d'un ermite lépreux *, de même que selon
Posidonius, les prétresses des Namnètes arrachaient dans
leur fête annuelle le toit de leur temple ^
De plus Donn-bô est en réalité un ancien dieu humanisé.
En effet, son nom signifie Brun-Taureau. Or un taureau,
bo, qui est l'incarnation d'un dieu, est chanté dans la
dans Revue Celtique, XXIV, d'après YBL et le Livre de Fennoy, Ms. du
XV» siècle. Une autre version, d'après un Ms. de la Bibliothèque Royale
de Bruxelles, a été publiée par O'Donovan.
1. Cath Almaine, § 8, p. 50 ; pour la date de la Saint-Finnian cf. Félire
Oengusso, Index .
2. §§7, 8 et 18.
3. §8 et § 18. La tempùte soudfle « parce que c'est la saint Finnian en
hiver». Lors du festin qui suit la bataille, le roi du Leinster est obligé
de promettre «. un char de la valeur de quatre cumal (= quatre femmes
esclaves) et mon cheval et mon harnais de combat au guerrier qui
ira sur le champ de bataille et qui nous en rapportera un gage ». —
Cf. promesse pareille du roi Ailiil à celui de ses guerriers qui aura le
courage de sortir la nuit de Samhain et de nouer un fétu au pied d'un
pendu : EchlraSerai, édit. KunoMeyer, dansflei'. Celtique. X, p. 214 ss.
4. §>i 4-6.
b. Posidonius cité chez Strabon, IV, 4.
128 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Tain lia Cûahige et son nom est précisément Donn, le
Brun. Sa rivalité avec un autre taureau divin, Finnben'
7iach, le Blanc-Cornu, est l'origine des batailles que
raconte la grande épopée, et sa mort, à la suite d'une ba-
taille contre son rival, clôt le récit.
Un dieu taureau a été aussi connu en Gaule. Il est
représenté sur un bas-relief du Musée de Cluny '. H. d'Ar-
bois de Jubainville a montré qu'il est identique au taureau
divin de l'épopée irlandaise ■.
Nous croyons donc que la mort de Donn-bô est une mort
divine et que l'histoire procède d'un sacrifice.
Le fait est que des sacrifices de taureaux ont été réelle-
ment célébrés en Irlande. On les nommait TarbfeSy Fête
du Taureau ^ Bien que les textes leur assignent un but
particulier, qu'ils les décrivent notamment comme une
forme plus solennelle du sacrifice divinatoire dans laquelle
la victime ordinaire, un porc ou un chien*, était rem-
1. Le bas relief représente un taureau, paré dune draperie qui tombe
de son dos, comme une écharpe. Sur son dos sont trois grues. Au-dessus
du bas-relief se lit : Tarvos Trigaranus.
2. Revue Celtique, XVIII, p. 253-266. Cf. du même., Les Druides et
les dieux celtiques à formes d'animaux, Paris, 1906, p. 153-155.
3. Sergliqe Conculaind, éd. Windisch, p. 213, § 23 : (nous citons d'après
la trad. de H. d'Arbois de Jubainville, Épopée Celtique, p. 187 s.) » :
« Dans cette assemblée (à Tara) ils célébrèrent la Fête du Taureau,
pour savoir par elle à qui donner la royauté. Voici comment se célé-
brait la Fête du Taureau. On tuait un taureau blanc ; un homme man-
geait de la chair et prenait du bouillon de ce taureau en quantité suf-
Osanle pour se rassasier. Bien repu, il s'endormait. Quatre druides
chantaient sur lui une parole de vérité et il voyait en songe la manière
d'être de celui qui devait être élevé à la royauté. »
4. Cf. la description du procédé de divination dit imbas forosnai dans
Sanas Cormaic, édition Kuno Meyer, p. 64, N» 756, au mot Imbnss :
« le devin mâche un morceau de la chair soit d'un cochon rouge,
soit d'un chien, soit d'un chat ; il met ce morceau sur une dalle
derrière la porte, chante dessus des paroles magiques et l'offre aux
idoles. Ses idoles lui sont apportées (c'est-à-dire que ses dieux viennent
le visiter) mais le lendemain il ne les trouve pas. Il chante sur ses
deux mains des incantations et ses idoles lui sont rapportées à moins
qu'on ne trouble son sommeil. H met ses deux mains sur ses deux
joues. Il s'endort. Les gens attendent et observent et aucun d'eux ne
LA LKGEM)K DE SAINT PATRICK 129
placée par un taureau blanc, il ne peut y avoir aucun doute,
après ce qu'on a vu de Donn-bô, que la victime du Tarifes
ne soit identique au dieu-taureau du mythe festival. C'est
d'ailleurs h. une fôte, à Samhain, que le Tarbfcs est célé-
bré».
La mort du dieu de la fête est suivie d'une renaissance.
— Xous pouvons dire en règle générale que toute fête en
Irlande a pour thème la mort d'un dieu et nous avons
quelques raisons de dire : le sacrifice d'un dieu.
Mais renchaînement des représentations issues du sacri-
fice ne s'arrête pas là. On vient de voir, en effet, que
Donn-bo ressuscite-.
doit le troubler ni le réveiller jusqu'à ce qu'il ait eut une révélation
complète des choses dont il s'agit. C'est le imbas forosnai ». Ce rituel
rappelle d'une façon frappante celui du Tarb-fes. — Sur Vimbas foros-
nai, cf. O'Curry, Mariners mid Customs, II, p. 135 ; II. d'Arbois de
Jubainville. Introduction à l'élude de la Lillérature Celtique [Cours de
Littérature Celtique, 1), Paris, 1883, p. 151 ss., pp. 247 ss. et 252 ss.
1. Ceci ressort : 1° de ce que l'assemblée, pendant laquelle on célèbre
le Tarbfes, a lieu à Tara et que c'est une assemblée pan-gôidélique ;
2» de ce que l'histoire Serglige Conculaind, où il en est question, est
entièrement une légende de Samhain.
2. Le thème du décapité qui ressuscite, lorsqu'on remet sa tète sur
son tronc est. on le sait, un des plus répandu dans les contes de
tous pays. Rabelais entre autres la utilisé dans son Pantagruel, livre II,
chap. XXX. En Irlande un géant emporte sa tète coupée et revient
le lendemain avec sa tête sur ses épaules. (The Edinburgh Version
of the Cennach inc Rtianado, éd. Kuno Meyer dans lievue Celtique,
XIV, p. 4a4 ss.. trad. p. 4o'J ss. et éd. Windisch, dans Irische Texte, I,
p. 301 ss.). — Dans une version plus ancienne de cette légende, qui
forme le dernier épisode du morceau épique Fled Bricrend. Festin
de Bricriu. et dont seul le commencement a été conservé, il s'agit non
d'un géant, mais d'un esprit qui habite un lac. « Ils (les guerriers)
virent venir à eux un rustaud grand et laid. Il leur sembla que
parmi les Ulates, il n'y avait pas un guerrier qui atteignit moitié de
sa taille. Le rustaud avait l'air effrayant et hideux. Ses vêtements
étaient une vieille peau et un manteau gris foncé. Il portait des
branches d'arbres énormes... Deux yeux avides et jauni s, aussi grands
que des chaudrons, semblaient lui sortir de la tête. » (Fled Bricrend,
éd. Windisch, dans Irische Texte, I, §,§ 91-94. Cf. Ibid., § 87, où le
même rustaud est une ombre qui sort de la mer de l'Ouest. Nous avons
cité dans la traduction de II. d'Arbois de Jubainville, Épopée celtique,
p. 143 s ). — Ce portrait le fait si bien ressembler à Dagda, l'un des
Cz.\R.NO\VSKI. 9
130 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
Maclia meurt en mettant an monde deux jumeaux. La
mort de Tailtiu est suivie par l'avènement et rapolhéose
d'un jeune dieu qui est uni h la déesse morte par les liens
d'une parenté, aussi proche tout au moins, selon les idées
irlandaises, que la parenté de mère à enfant'. En effet,
Tailltiu est la mère adoptive de Lug\ Or Lugnasad est la fôte
de Lug. Le nom même de la solennité l'indique- et le dieu
passe pour avoir été le premier à célébrer les jeux de
Taillten\
Une naissance qui suit une mort équivaut universelle-
ment à une réincarnation ou à une résurrection. lien est
principaux dieux des Tiïatha Dé Danann el leur roi, que nous n'hési-
tons pas à voir un seul et même personnage dans l'ombre géante et
le dieu. Cf. (Cath Maighe Tured, édit. Whitley Stokes, § 93. La taille de
Dadga est partout décrite comme gigantesque et son allure est celle d'un
rustaud (cf. ibid., § 26 et § 90). — Mais aucun des récits où l'on voit
le géant, respectivement un avatar de Dagda, décapité ne contient
d'indications qui permettent de, le considérer comme acteur d'une fête.
— Il en est de même de Concrithir. un héros qui avait reçu des fées
le don de revivre le lendemain du jour où on l'avait tué : Cath Finit-
traga, édit. Kuno Meyer, dans Anecdota Oxoniensia, vol. cité, p. 13 ss.
1. Cf. chap. VI.
2. Le nom de Lug forme la première partie du mot Lug-nasad.
Cf. composés analogues : gaulois Lugu-dtmum, breton insulaire
Lugu-uaUum, irlandais Lug-mag, cités chez d'Arbois de Jubainville,
Cycle mythologique, p. 305. — La seconde partie de Lug-nasad a été
de tous temps interprétée comme signifiant jeux. Cf. Sanas Cormaic,
Kuno Meyer, p. 66, n» 7'J6au mot Lugnasad; Joyce, op. cit., II, p. 389. —
Mais M. Rhys propose de traduire Lug-nasad par Mariage de Lug, et
cette interprétation est adoptée par Alfred Nuit dans Voyage a/' Bran, II.
p. 186 ; la représentation de la fête aurait été le mariage de Lug =;
force stimulante de production, le principal dieu des Tuatha Dé Danann,
que Nutt considère comme dos génies producteurs de la vie avec la
Terre. Il y a lieu de formuler une réserve au sujet de cette hypothèse.
A notre connaissance aucune légende de Lugnasad ne parle de mariage
comme d'un fait qui se serait passé pendant la fête et qui ferait par-
tie d'un enchaînement de faits mythiques connexes des rites de la
fôte. Mais d'autre part les mariages annuels étaient une spécialité de
la fête de Taillten. Cf. II. d'Arbois de Jubainville, Assemblées, p. 17 :
Joyce, 0/). cit., 11, p. 439. Keating. éd. Dinneen, vol. cité, p. 248.
3. Cf. plus haut : mythe de Tailtiu. — Lug avait, dit-on, introduit
en Irlande les jeux qu'on célébrait aux fêtes, les courses de chevaux
et de chars, la cravache qui activait l'allure des chevaux, le jeu
fidchell (jui était une sorte de jeu de dames ou d'échecs. H. d'Arbois
de Jubainville, Cycle Mythologique, p. 138 s.
LA LblGENUi: I)K SAINT PATRICK 131
de nK''mo en Irlande, ainsi qu'il ressort d'un récit qui
appartient au cycle du roi Diarmaid mac Cerbhaill '.
C'est l'histoire d'un parjure puni. L'n homme que sa
femme accuse d'adultère, prôto serment de son innocence.
Saint Ciaran, qui est présent, louche de sa main le cou de
l'accusé. Aussitôt un ulcère se forme i\ l'endroit même et
la tète du parjure roule à terre. Mais le décapité ne meurt
pas immédiatement. Car il n'a pas de successeur. On lui
amène d'abord une femme qui devient grosse de ses
œuvres et lui donne un fils. L'enfant naît, le père meurt.
Notons que c'est à Tailtiu, pendant que se tient l'as-
semblée de Lug-nasad et devant le roi qui précisément
préside au.\ jcu.v, que le parjure a été commis. Voilà encore
une légende qui procède de la fùte elle-même. La renais-
sance du dieu sous ses diverses formes est un élément
constant des représentations que comportent les fêtes en
Irlande.
Les génies des fêtes sont identiques aux génies des
INVASIONS. — Quelle place faut-il donc assigner aux acteurs
des mythes en question dans l'ensemble de la mythologie
irlandaise '^
En ce qui concerne certains d'entre eux, les mythes sont
explicites : il s'agit d'envahisseurs mythiques. Tel est, par
exemple, le cas de Lug qui est un des grands dieux des
Tiiatha Dé Danann et leur chef dans la bataille de Mog
Tured. De même, Tailtiu est la femme d'un roi Fir-Bolg
et son père,Magm6r, est, comme l'a fait remarquer d'Ar-
bois de Jubainville, un symbole personnel du pays des
dieux-. En effet, ynag niôr s\o;n'\fie grande plaine.
1. Silva Gadelica, vol. des trad., p. 453. — Le saint Ciaran de celle
légende est suint Ciaran de Clonmacnois, qu'il faut distinguer de son
homonyme de Saigliir.
-. Cycle Mylholorjique, p. 137. — Cf. aussi la Neuvaine des Haies,
132 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Quant aux autres acteurs des mythes de fêles, remar-
quons d'abord qu'ils viennent du même pays que les enva-
hisseurs. Ainsi Carman arrive d'Athènes, c'est-à-dire de la
contrée même où s'étaient établis les Pir-Bolg avant d'émi-
grer en Irlande ^ Et dans la légende de Bccuma qui n'est,
on l'a vu, qu'une variante de celle de Carman, le pays
d'origine de la déesse est explicitement désigné comme la
contrée d'outre-mer où résident les dieux. De plus, c'est
aux Tùatha Dé Danann que Carman a affaire après sa
venue en Irlande. Son mythe se rattache donc aux histoires
d'invasions.
Dans d'autres légendes, comme celle de Muircertach,
on voit apparaître des armées entières de fantômes. Mais
que sont ces esprits belliqueux, sinon les génies mêmes
que nous connaissons par le Lebar na Gabala? Ils ont l'as-
pect monstrueux des Fomoraig. Et, ce qui est tout à fait
caractéristique, ils ont comme eux des têtes de chèvres'.
loc. cit., Mâcha est petite fille de rOcéan, Lir, qui est de son côté le
père d'un des principaux dieux des Tùatha Dé Danann, Manannan
mac Lir. D'autre part, la Mâcha des mythes d'Emain Mâcha et d'Armagh
parait êlre identique à une déesse du même nom, doublet de Bodb
(la Corneille) et de Morrigu, déesses des batailles et des champs de
carnage. La Morrigu apparaît dans Cath Maigfie Tured, mais on ne
peut affirmer avec sûreté qu'elle y appartienne à l'une ou à l'autre
des deux tribus divines en présence. Elle chante sur les champs de
bataille et, ce faisant, elle remplit seulement le rôle qu'elle a dans
tout combat, quel qu'il soit.
1, Cycle Mythologique, p. 134 s.
2. Tlie Death of Muircertach mac Erca, § 21, loc. cit., p. 410 : Dori-
gne Sin immorro annsiii firu gorma do7\a clochait ocus fir eli co cen-
naib gabur, — « Sin fit alors des hommes bleus avec des pierres et
d'autres hommes à têtes de chèvres. » Ibid., % 23, p. 412 : « fir gorma
isind-ara cath ocus fir cen cind isin cath ele » = « hommes bleus
dans une des troupes et hommes sans tète dans l'autre troupe. » — Cf.
Lebor na hUidhre, p. 2 col. 1 et 2, cité chez d'Arbois de Jubainville,
Cycle Mythologique, p. 92 : « Cham fut le premier homme que, depuis
le déluge, une malédiction a frappé. C'est de lui que sont nés les nains-
les Fomoré, les gens à tête de chèvre et tous les êtres difformes qui
existent parmi les hommes. » Lebar na Gabala, version du Livre de
Leinster, p. 5 col. 1 lignes 22, 23 cité ibid., p. 95, note 3 : Fir conoen-
lamaib ocus conoenchossaib, — « hommes à une seule main et à un
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 133
D'ailleurs, dans une légende qui appartient au cycle
d'IJlster, la Cour faite à Ferb^ les acteurs d'un drame
analogue r» celui de Muircertach sont formellement appelés
Fomor(ii(j '. Alliés du roi épique Concliobar, une tribu
de Fomoré attaque une maison dans laquelle un jeune
couple célèbre ses noces et il le massacre.
Muircertach lui-môme, bien que simj)le mortel, est assi-
milé à un chef des génies. En effet, Sin l'a nommé roi
des hommes bleus et des hommes sans têtes qui se livrent
bataille la nuit de Samhain-. En définitive, l'histoire de
Muircertach mourant dans sa forteresse prise d'assaut
parait être une variante du mythe de Conann, roi des
Fomoraig, qui meurt dans sa tour défendue par des fan-
tômes.
D'autre part, les événements des mythes d'invasions qui
se passent aux fêtes sont des batailles et des épidémies. Or,
ce ne sont que batailles, carnages et prises de forteresses
que les légendes racontent aux mômes fôtes. Quant aux
épidémies elles ont pour pendant des morts collectives
dans les mythes des fêtes. Ainsi tous les adorateurs de
Cromm Crûaich sont morts à Samhain autour de leur roi
Tigernmas^ L'équivalence de ce désastre et des épidémies
du Lehar mi Gabala est d'autant plus manifeste que le
génie de la peste qui ravagea l'Irlande au vf siècle s'op-
stMil pied...» Le chef de ces gens est Cichol Gricenchos. Cen-chos-
signifie « sans pieds ». Ifjid., p. 32.
1. Tochmarc Ferbe,éd. Windiscii, dans Irise he Texte III. p. 472, trad.
p. 473 et p. 478, trad. p. 47'J. Tous les Fomoraig sont tuùs : p. 486,
trad. p. 487.
2. Loc. cit., § 2i, p. 412 : Tanic sin iarsin chucii, ocus dobeir rig
forro do Muircertach, — n Alors Sin vint à cu.x 'aux fantômes que le roi
était en train de massacrer) et elle donna à Muircertach la royauté sur
eu.xi). — Ajoutons que Muircertach a, comme Lug. tué son grand-pére
maternel. Loarn, père d'Erca, roi d'Ecosse : ibid., § 27 (deuxième qua-
train) p. 414.
3. Dinnsenclias métriques de Mag Slecht, éd. Kuno Mcyer, loc. cit.,
strophes 7 à 10.
134 SAINV PATRICK El' LE CULTE DES HÉROS
pelle Cromm Conaill^. C'est évidemment un doublet de
Cromni Crùaich.
Il y a donc une parfaite ressemblance, qui va jusqu'il
l'identité, entre les envahisseurs mythiques et les acteurs
du drame festival. Ils font partie des mômes tribus di-
vines, ils se comportent de la même manière et la fin tra-
gique des uns et des autres est identique.
Les esprits qui circulent les jours de fête sont aussi
IDENTIQUES AUX ENVAHISSEURS MYTHIQUES. Il en CSt de
même de tous les esprits qui circulent aux dates des fêtes.
Ce sont les moments où ils sont le plus actifs. Leurs
demeures souterraines, les sidh, s'ouvrent la nuit de Sa-
mhain et ils s'en échappent en foules. Le charme qui les
protège des regards, le féth flada'^, est rompu ^ et on peut
1. O'Curry, Mss. Materials, p. 631 s. — Un dislricl du Munster est
menacé par la peste Cromm Conaill. Le peuple terrifié s'assemble autour
de saint Créiclie qui prie et agite sa sonnette du côté d'où doit venir
le fléau. Alors on voit la foudre frapper Cromm Conaill et le réduire en
cendres.
2. Nir léir dôibsium sinde leisin fia fiad ro loi umaind, ocus ba
leir duinde ialsom — « nous étions invisibles pour eux grâce au fia
fiad qui était autour do nous, et eux étaient visibles pour nous ».
Acallamh na Senorach, éd. WhiUey Stokes dans Iriscke Texte IV, 1. 5238,
— ...uair dà ttaisbentar in fétli fiadha aoinf'eacht do nec/i do niacaibh
Miledh, nocha bia gabail re diamair no re draideachl ic nech do Tua-
thaib De Danann = « car si le féth fiadlia est montré (c'est-à-dire,
si son secret est connu) une seule fois à quelqu'un d'entre le fils de Mile
(les hommes), pas un seul des Tûallia Dé Danann n'aurait plus le pou-
voir de conserver son mystère ni son druidisme (sa pui-ssance magique) »
Tàin Bô Cùalnge, 1, 3845 ss. — Une fée donne au héros Duncan
O'Hartigan un manteau qui le rend invisible et qui s'appelle feadli fia,
Transactions of the Ossianic Society, II, 101. — Sur le félk fiada et
exemples, cf. James ilenthorn Todd, Descriptive Catalogue of the Book of
Ferynoy dans Proceedings of the Roy. Ir. Acad., Irish Mss Séries, p. 46 et
dans p. 48; Tripartite Life I p. 47 ; Sdvu Gadelica, vol. des trad., p. 228 ;
H. d'Arbois de Jubainville, Cycle mythologique, p. 277 s., p. 280 (fée
qui dépouille son félh fiada avec ses vêtements et devient visible aux
hommes), cf. textes réunis par O'Curry dans Atlanlis. III, p. 386.
3. Cf. Boyish Exploits of Finn, citée chez Joyce, op. cit., I, p. 263 :
« On one Samain Night Finn was near two shces ( — sidh, demeure
souterraine des génies) ; and he saw both of thom open, after the
I.A LÉr.ENDF. DE SAINT PATRICK 135
les voir tantôt sous l'aspect d'oiseaux noirs qui sortent du
sidh de Cruachan', tantôt sous forme d'oiseaux blancs
volant deux par deux, chaque paire unie par une chaîne
de métal précieux, ou bien encore sous forme de cerfs-.
Or, nous savons par le mythe des invasions que les
Tûatha Dé Danann se sont réfugnés dans les sidh après
leur défaite, et nulle part on ne distingue une autre caté-
gorie de génies parmi la population de ces demeures
divines ^
D'autre part on a deux légendes dans lesquelles les
fir-sidhe, les hommes des sidh, subissent les mêmes vicis-
situdes que les dieux des invasions. Les Dinnsenchas
racontent qu'à Moenmagh en Gonnaught, deux troupeaux
de cerfs enchantés se sont livré jadis une bataille acharnée.
Fe-fiada had been taken off them : and hc saw a great fire in each of
iticdum (dun = forteresse), andheard persons talkingin them. Cf. aussi
le texte publié par 0"Curry, Lectures on Mss. Materials, Dublin, 1861,
p. 30b.
{.Le Tribut (The Boroma),éd. Whilley Slokesdans Rev. Celtique. XIII,
p. 449 ; éd. Standish H. O'Grady dans Silva Gadelica, vol. des trad.,
p. 353.
2. Ce sont les deux aspects, pour ainsi dire classiques, des génies.
Par exemple : le jour de Satnhain dans la Plaine de Muirthemne, deux
oiseaux liés par une chaîne d'or rouge sabatlanl sur un lac. Ils chan-
tent une musique douce. Ce sont deux fées (Ser(jlige Conculaind,
§§ 7-8 et § 13). Dechtiré, sœur de Conchobar s'enfuit un jour avec cin-
quante jeunes filles. Elle devient l'épouse du dieu Lug et revient dans
la plaine d'Emain avec ses compagnes sous la forme d'oiseaux. [Com-
pert Conculaind éd. "Windisch, Irische Texte, I p. 136, p. 143 ss.) —
Dans le recueil de légendes et de contes intitulé Colloques des Anciens,
Accallamh na Senorack, on voit continuellement les esprits apparaître
sous forme de cerfs. Par exemple Caoilte, un compagnon de Finn, suit
un jour un cerf. Celui-ci arrive à un tumulus, met sa tète sous terre et
disparaît dans \esidh. {Silva Gadelica, p. 222.) Cf. aussi Tdin B6 Cùalnge,
11. 14o0 ss.
3. La retraite des Tùalha Dé Danann dans les sidk est racontée dans
la Conquête du Sidh, De gabail inlsida, une histoire conservée dans
le Livre de Leinsler, p. 245, col. 2, 11. 41 ss. Elle n'a pas été publiée
jusqu ici à notre connaissance. Elle est résumée dans le Cycle Mytho-
logique de H. dArbois de Jubainville, p. 208 ss. bur l'identité des fir-
aidhe avec les Tùatha De Danann, cf. Alfred Nutt, The Voyage of Bran,
passiin.
130 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
et que les liimulus dont est semée la plaine renferment
leurs ossements*. Le second récit, Echtra Nerai, nous
apprend qu'une nuit de Samhain le roi de Connaufçht
Ailill attaqua le s/dh voisin de Cruachan, sa résidence,
massacra les génies et pilla leur château-. On voit que
cette légende est brodée sur le même thème que l'histoire
de Conann.
Le THÈME DE LA MORT DIVINE EST LE THÈME FONDAMENTAL
DE LA MYTHOLOGIE IRLANDAISE. — Ainsi Ics génics dcs inva-
sions OU des ôtres qui leur sont identiques sont les acteurs
spirituels du drame mythique qui se joue aux fêtes.
Il en ressort qu'il y a une correspondance entre les épi-
sodes de leur vie mythique et les actes de la fête, de même
que ceux-ci correspondent aux incidents des mythes mêmes
des fêtes.
En effet, c'est encore le sacrifice festival qui explique
l'alternance des triomphes et des défaites dans la vie des
envahisseurs mythiques. Le thème général de leurs mythes,
qui est le retour continuel de génies colonisateurs qui
viennent remplacer à certaines dates leurs parents morts
ou bien exterminés par eux, se ramène à la représentation
de la mort périodique du dieu de la fête, mort qui est immé-
diatement suivie d'une résurrection.
On a vu d'autre part que la même représentation est au
fond des mythes de fêtes. Elle est la clef de voûte de toute
la mythologie irlandaise.
1. Dinnsenchai de Rennes. Rev. Celtique. XVI, p. 274.
2. Publiée et traduite par M. Kuno Mcyer dans Revue Celtique, X,
p. 214 ss. Gf Catli Maiglie Mucramha dans Silva Gadelica, vol. des trad.,
p. 348 : le roi de Munster Ailill Ollomh s'arrête sur la colline hantée
de Cnoc Aine la veille de Samhain. Il s'endort « au bruit des qua-
drupèdes » c'est-à-dire des fir-sidke sous forme animale. Les génies
sortent du sidh. Les compagnons du roi les attaquent. Ils en tuent
le chef, et Ailill enlève la fée Aine, fille du roi du sidh.
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 137
Le même thème est développé par l'épopée. — Mais
les vicissitudes de la vie divine, les défaites et la mort
succédant aux victoires, rapproclient les dieux des hommes
et des héros. Aussi le mythe se confond-il fréquemment en
Irlande avec l'épopée.
Le récit du Massacre de Mag Muirthemne est un
exemple topique de ce que nous avançons. Cette histoire
est un chapitre de la Tàin B6 Cûalnge '.
Il s'agit d'un carnage terrible que Ciïchulaînn fit de ses
ennemis. Monté sur un « char à faux » et protégé par un
charme qui le rend invisible, le héros traverse et fauche
les rangs des armées coalisées contre l'Ulster.
A ce moment son aspect est monstrueux. Son corps
s'est retourné dans sa peau, ses entrailles lui sortent par
le gosier. Au-dessus de sa tôte s'élève un jet de sang. Il
parait « grand comme un Fomorach" ». Enfin, un nuage
noir chargé d'éclairs est au-dessus de sa tête, et il déverse
une pluie empoisonnée.
Le jour suivant Ciïchulainn redevient jeune et beau. Il
tient à dissiper l'effroi inspiré par son aspect de la veille et
il veut enchanter ses ennemis par la beauté de ses formes.
Ciichulainn est le plus grand héros du cycle d'Ulster.
Il n'est point l'un de ces dieux dont nous parlions 5 l'ins-
1. Éd. VVindisch, p. 363 ss., chap. xvuj : Bresslech Maige Murlhemne
[Carpal serda) .
2. Ibid., 1. 3804 s : go mba metilhir ra Fomoir. na ra fer mara in
milid morchalma, w de sorte quêtait aussi grand qu'un Fomorach
ou un homme de mer le guerrier très courageu.x ». — Ce passage
n'est pas dans Bresslech. Mais Cûchulainn apparaît aussi grand au
moment de sa première grimace, (cétriaslrad) qu'il fait dans le récit de
Bresslech. Sur la taille des Fomoraig, cf. II.d'Arbois de Jubainville, Cycle
Mythol.. p. 93- p. l>7 : ce sont les géants des contes po|)ulaires. Quant
au fer mara, ce peut-être aussi un Fomorach : on en a fait des pirates,
ibid., p. 91 ; Giraldus Gambrensis, Topographia Hibernica, distinctio
MI, c. 3, éd. Ulmock, dans les publ. des Masters of the Rolls. — L'homme
de la mer gigantesque et terrible est un personnage classique des contes
et romans celtiques. C'est le Morholl d'Irlande de Tristan et Yseult.
138 SAINT PATRlClv ET LE CULTE DES HÉROS
tant, qui serait humanisé, et ses faits et gestes appartiennent
avant tout à l'épopée.
Et pourtant la légende que nous venons de résumer a
bien les traits d'un mythe analogue aux précédents. Qu'est
donc Cûchulainn fauchant ses ennemis, sinon la personni-
fication d'une puissance analogue i\ l'épidémie qui exter-
mine les dieux des invasions, ou bien à la tempête qui
fauche les épis? Le thème de la légende est au fond le
même que celui des mythes. C'est encore un massacre suivi
d'un triomphe. N'oublions pas que Cûchulainn est le fils
du dieu Lug, le principal acteur de la bataille de Mag
Tured, et que, suivant une version de notre légende, Lug
a combattu aux côtés de Cûchulainn le jour du massacre
de Mag Muirthemne \ II est impossible de tracer une ligne
de démarcation nette entre la mythologie et l'épopée irlan-
daises. Ainsi s'expUque le fait, que l'idée de fête qui domine
dans Tune, joue un rôle aussi important dans l'autre.
La mythologie irlandaise est une représentation du
CYCLE de l'année. SeS GÉNIES ET SES DIEUX SONT DES GÉNIES
DE FÊTES SAISONNIÈRES ET DES GÉNIES DE LA NATURE.
On a vu que la mythologie irlandaise se ramène entière-
ment à un seul type général de mythe qui est précisément
un mythe de fête. L'histoire des invasions dont les épi-
sodes sont ordonnés suivant la succession des fêtes est une
représentation mythique du cycle numérique de l'année.
Ce cycle est divise en saisons qui correspondent aux chan-
gements de la nature. Comme les dieux et les génies per-
sonnifient les points cardinaux de ces saisons, ils sont en
même temps des génies de la nature -.
1. Issed alberal araile, ro fich Lug mac Eilhlend la Coinculaind
sesrig m-bresslige. Tain, l. 2659 s.
2. Alfred Nutt, Voyage of Bran, dit que les fêtes irlandaises sont
I-A LÉGENDE DE SAINT PATRICK 139
Nous avons reconstitué le rituel général des fêtes à
l'aide des mythes. C'est un procédé légitime, car les fêtes
et leur rituel d'une part, correspondent normalement avec
les mythes de l'autre. D'ailleurs les acteurs des mythes
que nous venons d'analyser ne sont pas des personnages
pris au liasard, mais ils ont une relation avec les rites des
fêtes.
III
SAINT PATRICK ACTEUR DU DRAME FESTIVAL
Saint Patrick est mêlé aux incidents des fêtes irlan-
daises. — Le culte de saint Patrick a sa place dans la célé-
bration des fêtes saisonnières en Irlande.
11 en est devenu le protecteur attitré. Ainsi l'assemblée
de Mâcha en Ulster se tient en une plaine qu'il a parcourue
et où Dieu lui est apparue C'est à lui que la fête de
agraires. Elles le sont assurément, mais en tant que l'activité agricole
est, comme toute autre activité sociale, soumise au rythme des saisons.
Le système môme des saisons ne peut ôtre expliqué uniquement par
des considérations agraires. — Quant à la théorie de M. Squire, Mytho-
logy of Ihe British Islands, suivant laquelle la mythologie irlandaise
serait la représentation du cycle astronomique de l'année avec fôtes
au.x solstices et au.x équinoxes, elle pèche par la base : les quatre
grandes fêtes ne coïncident pas avec les dates des révolutions solaires.
1. Vie Triparlite, éd. Whitley Stokes, p. 238 : In chros deiscertach
ind Oenach Mâchai, isand quatuor currus ad Patricium. In chros tuas-
cerfach immorro, isoccai tarfaid Dia dosom indeilb bias fair in die
judicii. Et exiit in una die eu Combur tri nUsgue, « près de la croix
Sud dans Oenach Mâcha quatre chars furent amenés à Patrick. Près
de la croix Nord, Dieu lui apparut sous l'aspect qu'il aura le Jour
du Jugement. Et il (Patrick) vint en un jour à Combur tri n-Usce »
(lieu-dit en Leinster). V Oenach Mâcha dont parle ce passage est le
lieu de la fête d'Emain Mâcha ou bien d'Armagh {Ard-Macha), plutôt
le dernier, vu la date de la Triparlite: Emain était abandonnée au
temps de la christianisation et la fêle s'était transportée il la localité
voisine d'Armagh. — La mention des quatre chariots amenés à Patrick
mérite d'être retenue. Peut-être y a-t-il là une réminiscence des
courses de chars qui auraient eu lieu entre les deux croix, l'une mar-
quant le point de départ, l'autre le but. Malheureusement les rensei-
140 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉRUS
Tailliu doit de se passer dans une paix et une harmonie
parfaites. Il a défendu d'y mettre à mort qui que ce soit et
d'y immoler des animaux en sacrifice'. De même, la fête
de Carman est placée sous sa protection. Un jour y est
consacré au culte de Patrick, patron de l'Irlande entière,
et au culte des patrons particuliers du Leinster*.
Mais l'association de saint Patrick à la célébration de
ces fôtes anciennes est bien plus intime. Il est directement
mêlé par sa légende au système des fôtes et des mythes.
Quand l'apôtre arrive à Tara c'est le jour même d'une
grande fête. Une assemblée pan-gôidélique y a lieu sous
la présidence du roi suprême. Les druides y allument un
feu sacré et la mort attend quiconque en aurait allumé un
autre avant celui de la maison royale. Les chefs réunis
passent leur temps en festins et beuveries \ Bien que la
gnements qu'on a sur les fôtes d'Armagh et dEmain Mâcha sont trop
peu explicites en ce qui concerne les courses. Sinon on aurait ici un
exemple remarquable de substitution de Patrick à un dieu ou bien à
un héros fondateur de la fête.
1. Vie Triparfite, môme éd., p. 250 : « c'est un miracle toujours renou-
velé (litt. toujours vivant) : la prairie d'Oenach Tailtiu sans (que
jamais) un mort (en soit emporté). » Ce miracle est dû à la bénédiction
de saint Patrick. — Cf. Dinnsenchas métriques de Tailtiu {Livre de
Ballymole, cité p. 112, n. 4 : Patrick a pris la fête sous sa protection
après avoir défendu d'y immoler des bestiaux et d'y brûler des nou-
veau-nés en sacrifice. — Cf. aussi Vie Tripartite, p. 70 s.
2. Aenach Carmain, loc. cit., strophe 42.
3. Muirchu. p. 27S : « contigit uero in illo anno idolatriae solemnita.
tem quam gentiles incantationibus multis et magicis inuentionibus,
nonnullis aliis idolatri» superstitionibus. congregatis etiam regibus,
satrapis, ducibus, principibus et oplimalibus populi, insuper et magis
incantatoribus, anispicibus et omnis artis omnisque doni (? irlandais
dàn, 1) art « : WhitleyStokes, note 8) inuentoribus doctoribusque uocatis
ad Loigaireum... in Temoria... exercerc consuerant, eadem nocte qua
sanctus Patricius pasca, illi illam adorarent festiuitatem gentilem ».
Suit la défense d'allumer du feu sous peine de mort, caractéristique de
Samhain. (Muirchu, p. 278, dernière ligne, et p. 279) : « Erat quoque
quidam mos apud illos (se. Ilibernenses), per ediclum omnibus inti-
matus, ut quicumque in cunclis regionibus, siue procul, siue iuxta, in
111a nocte incendisset ignem ante quam in domu regia, id est, in palatio
Temoriœ succenderetur, periret anima eius de populo suo ». Le jour
suivant les païens boivent et mangent dans une salle à Tara. — Cf.
LA LKGENDE DE SAINT PATRICK 141
légende de saint Patrick assigne la veille de Pâques pour
date à celte solennité, la descri])lion que nous est donnée
montre qu'il s'agit bien de la Fête de Tara, célébrée, ainsi
qu'on se le rappelle, à Samhain.
Le jour sui\ant notre saint est à Tailtiu. Or on y court
précisément des courses royales^.
Et h la fin de l'octave de Pâques, Patrick se rend à
Uisnech, où il séjourne auprès du roc qui marquait le centre
de l'emplacement môme de l'assemblée",
La légende a donc pris soin d'associer le nom de Patrick
non seulement aux lieux des trois grandes fêtes irlandaises,
mais h la célébration d'au moins deux d'entre elles. Seu-
lement les solennités qui ont lieu respectivement à Samhain,
Lugnasad et Beltaine sont ramenées à une date unique, à
la fête de Pâques ^
Le feu de Pâques de la légende de saint Patrick équi-
vaut AUX feux des fêtes irlandaises. — Mais revenons
à cette fôte. Le premier acie de saint Patrick est de faire
un grand feu de Pâques malgré l'interdiction royale*.
Le feu de Pâques est un rite populaire chrétien. D'ail-
Colgan, Vita III", loc. cit., p. 24, col. 1 : la fête y est formellement appelée
Feis Temrach. Il s'agit donc bien de l'assemblée que nous connaissons
et qui était tenue à Samhain. — Pourtant cf. Bury, op. cit., p. 107.
1. Tlrechân, p. 307 : « l'rima feria uenit (Palricius) ad Taltenam, ubi
fil agon regale ad Coirprilicum filium Neil ». — De même dans Vie
Tripartite, éd. Stokes. p. 68. — Homélie du Lebar Brecc, loc. cit. p. 465 :
Patrick vient insin cohaenach de ïailliu, cest-à-dire, à l'assemblée de
Tailtiu ou du moins au lieu de cette assemblée.
2. Tirechàn, p. 310.
3. M. Bury, op. cit., p. 107, suppose que Pâques remplace Beltaine
dans la légende de saint Patrick considérant, ibid., note, que la fête de
Samhain est trop lointaine de la fête chrétienne. En réalité les thèmes
mythiques de toutes les fêles onl été transportés à Pâques.
4. Muirchu, p. 27'J : « sanctus ergo Palricius pasca celebrans, incen-
dit diuinum ignem ualde lucidum et benedictum » .Cf. Tirechàn, p. 306.
Même histoire dans toutes les Vies sans exception.
142 SAINT TATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
leurs les Mes disent expressément qu'il était dans la tra-
dition de l'Eglise '. Mais les circonstances dans lesquelles
le feu fut allumé par Patrick nous obligent ù en tenir
compte, parce qu'elles le rapprochent des feux de fête
païens.
On constate d'abord un parallélisme général entre les
deux rites, de par le fait même qu'ils sont opposés l'un à
l'autre. Le feu de Pâques de saint Patrick est un sacrilège
au point de vue païen. Il est d'autre part la manifestation
d'un pouvoir divin nouveau, appelé à remplacer un autre
plus ancien. Quand les druides aperçoivent le feu de saint
Patrick ils exhortent le roi à aller l'éteindre, car — disent-
ils — si on le laisse brûler jusqu'au matin, celui qui l'a
allumé régnera pour l'éternité".
Remarquons ensuite que l'emplacement choisi par saint
Patrick pour allumer son feu est un tombeau, celui des
« hommes de Fiacc » ou Ferta-fer-Féicc ^. Or c'est sur des
emplacements pareils que brûlent les feux des fêtes irlan-
daises.
Un cercle magique entoure le feu de saint Patrick. Il est
interdit aux païens d'y pénétrer. Le saint en sort envi-
1. « luxta sanctse Ecclesiœ consueludinem de igné benedicto lami-
naria accendit ». Colgan, Vita F/a, auct. Jocelino, p. 74, col. 1.
2. Muirchu, loc. cit., ...« acciditergo ut a Temoria uideretur (se. ignis),
uissoque co conspexerunt omncs et mirali sunt ». Et les 7)iagi du roi
lui disent : « Hic ignis quem uidemus, quique in hac nocte accensus
est anlequam succenderetur in domo tua, id est, in palatio Temoriap,
nissi extinctus fucrit in nocte hac qua accensus est, nunquam extinge-
tur in a?ternum : insuper et omnes ignés nostrœ consuetudinis super-
gradielur. El iiie qui incendit et regnum superueniens a quo incensus
nocte in hac, superabit nos omnes, et te, et omnes homines regni tui
reducet et cadent ei omnia régna, et ipsum implebit omnia et regnabit
in sœcula sseculornm ».
3. Ferla, «tombes», cf. Tirechân, p. 317 « feceruntfossam rotundam
in simiiitudinem ferlœ ». — Cf. Colgani Vifa II, p. 20 où il est dit que
Ferta-fer-Féicc était appelé ainsi parce que les serviteurs d'un certain
Fiacc y avaient creusé des tombes pour y enterrer les morts. —
Ferta-fer-Féicc est actuellement Slane en Meath.
LA LÉGENDi: DE SAINT PATRICK 143
ronné de llammcs et de fumée, comme un dieu des Tiiatha
Dé Danann '.
Ce feu est encore le but d'une vérital)Ie course, dans
laquelle M. Bury a déjà reconnu un rite analogue aux Flur-
xiniritte des pays germaniques *. Neuf chars « suivant la
prescription des dieux » emportent à toute vitesse le roi
Loegaire et ses guerriers vers l'étranger sacrilège '. Les têtes
des chevaux sont tournées à gauche, ce qui signifie qu'ils
font un cercle dans le sens rituel, de droite h gauche^.
On connaît la grande place qui est donnée aux courses
dans les fêtes irlandaises. La légende de saint Patrick nous
fournil ainsi un élément de plus pour la reconstitution de
leur rituel, puisqu'elle nous indique que leur but était le feu
même. La course apparaît donc comme un rite qui fait
partie de l'ensemble des rites sacrificiels.
Enfin la légende de saint Patrick comporte le récit d'une
mort rituelle dans le feu.
Le feu de Pâques est un sacrifice de fête. Ordalie
DE Tara. — Le lendemain des incidents de Ferta-fer-Féicc,
1. Muirchu, p. t^ù : « Euntibus autem illis dixerunt magi régis :
Re.x, nec tu ibis ad locum in quo ignis est, ne forte tu postea adoraueris
illum qui incendit, sed cris foris iuxta et uocabitur ad te ille, ut te
adorauerit. et tu ipse dominafus fueris et sermocinabimur ad inuiccm
nos et ille in conspeclu tuo, rex, et probabis nos sic... lit peruenie-
runt ad pnefinitum locum ; discendentibusque illis de curribus suis et
equis non intrauerunt in circuitum lociincensi, sed sederunt iuxta »...
« lit uocatus estsanctus Patricius ad regem extra locum incensi ».
2. Bury. op cit., p. 304. — Mannhardt, op cit., I, p. 382 ss.,
p. 396 ss., p. 544 ss. et passim.
3. Muirchu, p. 280 : « iunctis VIIIl curribus secunduni deoruni traditio-
nera... in fine noctis illius perrexit Loigaire de 'femoria ad Ferli uiro-
rum Face et equoruni faciès secundum congruum illis sensum ad
leuam uertentes. » — Aussi Coigan, Vila K/*».
4. C'est le contraire du deisiol ou deisiul, rite bénéficier qui consistait
à faire le tour de quelqu'un ou de s'en approcher en lui présentant
le côté droit : Joyce, op. cil., p. 301 s. — Tourner vers quelqu'un son
côté gauche en un signe d'intentions hostiles : exemples dans Tàin Bô
Cùalnge, p. 80 s., p. 244 ; cf. Rev. Celtique, XXXIIl. p. 257.
144 SAINT PATniCK KT LE CII.TE DES Hl^ROS
saint Patrick vient ù Tara où se lient l'assemblée des
hommes d'Irlande.
On propose une ordalie pour juger entre les deux reli-
gions. On y soumet un druide qui a revôtu les ornements
sacerdotaux de Patrick et pris en main sa Bible d'une
part, et d'autre part un enfant, Benignus, que le saint avait
baptisé la veille et qui a pris la tunique et le livre du druide.
Ils entrent tous deux dans une maison, construite mi-partie
en bois vert, mi-partie en bois sec. On enferme le druide
dans la première moitié, Benignus dans la seconde, et on
met le feu à la maison.
Benio'nus sort indemne des décombres. Seuls son livre
et sa tunique sont brûlés. Quant au druide, il est mort dans
les flammes qui ont épargné les vêtements et le livre de
saint Patrick \
L'ordalie, duel spirituel, rappelle les duels des combat-
tants mythiques.
L'opposition du vieux druide brûlé et de l'enfant qui
sort triomphant du brasier, correspond à celle de la mort
et de la renaissance des dieux du sacrifice. La manière
dont est construite la maison incendiée, en bois vert
et en bois sec, traduit le souvenir d'un symbolisme
naturel.
D'ailleurs on doit se rappeler que le thème de la mort
1. Résumé d'après Muirchu, p. 284 et Colgan, Vita V' auctore Probo,
p. ol, col. 1, dans laquelle il est pour la première fois fait mention des
matériaux avec lesquels a été construite la maison. Voir aussi Homélie
du Lebar Brecc dans Tripartile Life, II, p. 462. — Au temps où furent
compilées les Dinnsenchas (.\u« siècle), on montrait à Tara l'endroit où
s'élevait jadis la maison dans laquelle Benignus et le druide avaient été
soumis à l'épreuve : Dinnsenchas de Rennes, Rev. Celtique, XV, p. 282
(trad. p. 286). — Tlrechân connaissait la légende, mais il ne fait pas
mention de la maison; p. 306 il dit : « fecerunt conflictionem magnam
contra Patricium et Benignum. Gassula autem magi inflammata est
circa Benignum, cassula autem Benigni filii Palricii (voir plus loin) infixa
est circa magum et inflammatus est magus in medio et consumptus
erat ».
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 145
sacrificielle dans l'incendie d'une maison se rencontre dans
les mythes des fêtes irlandaises.
L'ordalie de Pâques à Tara aboutit donc i\ un sacrifice
équivalent à ceux qui s'accomplissent dans les fêtes. Cette
conclusion n'est pas le seul résultat de notre analyse, qui
nous a décelé en passant l'existence de rites symboliques
dans le sacrifice irlandais.
Le feu de Pâques : saint Patrick joue le rôle d'un
DIEU SACRIFIÉ. — On vcrra que le feu de Ferta-fer-Féicc
ne va pas, lui non plus, sans sacrifice.
A vrai dire, personne ne meurt dans ce feu même. Mais
un attentat contre la vie de saint Patrick a lieu devant le
feu et à cause de lui. Il y a donc une connexion très intime
entre le feu et le crime.
Il est vrai qu'il y eut attentat et non meurtre. Mais, en
règle générale, toute action figurée équivaut en matière de
rite à une action réellement accomplie. Or le roi Loegaire
s'était déjà levé pour tuer saint Patrick, et il avait levé le
bras pour le frapper '. Seul un miracle empêcha l'exécution
du dessein criminel.
On tue d'ailleurs pendant la fête de Tara le cocher de
Patrick ^ Or ce martyr n'est qu'un substitut du saint. En
effet, une autre légende, celle-ci localisée en Munster, et
dont la nôtre est une réplique, raconte que le cocher de
Patrick avait été tué par erreur, parce que les meurtriers
1. Muirchu, p. 281, chap. De ira régis.
2. Comlholh Loegairi co cretim, éd. Plummer, loc.cil, p. 166, et éd.
Whilley Stokcs, dans Tripartite Life, II, p. 562 : iincident que raconte
cette légende se place après les combats de saint Patrick contre
les druides à rassemblée de Tara. Les païens sont déjà convaincus
de la supériorité de la doctrine chrétienne, mais ils ne comprennent
pas encore ce que l'apôtre veut dire par pardon des injures. Ils
décident donc d'éprouver comment Patrick lui-même se comporterait
en cas d'injure grave. Ils tuent son cocher. Un tremblement de terre
venge l'apùtre en faisant mourir une foule de païens.
CZARNOWSKI. 10
146 SAINT PATRICK ET I.E CULTE DES HÉROS
l'avaient pris pour le saint'. Les cochers des légendes
épiques sont, pour ainsi dire, des doubles de leurs maîtres.
Ainsi celui de Ciichulainn, Laeg, qui est le frère de lait du
héros, partage toutes les vicissitudes de sa vie et meurt
dans la mémo bataille".
Enfin les coutumes de la Saint-Martin perpétuent la tra-
dition d'un sacrifice à saint Patrick, qui, si nous jugeons
comme nous venons de le faire des sacrifices païens réels
et mythiques, tient la place du sacrifice même du saint.
On offre au patron de la fête un porc^ l'ancien porc de
Samhain, devenu le cochon de saint Patrick, car c'est ce
saint qui a institué la coutume en question ^. Or le même
\. Vie Triparlite. éd. Whitley Stokes, p. 216 s. : le cocher du saint,
Odrân, est tué par les païens qui veulent venger l'idole Cenn Crùaich.
Il s'était dévoué pour son maître, ainsi que nous lavons raconté dans
le chapitre précédent. Cf. aussi extrait du Ms. Raivlinson B. 512
dOxford publié par M. Kuno Meyer dans Hibernica Minora, p. 79 ss. —
Cf. liste des compagnons de saint Patrick, Triparlite Life. Il, p. 266.
— Cf. l'histoire de Cormac et les Blaireaux, éd. Whitley Stokes dans
Titrée irish Glossaries, Introduction, p. xLii-p. xlv, où parait un druide
Odrân lequel est en môme temps le cocher de l'intendant d'un seigneur.
— En général les cochers de saint Patrick ne paraissent dans sa légende
que pour mourir. Ainsi Tlrechân, p. 311, en mentionne un : « uenitque
Patricius ad alueum Sinone (Shannon) ad locum in quo mortuus fuit
auriga illius Boidmailus et sepultus ibi. Dicitur Cail Boidmail (Église
de Bodmael) usque in hune diem et immolalus erat Patricio ». Cf. Vie
Triparlite, p. 92 : Bodmael est mort après la victoire de l'apôtre sur
Cenn Cruaich, donc comme Odràn. — Un autre cocher encore meurt
dans les parages du Mont Aigle : Livre d'Armagh, î» 13, b. 1 : « et per-
rexit Patricius ad Montem Egli... et defunctus est auriga illius /it Muirisc
Aigli, hoc est campum inter mare et Aigleum ».
2. Mort de Cùckulainn, dans Épopée Celtique. — Cf. ibid., les récits
du cycle d'Ulster, passim.
3. Extrait du Ms. Rawli7ison B. 512 d'Oxford dans Triparlite Life, II,
p. 360, trad. p. b61 : « Martin, it is he that confercd a monk's tonsure
on Patrick : wherefore Patrick gave a pig for every monk and every
nun to Martin on the eve of Martin's feast, and killing it in honour
of Martin and giving it to his community, if they should corne for it.
And from that to this, on the eve of Martin's feast, every one kills a
pig though he be not a monk of Patrick. Finit ». — Homélie du Lebar
Brecc, ibid.. p. 4o2, trad. p. 453 ; « As Patrick was (going) along his
way, he saw the tender youth herding swine, Mochoa his name.
Patrick preached to him, and baptized and tonsured him... and he
(Mochoa) ordered a shaven pig (to be given) every year to Patrick,
and it is still given. (Cité dans la trad. de Whitley Stokes).
LA LKr.ENDE DE SAINT PATRICK 147
texte du Lehar lirecc dit qu'il était interdit à saint Patrick
de man<;er de la viande de porc'. Ceci est ù rapprocher
de ce que nous avons dit plus haut du caractère sacré des
porcs.
Saint Patru-k tient aussi le rôle d'un dieu renaissant.
— La légende amène donc saint Patrick à côtoyer le rôle
de dieux sacrifiés. On verra qu'il est en môme temps un
dieu renaissant ou triomphateur.
Ainsi l'enfant Bcnignus, que nous avons vu dans ce der-
nier rôle, est lui aussi un substitut de Patrick. Il est la
première personne que celui-ci ait baptisée en Irlande, le
disciple favori du saint et son successeur sur le siège
épiscopal d'Armagh\ Mieux encore, Benignus est le fils
adoptifde Patricks II est son champion dans l'ordaUe de
Tara.
De plus, Patrick lui-même est l'acteur d'un drame qui
présente beaucoup d'analogie avec la légende précédente.
Il s'agit du suicide de Milchu, ou Miliucc, l'ancien maître
du saint, suicide dont on a déjà parlé plus haut.
Milchu s'enferme dans sa maison avec tous ses biens et
il y met le feu. Il meurt tandis que le futur dominateur spiri-
tuel de l'Irlande contemple l'incendie du haut d'une mon-
tagne*.
1. Loc. cil. — Cf. Glossaire d'O'Davoren dans Archiv fiir Celtische
Lexikographie, p. 407 ; le nom du cochon offert à la Saint-Martin est
Lapait. Or c'est là le nom même de la sœur de saint Patrick, Vie
Triparlile. p. 12 et ss.
2. Cf. dans Triparlile Life II, liste des plus anciens évoques d'Armagh.
Benignus apparaît déjà dans les plus anciennes Vies, chez Tfrechàn et
Muirchu.
3. Tirechan, p. 306 : « Benigni filii Palricii ». La légende de l'adop-
lion de Benignus est racontée tout au long ibid, p. 303.
4. Muirchu, p. 276 s. — La mort de Milchu est exactement la même
que celle de Sacrovir, après sa défaite : Tacite, Annales, livre III,
chap. XLvi (fin) : « Sacrovir... in villam propinquam cura fidissirais
148 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Or celle morl Iragiquc csl, on l'a vu, le premier signe
de ravènemcnl Iriomphal du Règne nouveau. La légende
de Milchu esl ainsi une réplique des anciens mylhes de
fêtes, dans laquelle Patrick lient le rôle du nouveau dieu qui
se substitue au dieu mis à mort.
Saint Patrick est un héros du drame festival irlan-
dais. — D'autres traits complètent le parallèle que nous
instituons entre saint Patrick et les génies des fêtes irlan-
daises.
Au moment où le roi à Ferta-fer-Péicc se lève pour tuer
Patrick, celui-ci commence à chanter le psaume Exsurgat
me Dominiis. Immédiatement des ténèbres profonds et un
tremblement de terre viennent jeter le trouble dans les rangs
des païens. Us s'entretuent à l'aveuglette, et le reste périt
dans la catastrophe de la nature. Quatre survivants restent
seuls auprès du feu de Pâques \
Des mylhes analogues à ceux de Cùchulainn à Mag
Muirthemne et celui de Tigernmas à Mag Slecht sont réu-
nis dans celte histoire. L'analogie avec le second de ces
mylhes va même si loin que le nombre des survivants
après le désastre de Mag Slecht et celui de Ferta-fer-Féicc
est exactement le même-.
pergit. Illic sua manu reliqui mutuis ictibus occidere. Incensa super
villa, omnes cremavit ». — Ce sont deux suicides rituels, deux sacri-
fices, lin ce qui concerne Milchu, M. Bury a déjà remarqué qu'il doit
Être rapproché de Crésus mourant volontairement sur un bûcher :
op. cit., p. ^6 s.
1. Muirchu, p. 281 s.
2. Dinnsenchas métriques de Mag Slecht, éd. Kuno Meyer, strophe 10 :
Uair itgén, achl celhramthi slùaig Gâidel n-(jér fer i m-belhaid —
bùan in sàs — ni dechaid cen bds Jias bel. « car j'ai appris, que
sauf quatre de la troupe des hardis Gôidels, pas un homme n'est
(demeuré) en vie — c'est une durable embuscade ! — (aucun)
n'échappa sans la mort ». Cf. Muirchu, p. 281 : De tous les païens,
seuls le roi, la reine et deux autres Irlandais demeurent auprès
de saint Patrick.
À
LA LKOF.NDK DE SAINT PATRICK 449
Notons encore que pour déjouer un complot contre sa
vie Patrick change ses compa|]^nons et lui-môme en cerfs
et se rond ainsi pendant la nuit de PAqucs de Forla-fer-
Féicc :\ Tara'. Le miracle de celte transformation fut
opéré par la vertu d'un hymne composé par le saint. Or
le titre de cet hymne est Faeth fiada\ le nom même du
ciiarme qui protège les « hommes des sidli », qui circulent
en forme de cerfs les nuits de fêle.
Ainsi la légende de saint Patrick résume l'épisode essen-
tiel des mythes irlandais qui ont Irait aux fôles. Quant au
saint lui-même, il réunit les traits des divers acteurs du
drame festival, ceux du dieu sacrifié en môme temps que
ceux du dieu nouveau, ceux du dieu qui triomphe dans un
carnage comme ceux des génies qui circulent aux fôles.
EIntre tous les héros des mythes et des légendes, saint
Patrick est peut-ôlre la personnification la plus complète-
ment adéquate à Tensemblè des représentations qui régissent
la célébration des fôtes irlandaises.
La légende de saint Patrick est une légende de prin-
temps. — Mais la légende de saint Patrick est plus parti-
culièrement une légende du printemps.
Elle se passe à PAques. Or de môme que les envahis-
seurs mythiques arrivent le jour de Beltaine, qui est une
fête du printemps, Patrick débarque à Pâques.
Le caractère pi'inlanier de Pâques ressort encore de
l'épisode de la légende qui a pour théâtre le Mont Aigle.
1. Muirchu, p. 282 : Saint Patrick bénit ses huit compagnons, dont
un jeune garçon (Benignus), et il les amène au roi. Celui-ci les compte
et tout à coup les chrétiens disparaissent aux yeux des païens. A leur
place ceux-ci voient « octo tantum ceruos cum hynulo euntes quasi
ad dissertum ».
2. Publié sous ce litre par Whitley Stokes dans Triparlite Life, I,
p. 48 ss. — Cf. la légende qui raconte la composition de cet hymne,
ibid.. Introduction. — Cf. Keating, éd. Dinneen, vol. cité, p. 148.
150 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES 'HÉROS
Pendant les quarante jours du Carême Patrick endure les
persécutions des démons. Des oiseaux noirs Tassaillcnt en
bandes innombrables. Il est à bout de forces. Mais, lorsque
vient Pfîques, les oiseaux noirs disparaissent et un ange
vient consoler le saint. Enfin se lève le soleil, et au même
moment les âmes des saints Irlandais passés, présents et à
venir entourent le saint sous la forme d'oiseaux blancs'.
Ainsi le triomphe pascal de saint Patrick a lieu après
une période de souffrance et d'affaiblissement. Il est d'autre
part le signal de la venue d'esprits bienfaisants qui se subs-
tituent à des génies malins et qui seront les semeurs de
biens spirituels, de même que les génies des fêtes printa-
nières amènent le renouveau de la nature.
Saint Patrick est même directement associé à celui-ci.
Sa propre fête, le 17 mars, marque le milieu du printemps
irlandaise De plus, c'est la fête du shamrock, plante qui
reverdit précisément vers le milieu du mois de mars. On
décore les chapeaux de shamrock le jour de la Saint-
Patrice en Irlande', et dans certaines localités de l'île on
en mange même *.
Caractère solaire de saint Patrick. — Enfin saint
Patrick présente certains caractères d'un génie solaire.
Sa fête coïncide avec l'équinoxe du printemps.
Elle tombe, on l'a vu, le 17 mars. Or, c'est la date
même de l'équinoxe réel vers l'année 700, suivant le calen-
1. Cf. chapitre suivant, p. 192 s. et p. 195.
2. Tirechân, p. 333 : Patrick a lui-même ordonné que sa fête soit
célébrée « in medio ueris ». On sait que la saison erracht durait
d'Imbulc à Beltaine. Son milieu coïncidait donc à deu.x jours près avec
la Saint-Patrice.
3. A Londres par exemple tous les Irlandais vont le 17 mars avec
des touffes de shamrock au chapeau.
4. Ainsi dans la paroisse de Maghera (Down) : The Folk Lore Journal,
II, p. 212. — Cf. ibid. p. 211 : rites saisonniers de la Saint-Patrice dans
la paroisse de Dungiven.
LA LÉGENDK DE SAINT PATRICK 151
drier Julien. Celte date était le 18 mars à partir de 350 jus-
qu'à l'année GoO environ, el le 19 mars au début du
VI* siècle.
La date de la mort de saint Patrick est déjà bien établie
au vil" siècle', cl sans doute dès le vi°, c'est-à-dire à une
époque où la différence entre l'équinoxe et la date en ques-
tion était de un ou de doux jours. G'est-là une différence
tellement peu sensible que nous pouvons n'en tenir aucun
compte. 11 y a bien d'autres fûtes, comme la Noël et la Saint-
Jean-Baplisle, qui sont plus éloignées des solstices et dans
la célébration desquelles on relève pourtant des faits en
rapport avec les solstices-.
Il en est de môme dans la légende du 17 mars. Le soleil
s'arrête au moment de la mort de saint Patrick ''\
Il luit sans discontinuer pendant douze jours et douze
nuits. Et l'on assure que toute Tannée qui suivit la mort de
l'apAtre les nuits furent moins sombres que d'habitude*.
Cette histoire n'est évidemment qu'une réplique de celle
de Josué. Néanmoins, la raison probable de l'emprunt est la
coïncidence de la fête de saint Patrick avec l'équinoxe.
Caiuctkre lumineux de saint Patrick. Saint Patrick
GÉNIE DE LA NATURE. — De plus, Saint Patrick est, comme
le soleil, rempli d'une puissance lumineuse et chaude.
Deux de ses néophytes ont été touchés par la Grâce en
voyant une volée d'étincelles partir de la bouche du saint
et tomber dans la leur. Quand Patrick lève la main ses
cinq doigts éclairent la plaine à la façon de cinq torches.
1. Tlrcchân, loc. cit., « in medio ueris », donc dès la seconde moitié
du vii'siôcle.
2. Pour exemples voir Mannhardt, op. cit., I.
3. Hymne de Fiacc, loc. cit., versets 29 et 30.
4. Muirclm, p. 2% s. ; Colgan. Vita V», p. 60, col. 1 et 2.
o. Tirechân, p. 330.
152 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Enfant, il change des glaçons en feu et il rallume un foyer
en faisant tomber des gouttes d'eau de ses doigts*.
Dans le tournoi magique dont on a déjî\ parlé Patrick est
toujours le représentant de la clarté et de la chaleur bien-
faisantes. Il fait fondre la neige et reluire le soleil.
Mais cette dernière légende nous ramène au caractère
de génie de la nature printanière, qu'on a déjà considéré
dans saint Patrick. En efTet, le tournoi en question a lieu à
Pâques. D'autre part le saint déclare ne vouloir faire que
des miracles qui soient conformes au caractère chaud et
bienfaisant de la saison, tandis que les druides en font de
contraires'.
Caractère national de la légende de saint Patrick. —
La puissance naturelle de saint Patrick éclate et triomphe
dans la fête du printemps. Sa légende et son culte, comme
ceux des grands dieux de la m3'thologie païenne le mêlent
aux fêtes et rassemblent Jes représentations que suggèrent
les fêtes. Or il faut observer que la vie collective de la
société gùidélique ne s'exprime que par les assemblées fes-
tivales. En dehors de celles-ci le groupe social n'a aucune
cohésion. Il n'y a en Irlande ni villes, ni villages. Les
membres des groupes vivent dispersés. En temps ordinaire
1. Vie Tripat'lile, l" partie.
2. On pourrait jeter beaucoup plus de lumière sur le caractère
solaire de saint Patrick si Ion pouvait le comparer à des dieux ou
héros solaires irlandais. Malheureusement, et malgré ce qu'on a écrit
sur ces dieux (Cf. Rhys, The origin and growlh of religion as illusLra-
tecl by celtic heathendom (Hibbert Lecture) Londres, 1888, qui voit des
dieux et des héros solaires dans les personnages des mythes et de
l'épopée irlandaise), la question des cultes solaires gôidéliques demeure
entière. — Il n'y a pas non plus à tenir compte des épithètes dont les
hagiographes gratifient Patrick. Cf. Félire Oengusso, au 17 mars,
Lassar gréine ane, apstal liErenn huaige, Patraic... « Flamme d'un
splendide soleil, apôtre de l'Irlande virginale, Patrick. » — Cf. aussi le
préambule à la Vie Tripartite : Patrick est un rayon du Soleil de
Justice qui est le Seigneur, etc. Tout ceci n'est que de la rhéto-
rique.
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK 153
ils n'existent, pour ainsi dire, que comme individus. Ils ne
se rencontrent qu'aux dates des fôtes.
Ce qui est vrai pour les groupes subordonnés, l'est d'au-
tant plus pour la nation. Celle-ci se compose de clans
autonomes, en guerre continuelle les uns contre les autres.
Il n'existe aucun pouvoir central capable de contenir les
velléités d'indépendance, car le roi suprême n'est souve-
rain qu'en théorie et c'est à peine s'il parvient à maintenir
son propre apanage contre les appétits de ses vassaux.
Seules les grandes assemblées de Tara, Uisnech et
Tailtiu marquent une trêve à la guerre et à l'isolement.
Les chefs et les délégués de toutes les provinces y parais-
sent. Ils délibèrent sous la présidence effective du roi
suprême, ils prennent part aux mêmes banquets, ils célè-
brent ensemble les mêmes cérémonies religieuses. Les
trois grandes fêtes en question sont ainsi les seuls moments
où la nation apparaisse organisée.
Or, on a vu que la légende de saint Patrick est précisé-
ment un mythe de ces fêtes nationales. Elle est ainsi une
légende dans laquelle s'exprime la vie même de la nation
irlandaise. Le caractère national de cette légende résulte
en bonne partie de là.
CHAPITRE IV
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT
ET DES MORTS DANS LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK
Nous avons appelé indifféremment dieux, esprits, génies,
héros les personnages que nous avons vu vivre aux fêtes
les épisodes de leur vie mythique.
On a vu dans le chapitre précédent que les générations
divines, dont les Irlandais ont peuplé leur univers naturel
et surnaturel, prenaient place dans les fêtes : foule innom-
brable des génies anonymes qui surgissent, circulent ou
disparaissent, protagonistes du drame mythique, ils s'y
livrent d'éternelles batailles.
Nous entreprendrons d'abord de faire voir que ce sont
des héros Saint Patrick ressemble aux uns et aux autres.
L'assimilation étant acquise, la conclusion visée ressortira
de cette démonstration.
Avant tout on constatera que les génies en question ne
sont pas seulement des dieux, des êtres spirituels sans lien
avec l'humanité, mais que ce sont en môme temps des
morts et des ancêtres, et que ceux de ces esprits qui ont
un nom sont précisément de ces personnages que nous
rangeons habituellement dans la catégorie des héros.
On verra que la ressemblance indiquée plus haut entre
génies et les morts héroïques est d'autant plus parfaite,
que de leur côté les morts et les ancêtres, en tant qu'ils
156 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
deviennent l'objet d'un culte, reçoivent précisément le
même culte.
En ce qui concerne saint Patrick, on observera, dans
cet ordre d'idées, entre son type légendaire et ceux du paga-
nisme irlandais des ressemblances qui équivalent à celles
qui viennent d'être signalées.
Les GÉNIES DES FÊTES SONT DES MORTS, DES ANCÊTRES ET
DES HÉROS. — I. Ils sont des morts. Le fait est qu'ils se
confondent avec les esprits des morts.
Les principaux personnages des mythes que nous avons
passés en revue sont des dieux de la mort. Le nom de Bel,
en l'honneur duquel est célébrée la fête de Beltame, ou du
Feti de Bel, et celui de Bile, père de Mile, le dernier envahis-
seur mythique paraissent dériver tous deux de la racine
bel « mourir » et si cette élymologie est contestable, il ne
l'est pas qu'on ait imaginé un dieu Bel, dieu de la mort V
Le nom de Tigernmas, est expliqué par tiffern-ôais, « sei-
gneur de la Mort»-. Les Fomoré sont des dieux des
morts ^ On se rappelle leur amour pour la mort et la
nuit. Un de leurs principaux chefs dans la bataille de Mag
Tured, Tethra, règne sur les morts, d'après un récit,
Echtra Condla^.
Les envahisseurs mythiques viennent du pays des morts.
C'est une contrée située à l'extrême Ouest, au delà de la
mer. La mort des génies est représentée dans certaines ver-
i. H. d'Arbois de Jubainville, — Le Cycle Mythologique, p. 225.
2. Ibid., p. IH.
3. Ibid., p. 91 ss.
4. Publié par M. Windisch dans sa Kurzgefasste irische Grammatik.
Traduction française par H. d'Arbois de Jubainville dans L'Épopée
Celtique en Irlande, p. 388.
LES REPRESENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 157
sions des mythes d'invasion comme un retour dans ce pays'.
Aucun vivant ne peut y débarquer. La mer engloutit les
vaisseaux des fils de Nemed au moment où ils allaient tou-
cher Tor-Inis.
Inversement, les héros qui ont pénétré dans le pays divin
ne peuvent plus toucher du pied la terre des hommes.
Ainsi lorsque Bran, fils de Febal, l'un de ces héros, aborda
en Irlande à son retour, un de ses compagnons qui avait
touché la terre du pied fut immédiatement réduit en cen-
dres ■. 11 est pareillement interdit au héros Loegaire, fils
de Crimthann, qui revient d'une expédition chez les génies,
de descendre de chevaP. C'est que ces héros ne sont plus
des hommes, mais des revenants.
Il s'agit donc bien d'un pays des morts.
D'autre part, les génies, ou une partie d'entre eux,
habitent ordinairement des palais souterrains, les sîdh. Or
les sîdh sont généralement des sépultures. Celui de Brugh
na Boinne par exemple, un des plus fameux, est un
tumulus à chambre funéraire '.
1. Par exemple la version de Nennius sur la mort des fils de
Nemed H. d'Arbois de Jubainville, Cycle Mythologique, p. 117.
2. Imram Brain maie Febail, éd. Kiino Meyer, dans Alfred Nutt
et Kuno Meyer, The Voyage of Bran, Londres, 1895, I, p. 32-33. — Le
pays que Bran a visite a bien tous les traits du pays divin. Comme
Tor-Inis, comme l'Espagne il est situé à l'Ouest. Personne ne peut le
découvrir, s'il n'est conduit par un dieu (Manannan mac Lir dans
Imram Brain). C'est un pays de vie, de jeunesse et de santé éter-
nelles. Cf. la description du royaume de Bregon en Espagne dans
V Histoire de Tadg, fils de Cian, Silva Gadelica, II, p. 385 ss.
3. Silva Gadelica, p. 290.
4. James Copeland Borlase, The Dolmens of Ireland, II, p. 345 ss.
Brugh na Boinne est identique à la grande tombe de Newgrange
(Cté de Meath). L'intérieur renferme une allée couverte qui conduit à
(les chambres funéraires. Les parois sont décorées de sculptures dans
le même style que celle de «iavr'inis dans le Morbihan. — Le tumulus
de Newgrange et les autres tumulus du même type sont antérieurs à
l'époque gôidélique. mais ils ont en partie continué à servir de sépul-
tures jusqu'à un temps relativement récent.
158 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
On pénètre aussi dans le pays des génies par des grottes.
Ces grottes servent de sépultures ou bien elles sont entou-
rées de tombeaux. Citons comme exemple celle de Crua-
chan en Connaught^
Un passage du récit épique Togail Bruidne Dà Derga
nous montre les morts mêlés à la population des sidh.
Trois cavaliers rouges que rencontre le roi Conaire Môr
lui déclarent : « Nous montons des chevaux du séjour
des sidhe : bien que nous soyons vivants nous sommes
morts » ".
Ainsi les génies des fêtes et les morts habitent en commun
le même monde, où ils sont régis par les mêmes dieux de la
mort.
Autre raison. Les génies des fêtes ont alternativement
une existence d'hommes et une existence d'esprits désin-
carnés, c'est-à-dire de morts.
Un exemple topique nous est fourni par un texte
mythologique, Tochmarc Etdine, ou la Cour faite à
Etam\
Etâin était une bansidhaig^ c'est-à-dire une fée, mariée
au dieu Mider qui régnait sur le sidh de Breg-Léth en Meath.
Après diverses péripéties Etâin naît parmi les hommes
comme fille d'un roi et elle devient la femme du roi
Eochaidh Airem.
1. Sur cette grotte, cf. plus haut à propos du sidh de Cruachan. On y
a retrouvé des sépultures. Cf. Joyce, op. cit. il, p. 556.
2. Éd. Whitley Stokes dans Rev. Celt. XXII, p. 39.
3. Tochmarc Etàine, éd. Windiseh. dans Irische Texte, I p. H7 ss..
130 ss. Résumés : d'Arbois de Jubainville, Le Cycle Mythol., p.3Hss. ;
OCurry, Mannersand Cusloms. t. Il, p. 19:2 ss. et Alfred Nutt Voyage
of Bran, II. Des fragments de la légende ont été en outre publiés par
le Dr. Stern dans Z/l. fur Celt. Philol. V, 3. pp. 522 ss. Cf. étude sur
Tochmarc Etdine par Alfred Nutt dans Hev. Celt. XXVII, p. 325 ss.
Cf. Zimmer dans Kuhns Zfl., XXVIII, p. 585 ss.
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 159
Mais Mider, qui n'a pas oublié son ancienne compagne,
essaye de décider la jeune femme à le suivre. Comme elle
refuse, il l'enlève et la cache dans son sidh.
La science d'un druide permet pourtant à Eochaidh de
découvrir sa retraite. Il attaque le sîdh, défait les génies
et reconquiert sa femme.
Ainsi Etâin est en même temps une fée et une femme
morte. En effet, elle n'a jamais cessé d'être une bansi-
dhaig, puisque Mider la reconnaît pour son ancienne com-
pagne et qu'en l'enlevant il ne fait que la ramener parmi les
dieux. Et cependant Etâin est une femme née d'une femme,
et la longue liste de ses ancêtres humains lui permet de
mépriser le séducteur Mider, qui n'est qu'un simple dieu
et par conséquent dépourvu de généalogie. Elle ne se
souvient pas de son existence antérieure dans le sidh. L'en-
lèvement d'Etàin par un dieu est donc une représentation
de la mort humaine, représentation qui est d'ailleurs uni-
versellement répandue. Lorsque Eochaidh reconquiert sa
femme ce n'est pas seulement une fée qu'il ramène. C'est
une morte qu'il ressuscite.
Or Etâin appartient au groupe de nos génies de fêtes. En
effet, elle habite comme eux un sidh^ qui est un lieu de fête
[oenach), et son mari, Mider, est connu par d'autres textes
comme un des Tûatha Dé Danann. Tous les épisodes de
l'histoire ont d'ailleurs pour théâtre des assemblées et des
banquets. Ce ne peut être que pendant une fête que le sîdh
est attaqué et pris par les hommes, car les demeures des
dieux sont inaccessibles en temps ordinaire.
Cette histoire nous donne un exemple de la double na-
ture, humaine et spirituelle, de nos génies. En tant
qu'hommes mêlés aux incidents de la vie humaine, ce sont
d'anciens dieux. En tant que dieux, ce sont d'anciens
hommes, c'est-à-dire des morts.
160 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
II. lis so7it des ancêtres. Ce sont aussi des ancêtres.
Les Dinnsenchas de Carman nous apprennent que les
esprits, qui se réunissent en assemblées en môme temps
que les vivants, sont des ancêtres de ceux-ci '.
Les héros qui partent pour le pays des génies reviennent
parmi leurs ancêtres. Dans le récit déjà cité de Togail
Bniidne Dd Derga, le roi Conaire Môr se voit interdire
la chasse à des oiseaux qui se sont échappés d'un sîdh,
car il deviendrait le meurtrier de ses ancêtres. Leur roi
est son père -.
L'identité des génies avec les ancêtres des hommes
ressort encore des mythes d'invasions.
En effet, les Irlandais descendent tous du même dieu
de la mort qui a donné naissance aux génies envahis-
seurs. Bile, père de Mile, est identique audieuBeP. Cette
généalogie est d'ailleurs confirmée par l'existence d'une
croyance analogue chez les Gaulois qui, suivant César, pré-
tendaient descendre de Dispater\
Les ancêtres des hommes, qui se confondent avec la
race de Bel, se confondent encore avec les Fomoraig. Le
pays d'origine des uns et des autres est celui où s'élève
la tour des dieux, et d'autre part YEchtra Condla fait
présider les assemblées des ancêtres humains par le roi
des Fomoraig, Tethra^ Or les Fomoraig sont, on l'a vu,
les plus anciens des dieux et, par conséquent, leurs
ancêtres communs.
Ce n'est donc pas une tribu particulière de génies qui se
confond avec les ancêtres des hommes. C'est la série
1. Aenach Carmain, strophe B, chez O'Curry, op. cit., III, p. 530.
2. Éd. Whitley Stokes, § 13, daus Rev. Celtique, XXII, p. 24.
3. Cf. d'Arbois de Jubainville, Cycle Mythologique, p. 225.
4. De bello gallico, livre VI, chap. 18.
5. Loc. cit., p. 388.
LES REPRESENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 161
entière des envahisseurs mythiques, toute la masse des
génies réveillées par la fùtc, qui leur est identique.
III. //*• sont des héros. — Parmi ces génies, quelques-
uns prennent une personnalité et un nom propres, sans tou-
tefois cesser d'ôtre attachés à leur tribu divine. Mais à
côté de ces personnages, on en a vu d'autres à titre indi-
viduel paraître dans les mythes des fêtes. On verra que
ceux-ci également ne sont pas purement et simplement des
dieux. Ils sont des morts, des ancêtres et des héros.
La fée Mongfind, en l'honneur de laquelle, suivant le
rédacteur d'un récit épique, la mort de Crimthann, la
fête de Samhain était appelée Fête de Mong/iiid, et à
laquelle on adressait des prières à celte date, est une reine
morte. Femme du roi suprême Eochaidh Muigmcdon, elle
fut régente du royaume après la mort de son mari et
elle meurt empoisonnée pendant un banquet de Samhain*.
Il en est de même de la fée Mâcha, dont on a parlé
plus haut comme déesse de la fête d'Emain Mâcha en
Ulster. Cette Mâcha qui, suivant la Neuvaine des Liâtes,
un morceau épique du cycle d' Ulster, est une petite-fille du
grand dieu de la mer Manannan mac Lir' est identique
à une reine légendaire, Mâcha Mongrûad, ou aux-
Cheveux-Roux, dont on commémore la mort à la fête
d'Armagh '. En effet, les deux Mâcha n'ont pas seulement
le même nom, mais leur fête à toutes deux est célébrée à
la même date, à Samhain, dans deux localités voisines, dont
Tune, Armagh, n'a pris de l'importance que lorsque Emain
Mâcha et sa fête avaient été abandonnées. La fête d'Ar-
magh apparaît ainsi comme la continuation des solennités
4. Whitley Slokes. dans Rev. Celt. XXIV. p. 179.
2. Traduction de d'Arbois de Jubainville, Épopée celtique, p. 323.
3. Dinnsenchas de Rennes, dans Rev. Celt., XVI, p. 45.
CzAR.NOWâKI. 11
162 SAINT PATniCK ET LE CULTE DES HÉROS
d'Emain ' et, par conséquent, Mâcha Mongn'iad et la fée
Mâcha ne font qu'un.
La fée Mâcha est elle-même une morte qui revient à la
vie. La Neiivaine des Ulates raconte qu'un veuf qui ne
s'était pas remarié vit un jour ^Licha entrer dans sa maison
et s'asseoir sans mot dire à la place de la morte, auprès du
foyer. Puis elle alla et vint dans la maison comme si elle
la connaissait depuis longtemps, elle appela chaque servi-
teur par son nom et, la nuit venue, elle se coucha auprès du
veuf. Celte fée qui se comporte en tout comme la morte est
évidemment l'esprit de celle-ci.
Inversement, les héros deviennent après leur mort les
acteurs mythiques des fêtes. Nous savons déjà que géné-
ralement la fête donne à ces personnages l'occasion de
mourir en beauté.
On en a vu plusieurs exemples dans le chapitre précédent.
Le roi Diarmaid mac Cerbhaill, qui est d'ailleurs un
personnage historique, est le héros de tout un cycle de
récits, dont le théâtre est Uisnech Midi et la date Beltaine.
La mort du roi est le thème principal d'un de ces récits et
celte mort apparaît comme la sanction du crime commis
sur Flann, crime dans lequel nous avons reconnu un trait
du mythe de Beltaine \
Le roi épique Conchobar est, en quelque sorte, un patron
de Samhain et de Tannée entière, dont ses guerriers per-
sonnifient les jours. Le morceau épique intitulé Naissance
\. Hymne de Fiacc, verset 21 : « la royauté appartient maintenant il
Armagh; Emain est depuis longtemps déserte ».
2. Loc. cit., p. 321.
3. Death of King Dermol, dans Silva Gadelica, p. 76 ss. Le roi meurt
d'ailleurs non à Beltaine, mais à Samhain, ce qui revient au même,
puisque ces deux fûtes se font pendant dans l'année, et que sa mort
est la conséquence d'un fait de Beltaine.
LES REPRÉSENTATIONS lUI.ANlJAlSES DE LA MORT 163
et règne de Conchohar raconte que la troupe du roi com-
prenait « trois cent soixante-cinq hommes c'est-à-dire le
nombre des jours qui sont dans l'année ». Us avaient fait un
pacte suivant lequel chacun présidait à son tour le festin
quotidien. Quant au banquet de Samhain, sa présidence
appartenait à Gonchobar lui-môme \
Ce qu'on vient de dire à propos de Diarmaid et de Gon-
chobar s'applique b. tous les héros de l'épopée irlandaise.
Les épisodes de leur vie se passent aux fêtes. D'autre part,
c'est aux fêles qu'on raconte leurs légendes au public
assemblé, et ces auditions font partie du rituel général des
fêtes, ainsi qu'il ressort des Dinnsenchas de Garman *.
Ainsi les péripéties de la vie héroïque finissent par être
associées à la célébration des rites de fôte, à l'égal des péri-
péties de la vie divine. Les thèmes de l'épopée sont d'ail-
leurs identiques à ceux des mythes. Les dieux des fêtes se
confondent ainsi avec les héros et inversement ceux-ci
deviennent des personnages du mythe festival. Quant au
titre de héros que nous donnons aux uns et aux autres,
nous achèverons de le justifier dans le chapitre suivant.
Les fêtes sont célébrées en l'honneur des morts, —
La confusion des génies de fêtes avec les morts ressort
encore du fait que les assemblées périodiques sont toujours
tenues dans des cimetières et autour de tombeaux.
G'est ce qu'on voit par exemple dans un passage du
1. Extrait de la légende et traduction allem. chez Windisch, loc. cit.
p. 210. — Un des héros de Conchpbar, Fergus, parait personnifier
la semaine : ... « le nombre se|)t dans Fergus..., il y avait sept pieds
entre son oreille et sa bouche, et (la grosseur de) sept poings entre ses
deux yeux, et sept poings (était la longueur de) son nez, et sept poings
sa bouche... » Sept femmes le soignent, son repas se compose de sept
porcs et de sept bœufs. « Il était donc obligé de manger le repas d'une
semaine », ibùl., p. 210, trad. p. 211.
2. Aenach Carmain, loc. cit., p. o42 s., strophes 58 à 62 et Oii.
164 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Senchns Màr, le plus ancien recueil de droit irlandais, qui
prescrit d'entretenir les tombes [claide] et les tumulus
{ferta) dans les emplacements des assemblées solennelles.
Une revue de quelques-uns de ces emplacement, pris au
hasard des sources, nous permettra de confirmer les données
du Senchus Màr. On groupera simplement les faits par pro-
vinces en suivant Tordre même des poèmes topographiques
irlandais.
Avant d'y procéder notons seulement pour la compréhen-
sion des sources, qu'une assemblée de fête s'appelle en irlan-
dais oenach, et que par conséquent ce mot, lorsqu'il entre
dans la composition d'un nom de lieu désigne l'emplacement
d'une fête.
Dans le royaume de Mide, ou de Meath, Tara, Tailtiu
et Uisnech sont autant de cimetières. Les deux premières
localités figurent dans une liste des plus fameux cimetières
païens de l'Irlande, le Senchus na Relec qui date du
XII* siècle ^ Quant à Uisnech, on y a relevé, de même d'ail-
leurs qu'à Tailtiu, un grand nombre de sépultures con-
temporaines de la civihsation gôidélique. Tara passait
pour avoir servi de cimetière aux Clanna Dedad ^, émigrés
depuis en Munster, qui sont une des t)'ois races héroïques
de l'épopée irlandaise avec les Clanna Rudraige et les Ga-
1. Se7ichus Mot' dans Ancient Laws, I, p. 136, 1. 34 et p. 158, dernière
ligne.
2. Publié par Pétrie dans The Ecclesiastical Architecture of Ireland an.
terior to the Anglo-Norman Invasion, vol. I. Dublin, 1845, p. 96 ss. (trad-
p. 98 ss) — Cf. extrait du Ms. dit Leabhar nah Vidhre (LU), concernant
les cimetières fameux, publié ibid.. p. 103 s. (trad p. 104). — Cf. qua-
train du môme Ms. chez Borlase, The Dolmens of Ireland, Dublin, 1896,
II, p. 438 note : c Les trois cimetières des idolâtres (étaient) : le cime-
tière de Tailtiu, (le cimetière) délite; le cimetière de Cruachan-la-tou-
jours-belle et le cimetière de Brugh ».
3. Extrait de LU chez Pétrie, p. 103. — Autres tombeaux illustres à
Tara : Senchus na Relec, loc. cit., p. 97. — Cf. Dinnsenchas de Rennes,
Rev. Celtique XV, §§ 5 ss.
LES nEPRKSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 165
manrad d'Irros Domnand \ Tailliu était le cimetière pré-
sumé des roisd'Ulster antérieurs à ConchobarmacNessa^.
On y montrait en outre les tombeaux de maint personnage
illustre, par exemple celui d'Ollamh Fodhla, un des pre-
miers rois et législateurs légendaires de l'Irlande^.
Le fait que les fêtes sont célébrées dans les cimetières
mômes, et non dans le voisinage, ressort, en ce qui concerne
la fête de Tara, d'un passage des Duinsenchas, où il est dit
que la pelouse de Tara eslpropice aux Jeux des tombeaux.
Il en est de même à Taillten où les jeux de la fête sont
célébrés autour du tombeau de Tailltiu \
Dans les autres lieux de fête du rovaume de Mealh, comme
à Tlachtga, où Ton célébrait Samhain, s'élèvent aussi des
tombeaux. VOenach Feci dans la Plaine de Breg a été
le lieu de sépulture à quelques rois du Munster. On y
montrait en outre un tumulus que certains croyaient être
celui du roi Conaire Môr, et que d'autres attribuaient au
roi Conaire Carpraige °. Enfin l'emplacement de la fête
de Brugh na Boinne est donné comme la résidence des
principaux chefs des Tûatha Dé Danann , mais c'est
en même temps un lieu de sépulture. Les rois suprêmes
étaient enterrés dans le sklh de Brugh depuis le temps
de Crimthann Nia Nâir. Ce roi avait épousé une baîi-
sidhaig et il avait préféré reposer après sa mort dans
1. Laech aicme. Cf. Tâin Ba Flidais, § 6, dans Irische Texte, IIj, p. 215. —
Irros Domnand était situe dans le comté actuel de Mayo : c'est proba-
blement Enis. — Les Clanna Rudraipre dUlster ont vaincu et exterminé
les deux autres « races héroïques » : Windisch, dans Tâin Bô Cùalnge,
p. 436, note 1 ; cf. Keating, éd. Dinneen, vol. cité, p. 2i0 s.
2. Sullivan, vol. d'introd. à O'Gurry, op. cit.. p. CCCXXVII, note 567.
3. Poème de Cuan hiia Lochain. intitulé /lenac/i JatZ/en, dans Gwynn,
Poems from tfie Dinnsenchns [Todd Lectures Séries), Dublin.
4 . Gwynn, The Metrical Dinnsenchas (Todd Lecture Séries VI), p. 6 :
Temair II, vers 1 à 12. — Cf. Aenach Taillen, cité plus haut.
5. Senchus na Relec, loc. cit., p. 97; extrait de LU, chez Pétrie, p. 103.
106 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉIIOS
la liibu do sa femme que parmi ses propres ancêtres '.
La j)lus renommée des assemblées du Leinster, celle de
Lugnasad à Oenach Col/nain, ou Oenach Life, est elle
aussi tonne dans un cimclière. Il contient dos tombeaux des
rois du Munster et il est mentionné parle Se fichus na lielec^.
En un autre lieu de la môme province, Oenach Ailhe,
dont le nom indique qu'il a été un lieu d'assemblées, est
la sépulture principale des rois du Leinster \ Carman,
dont nous avons décrit la fôte, est également célébrée dans
les Dinnsenchas comme relie na righ ou « cimetière de
rois » *.
Dans le royaume de Desmond ou Munster Oriental
Temair Luachra qui est un lieu d'assemblée, est pareille-
ment un cimetière qui figure sur la liste du Senchus na
1. Senchus na Relec, loc. cit., p. 96 et ibid. note e. Cf. extrait de
LU, chez Dorlasc, loc. cit. : « les troupes du grand Mealh (royaume de
Mide) sont enterrées au milieu (à l'intérieur?) de Brugh le seigneu-
rial ». Cf. ibid. commentaire de Maelmuire : « les princes des Tiiatha
Dé Danann, à l'exception de sept d'entre eux qui ont été enterrés à
Brugh, notamment : Lug, et Oe, fils d'Ollamh, et Ogma, et Coirpre fils
d'Etan, et Etan elle-même, et Dagda et ses trois fils, notamment Aedh
et Oengus et Cermait, et beaucoup d'autres, tant Tùatha Dé Danann
que Fir-Bolg ou autres. » Au xi» siècle les evhéméristes irlandais se
figuraient que les dieux avaient été des hommes et qu'ils étaient
morts. C'est pourquoi nous trouvons les Tùatha Dé Danann transfor-
més, de dieux qu'ils étaient habitant le sid/i de Brugh (Sur ce sidh cf.
la Conquête du sidh, résumée par H. d'Arbois de Jubainville, loc. cit.),
en morts enterrés à Brugh. — Toutefois, il n'y a pas de doute que Brugh
ait été considéré en même temps comme cimetière et comme sidh, à
l'époque même où les dieux n'étaient pas encore humanisés, puisqu'on
croyait que les rois suprêmes, qui étaient des dieux (Cf. chap. vi) y
avait été enterré. — Cf. aussi la légende de l'enterrement du roi
suprême Cormac mac Airt, chez Pétrie, op. cit., p. 96 (trad. p. 98) : ce
roi qui avait embrassé en secret le christianisme n'avait pas voulu
reposer dans le tumulus païen de Brugh. Il avait ordonné qu'on l'en-
terrât sur la rive opposée de la Boyne à Ruas na Rlgh (Rossnaree).
2. Loc. cit., p. 96: Cf. LU, dans Pétrie, loc. cit.
3. Setichus na Relec, p. 96 ; ibid. p. 97 : « les gens du Leinster. c'est-à-
dire, Calhair avec sa race et les rois qui étaient avant eux, étaient
enterrés dans Oenach Ailbe ». — Aussi LU dans Pétrie.
4. Aenach Cannain, loc. cit., strophes 3 et 74.
LES UEPHKSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 167
Relec^ C'était la sépulture des Clanna Dedad. L'Oenach
Clochain ou Oenach Cuii, dans la môme province, con-
tenait dos tombeaux des rois du Munster'. II y avait aussi
des tombeaux dans ÏOenach Urnuimhan ou Oeiiach Tête
dans le royaume de Thomond ou Munster Occidentale
Cruachan en Gonnaught, dont l'assemblée de Samhain
dépasse en importance les limites de la province, est égale-
ment un relie na rigli des plus fameux. C'est môme, pour-
rait-on dire, le relie na righ par excellence de l'Irlande
païenne. Il servit de lieu de sépulture à tous les rois de
Connaught et aux rois suprêmes antérieurs à Crimthann
Nia Nâir*. La plaine qui entoure l'ancienne forteresse royale
de Cruachan est entièrement semée de monuments funé-
1. LU. dans Peirie, loc. cit. — Cf. Dinnsenchas de Rennes, n" 50, Rev.
Celtique XV ; O'Grady, Extracts n»* 12 et 13 dans Silva Gadeliea, vol. des
trad., p. 523. — Sur la fôte de Temair Luachra, voir O'Donovan, The
BookûfRights, p. 255 cl les notes des pp. 254 s. — Temair Luachra était,
suivant O'Donovan, ibid., p. 90 : « a fort near Beala Atha na Tcamrach
in the parish of Dysart, near Castle Island in the Cty of Kerry. »
2. Henchus na Helec, p. 98 : LU, dans Pétrie, loc. cit. — Cf. Acallamh na
Henoracli dans Silva Gadeliea, vol. des trad., p. 118 : « le lieu de l'assem-
blée (oommémorative) deCuil, femme de Nechtan, qu'on nomme aujour-
d'hui la pelouse de fête, porteuse de génisses, de Sen Clochair ». — Cf.
O'Curry, Mss Materials, p. 303 : courses d'Oenach Clochair. — C'est
actuellement Manisterprès de Cromm, comté Limerick ; O'Curry, ibid.
3. On y voit des traces de sépultures. — C'est actuellement Nenagh,
comté Tipperary : Chronicon Scolorum, p. 234, ad annum 992, et note
de l'éditeur, ibid.
4. Senchus na Relec, p. 96 et p. 97 : «c'est là que la race d'Eremon,
c'est-à-dire, les rois de Tara, se faisaient enterrer jusqu'au temps de
Crimthann, fils de Lugaidh Riabderg . . notamment : Cobhthach
Coelbregh et Labraidh Loingsech et Eocho Fedlech avec ses trois fils,
cesl-â-dire, les trois Fidhemaa, ou Bres, Nar et Lolhor; et Eocho
Airemh, Lugaidh Riabderg, les six filles d'Eocho Fedhlech, c'est-à-
dire Medb et Clothru, Muresc et Derdriu, Mugain et Ele ; et Ailill
mac Mata avec ses sept frères... » — Cf. poème attribué à Dorban
publié par Pétrie, op. cit., p. 102, d'après LU : « chaque tertre dans cet
oenach a sous lui des guerriers et des reines, et des poètes et des dis-
tributeurs de richesses [cudchaire] et des belles et fières femmes... 11
n'est pas un seul tertre en ce lieu, dans YOenach Cruachna, qui ne soit
le tombeau d'un roi ou d'un i)rince royal (rif^-flathat ou d'une femme,
ou d'un poète belliqueux ». —Sur la fête de Samhain à Cruachan, cf.
Kcating, éd. Dinneen, Irish Texts Soc, IX, p. 4i s.
468 SAINT PATRICK KT LE CULTE DES HÉROS
raircs, dont beaucoup sont de dimensions considérables.
Ces monuments appartiennent à la môme époque que ceux
d'Uisnech et de Tailtiu'.
Il y a encore à Cruachan un sidh, qui est situé à proxi-
mité du cimetière. C'est une grotte naturelle, mais il y a
des indices qu'elle a servi de lieu de sépulture et on y a
trouvé une inscription en caractères oghamiques^.
Pour les autres lieux de fêtes les renseignements font
défaut ^
Mais telle quelle, notre liste établit avec certitude que
les fêtes irlandaises sont célébrées dans des cimetières. Il
y est donc fort probable que les génies que réveillent ces
fêtes sont identiques aux esprits des morts qui reposent en
leurs emplacements.
1. Joyce, op. cit., II, p. 556. — Ce sont des tumuhis de dimensions
assez restreintes, du moins si on les compare aux énormes tombelles
de l'époque néolithique, telles qu'on en voit à Brugh (= Newgrange) et
Loughcrew. Les tumulus de l'époque gôidélique ne renferment pas d'al-
lées couvertes avec entrée extérieure, mais des cistes en pierres ou bien
des sépultures en pleine terre, sans ciste. A Cruachan on voit aussi des
sépultures entourées d'un rempart circulaire, ràth, qui sont nombreuses
dans tous les autres cimetières gôidéliques. Cf. Joyce, II, p. 577 ss.
2. Joyce, op. cit., II, p. 556 s. Sir Samuel Ferguson sur la pierre
en question a déchiffré le nom de Medb, une reine épique et l'une des
principales héroïnes du cycle d'Ulster. Mais la justesse de cette lec-
ture est très douteuse/
3. Du moins en ce qui concerne les fêtes célébrées dans des cime-
tières proprement dits. Car, partout oi'i se tient une assemblée de fête
en Irlande, il y a un tumulus, un monument funéraire quelconque, ou
bien la tradition veut que le lieu de la fête renferme une sépulture.
Ainsi la fête d'Ailech en Ulster est la répétition d'une fête funéraire
célébrée en l'honneur dune princesse, Ailcch. ou d'une fée du même
nom : O'Curry, Manners and Customs, II, p. 152 s. Un roi de Connaught,
Eoghan Bel, est enterré dans YOenach Locha Gille (du Lac Gill à la
frontière de l'Ulster et du Connaught) : Vie de saint Cellach de Killala
dans Silva Gadelica, II, p. 52 (vol. des textes, p. 51). — Un chef du
Meath, Fiachra, est enterré dans un lieu qui s'appelle depuis forrach,
c'est-à-dire, marché, place de foire (forrach est apparenté au latin
forum) : Story of King's Eochaid's Sons, dans Silva Gadelica, vol. des
trad., p. 54;^; The Dealh of Crimthann, éd. Whitley Stokes dans Rev.
Celtique XXIV, p. 185 — Cf. aussi, ibid., p. 183 : le druide Drithlin est
tué sur le bord du lac Erne Lower. C'est de là que vient le nom de
YOenach Drilhlenn.
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 169
En tout cas le choix des cimetières indique suffisam-
menl que les morts avaient une part dans la célébration
des fêtes. Et pourtant nous ne les voyons nulle part se
distinguer des autres génies qui paraissent pendant la
fôle.
C'est que ceux-ci sont eux aussi des morts ou bien des
ressuscites, ce qui est la même chose. En effet, on a vu
que le thème essentiel du drame de fête en Irlande est
celui de la mort et de la renaissance divine. Les génies et
les dieux qui en sont les acteurs sont en train de mourir
pour reparaître immédiatement après leur mort. Ce sont
donc des esprits de môme nature que les esprits des morts
humains. Ils leurs sont entièrement identiques.
Ainsi, quand on considère de plus près, comme nous
venons de le faire, les génies anonymes ou nommés des
fêtes, on constate que ce sont soit des morts anonymes,
soit des héros nommés.
Représentation de la .mort en Irlande. — l. La
désincarnation et la réincarnation des génies. — La
chose a des raisons profondes. En effet, si nous jetons
un regard sur les idées qui président au développement
du culte des morts en Irlande, nous constatons qu'elles
n'admettent aucune différence entre les morts et les autres
esprits.
La mort et la naissance ne sont, selon les idées irlan-
daises, qu'une désincarnation et une réincarnation des
mêmes génies dont nous parlons sans cesse. Ces génies
sont d'une nature telle qu'ils se réincarnent continuelle-
ment et de la sorte passent de la vie divine b. la vie ter-
restre et inversement. Ils sont les esprits qui donnent la
vie aux corps et la mort n'est autre chose que leur départ.
Un exemple de ces réincarnations est fourni par l'his-
170 SAINT PATRICK KT LE CULTE DES HÉROS
loire de la Génération des deux Porchers^ , une des renucéla,
ou récils qui servent d'inlroduclion à la Tàin Bô Cûalnge.
Friueh et Rucht, porchers l'un de Bodb, roi du sidli de
Femen en Munster, l'autre d'Ochall Ochne, chef des
génies du sidh de Cruachan se métamorphosent successi-
vement en corbeaux, en animaux aquatiques, puis en
guerriers qui après un combat acharné deviennent des
fantômes. Ceux-ci se transforment à leur tour en vers, dont
l'un vit dans l'eau d'une fontaine du Connaught et l'autre
dans un ruisseau de Cûalnge, et qui finissent par être avalés
par deux vaches. Celles-ci en sont fécondées et mettent bas
deux inyiveaux , Finnbennach, ou le « Blanc-Cornu » de Con-
naught, et Bonn, ou le Brun de Cooley, les mômes dont la
rivalité déchaînera la guerre de la Tàin Bô Cûalnge'^.
Un conte analogue, mais dont la rédaction ne remonte
pas plus haut que les invasions Scandinaves, est Y Histoire
de Ti'ian mac CairilP.
Tùan est un neveu ou un frère de Partholon, arrivé avec
lui en Irlande, et qui seul de sa race échappe à la mort.
Parvenu aux extrêmes limites de la vieillesse et de la
décrépitude il se retire dans une caverne, il y jeûne et puis
s'y endort. Il se réveille cerf. Tûan devient ensuite vau-
tour, sanglier et enfin saumon. Péché sous cette forme et
^. Des deux versions de cette histoire une seule, celle du Livre de
Leinster, a été publiée dans le texte et traduite par M. Windisch dans
Irische Texte III,, p. 235 ss. Elle a été traduite à nouveau, en anglais,
par M. Kuno Meyer, dans Voyage of Bran, II, p. 58 ss. et en français
par d'Arbois de Jubainville, dans Les Druides et les Dieux celtiques à
formes d'animaux, Paris, 1906, p. 171 ss. — La seconde version, qui est
consignée dans le Ms. Egerton 1782 du British Muséum, est comparée à
la première et étudiée dans Voyage of Bran, II, p. 06 ss. Les diffé-
rences entre les deux sont insignifiantes.
2. Sur Donn et Donn-B6, cf. plus haut, p. 127 s.
3. Publiée et trad. par M. Kuno Meyer dans Voyage of Bran, II.
appendice A. — Résumé par d'Arbois de Jubainville dans le Cycle
Mythologique, p. 47 ss.
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 171
mangé par une reine, femme de Gairel, il renaît homme.
Les exemples abondent, \ess avala un ver en buvant et
devint grosse. Elle mil au monde le futur roi Conchobar '.
Môme mode de conception d'un autre fameux héros du cycle
d'Ulstcr, Conall Cernach'-.
Or ces dieux et ces génies qui s'incarnent ainsi ^ ce sont
toujours ceux que nous avons appris à connaître.
Ainsi Cùchulainn est l'incarnalion du dieu Lug '', Etâin,
fille de la reine Etar, est rincarnation de la fée Etâin qui
appartient aux Tùatha Dé Danann. La fée Etàin avait
été emportée hors de son sid/i par un coup de vent,
et elle était tombée j)ar la cheminée d'une salle de fes-
tin dans la coupe d'Etar qui l'avala. Neuf mois après, la
reine mettait au monde une fille, qui était la réincarnation
d'Elûin ^
Un personnage historique qui vivait au vu' siècle, le roi
d'Ulster Mongan, passait pour ôlre le fils ou l'incarnation
1. Cotnperl Conchobair, éd. Kuno Meyer, dans Rev. Celtique, YI,
p. 178 ss. Trad. française dans d'Arbois de Jubainville, Épopée Celtique,
sous le titre \aissance de Conchobar, p. 17.
2. C6ir Anmann, éd. Whilley Stokes dans Irische Texte, IIIj, p. 3'Ji.
3. La conception en buvant de leau est le thème de nombreuses
légendes irlandaises qui ont été étudiées par Alfred Nutt, op. cit.. Il,
p. 38 bs. Dans les temps chrétiens c'est de leau bénite qui remplace
l'eau contenant un germe divin. Cf. légende de la naissance d'Aedh
Slaine, roi d'Irlande, dans Silva Gadelica, II, p. 88 ss. Aux histoires de
ce genre citées par Nutt et dont il est fait mention dans notre texte
on peut ajouter encore une, la légende de la naissance de saint Fin-
nacha dans la Vie de saint Molaise, dans Silva Gadelica, II, p. 23. Une
femme stérile vient demander conseil à saint Molaise. Celui-ci donne
sa coupe au mari en lui ordonnant d'aller puiser de leau, il bénit
cette eau et la fait boire â la femme. Après quoi il lui dit : « Femme,
sois sûre qu'à partir de ce moment tu seras enceinte et que lu don-
neras la vie à un flls. » Ce fils s'appelle Mac da crela, « fils des deux
bénédictions », ou saint Finnacha.
4. Comperl Conculaind, publié en deu.\ versions (texte seul) par
M. Windisch, dans Irische Texte I, traduits en français par M. Louis
Duvau dans d'Arbois de Jubainville, Épopée celtique, p. 26 ss. — Cf.
Alfred Nutt, op. cit., II, p. 39 ss.
5. Tochmarc Elàine^éd. Windisch. dans /?isc/ie Texte, I, p. 131.
172 SAINT PATRICK ET LK CULTE DES HÉROS
de Manannan mac Lir, le dieu de la mer*. En général
incarnation et génération se distinguent mal en Irlande. On
voit par exemple Lug vivre d'une existence propre comme
dieu, quoiqu'il fût incarné en Cuchulainn. On considère
aussi ce héros comme le fils de Lug.
D'un autre côté les dieux qui s'incarnent dans les héros
appartiennent tous aux troupes des génies d'invasion.
Mais aussi bien il n'y en a pas d'autres. Ils sont tous des
Tûatha Dé Danann. Quant à l'omission de représentants
d'autres tribus divines dans les histoires citées, elle s'ex-
plique par le fait qu'une des tribus en question , les
Fomoraig, sont plus particulièrement des dieux de la mort
et que, en ce qui concerne les autres, elles sont considérées
comme appartenant à un passé très lointain. Seuls les
Tûatha Dé Danann, qui sont les derniers des dieu.x, sont
réellement présents à Tesprit du peuple irlandais. Leur
histoire résume celle de toutes les autres tribus divines.
La naissance d'un héros est ainsi l'incarnation d'un être
divin. La mort est par conséquent le retour de cet esprit à
la vie divine.
Ce qui vient d'être dit des héros doit être étendu à tous
les hommes en général. Les Dinnsenchas disent que
l'objet de la célébration de Lugnasad était d'assurer aux
participants de belles récoltes, le croît du bétail et de
beaux enfants'. Les offrandes de nouveau-nés qu'on
faisait aux autres fêtes indiquent que celles-ci étaient célé-
brées dans un but identique.
Or les puissances spirituelles évoquées aux fêtes sont
précisément les mêmes génies qu'on a vu s'incarner dans
1. Tous les textes relatifs à l'incarnation de Manannan mac Lir en
Mongan ont été réunis dans l'appendice au vol. I. de Voyage of Bran,
par M. Kuno Meyer. — Cf. Jmram Brain, ibid., p. 24 ss.
2. Dinnsenchas de Rennes, Rev. Celtique XV, p. 112; cf. ci-dessus,
p. 124, note.
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 173
cerlains héros. C'est donc en eux que réside le principe
de la vie humaine, ainsi que d'ailleurs de la vie animale et
végétale. En un mot, ils sont les âmes des vivants, et, lors-
qu'ils retournent à la vie divine, ils sont les âmes des morts.
U.Le pays de génies est un dépôt d'âmes à incarner. — On
fait un pas de plus si Ton étudie le monde où vivent les génies.
Nous savons que c'est le pays des morts. On verra que
c'est aussi, pour ainsi dire, un réservoir de forces vitales.
En eiïet, le pays des génies est une contrée de vie éter-
nelle. C'est la (( Terre des vivants », Tir innambeo. La
mort, la vieillesse et toute souffrance en sont bannies, et
la jouissance de la vie y atteint son intensité suprême. On
nomme aussi cette contrée Mag Me II, « Plaine de Délices* ».
Au centre de Mag Mell est un arbre merveilleux qui
porte en môme temps des feuilles, des fleurs et des fruits^.
Cet arbre est l'Arbre de Vie.
Ses fruits assurent la vie et la jeunesse à celui qui les
consomme. Une seule pomme de Mag Mell suffit pendant
un mois à la subsistance d'un héros, Condla, sans diminuer
de volume^. Dans la relation d'un voyage à des îles fantas-
1 . Le pays des dieux est encore appelé Tir nan-og = Pays des
Jeunes, Tir Tairnfjiri = Pays de la Promesse, (Cf. Alfred Nutt, op.
cil., I, p. 226 ss.), Pays de la Vérité, etc. : cf. Voyage of Bran, Index, sub
« Land »; d'Arbois de Jubainvilie, Cycle Mythologique, p. 28 s.
2. Iinram Brain maie Febail, éd.Kuno Meyer, dans Voyage of Bran, I,
p. 7, strophe 7. — Cf. The Advenlures of Tadg, son of Cian. éd. Standish
O'Grady, dans Silva Gadelica, p. 385 ss. : un grand pommier qui porte
des fleurs et des fruits en même temps ombrage la maison dans laquelle
vit un couple éternellement jeune dans un séjour élyséen. — Cf.Imram
Brain. p. 5, strophe 3 : crôib dind abaill a hemain = une branche
du pommier d'Einain. Emain est la cité divine. Cf. un poème du .\i" siècle
dans le Ms Livre de Fermoy, dans lequel, pour dire qu'une des Hébrides
est une lie fortunée, on la nomme Emhain Abhla := Emain aux Pom-
miers : James Henthorn Todd. Descriptive Catalogue of Ihe Book of
Fermoy, dans Proceedings of Ihe Roy . Ir. Academy, I, p. 11.
3. Echtra Condla, éd. Windisch loc. cit. § 4 ; trad. française de d'Ar-
bois de Jubainvilie, Épopée celtique, p. 387.
m SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
tiques, la Navigation de Mael-l)nin\ l'cquipage entier
d'un vaisseau vit quarante jours de trois pommes pareilles.
Un autre passage du même récit nous montre un aigle
vieux et décrépit qui redevient jeune et vigoureux après
avoir mangé des fruits de l'arbre divin et s'être baigné dans
un lac où quelques-uns de ceux-ci étaient tombés. Un com-
pagnon de Mael-Duin qui a suivi l'exemple de l'aigle con-
serve toute sa vie sa vigueur et son aspect juvénile ^
Tous les germes de vie sont inclus dans l'Arbre divin.
En effet, des arbres sacrés qui sont sortis de ses graines,
et qui évidemment le représentent, sont plantés au milieu
des oenach dont on sait que les rites assuraient la fécon-
dité et la croissance ^
Les arbres des oeiiach irlandais sont ainsi des Arbres de
Vie, et par conséquent leur prototype idéal, l'arbre my-
thique, dont ils sont tous issus, est l'Arbre de Vie par excel-
lence.
Le monde où il croît est donc bien le pays d'où sort la
i. Éd. Whitley Stokes, sous le titre Imram cuirrech Mael-Duin, dans
Rev. Celtique X et XI. L'épisode des pommes forme le sujet du chap. vu
(le l'histoire. — Cf. aussi Advenlures of Tadg, loc. cit. où les fruits du
pays fortuné apparaissent à chaque instant comme suffisant à assurer
la vie et même la jeunesse éternelle.
2. Imram cuirrech Mael-Duin, chap. xxx.
3. Huit arbres pareils sont nommés dans une liste qui a été publiée
par O'Curry dans Cath Muighe Léana, p. 96 note. — « L'arbre de lOenach
Maighe Adhair » est mentionné dans les Annales, ad annum 981,
publiés dans Silva Gadelica, vol. des trad., p. 542. — L'arbre dOenach
Reil (bile i n-Oenach Reil) est mentionné dans The Death of Muir-
certachmac Erca, p. 426, § 46. Le fait que la vie humaine est liée à ces
arbres ressort encore d'une légende qui raconte la naissance du roi
Conn Getcathach. Cette naissance fut marquée par la germination de
quatre d'entre eux. Cath Muighe I.éana, p. 94. Ce sont : Bile Tortan,
Eo Rosa, Craobh Mughna, et Craobh Daithe. Le commentaire au
Félire Oengusso du Lebar Brecc. éd. de 1880, p. CLXXXI au 10 décem-
bre, dit au contraire que l'if Mugna est sec depuis la naissance de
Conn Getcathach. (Cet if poussait en Belach Mugna sur la rive de la
Barrow, en Leinster). Mais 1 if de Mugna est ici aussi un Arbre de
Vie. La Vie en est sortie pour entrer dans Conn.
I.FS REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 175
vie. Il contient la provision des ftmes incarnables et, en
g^én^>ral, les sources de toute fécondité. Les puissances qui
animent les liommes ainsi que tous les autres ôlres y sont
pour ainsi dire emmagasinées à l'état latent, et la vie est la
conséquence d'un dégagement des forces qui y résident.
Inversement, la mort est un retour aux sources de la vie.
En effet, on ne connaît pas un pays des morts qui difTére
de celui des génies. Ainsi, l'enlèvement par un Dieu est
expressément indiqué comme équivalent t\ la mort dans une
légende des Dinnsenchas, celle de Tuag Inbir. Une jeune
fille endormie sur le rivage est noyée par une vague. Mais
en réalité c'était Manannan mac Lir qui avait pris la forme
de vague pour l'enlever et l'emmener au pays des dieux '.
D'autre part, les esprits incarnés n'entrent pas tout
entiers dans la vie humaine. Leur vie plonge ses racines
dans la vie divine. Ils gardent un gage de retour.
C'est un rameau ou bien un fruit de l'Arbre de Vie. Les
dieux le présentent aux hommes qu'ils invitent à les suivre
dans Mag Mell et, le rameau une fois reçu, on est forcé de
partir sans retour. C'est ainsi qu'une déesse oblige Bran
mac Febail à quitter l'Irlande pour Tir innambeo. Pareil-
lement le roi Cormac mac Airt voit Manannan mac Lir
enlever sa femme et ses deux enfants en échange de trois
pommes de Mag Mell'.
1 . Dinnsenchas de Rennes, Rev. Cellique, XV ( Tuag Inbir). — Cf. Dinn-
senchas Bodléiennes (du Ms. Raulinson B. 500 d'Oxford), éd. Whitley
Stokes, n» 4fj dans Folk-Lore, IV. — Légendes analogues de Tonn
Clidna dans Dinnsenchas Rodléiennes n» 10 et de Rûad, (ille de Maine
Milscoth, Dinnsenchas de Rennes, dans Rev. Celtique, XVI, p. ol s. —
Cf. Dinnsenchas dEdimbourg. dans Silva Gadelica, vol. des Irad., p. 528.
i. Echira Cormaici Tir Tairngiri, éd. Whitley Stokes dans Irische
Texte, III, p. 194 s., §5 31 s., trad. p. 21i s. Le récit est assez récent.
l! ne remonte pas au delà du .\iv« siècle, mais les éléments qui entrent
dans sa composition appartiennent en grande partie au.x mythes et
aux légendes de l'époque païenne. — Cf. l'analyse de M. Alfred Nutt,
dans Voyage of Bran. I, p. 189 s.
176 SAINT PATRICK KT I.E CULTE DES HÉROS
Il y a ainsi une relation intime entre l'idée de mort, celle
de la vie et celle de la vie divine. La vie corporelle n'est
qu'un intermède entre deux périodes de vie divine et la
mort est le retour d'un esprit divin dans le dépôt de forces
vitales, dont il est sorti pour créer de la vie ici-bas. Par là
même est expliqué le fait que les dieux et les génies irlaui-
dais se confondent si naturellement avec les morts.
III. Confusion des morts avec les génies. — On verra
que de leur côté les morts tendent à se confondre avec
les dieux et les génies.
On a nié que les Irlandais eussent connu la notion
d'âmes de morts, distinctes des autres esprits. M. Alfred
Nutt, après avoir étudié parallèlement les mythes irlandais
de l'Autre Monde et le rituel des fêtes, établit que la mort et
le sacrifice agraire sont deux moyens analogues d'échanger
une certaine quantité de vie contre une quantité corres-
pondante de vie nouvelle. Chaque mort vient seulement
enrichir la réserve de Puissances de Vie disponibles.
Quant à l'individu, suivant M. Nuit, rien n'en survit'.
On verra que celte division absolue entre les âmes des
morts et celle des vivants est inexacte. Il reste une âme
désincarnée, apte à se réincarner dans un individu.
Catégories des morts, morts anonymes et morts nommés.
— Il y a en Irlande deux classes de morts.
C'est d'une part la foule anonyme, les morts ou les ancê-
tres en général. On n'en parle que comme d'une masse
innombrable. Ils n'ont qu'une existence collective.
Le rituel des fêles comporte des lamentations sur les
morts en général. A Carman, par exemple, il y avait sept
1. Voyage of Bran, II, p. 96.
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 177
tumulus sur lesquels on s'assemblait pour pleurer les morts,
et le texte des Dinnsenchas dit expressément que ces morts
sont une foule, une troupe *.
Mais à ctMé de celte foule anonyme il y a des morts qui
gardent leur personnalité.
Ils se distinguent des autres morts par un monument
funéraire apparent, par exemple, un carn (cairn), ou
monceau de pierres, ou une duma, ou tumulus en
terre.
La seule présence d'un monument pareil suffit à faire
un mort d'une classe distincte, un héros, de celui qu'il
commémore. En effet, bien que la plupart du temps
on ne sache rien sur celui-ci, pas môme son nom, son
monument funéraire est toujours attribué à quelque mort
qui se distingue du commun. C'est le Tombeau du Sei-
gneur [Carn ligerna)^ ou bien du Champion [Carn na
Laech) ^. Une tradition des environs de Killarney voit dans
un grand carn du Mont Mangerton le monument d'un
berger qu'on trouva mort sans que personne pût expli-
quer son décès ^. Quant aux tombeaux attribués aux héros
épiques, ils se chiffrent par douzaines*.
D'autre part les morts en question conservent dans bien
des cas la partie la plus précieuse de leur individuaUté, celle
qui en constitue le signe distinctif : leur nom.
En effet, le nom des morts de distinction est inscrit en
caractères oghamiques sur la pierre levée qui surmonte la
tombe. Il s'agit ici non de faits isolés, mais d'un rite qui est
une partie intégrante du rituel funéraire héroïque, ainsi
qu'on peut s'en convaincre à chaque pas en parcourant les
i. Aenach Carmain, strophe 3, p. 530.
2. Borlase, I, p. 13.
3. Joyce, Social Hislory of Ireland, II, p. 563.
4. Borlase, II, p. 552etpasstm. Cf. aussi ibid., p. 2.
CZARNOWSKI. 12
478 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
textes épiques*. Les monuments archéologiques attestent
de leur côté l'existence de ce rite dès une époque anté-
rieure au VII* siècle après Jésus-Christ, ainsi qu'il ressort
de la graphie des épitaphes retrouvées'".
Quant à Tobjet du rite en question, il n'est assurément
pas seulement de perpétuer la mémoire du défunt, puis-
qu'on a trouvé do nombreuses épitaphes sur la partie
enfouie des pierres levées ^ Ce dont il s'agit, c'est d'empô-
cher l'âme du mort de se perdre.
En effet, en Irlande comme ailleurs il y a un rapport
entre le nom de l'homme et l'esprit qui habite son corps.
Connaître le nom d'une personne permet d'exercer sur
elle un pouvoir magique *.
Aussi l'inscription de l'épitaphe avait-elle pour effet
de lier l'âme du mort à son menhir funéraire. Quand le poète
Murgen veut évoquer l'esprit du héros Fergus mac Roig, il
déchiffre son nom sur son menhir et ensuite il adresse à
celui-ci une incantation « comme si Fergus en personne »
avait été devant lui, et le vieux héros se dresse bientôt
devant le poète".
On voit donc que les Irlandais avaient une notion très
nette de morts, dont la personnalité, persistait, dont
les esprits vivaient d'une vie indépendante sans se
confondre ni avec la foule anonyme des morts, ni, à plus
1. Cf. par exemple, Acallamh na Senorach, éd. O'Grady, Silva Gade-
lica, p. 47iJ.
2. Suivant Macalister, Irish epigraphy. I, Londres 1897, sur beaucoup
d'épilaphes oghamiques un q remplace le c, prononcé k à partir du
vu» siècle. On a ainsi maq au lieu de mac sur toute une série d'épilaphes.
3. Macalister, op. cit.
4. J. Rhys. Cellic Folk-Lore, 11. p, 6i'4 s. Cf. ibid.. pp. 45. 54. 61, 88,
97, 229.
5. Légende publiée par M. Windisch dans Tain Bô Cùalnge, introduc-
tion, p. LUI, (trad. p. LUI s.). Cf. II. dArbois de Jubainville, Senchan
Torpeist, dans Bibl. de l'École de Chartres XL, p. 132. — Cf. aussi Zimmer,
KuhnsZft., XXVIII, p. 426 ss.
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 179
forte raison, avec les Puissance de Vie amorphes du pays
divin.
Les MORTS nommés sont ceux dont la mort a une
PORTÉE SOCIALE. — S'il Qu cst ainsi c'est que, par les circons-
tances mêmes de leur mort, ils sont devenus des êtres à
part. Ils sont ceux, dont la mort ressemble à celle des dieux
et des génies.
Ce sont d'abord ceux qui sont morts d'épidémie. En effet,
ces morts ont des monuments funéraires apparents. Le nom
particulier de ceux-ci, tamlachta, indique que le souvenir
de l'épidémie y demeure attaché '.
\'iennent ensuite les guerriers tués en combattant". C'est
surtout que leur mort est assimilable à une mort rituelle.
En effet, les héros épiques sont en règle générale tués en
combat singulier, ce qui est toujours une forme d'ordalie.
Ceu.x dont la mort est la sanction d'une infraction rituelle
comptent pour cette raison môme parmi les morts indivi-
dualisés. C'est le cas de très nombreux héros épiques qui
meurent pour avoir enfreint les interdictions magiques, les
geis, qui pèsent sur eux. La mort du roi d'L'lsler Cormac
mac Conchobair, préparée par une série d'infractions invo-
lontaires de fjeis personnelles à ce héros', en est un exemple.
Celle du roi suprême Loegaire mac Néill, qui meurt pour
avoir violé son serment*, en est un autre.
1. Joyce, p. 608. \Vindisch, Tàin Bô Cùalnge, p. 172, note i. —
Tamlachta est un mot composé de tam, épidémie, et lachta, monument
funéraire.
2. Leurs monuments sont toujours des monuments apparents, carn
ou fert, c'est-à-dire tumulus. Presque toujours les textes épiques men-
tionnent l'inscription de l'épitaphe de morts pareils.
3. Toqail Bi-uiden Ud Chocae, éd. Whillev Stokes, dans Rev. Celtique,
XXI, §i 6 ss. : p. 152 ss.
4. Comlhoth Loegairi cocretvn, éd. Piummer, dans Rev. Celtique, \l.
p. 165 s. (trad. p. 168 s.).
180 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
En général, toutes les morts violentes ou inexplicables,
toutes celles qui tranchent nettement sur la banalité des
morts normales, ont pour conséquence l'individualisation
des esprits. C'est que tout ce que ces morts ont précisément
de rare et de mystérieux, on pourrait dire de surnaturel,
les rapproche de la mort rituelle.
Ainsi ceux qui meurent noyés deviennent des esprits
indépendants des autres morts, comme le montre l'exemple
du roi légendaire Rûad, qui périt dans la cataracte d'Assa-
roe, et dont l'àme habite depuis lors un tumulus voisin'. Il
en est de même de ceux dont le cœur éclate de chagrin,
comme ces deux amants, héros du conte Scél Baile
Binnberlaig , à chacun desquels on avait faussement
annoncé la mort de l'autre^. C'est encore le fait de toutes les
morts qui bouleversent l'ordre établi, comme celles qui
sont amenées par trahison.
A plus forte raison, on individualise les morts qui, de leur
vivant, étaient investis d'un caractère représentatif et sacré,
comme les rois et les druides, et ceux, dans la mort
desquels l'intervention d'une puissance spirituelle paraît
manifeste. Tels sont, par exemple, ceux qui meurent
empoisonnés, comme le roi Crimlhann Nia Nair', l'empoi-
sonnement étant toujours et partout entaché de magie, et
ceux qui, comme le roi suprême Dathi, ont été frappés par
la foudre*.
Ainsi les morts qu'on distingue des autres sont ceux
dont la mort a une valeur religieuse particulière, c'est-à-dire
1. Joyce, Social Hislory, \, p. i62.
2. Éd. Kuno Meyer, dans Rev. Celtique, XIll, p. 2i2 (Irad. p. 225).
On inscrit le nom de ces morts sur leurs pierres funéraires.
3. Dealh of Crimlhann, éd. Whitlev Stokes, Rev. Celt., XXIV,
p. 47'J.
4. Sur la mort de Dathi, voir chapitre suivant. Ce roi a l'un des plus
beaux tombeaux de Cruachan. tombeau qu'on montre encore.
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 18<
ceux dont la mort est rituelle, ou bien survient dans des
circonstances qui la rendent passible d'ôlrc interprétée
comme mort rituelle. On verra que c'est là la raison de ce
qu'ils survivent 5 leur mort physique en tant qu'indi-
vidus.
Mort rituelle et mort physique. Diverses formes de
MORT rituelle. — I. Niivigaùoji errante. En efîet, la mort
rituelle est compatible en Irlande avec la continuité de la
vie individuelle. A la mort physique équivalent des rites
qui ouvrent l'entrée de l'Autre-Monde aux vivants.
Il en est un qui consiste à embarquer un homme dans
un bateau sans rame ni gouvernail et à l'abandonner au
gré des flots'. L'existence réelle de ce rite en Irlande est
démontrée par les faits historiques : au xii® siècle encore
Hughes de Lacy venge la mort de Jean de Courcy en aban-
donnant ses meurtriers présumés dans des barques sans
avirons".
Cette peine équivaut à la mort. Dans la légende de
Becuma, les dieux expulsent ainsi la déesse condamnée au
bûcher. Quand un homme parti dans un bateau errant est
rejeté vivant à la cote, il n'a plus aucun droit dans son an-
cienne tribu. On le traite en étranger naufragé, on en fait un
esclave ^ C'est que le rite l'a retranché de la société
humaine. Il est voué h la mort et on n'envisage même pas
l'éventualité de son retour.
1. Commentaire au Senchus Môr, dans Aiicient Lavjs ofireland, I,p. 14,
1. 10. Dans le cas d'homicide involontaire, le meurtrier qui ne peut
payer la composition est placé dans une barque et abandonné au
gré des flots.
2. Cf. encore : Rev. Celtique, IX. p. 17 s. ; O'Curry, Manners and Cus-
toms. M, p. 29: Mss. Materials, p. 333; Sullivan, introduction à O'Curry,
Manners and Customs, 1, p. CXX et p. CGCXXXIV.
3. Senchus Môr, commentaire, Ane. Laws, l, p. 204, en haut de la
page.
182 SAINT PATRICK KT LE CULTE DES IIÉHOS
^ Naviguant au gré des Ilots, il est comme les morts pas-
sant en Mag Mell. Eux aussi sont obligés de traverser la
mer avant d'arriver aux lointaines Iles de TOucst où est le
Pays des Vivants.
Plusieurs héros ont entrepris la traversée et nous en
avons des relations. Elle s'effectue sous la conduite d'une
divinité psychopompe montée dans une barque de verre ou
de bronze, dans laquelle saute le héros ^ Bran mac Febail
rencontre en mer le dieu Manannan qui lui souhaite la bien-
venue et le guide. Dans d'autres histoires, comme dans
celle de Tuag Inbir ou celle de Cormac mac Airt, le héros
du récit est enlevé par Manannan et transporté dans le pays
divin.
Manannan mac Lir est le dieu psychopompe par excel-
lence, le seul des grands dieux qui soit nommé dans les
mythes de voyage en Autre-Monde. Or, se laisser aller au
gré des flots c'est s'abandonner au bon vouloir de ce dieu,
car Manannan personnifie la mer. 11 en est le fils, mac Lir,
et le dieu qui passe sa vie à parcourir les « plaines fleu-
ries » de l'Océan et à commander aux vagues, qui sont le
troupeau innombrable de ses chevaux'.
En effet, les navigateurs qui se sont abandonnés aux
vents et aux courants ont fini par aborder dans les pays des
morts et des dieux. C'est ainsi que Mael-Duin découvre une
série d'îles fantastiques, dont les traits ont été empruntés
aux descriptions de Mag-Mell. Un autre héros, Tagd, fils de
Cian, ayant perdu la route de son vaisseau à la suite
d'une tempête, se laisse voguer à l'aventure et débarque
1. Par exemple Condla. D'Arbois de Jubainville, loc. cit., p. 389
(§ 7). — Gùchulainn part également pour le pays des fées, guidé par
une déesse qui est venue le chercher. Serglige Conchulainn, ibid.,
p. 203.
2. Imram Brain, loc. cit., p. 19 (strophes 34 à 36).
LKS RKPHÉSENTATIONS IRLANDAISES \)V. LA MORT 183
enfin en Espagne, où il retrouve les héros des anciens
temps, qui y attendent le Jugement Dernier*.
Ainsi le rite que nous venons de décrire équivaut bien à
la mort et pourtant la mort naturelle n'en est pas la con-
séquence. Les héros qui vont en Mag Mell continuent à
vivre. Us ne meurent qu'au retour.
IL IS initiation. — Un autre moyen d'entrer vivant dans
l'autre monde est l'initiation, telle que la pratiquaient les
poètes et les magiciens.
Pour devenir tels, il fallait entrer dans le monde des
génies pour y goûter au.K fruits du Sorbier de Science et
d'Inspiration'.
Cet arbuste est la source de toute science. Il croît au-
dessus d'une fontaine, dans l'eau de laquelle tombent ses
baies qu'elles teignent en rouge. Des truites qui vivent
dans la fontaine avalent les baies qui y tombent. Pour
atteindre à la science suprême il faut boire à cette fontaine
ou bien manger une des truites.
Il arrive parfois qu'une des truites en question s'échappe
et arrive dans une rivière d'Irlande. Celui qui prend et
mange une Truite d'Inspiration devient du coup un grand
savant, pour lequel il n'y a rien de caché ^.
Or, la contrée où pousse le Sorbier de Science est iden-
tique au pays des morts. Le héros Condla qui est parti
pour Mag Mell y demeure auprès du Sorbier et on appelle
la fontaine qui coule au pied de l'arbre Fontaine de
i. su va Gadelica, p. 385 ss.
2. Dinnsencfias de Rennes {Sinann), Rev. Celtique, XV, p. 457 et
Dinnsenchas Rodléiennes. loc. cit., n' 20. — Cf. : Noie dO'Donovan à
Cormac's Translation, p. 35; Echtru Cormaic : Tir Tairmjiri. loc. cit.,
§ 35, p. 195, Irad. p. 213 ss.
3. OCiirry, Sianners and Customs, II, p. 413.
184 SAINT PATniCK ET LE CULTE DES HÉROS
Condla\ D'autre part cette contrée est située sous un lac,
ou bien dans un monde souterrain qui communique avec
celui des hommes par les sources des rivières. Le pays des
génies et des morts est souvent situé de la môme façon.
Les initiés portent comme insigne un rameau de métal
précieux chargé de clochettes^, et qui est un rameau de
l'Arbre de Vie, En effet, les rameaux que les dieux psy-
chopompes présentent aux hommes qu'ils appellent dans
l'Autre-Moude, sont des rameaux mélodieux. Ils font en-
tendre une musique délicieuse lorsqu'on les agite ^ D'autre
part le Sorbier de Science^ auquel les rameaux des initiés
sont évidemment censés être cueillis, n'est qu'une forme
particulière de l'Arbre de Vie. 11 produit aussi ses feuilles,
ses fleurs et ses fruits en même temps.
Ainsi l'initié est un homme qui est parvenu jusqu'aux
sources de la Vie et qui en a rapporté un gage. Il est
pareil à un dieu et à un mort. Et pourtant il reste bien en
vie.
La conception irlandaise de la mort oscille donc entre
deux points extrêmes. A l'un des pôles est le passage rituel
dans l'Autre-Monde qui assure la continuité de la vie indivi-
duelle. Au pôle opposé est la mort purement physique, celle
qui n'a rien de rituel ni même de remarquable, celle dont
meurt tout le monde. Elle entraîne le naufrage de ce qui
faisait la personnalité du vivant. Par sa fréquence et son
uniformité même elle confond les âmes en une foule ano-
nyme qui n'existe que par sa masse.
Les morts nommés occupent une situation intermédiaire
entre ces deux cas extrêmes. D'un côté ils ne sont plus
1. Dinnsenchas, cités p. 181, note 2.
2. O'Curry, Manners and Customs, III, p. 316.
3. hnram Brain, loc. cit., p. 2 s. — La branche que présente Manan-
nan à Corniac rend un son si agréable que le roi offre au dieu tout ce
que celui-ci voudra prendre en échange, Echlra Cormaic, p. 194.
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 185
des vivants comme le sont les navigateurs errants ou les
initiés. Mais de l'autre ils conservent intacte leur person-
nalité. Le caractère môme de leur mort la préserve de
sombrer dans l'anéantissement du coips.
Les RITES FUNÉRAIRES. — I. Fiuiérailles provisoires.
— Un coup d'oeil sur le rituel funéraire irlandais nous per-
mettra de projeter un peu plus de lumière sur cette situa-
tion particulière.
A la double conception de la mort répondent deux séries
de rites funéraires'.
La première commence dès l'instant du décès. Le ca-
davre est d'abord lavé dans une rivière", après quoi com-
mence la veillée, pendant laquelle on se lamente sur le
mort et l'on prononce son éloge ^. Le mort repose sous
une couverture de branchages [strofais) ou un manteau*.
Arrêtons-nous un moment au premier de ces rites. C'est
assurément un rite de purification. Mais il a en outre pour
effet de réveiller la vie spirituelle dans le cadavre.
Les rivières dans lesquelles on lave le mort viennent de
Mag Mell, du Pays de la Vie. Leurs sources sont des pas-
sages qui mènent dans cette contrée.
D'autre part le bain du cadavre est en tous points ana-
i. Noire reconstitution s'appuie surtout sur le récit de The Dealh of
Muircertach mac Erca, dans laquelle la série des rites est presque
complète.
2. Death of Muircertach, loc. cit. § 43, p. 424. — Cf. Revue Celtique,
XIII, p. 38 et p. 124 ; I>-ische Texte, IV, p. 310. — Cf. Keating, Three
Shafts of Death. éd. Alkinson, p. ol.
3. Exemples : Death of Muircertach, p. 424 s. ; Cath Muighe Léana,
p. 2t» ; Tain Bô Cùalnge. p. 6:56 s. ; Meurtre des Fils d'Usnech, trad.
française, dans Epopée Celtique, p. 27'J ss. : Bruiden Dû Chocae, éd.
Whitley Stokes, dans Rev. Celtique, X.XI, § 65. — On trouve des com-
plaintes et des éloges funèbres dans presque tout récit épique. Sur ce
rite, cf. Sullivan, op. cit., p. 32a; Joyce, op cit., II, p. 540 ss. et p. 543.
— Ce rite est encore pratiqué dans les pays gùidéliques : G.-K. Kinahan,
Notes on Irish Folk Lore, dans The Folk Lore Record, IV, p. 100.
4. Joyce, op. cit., II. p. 543 s. ; Muirchu, p. 287.
486 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
logue aux bains médicaux*. Or ceux-ci ont pour eiïel d'in-
troduire dans le corps du patient une force de vie nouvelle.
Ainsi Gethern, un héros blessé dans les combats de la
TàinBô Cûalnge, acquiert une vie et une vigueur nouvelle
après avoir été plongé dans une bouillie de chair animale
qu'il a bu et qui a pénétré ses tissus ^ Dans la Bataille
de Mag Tured le dieu médecin Diancecht ressuscite les
morts des Tùatha Dé Danann en les plongeant dans Teau
d'une fontaine^.
Le bain dans une rivière dont l'eau roule des germes de
vie opère de même une véritable renaissance''.
l.Cf. Sanas Cormaic, éd. Kuno Meyer, p. 49: Fothrucad = a baigner o,
est employé dans deux sens, celui de bain curatif et de lustration d'un
cadavre.
2. Tain Bô Cûalnge, p. 630 s. — Cf. Giraidus Cambrcnsîs, Topogra-
phia Hibernica, dist. III, cap. 23 : lorsqu'il s'agit d'introniser un roi
de Cénel Connell [Tribu de Conall. qui occupait le comté actuel de
Tirconnell), on lui amène une jument blanche devant laquelle il se met
à quatre pattes en déclarant qu'il est bien une bète. Alors la jument
est tuée et sa viande cuite à l'eau. Le nouveau roi se baigne dans le
bouillon ainsi obtenu et il en boit en se baignant. La viande de la
jument est partagée entre les assistants. Une fois cette cérémonie termi-
née, personne ne peut plus contester le pouvoir du nouveau roi. — Il
est, certes, fort douteux que cette cérémonie ait été jamais célébrée au
moment d'une intronisation. Giraidus n'a pas été en Tirconnell, il
relate ce qui lui a été raconté, et le cérémonial d'avènement de la
tribu en question, tel que le rapporte Harris, dans son édition des
œuvres de James 'SVare (note à Antiquitates Iliberniœ, p. 65) ne con-
tient rien de pareil. C'est le cérémonial normal, celui que nous décrivons
au chap. vi. Cf. Keating, éd. Comyn, p. 22. De plus le sacrifice du cheval
n'est pas un fait grMdélique: il est gallois ou germanique. Mais les cir-
constances mêmes de ce sacrifice sont assurément authentiques. Jamais
Giraidus ni aucun anglo-normand le plus hostile aux Irlandais n'aurait
imaginé quelque chose de semblable. La cérémonie en question est trop
cohérente et d'autre part sa description concorde trop bien avec celle
du bain de Cethern. Aussi faut-il voir un fait dans ce que rapporte
Giraidus, un fait qu'il a tout au plus mal interprété en en faisant un
rite d'intronisation. Or, ce qui ressort de ce fait, est que les bains
pareils à celui de Cethern étaient des bains sacrificiels et qu'ils avaient
I)Our effet de faire participer le baigneur à la nature de la victime du
sacrifice. — Cf. encore Keating, Histoire d'Irlande, éd. Dinneen, Irish
Texts Soc, IX, p. 110 : des hommes blessés par des armes empoi-
sonnées guérissent après s'être baignés dans du lait de vaches.
3. Éd. citée, § 123.
4. C'est un bain pris dans les eaux de la Boyne qui fait oublier à la
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 187
II. Funérailles dé finit ic es. — Les funérailles proprement
dites commencent quand la veillée est terminée.
Le cadavre placé sur une bière est transporté jusqu'au
cimetière.
C'est un rite qui représente le départ du mort pour
l'Autre-Monde. En effet, on pénètre dans tous les cime-
tières irlandais en allant de l'est à l'ouest, c'est-à-dire
dans la direction que suivent les âmes des morts, et il en
est de môme des allées couvertes sous tumulus, dont cer-
taines ont servi de sépultures encore à l'époque gôidé-
lique ^ De plus, nombre de cimetières sont situés au bord
de rivières ou de lacs, et on y transporte le cadavre en
bateau ■. On brise le char ou le bateau qui a servi à trans-
porter le mort de crainte que celui-ci ne revienne^.
Sur la tombe les lamentations recommencent et un
nouvel éloge du mort est prononcé *.
fée Eithne le secret du charme, féth fiada. Elle devient une femme mor-
telle : H. d'Arbois de Jubainville, Cycle Mythologique, p. 278 ss. —
Pareillement les âmes qui boivent les eaux du fleuve infernal oublient
leur vie humaine avant d'entrer dans IHadès. Elles dépouillent ce qui
leur reste de leur ancienne nature pour vivre une vie nouvelle et diffé-
rente.
1. Cf. Wood-Martin. Pa^on Ireland,passim; Borlase, op. cit., passim.
2. Les dolmens et les tumulus sont très nombreux dans les lies
lacustres. Cf. Borlase, op. cit., pas.mn. — C'est aussi dans des lies
qu'on trouve le plus de clochan, c'est-a-dire, de petites constructions
coniques en pierres sèches ayant servi d'habitations à des ermites et
peut-être même ayant été habitées antérieurement au christianisme.
Ces clochan passent souvent pour être des tombeaux, et on en trouve
qui sont associés à des monuments funéraires. Cf. Pétrie, op. cit., pas-
sim. — Un très ancien cimetière chrétien qui a été précédé par une
nécropole païenne est situé dans un tlot du Lough Corrib, Inchagoill.
Cf. Peirie, op. cit., appendice sur les Round Towers, p. i65. — Dans
l'Ile Inishmurray se trouve un uladh, qui est actuellement consacré à
la Vierge et qui est un but de pèlerinage. Les uladh sont des tombeaux
païens. Kilhenny Arcliœol. Journal, 1885-1886, p. 302.
3. Un poète dit qu'd ne peut se consoler depuis que le bateau, sur
lequel le corps de saint Cuimmin Fota a été porté au cimetière, est
brisé : J.-H. Todd, Book of Hymns, p. 86 ; cf. ibid., note 2. — Dans les
Hébrides on brise encore aujourd'hui le char qui a porté un mort à sa
tombe : Carmichael, Cannina Gadelica, l'JUO, II, p. 320.
4. Dans Catk Muiyhe Léana, p. 20, Mogh JNéit, père du roi de Munster,
188 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Enfin on célèbre une fôtc funéraire qui consiste en
jeux athlétiques*, festin et sacrifice. Des bestiaux sont
mis à mort sur la tombe et mangés, sinon à toutes les
fêtes funéraires, du moins à celles des personnages de
marque^.
Eoghan Môr, est d'abord pleuré par son fils qui raconte les circon-
stances de la mort. Puis on creuse la tombe et on érige au-dessus un
tumulus. Alors un druide improvise un éloge funèbre. — Cf. Tke Death
of Muircertach. § 47, p. 426 : le roi est enterré, après quoi seulement saint
Cairnech chante un poème sur le mort. — Cf. Bruiden Dd Chocae, l. c. ;
le poète Amairgen érige le tumulus du roi d'Ulster Cornaac et chante
son éloge après.
1. Cluichi câinlech, litt. jeux funèbres. — Pour parler de funérailles
l'épopée a une phrase consacrée dans laquelle ces jeux sont pres-
que toujours mentionnés : ro claidead a leaght , ro laigeadh a
fearth , rohadhadh a cluichi caintech , ro scribed a ainm oghaim
« ils creusèrent son tombeau, et ils élevèrent son tumulus, et ils accom-
plirent ses jeux funéraires, et ils inscrivirent son nom en ogham ».
Death of Crimthann, p. 184; — cf. Cath Finntraga, The Baille of Yen-
try, éd. Kuno Meyer, Anecdola Oxoniensia (Mediaeval and Modem
Séries) I. part. IV, p. 28 ; Tain Bô Cùalnge, p. 601, note 1. — C'étaient des
jeux analogues aux agones funèbres des Grecs. Les lettrés irlandais
traduisent aywv par cluichi cdinlech : Doringned a cluichi câinlech, dans
Togail Troi,éd. Whitley Stokes, 1. 1805, cité chez Windisch, Tàin,p. 601,
note. — Des coursos de chevaux faisaient partie des cluichi câinlech :
« Ils célébrèrent des courses brillantes et pures pour Achall. en face
de Tara » : Gwynn, Metrical Dinnsenchas, Achall. — Un passage de
Coladh Gaedhel re Gallaib, histoire des guerres entre les Irlandais et
les Danois, éd. J.-H. Todd (Rois Séries), p. 82, parle de courses de
femmes : « C'est alors (après la prise de Limerick par les Irlandais
en 982) qu'ils célébrèrent les courses (graffaing) du fils de Feradach
(Cathal mac Feradaich, un des chefs irlandais) : les femmes des étran-
gers (les prisonnières danoises) furent disposées en une longue ligne sur
les collines de Saingel à l'intérieur d'un cercle, et leurs mains furent
appuyées sur le sol. et elles furent fouettées par derrière par les valets
de l'armée pour le bion des âmes des étrangers qui avaient été tués
dans la bataille.» Cf. /«<ro(iuc<Jo?i de Todd, c.\xn s. et les noies, ibid. —
S'agit-il ici d'un rite funéraire régulier? II y avait bien des courses de
femmes à la fête de Carman (cf. plus haut). Pourtant rien ne permet de
supposer qu'elles aient couru à quatre pattes. Il est probable qu'on est
ici en présence d'une contrefaçon ironique d'un rite, qu'il s'agit d'une
parodie. C'est pour cela sans doute que le chroniqueur l'a décrite avec
tant de détails. Quoiqu'il en soit, l'idée de la course des femmes prison-
nières a dû être suggérée aux organisateurs par un rite qui existait
réellement, et ce rite ne peut être qu'une course de chevaux, ou bien
une course de femmes.
2. Cf. plus loin, p. 190. n. 1.
les représentations irlandaises de la mort 189
Les morts nommés sont dans un état intermédiaire
entre la vie et la mort qui correspond a la première
SÉRIE DE RITES. — Lcs doux sories de rites funéraires cor-
respondent î\ deux états du mort.
En effet, on n'est pas en présence d'un rituel composé
simplement de deux parties, mais de véritables funérailles
doubles, les unes provisoires, les autres définitives.
Tant que le corps repose sous le strofais la mort n'est
pas complète. Le mort est dans sa maison, au milieu de ses
parents '. Son Ame n'est pas encore détachée de son corps
dans lequel le bain funéraire a môme introduit uue puis-
sance spirituelle nouvelle. Ce n'est pas un cadavre sans
vie, c'est un corps dans lequel la vie n'est qu'engourdie.
Le mort demeure en cet état jusqu'à l'enterrement. Son
âme ne s'en va rejoindre les autres Ames des morts que par
l'effet des rites de transport.
Or, c'est cet état intermédiaire entre la vie humaine et la
mort définitive qui est prolongé au delà de l'enterrement
pour les morts dont la personnaiité persiste. Leur âme
demeure liée à leur corps. Ainsi le roi Loegaire annonce
que debout, dans sa tombe, il attendra les ennemis jusqu'au
jour erdathe, « c'est-à-dire, explique Tîrechan, jusqu'au
Jugement Dernier-. Morts et vivants, ils régnent dans leurs
i. Muirchu, p. 287 : « in mcdio eorum... iacentem... (mortuum)
uidit M.
i. Tircchân, p. 3u8 : « Nara Neel pater meus non siniuit inihi cre-
dere, sed ut sepeliar in cacuminibu.sTemro, quasi uiris consistentibus
in beilo, quia ulunlur genliles in sepulcris armali prumptis armis, facie
ad faciem, usque ad diem erdathe apud magos, id est, iudicii diem
Domini. » — H. d'Arbois de Jubainville, Introduction à l'étude de la
littérature celtique (Cours de littérature celtique. I), p. 18G ss. remarque
avec raison qu'erdathe ne peut pas signifier «Jugement du Seigneur»:
la croyance à un Jugement Dernier est entièrement d'origine chrétienne
en Irlande, et les genliles ni les magi, c'est-à-dire les druides, ne pou-
vaient entendre par erdathe quelque chose qui leur était inconnu. —
Ue plus, c'est co mbràlh qui est l'expression consacrée pour dire qu'un
état doit durer jusqu'au Jugement, jamais erdathe. On ne rencontre
même plus ce mot dans l'épopée. — Pourtant erdathe désignait cerlai-
190 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
tombeaux comme les Tuatha Dé Daiiann dans leur sïdh,
ceux-ci ressemblant aux plus individuels des esprits dont
nous avons traité dans le précédent chapitre.
Concentration des fêtes funéraires aux fêtes pério-
diques DU calendrier. — Les morts et les héros reçoivent
un culte en tant qu'acteurs mt/thiques des fêtes. — Nous
avons signalé plus haut que les morts avaient part aux
fêtes. Il faut insister et noter à quel point.
Les fêtes périodiques attirent les rites funéraires.
Ceux-ci sont pareils aux rites de fêtes.
Le fait central de la cérémonie funéraire est un sacrifice
suivi d'un festin. Comme aux fêtes ce sont des bestiaux
qu'on tue^ et dont la chair est mangée pendant le banquet
solennel.
Les jeux funéraires consistent surtout en courses, de
même que ceux des fêtes.
Les éloges et les complaintes dont les morts sont l'objet
ont leur pendant dans les légendes épiques dont la narra-
tion occupe, ainsi qu'on l'a vu, une grande place aux
fêtes périodiques. Les rites de celles-ci comportent aussi
des lamentations sur les dieux morts. On les appelle
nement un terme très lointain, peut-être la fin d'un grand cycle. Sinon,
on ne conçoit pas son emploi dans la phrase citée ni son assimilation
au Jugement Dernier par Tlrechùn.
1. Tochmarc Etdine dans Irische Texte. I. p. 122, version LV, § 8.
dernière ligne. Cf. Kilkenny Archaeol. Journal, 1868-1869, p. 334 ; Whitley
Stokes, Introduction à T/ie Triparlile Life, p. cl; Sullivan, op. cit..
p. cccx.xi. On sait par César, De bello Gallico, vi, 29, qu'aux funérailles
des chefs gaulois on brûlait avec le mort ses esclaves, ses clients et ses
animaux favoris. Il s'agissait probablement de faire accompagner le
mort de tout ce dont il pouvait avoir besoin dans l'Autre Monde, et on
ne saurait afQrmer que c'était d'un sacrifice. En ce qui concerne
l'Irlande, un texte nous parle d'une pratique qui ressemble bien à un
sacrifice humain : aux funérailles d'un chef. Fiachra. douze prisonniers
de guerre sont enterrés vivants {Death of Crimttiann, l. c, p. 184; cf.
Silva Gadelica, p. 543). Mais peut-être est-ce encore un fait isolé, un
acte de vengeance par exemple.
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 191
môme « assemblées de lamentation », oenacli n-guba.
D'autre part le caractère rituel de la mort des morts qui
gardent leur personnalité les raproche des dieux sacrifiés.
En effet, on a vu que les personnages en question meurent
d'une mort semblable à celle des dieux, ou bien que les
dieux sont cause de leur mort, ou bien encore qu'il s'agit
de personnages sacrés, c'est-à-dire, qui participent à la
nature des dieux.
Aussi ces morts sont-ils attirés par les fêles d'une
manière irrésistible. On a vu que ce sont les seules dates
assignées à la naissance, à la mort et aux exploits des
héros. On oublie les dates réelles, s'ils ont réellement vécu.
Un exem[)le topique de cette attraction est fourni par la
comparaison de deux relations de la mort d'un roi de
Leinster, dont l'une se trouve dans le Chronicon Sco-
torwn, du xii'' siècle, et l'autre dans les Annales des
Quatre Maîtres qui ont été compilées au xvii" siècle ^ Le
premier de ces textes dit simplement que le roi se tua en
tombant. Dans le second cet événement a déjà une date, et
c'est précisément la fête de l'Oenach Colmain.
En définitive la fôte funéraire se confond avec la fête
périodique. Elle aurait dû être répétée aux anniversaires
de la mort. Or, jamais on n'entend parler d'anniversaires
p£Îreils, autres que ceux qui coïncident avec une grande
fêle du calendrier.
Ainsi les morts ne reçoivent im culte qu'en tant qu'ils se
confondent avec les acteurs mythiques des fêtes. Celui qui
s'adresse aux morts nommés est le même que celui dont sont
l'objet les personnages individuels des mythes, les dieux.
Quant aux morts anonymes, ils tiennent dans la célébration
des fêtes la même place que la foule anonyme des génies.
1. Chronicon Scotorum, ad annum 941 ; Annals of Ihe Four Masters,
ad annum 940.
192 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
Par là môme se trouve juslifice Tassimilalion des dieux
et des génies de fôtc aux morts et aux héros.
Les REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DES MORTS ET SAINT
Patrick. — Nous avons vu que saint Patrick et sa légende
se rattachent à l'ensemble de la mythologie et de la reli-
gion païennes par l'intermédiaire des acteurs mythiques
des fêtes et de leurs légendes. Nous allons voir la légende
du saint se rattacher également au système de croyances
et de rites qui vient d'être étudié. Ce n'est certes pas uni-
quement parce que saint Patrick en tant que saint est un
mort, qu'il a pris la physionomie que nous lui connaissons,
mais c'est parce qu'il est un maître des morts pareil aux
dieux irlandais et que. tant par sa légende que par son
culte, il peut être assimilé aux héros du paganisme gôidé-
lique.
Saint Patrick est un m.aitre des morts. — En effet,
saint Patrick ouvre aux âmes des morts irlandais les portes
de l'éternité bienheureuse.
Il leur a permis d'éviter les obstacles qui retardent leur
entrée immédiate dans le Paradis en rendant le Purgatoire
accessible aux vivants. Le fameux Purgatoire de saint
Patrice, dont l'apôtre a ouvert lentrée, est une région sou-
terraine, où quiconque pénètre en état de grâce et sort vic-
torieux des épreuves qui l'y attendent, est certain d'avoir
sa place marquée d'avance dans le paradis*.
Sur le Mont Aigle saint Patrick se fait accorder la faveur
de délivrer immédiatement autant d'âmes des tourments
de l'enfer, qu'il en faut pour couvrir le ciel à perte de vue
1. Selmar Eckleben, Die âllesle Schilderung vom Fegefeuer des hei-
ligen Palricius, Halle a. S., 1883; Ph. de Félice, L'Autre Monde, Paris,
1906, chap. II et m.
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 193
du côté de la mer et du coté de la terre. Dieu permet
ensuite au saint de faire sortir de l'enfer d'abord sept
âmes, puis douze, chaque samedi et sept chaque jeudi, et
le jour du Jup^ement Dernier saint Patrick sauvera sept
Ames damnées pour chaque fil de sa cagoule'.
Mais ces privilèfçes ne suffisent pas à Tapôtre. Il
demande et il obtient d'être le seul juge des Irlandais au
Jugement Dernier, tandis que les autres hommes seront
jugés par Jésus-Christ". Aussi le jour de la résurrection
des corps tous les Irlandais se réuniront auprès du tom-
beau de leur apôtre, à Down, pour se rendre sous sa con-
duite au lieu du Jugement^
Dans ces légendes la représentation des Ames des morts
est bien la même que dans les mythes païens. En effet,
les âmes en question se confondent avec celles qui ne sont
pas encore incarnées.
Quand Patrick s'apprête à descendre du Mont Aigle,
une troupe innombrable d'oiseaux blancs l'entoure pour
recevoir sa bénédiction. Ce sont les âmes des saints irlan-
dais, non seulement de ceux qui sont morts ou des saints
présents, mais encore des saints futurs *. Et Tirechân
affirme que les enfants non encore nés faisaient entendre
1. Vie Tripartile, éd. Whitley Slokcs, p. 112 ss : Homélie du Lebar
Brecc, loc. cit.. p. 474 s. : Colgan, Vila IV", p. 43, col. 1. Cf. Tirechân,
p. 322, cilé note 4.
2. Continuateur de Tirechân. Tripartile IJfe, II. p. 331 ; Hymne de
Fiacc, dans Thésaurus l'alœohibernicus, II, p. 317, p. 319. — Suivant
les Vies plus récentes, le privilège en question a été obtenu par saint
Patrick sur le Mont Aigle.
3. Hymne de Fiacc, loc. cit.. p. 319 : immut illathiu in 7nessa regait
fir hErend dobralh.
4. Tirechân, p. 322 s. « Kt exiit Patricius ad cacumina mentis super
Crochan Aigli et mansit ibi xl diebus et xl noclibus. El graues aues
fuerunt erga iilum et non poterat uidere faciem cœli et terrse et maris,
quia llibcrniaî sanctis omnibus prœterilis, pracscntibus, fuluris Deus
dixil : asccnditc, o sancli, super montcm, ad benecidcndos Iliberniaî
populos ut uideret Patricius fruclum sui laboris ». — CI. Vie Tripartile,
éd. Whitley Stokes, p. 114.
CZARNOWSKI. 13
194 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
à saint Patrick des appels pour qu'il vint en Irlande et les
libérât ^
Ainsi notre saint est un maître et un conducteur des
âmes de TAutre Monde, analogue aux dieux psychopompes
du panthéon irlandais.
Saint Patrick a pénétré dans l'Autre Monde d'une
MANIÈRE RITUELLE. — Si saint Patrick commande ainsi sur
les chemins de l'Autre Monde, c'est qu'il en a lui-même
forcé rituellement les portes.
11 s'était armé pour le faire des vertus du jeûne.
Le jeûne est en Irlande un rite analogue au jeûne rituel
des Hindous ou des Chinoise Jeûner contre quelqu'un est
un moven de contrainte, dont les saints usent largement
vis-à-vis des chefs. Son efficacité est telle que la seule
menace de le mettre en pratique amène à résipiscence les
plus récalcitrants^.
1. Tirechân, p. 310 : « causa filiorum clamantium clamore raagno
(quorum) uoces audiuit (Patricius) in utero matrum suarum dicenlium :
ueni sancte Patrici, saluos nos facere ». — Cf. Vie Tripartite, éd.
Whitley Stokes, p. 134 : Patrick, baptise deux femmes, Crebriu et Lesru.
C'est elles qui lavaient appelé du sein de leur mère, lorsqu'il séjournait
encore dans les lies de la Aler Tyrrhénienne. La même légende se trouve
aussi dans une glose du manuscrit du Liber Ilymnorum, dit des Fran-
ciscains, au verset 8 de l'Hymne de Fiacc, T/iesaurus Palœohib, II,
p. 312. — Les deux femmes en question sont vénérées comme saintes,
patronnes de Cell Fargland en Hùi Amalgada (sur cette localité, cf.
O'Donovan dans Hy Fiachrach, Index).
2. Cf. Tamasia, Il Dharna, dans Rivista scientifica del dirifto,
1897, II, p. 76; W. Hopkins, On the Hindu custom of dying to redress
a grievance. dans Journal of the American Oriental Society, 1901,
p. 146, ss.
3. H. d'.\rbois de Jubainville, La procédure du jeûne en Irlande dans
Rev. Celtique, VII, p. 2ih ss., a étudié le rite en question comme
moyen de coercition judiciaire. C'est en réalité un rite qui peut avoir
les buts les plus divers. Ainsi on l'emploie pour évoquer les morts :
Imtheacht na Tromdhaimhe, éd. Owen Conellan dans Transactions of the
Ossianic Society, V, Dublin, 1860. — En jeûnant trois jours saint Ciaran
fait baisser le niveau d'un lac dans lequel avaient été jetés les cada-
vres d'assassinés : Betha Chiarain, dans Silva Gadelica, p. 7 s. — Saint
Molaise. en jeûnant écarte une épidémie : Vie de saint Malaise, ibid.,
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MOUT 195
Or saint Patrick a jeûné contre le Christ. Sur le Mont
Aigle il menace le Ciel lui-inômc de jeûner, tant que ses
demandes ne seraient pas exaucées. Il subit pendant qua-
rante jours les supplices de la faim. ÏS'i les tourments que
lui infliij^ent des démons, ni les consolations des anges ne
viennent à bout de son obstination. Enfin, effrayé de voir
un aussi grand saint jeûner éternellement et menacé d'être
abandonné par tous les habitants du Paradis, qui ne veulent
pas qu'une honte pareille rejaillisse sur eux, Dieu entre en
négociations. 11 accorde sucessivcment à saint Patrick tous
les privilèges qu'on vient d'énumérer.
Saint Patrick est un initié pareil aux initiés irlan-
dais. — Le pouvoir de saint Patrick sur le monde des
âmes est d'autre part la conséquence du fait qu'il y est
entré à la manière des initiés irlandais.
Le saint possède un bâton, le fameux BaculusJesu\ qui
p. 21. — Sainte Monnine jeune pour qu'un poêle muet recouvre le don
de la parole : Félire Oenfjusso, commentaire du Lebar Brecc, au 6 juil-
let, p. cxvi. — Employé contre des personnes, le jeûne était un rite de
maléfice. Ainsi la foudre frappe le roi breton Gortigern qui avait laissé
saint Germain l'Auxerrois jeûner trois jours au seuil de sa forteresse ;
texte de LU, cité par d'Arbois de Jubainville, Zoc. c>t.. p. 245, note 1. —
Les douze princijiaux saints d Irlande jeûnent pour amener la ven-
geance de Dieu sur le roi Diarmaid mac Cerbhaill : Vie de saitil Malaise,
loc. cit., au bas de la p. 31 et p. 32. — Une fois trois jours de jeûne passés,
rien ne peut plus arrêter les effets du rite, pas même le saint qui l'a
pratiqué : The Baille of Cairn Conaill, éd. Whitley Stokes, Zfl. fiir Cel-
lische l'hilologie. III, p. 209. t laçjmenlartj Aniials. dans Silva Gade-
lica, vol. des trad., p. 442 s., ad annum 702. — Mais on peut se préserver
des effets du jeûne en jeûnant soi-même. Ainsi fait saint Ciaran contre
lequel tous les autres saints d'Irlande s'étaient mis à jeûner. Ils vou.
laient le faire mourir, parce que sa sainteté les rejetait eux-mêmes dans
l'obscurité. La moitié de l'Ile le vénérait comme un chef spirituel :
Félire Oetif/usso, commentaire du Lebar Brecc, au 9 septembre.
Cf. Heiue Celtique, XXXI, p. 2bi et XXXIV. p. 240.
1. Giraldus Cambrensis, Topugraphia Ilibernica, éd. citée, p. 180 :
« Inler universos Iliberniae baculos lignea^que naturœ sanctorum reli-
quias, virtuosus ille et famosus, quem Baculum Jesu vocant, non imme-
rito primus et prœcipuus esse videlur. Per quem vulgari opinione
sanctus Palricius venenosos ab insula vcrmes ejecit. Cujus siquideni
196 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
est une clef de l'Aulre-Monde. C'est en traçant du bout de
ce bftton un cercle sur le sol que Patrick fait se découvrir
rentrée de son Purgatoire ^ Or ce bâton ressemble aux
rameaux et aux baguettes magiques des initiés irlan-
dais.
C'est un rameau de vie. Un jour l'apôtre ressuscite un
mort païen pour le temps nécessaire à son baptême, en
perçant sa pierre tombale de son bâton, et lui ouvre ainsi
l'entrée dans la vie éternelle-. Les esprits de la mort, les
démons, fuient les idoles qu'ils habitaient à la seule menace
du bâton de saint Patrick ^.
Il vient du pays de la vie. Saint Patrick Ta reçu des
mains d'un couple éternellement jeune dans son île de la
Mer Tyrrhénienne, qui est, on l'a vu, identique au pays
divin des mythes irlandais. C'est le propre bâton de Jésus-
Christ ', source de toute vie pour les chrétiens, comme
l'Arbre de Mag Mell est la source de vie pour les païens.
Enfin, comme les rameaux des magiciens, le Baculits
Jesu est le gage d'une initiation.
En effet, la visite de saint Patrick à l'île de la Mer Tyrrhé-
tam incertus est ortus quam certissima virtus. Nostris aulem tempori-
bus et nostrorum opéra nobilis hic thésaurus ab Archmatia (id eslArd-
macha) Dubliniam est translatus ». Il s'agit donc bien d'un bâton et
non d'une croi.x, comme le feraient croire les bacliall qu'on conserve
acluellement en Irlande comme reliques des saints. Sinon Giraldus
aurait dit crux. Cf. note d'O'Donovan dans Connais Translation,
p. 18, aumolfîac/ia^Z : ce mot signifie aussi croix. C'est sans doute celle
double acception qui a fait considérer des croi.x processionnelles comme
anciens bâtons de saints irlandais.
1. De Félice, op. cit., p. 83 (au bas de la page).
2. Tirechân, p. 324 s.
3. Passage cité de Giraldus : « per quem... venenosos ab insula vermes
ejecit ». Cf. Vie Tripartite, p. 90 ; Colgan, Vita llla ; cap. 46 : Saint Patrick
menace de son bàlon l'idole Cenn Crûaich et le démon qui y habitait
s'enfuit dans l'épouvante. — Cf. Birth and Life of saint Moling, éd.
Wliitley Stokes, dans Revue Celtique, XXVII, p. 268 : saint Moling est
vainqueur d'un démon qu'il frappe avec le bâton de son maître, saint
Brenan.
4. Vie Tripartite, éd. Whitley Stokes, p. 28 s.
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 197
nienne marque la fin de sa préparation ù l'apostolat. Aupa-
paravanl, le saint n'avait fait qu'étudier les Ecritures et
que s'exercer h la pratique de l'ascétisme. C'est seulement
lorsqu'il aborde dans l'Ile, que Dieu lui intime l'ordre de se
consacrer désormais à l'œuvre d'évangélisation de l'Irlande.
Le Bâton de Jésus est précisément le gage de ce que
l'apôtre a été agréé par le Seigneur.
De plus, le voyage de notre saint dans la Mer Tyrrhé-
nienne comporte des incidents qui appartiennent à des
mythes d'initiation .
Au bord de la mer le futur apôtre découvre un lieu où
vivent « trois autres Patrick », c'est-à-dire trois saints
déjà glorifiés. Mais il ne peut entrer dans leur compagnie.
11 faut qu'il aille d'abord puiser de l'eau à une fontaine
que garde un monstre. Alors seulement les trois saints
le reconnaissent pour un des leurs et ils « nouent avec
lui les liens de l'amitié spirituelle » K
Or, l'initiation héroïque de Ciichulainn comporte elle
aussi une expédition sur les rives de la Mer Tyrrhénienne.
Il y prend d'assaut une forteresse après en avoir vaincu
les défenseurs qui sont des monstres. C'est à l'issue de
cette expédition que la déesse initiatrice des héros établit
entre lui et ses compagnons d'armes plus âgés que lui les
liens de la fraternité du sang ^
1. Vie Tripavtite, version de Colgan, p. 121 s. (le te.xte irlandais de
ce passage est perdu : cf. Whilley Stokes, Introduction à son édition
de Tripartile Life) : n Quodam tcmpore dum csset S. l'atricius in mari
Tyrrheno. vonit ad lociim in qiio erant 1res alii Patricii... et ab ois
peliit licentiam cum eis commanondi. Responderunt se non vclle hoc
permillere. nisi veiit ex vicino fonte aquam haurire. Erat cnini in iilo
loco quajdam bostia... Patricius autom venit ad fontem, et beslia eo
viso gcstiens dabat isetiliae signa... Post hfc aquam hauricns domum...
retulit... Et cum iliis mansit annis septem, fœdusque spirilualisamiciliaî
et confraternitatis inter se contraxerunt ».
2. Tâin B6 Cùalnge, p. 585 ss., 1. 4106 ss. — Cf. Zimmer, Kelliscfie
Beitrâge, I, dans Zfl. far deutsches Allertum, XXXII (nouv. série, XX),
198 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Mais c'est avant tout le nom de celui contre qui l'expédi-
lion est dirigée, qui permetde reconnaître une parenté entre
les deux légendes. Il se nomme Garman. Ce Garman, qui
possède une forteresse sur le rivage de la mer Tyrrhé-
nienne, n'est autre que saint Germain l'Auxerrois, le maître
de saint Patrick, qui, suivant la légende irlandaise, habite
les mêmes parages'. Il y a pénétration mutuelle de la
légende hagiographique et des mythes irlandais d'initia-
tion. Son résultat a été de faire de saint Patrick un initié
pareil aux initiés irlandais. Il a pénétré dans un pays de
Vie et il y a puisé à une fontaine qui ne peut être que l'an-
cienne Fontaine de Science et d'Inspiration.
Saint Patrick est assimilé aux navigateurs errants.
— Le fait même d'avoir navigué dans la Mer Tyrrhénienne
fait de saint Patrick un homme qui est entré vivant dans
l'Autrc-Monde, pareil en cela aux navigateurs errants.
Une comparaison entre son voyage et les voyages ana-
logues entrepris par d'autres saints nous montrera qu'il
s'agit bien là d'une navigation rituelle qui mène dans le
pays divin.
Le moyen que de très nombreux clercs irlandais ont mis
en pratique pour découvrir des pays nouveaux où prêcher
la foi, ou bien des contrées désertes pour y vivre en ermites.
1888, p. 308 ss. et G. Andier, Quid ad fabulas heroicas Germanorum
Hiberni conlulerinl (thèse), Turonibus, 1897, p. 77 ss.
1. Cf. Windisch, Tdin, note 7 à la p. .184. — Garman n'est pas un nom
irlandais. C'est le latin Germanus. — Notre poème montre comment des
éléments qui appartenaient à la littérature ecclésiastique sont venus
déformer l'ancien mythe d'initiation. La Mer Tyrrhénienne y a rem-
placé le pays divin, et l'initiateur des saints, l'évéque Germain, qu'on
croit avoir habité ces parages, devient un guerrier féroce, que les
jeunes héros doivent vaincre chez les dieux. — Il faut rapprocher de
ce Garman = Germanus tous les autres Garman des légendes irlan-
daises. Tous ils doivent leur nom à saint Germain, par exemple celui
dont on a parlé à propos de la fête de Garman.
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 199
a été de s'en aller i\ Tavenlure dans une barque sans rames
ni gouvernail.
Adamnan rapporte l'hisloire de deux moines partis
dans ces conditions à la recherche d'Iles désertes. L'un
d'eux, Cormac hi'ia Liathain, dut môme entreprendre trois
fois le voyage avant de trouver ce qu'il cherchait dans une
des Orcades \ Suivant les chroniques anglo-saxonnes une
barque dépourvue de moyens de direction et qui portait
trois clercs irlandais fut rejetée un jour à la côte de Cor-
nouailles sous le règne d'Alfred le Grand -.
11 s'agit ici de l'ancien rite païen christianisé.
C'est ce que montre expressément un passage de Muir-
chu. On y voit saint Patrick abandonnant au jugement de
Dieu un converti chargé de trop grands crimes, Maccuil
Maccu Grege. Il est condamné à s'embarquer dans un
canot sans gouvernail et sans avirons. Si le Seigneur lui
fait gr;\ce de la vie il devra prêcher la foi, là où la main de
Dieu l'aura conduit^.
Certes, les voyages des clercs irlandais n'ont pas tous
comme celui-ci un caractère pénal'. Néanmoins ils s'en
rapprochent tous par le fait que l'idéa d'expiation est tou-
1. Sancfi Columbx Vila auctore .\damnano, lib. I, cap. 20 et lib. II,
cap. 42 dans Colgan, Triadis Thaumalurgx... Acta.
2. Florence de Worcester, cité par O'Flaherty, Ogygia, III, 24.
3. Muirchu, p. 288 : a Non possum iudicare (dit saint Patrick à Mac-
cuil). scd Deus iudicabil. Tu lamen egredire nunc inermis ad mare et
transi uelociler de rcgione hac ilibL-rnensi, nihil tollens lecum de tua
subslantia, pra?ter uile et paruum indumentum quo possit corpus tuum
conlegi, nihil guslans nihilque bibens de fruolu insola? huius, habens-
(que hoc) insigne peccati lui in capite tuo {Genèse, IV, lo). Et postquam
pcruenics ad mare, conliga pcdes tuos conpede ferrée et proiece
clauim in mare, et initie le in nauim unius pcllis absque gubernaculo
et absque remo. » — La nauis unius pellis désigne un currach, c'est-à-
dire un bateau fait d'une ou de plusieurs peau.x tendues sur une arma-
ture de bois; cf. Joyc.;, op. cit., Il, p. 423 ss.
4. <' Uabensquc hoc insigne peccati lui in capite tuo », loc. cit. —
La manière dont Maccuil est vêtu, l'entrave en fer qu'il doit porter,
tout ceci indique bien un pénitent.
200
SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
jours présente à priori dans les œuvres chrétiennes.
D'ailleurs, les conditions nuimes du voyage des clercs en
font toujours une espèce d'ordalie. Dieu épargne et mène
au but ceux qu'il juge dignes de le servir. Avant leur mort
ils sont déjà des élus. En effet, tous sont vénérés comme
saints ^
VoiU\ donc des saints ou des clercs en odeur de sainteté
qui ressemblent aux héros partis pour Mag Mell. On verra
que leur parenté avec ceux-ci est encore plus intime.
Ils courent les mêmes aventures. Un ermite, que Mael-
Duin a découvert dans une île, et saint Finnbarr ont tous
deux rencontré en mer un homme marchant sur les flots
et qui déclare à saint Finnbar, que la mer est une plaine
fleurie ^ La légende de saint Finnbar donne à ce person-
nage le nom de saint Scuithin, mais évidemment il s'agit de
Manannan mac Lir. Celui-ci tient exactement les mêmes
proposa Bran mac FebaiP.
Les saints navigateurs visitent des îles dans lesquelles on
reconnaît le vieux pays des dieux. Ainsi Maccuil débarque
1 . Ainsi le grand criminel Maccuil est lui-même devenu « episcopus
et antistes Arddaî Huimnonn », Muirchu, p. 289.
2. Imram cuirech Mael-Duin, loc. cit., l 33. — Martyrology of Donegal,
éd. J.-H. Todd et Will. Reeves (O'Donovan, traducteur), Dublin. Irish
ArchcBol. and Cellic Society, p. 5.
3. Imram Brain, loc. cit., p. \~ s.
33 : Càine amre lasin m-Bran Ceci paraît très beau à Bran
ina churc/iàn tar muir glan : (d'aller) dans son bateau à tra-
os mé im charpul di chéin vers la mer claire,
is mag scolhach immaréid. tandis que pour moi dans mon
char, de loin,
c'est une plaine fleurie sur la-
quelle il roule.
Ce qui est une mer claire
pour le bateau pointu dans le-
quel est Bran,
c'est une plaine de délices (peut-
être nom propre : Mag Mell) avec
une profusion de fleurs,
pour moi dans le char à deux
roues.
§ 34 : >4 n-as muir glan
don nôi broinig itâ Bran,
is mag meld co n-itnmut scolh
dam-saa carput dû rolli.
LES REPPÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 201
dans l'île Eitonia ' dont le nom est évidemment une cor-
ruption graphique iVEmania, forme latinisée cVE?nain^,
Or Emain est un des noms de l'Elysée irlandais. Au sur-
plus les hagiographes identilient Euonia avec Tile de
Man', dont une tradition constante fait le séjour préféré de
Manannân mac Lir*.
Ou bien encore c'est un vaisseau chargé de clercs qui,
égaré par la tempête, s'arrête au-dessus d'une église sous-
marine. La vraie règle monastique y est révélée à un plon-
geur et celui-ci la rapporte à sainte Brigit ^ Ce pays
sous-marin dans lequel s'effectuent les révélations est ma-
nifestement identique au pays des mythes païens où Ton
1. Muirthu, p. 238 (au bas de la page).
■2. Imram Brain, § 3, première ligne ; § 10 ; § 19 et § 60 : Emain est le
nom de l'Ile divine.
3. Muirchu, p. 289 : Maccuil di Mane. La Vie Triparlite, éd. Whitley
Stokes, p. 222, identitie Maccuil avec saint Maughold, apôtre et patron
de rile de Man. — Mais la version de Muirchu du Ms. de Bruxelles a
Maccuil de mare.
4. Sanas Cormaic, mot : Manannân : ce personnage était un hardi
navigateur qui habitait l'tle de Man et qui a donné son nom à cette
contrée. Le Côir Anmann, éd. Whitley Stokes, Iriche Texte, III,
p. 357, dit au contraire que Manannân vient de Man. Cf. Tochmarc
Luaine, éd. Whitley Stokes dans Rev. Celtique, XXIV, p. 274 s. —
Suivant O'Curry, Lectures on the Mss. Materials on ancient Irisfi liis-
tory, Dublin 1861, p. :j88, note 172, lilc de Man était autrefois appelée
Falga par les Irlandais. Or Falga est un des noms par lesquels on
désigne le pays des génies : Dinnsenchas d'Oxford, éd. Whitley Stokes.
l. c, N" 2. Cf. Baile an Scail, éd. OGurry, appendice CXXVIII ix Mss.
Maleials, p. 387 : la pierre sacrée Fnl qui servait à introniser les rois
suprêmes avait été apportée de VWaFoal. Cf. Ivealing, éd. Gomyn, p. 206
et ibid., p. 204 : avant de venir en Irlande les Tuatha Dé Danann habi-
taient quatre villes dont l'une s'appelait Fâilias. Ce sont des noms à
rapprocher de Falga. Le nom de Maccuil est lui aussi intéressant.
M. Bury. op. cit., p. 207 remarque qu'un des trois dieux des Tùalha Dé
Danann qui régnent sur l'Irlande au temps où débarquent les fils de
Mile, s'appelle précisément Mac Cuill, ce qui signifie Fils du Coudrier.
M. Bury se demande donc si les deux personnages ne sont pas au fond
identiques. S'il en est ainsi le départ du pécheur Maccuil serait une
représentation du départ des anciens dieux pour l'exil, et on aurait un
argument de plus pour voir dans la navigation errante une manière
de gagner le monde des dieux.
5. Lebar Brecc, commentaire au Félire Oengusso, éd. de 1880, p. XLVII,
au 1«' février, légende de X'Amra Plea.
202 SAINT PATRICK ET LE CUI/FE DES HÉROS
va chercher la science et qui est aussi situé sous l'eau.
Enfin la célèbre Navigation de saint Brendan comporte
une visite aux Enfers et au Paradis. Les épisodes de celte
histoire sont inspirés par la légende de Mael-Duin, qui pro-
cède à son tour des mythes païens de voyages en Mag-
iMellV
Ainsi, comme les personnages voguant à l'aventure du
paganisme, les saints qui errent en mer entrent dans le do-
maine des esprits.
Il en est de même de saint Patrick. Certes, sa légende
ne dit nulle part qu'il ait laissé aller son vaisseau au gré
des flots. Mais il y a lieu de tenir compte de ce que l'île
de la Mer Tyrrhénienne est une terre inconnue, que per-
sonne ne sait la route qui y mène et que, par conséquent,
le hasard a guidé saint Patrick.
Au surplus les épisodes de la navigation de saint Patrick
répondent aux épisodes des légendes que nous venons
d'examiner. On a vu que l'île de la Mer Tyrrhénienne est
une forme chrétienne de Mag Mell, et que la fontaine aux
Trois Patrick doit être rapprochée de celle du pays des
dieux.
Les CIRCONSTANCES DE LA MORT ET DE l'eNTERREMENT DE
SAINT Patrick en font un mort pareil aux morts héroï-
ques irlandais. — Mais saint Patrick n'est pas seulement
1. La Navigalio sancli Brendatn a 6fc publiée par le cardinal Moran
dans ses Acta sancli Brendani. Dublin, 1872, C'est cette édition que
nous avons consultée. La Navigatio est une adaptation latine d'un
original irlandais perdu. On la trouve dans un Ms. du xiir siècle. Une
étude magistrale de cette légende est due à Zimmer, art. Dreudan's
Meerfahrt {Kellische Beitrdge, II) dans Zft. filr deulsches Allerlum XXXI II,
1889, livraisons I cl II. — Cf. aussi Alfred Nutt. op. cit., I : le volume
est en grande partie consacré à lélude littéraire des Imrama ou .Vact-
gations qui forment en Irlande toute une classe de récils. Cf.
Ch. Plummer, dansZ/^. fiir Cellische Philologie, V, p. 124.
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 203
un personnage entré vivant dans le pays des morts par le
moyen des rites païens.
Les circonstances de sa mort et de son enterrement
présentent des traits inspirés par les idées sur les morts,
particulières i\ l'Irlande païenne.
Remarquons d'abord que l'âme de saint Patrick ne se
détache pas de son corps immédiatement après sa mort.
Suivant VHf/mne de Fîacc, elle alla d'abord chercher
celle de Sen Fatraic, ou Patrick l'Ancien, pour la prendre
avec soi'. Le commentaire de ce te.xte nous apprend qu'elle
attendit ainsi jusqu'à la fête de Sen Patraic, c'est-à-dire,
du 1(J mars au 24 août, et qu'alors seulement les âmes
des deux saints montèrent ensemble au cieP.
Or, Sen Patraic n'est qu'un doublet de saint Patrick.
Son tombeau à Armagh a été longtemps attribué à l'apôtre.
Le séjour de l'âme de celui-ci auprès de Sen Patraic équi-
vaut donc à un séjour auprès de son propre corps\
On voit que Patrick a passé après sa mort par un
étal intermédiaire entre la vie et le départ définitif de
l'âme, tout à fait identique à celui que nous avons étudié
plus haut à propos des morts païens.
Quant à l'enterrement de saint Patrick il a lieu confor-
i. Hymne de Fiacc, dans Thesaurvs Palaeohib.. Il, p. 320 s.
2. Liber Ihjmnorum dit des Fransdscatns, commentaire à l'Hymne de
Fiacc, ibid., p. '6il.
3. Tombeau de Sen Patrick à .\rmagh : Félire Oengusso. au 24 août.
On lui connaissait d'ailleurs plusieurs autres sépultures, notamment
à Ros-Dela. act. Rosdalla (Gté Wcstmeath) et à Glastonbury en Grande-
Bretagne : Liber Hymnorum des Franciscains, commentaire à l'Hymne
de Fiacc l. c, p. 321. Cf. Mac Firbis De quibusdam Episcopis, sub
Rosdela. Cf. Colgan, .,4p;)en(/jx F. cap. 21 à Triadis Tliaumatnrgae Acla,
p. 2o8, col. 1 à p. 263. — Le fait que le tombeau d'Arma^h doit être
considéré comme tombeau du vrai saint Patrick ressort non seulement
de ce que Sen Patrick nest qu'un doublet de lapiMrc, mais aussi de
ce que dans les deu.x Vies les plus anciennes Dieu promet à notre
saint que « sa résurrection aurait lieu ix Armagh » : Muirchu. p. 293 ;
Tirechàn, p. 331.
204 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
mémcnt aux rites païens qui ouvrent l'entrée de l'Autre
Monde.
Le lieu de la sépulture de saint Patrick est désigné d'une
façon miraculeuse.
Quant on chargea la bière sur le char un conflit s'éleva
entre les gens d'Airthir et ceux d'Uladh au sujet du lieu
de la sépulture. Chacun des deux peuples tenait à pos-
séder les reliques du saint, et il fallut que Dieu ordonnât à
la mer de séparer les adversaires, sans quoi le sang eût
déshonoré l'enterrement de Patrick. On convint enfin de
laisser aller les bœufs de l'attelage à Leur guise et de creuser
le tombeau là où ils s'arrêteraient.
Mais la crainte d'un nouveau conflit n'étant pas encore
écartée, la prévoyance divine fît que chaque armée vit
devant elle une bière traînée par des bœufs. Celle que
voyaient les hommes d'Airthir les conduisit dans la direc-
tion d'Armagh, puis s'évanouit, tandis que l'attelage réel
menait les hommes d'Uladh à Down et s'y arrêtait'.
Le corps de saint Patrick est donc porté miraculeuse-
ment à sa dernière demeure, il entre miraculeusement
dans l'Autre Monde.
Si pareille légende se raconte de plus d'un saint breton,
c'est cependant aux héros du paganisme irlandais que nous
font songer tout d'abord ce miracle, cette solennité, cette
immense valeur attribuée aux restes funéraires.
L'assimilation sera complète quand on aura montré que
le trait de la mort violente ne manque qu'en apparence à
saint Patrick.
Certes, il n'est pas un martyr. Mais on a vu qu'à sa place
meurt son cocher, Odràn, et que celui-ci n'est qu'un sub-
1. Résumé d'après Muirchu, p. 293 ss.
¥
LES REPRESENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT 205
stilut du saint. Saint Patrick est ainsi un personnage en
quelque sorte dédoublé, qui subit le martyr sous une de
ses formes et qui, par là encore, se rapproche des morts
héroïques de l'Irlande païenne.
En résumé saint Patrick est étroitement apparenté aux
personnages héroïques irlandais, c'est-à-dire aux morts
individualisés et à ceux qui sont rituellement entrés dans
le pays divin. Il leur ressemble par ses rapports avec le
monde des morts et par les caractères qui lui sont attribués
en tant qu'à un mort.
CHAPITRE V
SAINT PATRICK EST UN HÉROS
On se rappelle que les dieux et les génies, qui figurent
dans les fôles et les mythes, sont représentés comme
morts. Ils ont subi la mort en tant qu'acteurs divins du
drame festival, ou bien, comme Lug et Manannan Mac Lir,
ils ont vécu pour un temps dans un corps d'homme, et ils
sont ainsi des âmes de morts après leur retour h la vie
divine. Les fôtes sont célébrées dans des cimetières au
même moment et suivant le môme rituel que celui des
morts.
On peut donc considérer comme acquis que le culte des
fêtes prend en Irlande la forme du culte des morts.
Mais nous allons nous occuper particulièrement de l'as-
pect qu'il a pris comme culte de héros.
Aspects divers du culte des morts. — Voyons quels
sont les aspects particuliers de ce culte.
C'est d'abord le culte des morts en tant que morts. Il
s'adresse à la masse, i\ la foule anonyme des âmes dont le
seul caractère est d'être des âmes des mort.
Les tombeaux sont l'objet de soins particuliers ainsi
qu'on l'a vu par le texte cité du Senchus ^lù)' qui prescrit
leur entretien.
La violation de sépulture est, comme ailleurs, suivie d'une
203 SAIM PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
sanction surnaturelle. Ainsi dans l'histoire de Macl-Duin
nous voyons qu'un moine qui a voulu enterrer un mort
au-dessus d'un autre mort est, quelque temps après, jeté
par une tempôte dans une île déserte où il doit faire péni-
tence pour son méfait.
On rend encore un culte aux morts parce qu'ils sont des
esprits puissants.
On les craint et on craint tout ce qui les touche. Le
Glossaire de Cormac dit que les gaules nommées fé, qui
servaient à mesurer les cadavres, étaient un objet d'horreur
pour tous les Irlandais. La destruction de la bière, dont on
a déjà parlé, prouve bien qu'on craignait les revenants, et
VEchtra Nerai raconte l'histoire d'une gageure dans
laquelle la preuve du courage était d'aller nouer une
brindille autour du pied d'un pendu.
Ceux des morts qui gardent leur personnalité reçoivent
un culte particulier en raison du caractère thaumaturgique
de leur mort.
On a vu qu'ils sont honorés par des monuments funé-
raires apparents.
On leur doit des offrandes. A chaque carn (il s'agit d'un
monument qui passe toujours pour être celui d'un per-
sonnage mort de mort violente), le passant est tenu
d'ajouter une pierre au monceau V
Leur mort a une place à part dans les commémora-
tions de toutes les fêtes, môme de celles dont ils ne sont à
aucun titre les acteurs mythiques. On chante aux assem-
blées « toutes les morts héroïques de la Moitié de Conn —
ou du nord de l'Irlande — et du sud d'Erinn » -.
1. Joyce, op. ct7., Il, p. 563.
2. Aenach Carmain, loc. cit. strophes 58 à 60, et Calh Almaine, loc.
cit. § 8 et 19 s.
SAINT PATRICK EST UN HÉROS 209
On honore enfin les morts comme ancêtres.
Le mi>me jjassage des Dinnsenchas de Carman, que nous
avons cité tout à l'heure à propos des morts anonymes,
nous apprend que ces morts sont en môme temps consi-
dérés comme ancôtres. « Leurs vénérées troupes ances-
trales » s'assemblent lorsqu'on les pleure.
Mais ces ancêtres sont en même temps des âmes qui
peuvent se réincarner.
En effet, on a vu que la venue des âmes et leur incarna-
lion était l'un des objets des fêtes irlandaises. Comme les
ancêtres et les âmes non encore incarnées y sont confon-
dues dans une seule masse amorphe de génies, on voit que
le culte des ancêtres prend en Irlande l'aspect du culte des
âmes qui sont prêles à s'incarner.
Tous les aspects du culte des morts se retrouvent donc
dans le culte des fêtes.
Nous allons montrer pour faire un pas de plus, que tous
les dieux irlandais relèvent de la même conception.
Les dieux irlandais sont des morts. — I. Les dieux
des choses. Constatons d'abord que toutes les fonctions
divines sont remplies par des morts.
Ainsi le dieu qui juge les morts dans l'Autre Monde et
qui garantit ici-bas la justice des sentences arbitrales est
un mort . C'est un j uge célèbre des anciens temps, Morann * .
Il a été le premier à porter un collier magique, le Collier de
Morann, qui étouffe les juges prévaricateurs '.
i. Ecfilra Cormaic, éd. Whilley Stokes, Irische Texte, III, p. 188 S3.
2. D'Arbois de Jiibain\ ille. Résumé d'un cours de droit celtique, II,
p. 36 ss. — Echtra Cormaic, 6d. Whitley Stokes, lac. cit.. p. 188.
p. 208. — Cf. William M. llcnnessy, On Irish Ordeals dans ï'roceed.
Roy. Ir. Ac, X, p. 34.
CZARNOWSKI. 14
2<0 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HKnOS
La plupart des « pierres de jugement » qui démasquent
les parjures et qui rendent des oracles sont considérées
comme des monuments funéraires '. Les événements futurs
sont révélés dans des lieux consacrés par une mort reli-
gieuse. La fin des rois est, par exemple, annoncée par le
bruit des vagues en un lieu où une déesse', Clidna,
s'était noyée".
Les dieux guérisseurs sont des morts. Les sources cura-
tivcs jaillissent de leurs tombeaux''. C'est le cadavre du
dieu Miach, fils du dieu médecin Diancecht, qui a donné
naissance aux plantes médicinales *.
De même les dieux des techniques ont subi la mort.
Ainsi le dieu des ouvriers en bronze, Crédne, s'est noyé en
revenant d'Espagne où il était allé chercher de ^o^^ L'or
1. Clocha breaca, clacha bràlh, cloch-bralh). Exemples chez Borlase,
op. cit., I, p. 116, 128, 174; III, p. 913, 914 ss. ; cf. Accallamh na Seno-
rach, éd. Whitley Stokes (Ir. Texte, IV). pp. 148, 224.
2. Kilkenny archœol. journ., 1856, p. 127. — Cf. Dinnsenchas de
Tond Clidna, Rev. Celtique. XV. — L'endroit est la côte de Glandore,
comté Cork, où la Vague [Tond) de Clidna fait entendre un gémisse-
ment particulier en se brisant contre les rocs.
3. TirechAn, p. 323 : une sépulture se trouve sous une fontaine qui
dicilur Sldn, c'est-à-dire de Santé. — Source et lac curatifs qui jaillis-
sent du Carn Oc-Triallaig en Achad Abla (Connaught) : Catfi Maighe
Tured, § 126 cf. ibid., § 123. Suivant la légende ce carn n'est pas un
monument funéraire. Les Fomoraigl'érigèrent afin de combler la source
curalive où guérissaient les blessés des Tûatha Dé Danann. Leur
chef Oc-Triallach leur en avait donné le conseil : d'où le nom du carn.
Mais Oc-Triallach n'est évidemment qu'un doublet d'Oc-Trial, un des
dieux Dé Danann auxquels la source doit ses qualités curatives. Il
est le dieu guérisseur local. Quant à la légende elle a été imaginée en
raison de la situation du carn à proximité de Mag ïured. On associé
ainsi celui-ci au grand mythe.
4. Cath Maighe Tured, §§ 34 et 35, loc. cit. p. 69. Miach fut tué par son
père. Sur sa tombe poussèrent autant d'herbes médicinales qu'il y
avait de nerfs et d'articulations dans son corps, trois-cent-soixante-
cinq. — Ce passage est dans le récit de la bataille mythologique
une interpolation postérieure au xi» siècle. Cf. d'Arbois de Jubainville
Épopée celtique, p. 394 s. — Il n'en démontre pas moins qu'on
croyait au pouvoir guérisseur des morts.
5. Ms. Livre de Leinster {LL), fol. 11 recto, 1. 37 du fac-similé.
Cf. aussi O'Curry, Manners and Customs, III, p. 210.
SAINT PATRICK EST UN HÉROS 211
a été fondu pour la première fois par Tigcrnmas ', dont on se
rappelle que c'est un dieu de la mort et que son mythe
représente comme un roi mort.
Le culte qui s'adresse aux choses est pareillement un
culte des morts.
Ainsi les arbres sacrés qui représentent l'Arbre de Vie
mythique sont consacrés à des morts. Celui qui s'élève
dans rOenach Reil est le témoin de la fin de Duaibsech,
la veuve du roi Muircertach mac Erca, dont le cœur éclata
de douleur au moment môme où elle s'était appuyée contre
cet arbre -. Un if et un pommier sont sortis de la tombe de
Baile Binnberlach et d'Ailinn, les deux amants malheureux
dont on a parlé tout à l'heure, et ils sont habités par leurs
âmes ^ .
Les pierres sacrées sont des pierres funéraires. L'exis-
tence du culte des menhirs en Irlande est démontrée par
leur appellation ail adrada ou pierre d'adoration''. D'ail-
1. Annals of the Four Masters, anno mundi 3.656. O'Curry, Mann.
and CasL, II, p. 4 ss., a réuni une liste des inventeurs héroïques.
2. The Dealh of Muircertach mac Erca, loc. cit. p. 4:J6, § 46. —
L'Oenach Reil, en Ulster, n'a pas été identifié a notre connaissance.
Cf. O'Curry, loc. cit., sur Tif, dit Craobh Lisnigh, au faite de la colline
d Uisnech, donc au centre du lieu de fête. — Cf. Tàin B6 Cùalnge.
1. 2046 : chaque endroit où Medh a planté sa cravache se nomme
depuis Arbre de Medb (Cach bail ro said a echlaisc is Bili Medba a
chomainm).
3. Scél Baili Binnberlaig, éd. Kuno Meyer Rev. Celt., XIII, p. 222 ss.,
p. 224 ss. : Les arbres ont poussé chacun sur une tombe. Leur feuil-
lage a la forme de la lôte du mort. On fit des tablettes avec le bois de
ces arbres. Celle de pommier et celle d'if se rejoignent et on ne peut
les séparer. — Cf. résumé de la légende dans OCurn-, Mss. Mal.,
p. 463 s.
4. Ane. Laus IV, p. 142, p. 143. — Kuno Meyer, Dinnsenchas métriques
de Mag Slerht.dans Voyage of Bran, dans II, app. C, strophe 13 : « depuis
le temps d'Ilerimon... il y avait un grand culte des pierres (en Irlande)
jusqu'à l'arrivée de Patrick. » — Cf. d'Arbois de Jubainville, Le culte des
menhirs dans le monde celtique, Bev. Cell., XXVII, p. 313 ss. où l'on
trouvera aussi les faits gaulois et bretons. — On sait (jue ce culte a per-
sisté jusqu'à nos jours, surtout en Bretagne. Cf. V. Sébillot, Folklore
de la France, sous Culle des pierres.
212 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉHOS
leurs doux menhirs, Cenn Cniaich ' et Ccrmancl Ceslach %
adorés Tun dans Mag Slechl et Taulre à Clogher étaient
dieux.
Ces menhirs idoles sont identiques aux pierres levées
tombales, dont il a été question plus haut. C'est ce qui res-
sort d'un passage de la Tdin Bd Càalnge^. On y voit
Cûchulainn placer douze têtes coupées de ses ennemis tués
sur autant de menhirs et celle de leur chef, Ferchu Long-
sech, sur une treizième pierre spéciale. De môme le dieu
Cenn Cniaich était entouré de douze idoles moins élevées*.
Enfin les dieux des sources et des lacs sont des
morts.
Ainsi Tirechân raconte que les païens jetaient des
offrandes d'or et d'argent dans une fontaine parce qu'elle
recouvrait, croyaient-ils, la sépulture d'un prophète^.
1. Vie Triparlile, éd. Whitley Stokes, p. 90 s. Cenn Crùaich est iden-
tique au dieu Crom Cniaich des Dinnsenclias de Mag Siecht, strophe M.
— Cf. d'Arbois de Jubainvilie art. cité, p. 316 s. : Cenn signifie « tèle »
et Crom Crùaich « courbe de léminence artificielle «. 11 y avait aussi
un Cenn Crùaich en Grande-Bretagne, ainsi que le démontre le nom
de lieu Penno-Crucium.
2. L'auteur des notes au Félire Oengusso a vu Cermand Ces-
tach : d'Arbois de Jubainvilie, arl, cité, p. 316. — On conservait ce
menhir sous le portail de la cathédrale de Clogher en Tyrone jusqu'au
temps de l'annaliste Galhal Maguire, mort en 14'J8. Todd, Hainl Patrick,
p. 129.
3. Cinnit Ferchon, Tàin, p. 418 ss. — Cf. la légende du roi Lugaidh
Mac Con tué au pied d'un menhir pendant qu'il distribuait de l'or
et de l'argent aux poètes au milieu d'une assemblée solennelle : Kea-
ting, éd. Dinneen. Irish Te.vls Soc. VIII, p. 286.
4. Vie Triparlile, éd. 'W'hitlcy Stokes, p. 90.
5. Tirechân, p. 323 s. : les païens croyaient que dans la fontaine de
Findmag « profeta mortuus fecit bibliothicam (i. e. un sarcophage)
sibi in aqua sub pelra... quia adorabant fontem in modum dii ».
Saint Patrick souleva la pierre et trouva dans l'eau l'or et l'argent des
offrandes. — Cf. O'Donovan, cité dans Borlase, III, p. 771 : Tober
Grainné (« Source de Grainne », hérotne d'un conte très répandu) dans
le Cté Clare : l'eau passe par un trou pratiqué dans une pierre carrée
qui couronne un dolmen. C'est la disposition même de la fontaine dont
parle Tirechân : elle était carrée, recouverte d'une pierre carrée. L'eau
jaillissait par un trou du couvercle et se répandait sur tout l'édifice
« quasi uestigium ».
SAINT PATRICK EST UN- HÉROS 213
D'autres sources ont jailli des tombes où reposent les des-
cendants de Parlholon *,
De mi^me le lac Oirbscn recouvre le tombeau de Ma-
nannan mac Lir qui j)éril li\ dans une bataille ■. Au bord
d'un grand nombre de lacs sont des tombeaux héroïques
et c'est auprès deux qu'on célèbre le culte des eaux'.
II. Les dieux locaux sont des morts. Les patrons
locaux, les dieux éponymes se recrutent eux aussi parmi
les morts.
Ainsi les dieux qui régnent sur des sidh déterminés sont
pour une bonne part des personnages ayant subi une mort
rituelle. Clidna, par exemple, la noyée qui annonce la
mort des rois est la fée éponyme et la reine des génies de
Carrigcleena en Munster*. Le roi Aedh Rùad qui périt dans
la cataracte d'Assaroe a donné son nom à celle-ci [Ess-
Aeda-Rûaid) et vit depuis en roi des génies dans le sidh
voisin, le MuUaghshee. Pareillement les génies de la
caverne Belach Conglaiss sont soumis à la domination
d'un ancien chef humain, Cûglass, qui y disparut un jour
qu'il chassait dans les environs ^
Beaucoup de lieux hantés par les génies sont occupés
par des carn héroïques. D'autres monuments pareils cou-
1. Borlase, MI, p. 770.
i. Dinnse ne fias de Rennes, Rev. Celtique, XVI, p. 143 ; Tochmarc
Luaine, ibid. XXIV p. 274. p. 27b ; Keating, éd. Comyn, p. 224. — Le
lac se nomme aujourd'hui Lough Corrib (Connaught). — Cf. Joyce,
Social Hislory, I, p. 260 : le dieu Bodb Derg a son sidh au bord du
Lough Derg de la Shannon.
3. Par exemple à Loughadrine, Cté Cork, où l'on fait des processions
autour d'un dolmen, en mùme temps que l'on jette des offrandes aux
poissons du lac et que Ion s'y baigne dans un but curatif. Windele,
cité par Borlase, II, p. o'Ji.
4. Cf. plus haut, p. 210, n. 2.
5. Joyce, op. cit. I, p. 262. Dans le sidh de Knokfierna, Cté Limerick,
règne Uond. frère du premier roi d'Irlande Erimon, qui se noya avant
le débarquement des fils de Mile : ibid. Cf. OCurry, Mss. Mal', p. 283.
214 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
ronnenl les hauteurs \ D'autres encore sont au voisinage
des passes de montagnes et des gués*.
Or on sait que les morts enterrés sous les carn reçoivent
des offrandes de chaque passant. Au surplus ces morts ont,
dans la plupart des cas, donné leur nom aux lieux en ques-
tion. Le culte des dieux locaux est donc bien celui de
morts éponymes.
Il en est de môme des génies qui protègent les habita-
tions humaines. Ce sont encore des esprits de morts.
Les emplacements des enceintes habitées passent pour
être des lieux où un homme mourut de mort violente. C'est
ce qui ressort d'un passage du Glossaire de Cormac ' sui-
vant lequel le sang d'un homme fut versé pendant la cons-
truction d'Emain Mâcha. Bien que cette histoire ait son
origine dans une fantaisie étymologique sur le nom
d'Emain, dérivé d'alr.a — sang et d'am — un, elle n'en
indique pas moins que la mort d'un homme était jugée
utile à la construction des forteresses *.
D'ailleurs tout fort irlandais est construit au-dessus de
la sépulture d'un mort illustre.
Ainsi Dinn-rig, résidence des rois de Leinster, couronne
un tertre qui est censé être le tumulus de Slanga, un roi
des Fir-Bolg^ Des morts éponymes reposent dans les
enceintes fortifiées d'Ailech, Almu et dans le Râlh Cael-
1. Joyce, op. cit., p. 564. — Les carn qui couronnent les collines
servent souvent d'observatoires. Exemples : carn du Sllab Moduirn,
Tdin Bô Cùalnge, p. 144 s., Carn Amalgaidh, O'Donovan, Utj Fiachrach,
p. 100, p. 101.
2. Tain B6 Cùalnge. passiui. Voir Index géographique au nom des
gués et des passes (âlh).
3. Sanns Cormaic, éd. Kuno Meyer, p. 42.
4. Cf. Nennius, éd. Mommsen (Chronica Minora, XllI), p. 182 s.
îj. Annals of Ihe Four Masters. anno mundi 3267. — On nommait
encore Dinn-rig Duma Slainge et Tuam (tombeau) Tenba.
SAINT PATRICK EST UN HKROS 21&
chon à Tara'. Le nom même de Tara, en moyen irlandais
Tetnair, vient, suivant les étymologistes des Dinnsenchas
de ce que Tea, femme du premier roi de la race de Mile,
y est enlenée - .
m. Les dieux des groupes sociaux sont des morts. Ce
que nous venons de dire des dieux locaux doit ôtre étendu
aux dieux des clans et des tribus.
En effet, les forteresses dont on vient de parler sont les
résidences des chefs et des rois. Elles sont les capitales des
clans, des tribus et des provinces. Les représentants des
familles dont se compose le clan, les fonctionnaires, les
otages des clans assujettis y vivent autour du roi tandis
que le reste du groupe est dispersé. En un mot la forte-
resse royale est, en dehors des assemblées de fêtes, la seule
chose qui exprime rexislence ininterrompue du clan, de
même qu'ailleurs le chef-lieu exprime la vie du district qui»
l'entoure*.
Ainsi les dieux qui protègent les résidences royales sont
les dieux des clans. Et ces dieux sont des morts.
Il en est de même des dieux locaux d(!s oenach dans
lesquels s'assemblent les membres des mêmes clans, tribus
ou royaumes.
Nous avons parlé encore de gués, de passes et de hau-
teurs. Mais ces endroits sont souvent les limites territo-
riales des clans*. Il en résulte que les dieux morts de ces
1. Battle of Cnucha, éd. Uenncssy, Rev. Celtique, II, p. 86 ss., § 2. —
Joyce, op. cit.., II, p. 8b s. — l'our Ailech cf. chapitre précédent.
2. Edward Gwynn, Metrical Dinnsenchas (Todd Lecture Séries VII),
Dublin, l'JÛO. lemair, vers 31-40.
3. Chaque roi d'une tùalh (clan) est lenu d avoir trois forteresses.
Ane. Laws. IV, p. 377, 1. 13 ; V. p. 53, I. 21 ss. ; p. 441, 1. 25. — On
ne connaît pas d'autres forteresses que celles des rois.
4. Cf. p. 218. note 2.
216 SAINT PATRICK ET LE «:ULTE DES HÉROS
lieux se confondent pour une bonne part avec les dieux
des clans et des tribus.
Les mômes raisons décident de ce que nombre de ces
dieux morts deviennent des dieux territoriaux. L'extension
de leur puissance suit celle du pouvoir royal. Mais lors
môme que les limites des royaumes changent, les dieux
continuent à régner sur les territoires qu'ils ont une fois
acquis.
Ainsi la fée Aibell, qui protège le clan royal des O'Brien,
commande en même temps à tous les génies du Thomond^
Elle continue à régner sur ce territoire.
Ici encore les dieux sont représentés comme des morts.
Aibell, ainsi que les autres génies des sîdh, appartient à la
classe des esprits des fêtes confondus avec les moris. Et
d'autres dieux de clans et de territoires gardent bien leur
caractère d'hommes morts.
On en verra des exemples dans le chapitre suivant. Bor-
nons-nous ici à citer le cas d'un fils de Mile, Eber Donn,
noyé pendant la tempête magique que les Tùatha Dé
Danann avaient suscité pour empêcher le débarquement
de Mile ". Donn est devenu roi du sidh de Knokfierna et il
étend son pouvoir sur tous les génies de la plaine de Lime-
rick^. Un autre mort, fils du roi de Leinster Dunlang,
étend sa protection sur le clan de Bresal Brecc, et le
roi d'Irlande Loegaire fait de même pour son propre
clan, celui des Mac Néill ou Hûi Néill de Meath ^
1. Elle habitait le roc Craglea sur le flanc dune montagne près de
Kiilaloe. Une fontaine voisine se nomme toujours Tobereevil, source
d'Aibell. Mais depuis qu'on a coupé le bois. Aibell erre sans pouvoir
retrouver son sidh. Joyce, op. cit., I, p. 263 s.
2. H. d'Arbois de Jubainville, Cycle mythologique, p. 258 s.
3. Joyce, op. cit., I, p, 262.
4. Dinnsenchas de Tara, dans Rev. Celtique, XV, p. 281, trad. p. 284;
Tirechân, p. 308.
SAINT PATRICK EST UN HÉROS 217
IV. Inversement les morts individualisés jouent le rôle
de dieux. Ainsi les dieux irlandais de toute espèce sont
représentés comme des morts restés actifs.
Par li\ m^me ils se confondent avec ceux d'entre les
morts humains qui gardent leur individualité intacte. En
effet, ceux-ci continuent à vivre et fi agir après leur mort.
Leur puissance s'est môme considérablement accrue.
Le cadavre du roi Dalhi, frappé parla foudre au pied des
Alpes, fait gagner neuf batailles sur mer et dix sur terre
à ceux qui le rapportent en Irlande ^
Le corps du roi de Connaught Eoghan Bel, qui a été
enterré debout à la frontière, suscite une terreur panique
dans les troupes ulates, chaque fois qu'elles s'avisent d'en-
vahir la province. Les gens d'Ulster sont enfin obligés
de déterrer le corps, de le transporter chez eux et de l'y
enterrer de nouveau, mais la tête en bas'.
Le roi d'Irlande Loegaire et le fils de Dunlang sont
enterrés tous deux de la môme manière, l'un à Tara et
l'autre à Maistiu en Leinster. Ils étaient leur vie durant
deux ennemis mortels. Après leur mort ils se font face
« dans la posture d'hommes qui combattent » et ils con-
tinuent la lutte plus acharnée encore qu'auparavant ^
Les dieux et les .morts individualisés sont des héros.
— Mais que sont donc ces dieux morts et ces morts humains
dont l'activité persiste dans leur tombeau sinon des héros .^
Ils le sont d'abord par leur caractère de morts, et par la
nature de leur mort. En effet, la mort violente et la mort
1. ODonovan, Tribes and cusloms of Ily Fiachrach, p. 23.
2.0'Donovan, Hy Fiachrach, p. 472 ; Silva Gadelica, II, p. 52.
3. Tlrechân, p. 308. Loegaire se fait enterrer ainsi par ordre de son
père, le roi Niall. — Dinnsenchas de Tara loc. cit. : Loegaire est
debout combattant contre le Leinster c'est-à-dire contre le clan de
Brcsal Brecc.
218 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
rituelle sont les formes par excellence héroïques de la mort.
Ils le sont de môme par le fait de leur vie posthume indé-
pendante. On a vu que leur mort équivalait à l'entrée
rituelle d'un vivant dans l'Autre-Monde, ce qui est le fait
des héros. Les navigateurs errants et les initiés sont aussi
des héros pour la môme raison.
Le caractère héroïque de tous ces personnages est déter-
miné encore par leur nature ù la fois divine et humaine.
Les hommes morts sont des dieux incarnés et les dieux sont
des morts divinisés. La confusion des morts et des dieux
en Irlande a pour conséquence nécessaire que ceux des
morts dont la personnalité persiste, et ceux des dieux, qui
sont conçus à leur image, sont des héros.
Enfin, on verra que ce sont des héros de par la nature
des liens qui les unissent à la société humaine.
I. Ils sont des champions. Les morts en question sont
les protecteurs et les champions de leurs groupes.
Ils en sont les Dieux Termes. On reconnaît le tracé d'une
frontière de clans aux vieux arbres et aux tumulus héroï-
ques ^ Les textes juridiques irlandais obhgent de leur côté
les clans à jalonner les limites de leurs territoires empierres
d'adoration'^, c'est-à-dire de menhirs sacrés, et on sait que
des menhirs pareils sont considérés comme pierres funé-
raires de héros.
Les reliques de ces morts triomphent des ennemis. On
l'a vu en ce qui concerne Eoghan Bel et les autres morts
dont nous avons parlé en même temps que de lui^ Un
1. Ane. Lau's, IV, p. 142.
2. Ajic. Laves, loc. cit., et IV, p. 6, 1. 12; p. 8, 1. 6 ; p. 18, 1. 1. —
Sayias Cor maie, éd. Kuno Meyer, p. 55, s. v. Gall : on n'est voisin
que lorsqu'on a érigé des menhirs à la limite du territoire. — Cf. Coi»'
Anmann, éd. Whitley Stokes, Iriscke Texte, 111, p. 293.
3. Loegaire, le flls de Dunlang et Dathi. Cf. plus haut.
SAINT PATRICK EST UN HÉROS 219
morceau épique, la Mort de Conall Cernach, raconte que
les Ulates recommenceront à être victorieux lorsqu'ils
auront reconquis le crâne de Conall, qui est conservé
dans la forteresse royale de Cruachan en Connaughl'.
Les héros morts ne font que continuer ainsi ce qu'ils
ont fait leur vie durant. Ils ont été au cours de leur vie
mortelle les champions de leur clan ou de leur province.
Encore enfant, Cùchulainn délivre sa province natale de
trois ennemis redoutables, les Mac Nechta, qui dévabtaicnt
les frontières. Devenu iiomme il arrête seul pendant trois
mois les troupes de l'Irlande entière coalisées contre
r Lister. Au moyen d'une conjuration magique il les
avait obligées à attendre, tant qu'un champion capable
de le vaincre en combat singuher ne lui aurait pas été
opposé ^.
C'est à des duels entre héros qu'aboutit la rivalité tri-
bales. Ainsi dans YHistoire du Porc de Mac Datho voit-on
les guerriers de deu.\ royaumes rivau.x, l'Ulster et le Con-
naught, se livrer à une véritable chasse à l'homme les uns
contre les autres *. Les Mac-Nechta se vantent d'avoir tué
autant de héros ulates qu'il en reste en vie, et Conall
Cernach déclare qu'il a rarement dormi une nuit sans
appuyer sa lôte sur la tôte coupée d'un homme du
Gonnaught '.
1. Goire Conaill Chernaig i Cruachain, éd. Kuno Meyerdans Zfï. fur
Cellische Philologie, I. 1897, p. 106 (Irad. p. lO'J).
i. Tain B6 Cùalnge, p. 146 ss. (Macgnimrada).
3. Ibid., à partir du chap. i.x de i"éd. Windisch.
i. Scél Muvci Mic-Datho, éd. Kuno Meyer dans Hibernica Minora;
éd. Windisch, sans Irad.. Irische Texte, I, p. 96 ss. ; Irad. Louis Duvau,
sur le texte de M. Windisch dans Épopée celtique, p. 66 ss.
5. Duvau, lac. cil. p. 77. Cf. la phrase citée par M. Kuno Meyer,
Hibernica Minora, p. 6:2 n. 2 où il y a /"o a glûn « sous son genou ».
Cf. Keating. éd. O'Mahony, p. 530 : Les guerriers du roi Fiann lui
apportent la tête de Corniac roi d<^ Munster, en lui disant de la mettre
sous sa cuisse. C'est un moyen d'humilier le tué.
220 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Ce sont bien des champions. Leur caractère est nicme
officiel. Ils agissent au nom de leur groupe entier.
Ainsi un guerrier ulale est toujours posté à la passe du
Sliab Fuait avec mission de livrer bataille fi tout venant
« pour la province » d'IJlster*. Les frontières des clans sont
gardées par des menhirs, sur lesquels une inscrij)tion ogha-
mique défend à tout étranger de pénétrer dans le territoire
sans avoir soutenu un combat singulier contre un cham-
pion du clan^ Les textes juridiques et historiques nous
apprennent que dans chaque tribu irlandaise un guerrier
de rang élevé était officiellement chargé de relever tous
les défis venant du dehors et de venger toutes les offenses
faites au roi ou à l'ensemble de la tribu ^
Ainsi la sécurité et l'honneur du clan ou de la province
sont confiés aux héros. Ils sont en fait les représentants de
leurs groupes.
II. Le groupe se voit en eux. — Il s'incarne en eux.
Leur gloire est la sienne.
Lorsque Cùchulainn, par exemple, tue les Mac Nechta,
c'est pour venger l'honneur de l'Ulster. Les vanteries
de Gonall Cernach ont pour conséquence de faire attribuer
aux Ulates, de préférence aux hommes de Connanght, les
morceaux de choix d'un festin qui réunit les guerriers des
deux provinces*.
Mais ce n'est pas de la seule gloire des armes que les
1. Tuin Bô Cùalncje, p. 138, s., 1. 1149 ss.
2. Ibid., p. 68, 1. 564 s., cf.. p. 72 \. 598 ss. ; p. 148, I. 1230 ss. Lobli-
galion de répondre à un défi en cette forme s'appelle fir, « vérité ».
3. Ancient Laivs of Ireland, IV, p. 322; cf. O'Curry, Manners and
Cuslotns, II, p. 365. Le guerrier en question s'appelait aire ecla, « chef
de l'exploit » ou « du meurtre ». Cf. Windisch, Irische Texte, I; Wôr-
terbuch, au mot echl.
4. Scélmucci Mic-Datho, éd. Windisch, §§ 15 et 16.
SAINT PATRICK EST UN HÉROS 221
clans sont redevables à leurs héros. C'est du bon renom
dans la plus large acception du mot.
Ainsi les sentinelles postées au.x frontières ont pour mis-
sion de protéger les poètes et les hommes d'art qui se
rendent auprès des rois. A ceux qui reviennent mécontents
de l'accuoil reçu, ces guerriers offrent des présents, afm
que « l'honneur de la province » soit sauf.
Tous les héros irlandais sont d'ailleurs des rois, ou bien
des fonctionnaires de la maison royale ^ Ce sont les repré-
sentants attitrés des clans.
III. — Ils incarnent tin idéal nioinil. — Enfin les héros
réunissent un ensemble de qualités qui en font des types
idéaux, des modèles i\ imiter.
Ils sont généreux et hospitaliers ^ Les guerriers ne se
préoccupent que de gloire '*.
Ils sont chevaleresques les uns envers les autres. Leurs
combats ont lieu suivant les règles d'une étiquette^ La
Tàin B6 Cûctlnge donne Ciichulainn en exemple, parce
que jamais ce héros ne tuait les hommes désarmés, ni les
cochers et qu'il ne dépouillait pas ses adversaires*.
Les héros sont tous d'une beauté accomplie ^ Mais ils
\. Tain B6 Cùalnge, p. 140.
2. Cf. Toichim na m-buiden, dans la Tàin, p. 710 ss. ; Dresslech
Maige Mairlhemne, ibid., p. 382 ss. (lisle des tués) et p. 386, 1. 269'J.
3. Cf. par exemple Naissance et règne de Conchobar, dans Épopée cel-
tique, p. 8 s.
4. Le sujet de la Fled Bricrend, éd. Windisch, dans Irische Texte. I,
est la concurrence entre les trois meilleurs guerriers ulales pour être
glorifiés du curadmir (part du héros) au.x festins et de la préséance sur
tous les hommes de la cour royale. Comme .\chillc, Cûchulainn a préféré
la gloire à une vie longue mais terne : Macgnivirada, Tain, p. 130 ss.
5. Cf. Windisch, Préface à l'éd. de la Tâin, p. XXXIV s. qui conclut
0 dann aber liegt uns in der altirischen Sage eine Vorslufe zum mittel-
alterlichen Ritterlum vor «.
G. Tdin, p. 174. I. 14IG ss. p. 84, 1. 686 ss.
7. Ibid., p. 394 ; Aided Conchobair .Aditts 0'Curry,3f55. Mal., Irad. franc.
222 SAINT PATRICK ET \.E CULTK DKI. UKROS
sont en môme temps glorifiés pour l'aspect terrifiant qu'ils
prennent aux yeux de leurs ennemis ^
L'agilité et la force des guerriers n'ont naturellement
d'égal que leur courage -. Un passage de la Tàin B6 Cùalrujt
est entièrement consacré à la louange des tours de forces
divers et nombreux que savait faire Cûchulainn^.
Ceux des héros qui sont poètes ou musiciens possèdent
le don de la parole à un degré inconnu des vivants. Les
juges légendaires, auxquels remontent tous les préceptes de
droit et qu'on doit ranger dans la catégorie des héros civi-
lisateurs, sont infaillibles. La préface du Senchns Môr dit
qu'ils étaient inspirés par le Saint-Esprit*.
Les médecins héroïques sont de même des types profes-
sionnels accomplis. Ainsi Fingin, médecin du roi Con-
chobar, établissait son diagnostic rien qu'en entendant le
soupir d'un malade ou en regardant la fumée de sa maison.
11 lui suffisait de jeter un coup d'œil sur le sang qui sor-
tait d'une blessure pour reconnaître l'auteur de celle-ci'.
En somme, partout où les héros apparaissent, ils sont
Épopée Celtique, p. 370; Bev. Celt., XV. p. 295 : Les guerriers vont
parader devant les femmes, les jeunes filles et les poètes pour leur
permettre de conJempler leur beauté, Tâin, p. 38 ss.. Cf. Introduction
de Windisch, ibid., p. xxvii.
1. Sanas Cormaic, p. 2, s. v. Ascalh: cf. dans Tàin, p. 370 ss. les
transformations de Cûchulainn avant le massacre de Mag Muirlhemne.
— L'ardeur des héros est telle qu'ils doivent se rouler dans la neige,
ibid., p. 216. L'eau de leur bain devient bouillante, ibid., p. 166 s.
2. Les héros massacrent des armées entières : ibid., Biesslech Maige
Muirlhemne et p. 728. 1. 5136 ss. — Cf. d'Arbois de Jubainville, Court
de littérature celtique, VI : comparaisons avec les héros grecs, en par-
ticulier avec ceux de l'Iliade.
3. Cf. dans Tain, p. 278 ss.
4. Ane. Laws, I, p. 25 ss. — Plusieurs sont avertis par des ulcères
qui paraissent sur leur visage qu'ils vont commettre une erreur. — Ibid,
Cf. plus haut le collier de Morann.
0. Tàin, p. 610 ss., et p. 794 1. 5507 ss. Fingin est un fàth-liaig, « pro-
phète-médecin ». — Quant à Miach il prononce une incantation sur une
main coupée : celle-ci s'ajuste au moignon et redevient vivante. Cath
Maighe Tured, § 34. — Il est vrai que Miach est un dieu.
SAINT PATRICK EST UN HÉROS 223
l'incarnation j)arfaile de toutes les valeurs morales. Et plus
ils sont tj^i'ands ol célèbres, plus ils sont clignes d'être
pris pour modèles. Cuchulainn et Finn, les héros cen-
traux des deux grands cycles irlandais, surpassent à ce
point de vue tous les autres personnages de l'épopée. Ainsi
les héros irlandais réalisent un type analogue aux héros
grecs et qui a en même temps les traits de ce que le lan-
gage courant appelle héros. Ce que nous venons de montrer
pour la généralité des dieux et des morts illustres qui sont
objets d'un culte, vaut pour ceux dont le culte est l'objet
des fêtes et qui ont illustré aux dates de fêtes soit leur vie
divine, soit leur vie humaine.
Saint Patrick est un héros du même type que les héros
IRLANDAIS. — Ce que nous venons de dire s'applique éga-
lement à saint Patrick. Il est un héros, et pour les raisons
que nous avons énumérées dans les chapitres précédents,
et pour ce qu'il a de semblable aux génies et aux morts,
dont nous avons vu qu'ils sont des héros.
La parenté de type et de fonctions est plus complète encore
entre notre saint et les héros païens. Il a les mêmes rap-
ports avec les choses et les groupes que les héros irlandais.
I. Caractère héroïque des saints irlandais en général.
Ce sont des protecteurs et des chamjnons. — Il en est de
même des autres saints irlandais. L'élude de ceux-ci nous
permettra de donner plus de relief à ce que nous dirons de
saint Patrick.
Les saints irlandais ne sont pas seulement les patrons
des groupes, au sens chrétien. Ils en sont les représentants
et les champions.
Remarquons d'abord que ce sont des saints mihtants.
Ils sont les guerriers de Dieu vainqueur des démons. Les
224 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
légendes hagiographiques sont remplies de leurs luttes
incessantes contre les druides, les méchants chefs et les
esprits malins.
Le caractère combatif des saints irlandais se manifeste
dans leur culte. Leurs reliques corporelles y tiennent moins
de place que leurs bâtons et leurs sonnettes*. C'est que ce
sont les armes des saints dans leurs luttes contre le démon.
Leurs bâtons sont des bâtons pareils à celui de saint
Patrick. Ils en frappent les démons. Quant aux sonnettes
elles servent d'instruments dans les malédictions. Les
saints les agitent dans la direction des hommes ou des
lieux qu'ils maudissent. Aucun mauvais esprit n'en peut
supporter le son^.
Aussi ces champions de Dieu ont-il hérité du rôle social
des héros.
Ils sont les patrons des clans et des royaumes, comme
saint Ailbe, qui est patron du Munster, saint Declan celui
des Déisi, saint Columcille celui des Hûi Néill, saint
Finnian de Mag Bile celui d'Uladh, sainte Brigit qui est
la patronne du Leinster et saint Comgall qui protège les
hommes de Dal-Riada^
Mais ils en sont en même temps les champions tempo-
rels.
Son bâton en main, saint Finnchua de Brigown inflige
une défaite aux Ulates qui avaient envahi le Munster. Les
Hûi Maine font précéder leurs armées par le bâton de leur
1. Giraldus Cambrensis, Topogr. Hibeni., III, cap. 33, éd. citée,
j). 179. — On prête serment sur ces bâtons et sonnettes plus que sur
l'Évangile. 11 en est de même en Ecosse et dans le pays de Galles.
2. Sonnettes employées pendant les malédictions : 0"Donovan, The
Baltle of Mag-Rath (Ir. Archseol. Soc), p. 39, note o; Death of Muir-
cerlach mac Erca, loc. cit., p. 402 s. ; Silva Gadelica, II, p. 45. p. 82.
— Saint Patrick chasse les démons en agitant sa sonnette sur le Mont
Aigle : Vita Vl", auclore Jocelino.
3. Sallair na Rann, éd. Whitley Stokes. Fragment de la Vie de saint
Declan, Thésaurus Palaeohibernicus II, p. 297. — Cf. chap. suivant.
SAINT PATRICK EST UN HKROS 225
palron. saint Ciicllan. Les Conmaicne font de môme avec
le bAlon de saint Caillin do Fenagh. Et les O'Donnell font
porter autour de leurs troupes prùtcs à la bataille un livre
qu'on appelle cathach ou prœlialor et qui passait pour
avoir été copié par Columcille *.
Comme les héros encore, les saints font office de dieux
Termes.
Les limites des propriétés ecclésiastiques sont marquées
en Irlande par des hautes croix en pierre dont chacune est
placée sous l'invocation d'un saint. Les tertres sur lesquels
sont érigées ces croix jouissent du droit d'asile'. La haute
croix irlandaise dérive du menhir. A l'origine elle n'était
qu'un menhir gravé d'une croix'. Or, les memhirs sont,
on Ta vu, des pierres funéraires héroïques.
Saints patkons des lieux et des choses. — Les saints
se sont d'autre part substitués aux héros comme dieux
locaux et comme dieux des choses.
Beaucoup sont enterrés dans des sidh, ou bien ont vécu
en ermites dans des lieux hantés, dont ils sont devenus
depuis les patrons.
Un cas de pareille succession est très nettement repré-
senté dans la légende de sainte Feber*. L'endroit où elle
construisit son oratoire, auprès d'une source sacrée, lui
avait été indiqué par un cerf, qui lui était apparu dans un
1. Whitley Stokes. Lives of SS. from Ihe Book of Lismore, II. p. 240 :
Hcnnessy. Book of Fenagh, p. 195 ss. ; ODonovan, The Baille of Mag
Balh, p. 447 note" ; le môme, Ïly-Many, p. 81. — Il ressort du lexte du
B. of Fenagh que saint Caillin n'a Iaiss6 aux Conmaicne qu'un modèle
du bâton avec sa bénédiction. On en faisait un neuf à chaque occasion
en observant certains rites.
2. Miss Margaret Stokes, The high crosses of CasUedermot and Durrow,
Intr., p. IX ; Pétrie, op. cil, p. 59, cite un canon sur les croix-bornes.
3. Miss Stokes op. cil., et Allen, Early Christian Art.
4. Chez Borlase, III, p. 909.
CzARNOWSKI. 45
22G SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉllOS
lieu hanlé par les démons. Ce cerf est évidemment
un dieu de sidh, le dieu local de la fontaine de sainte
Feber, qui a volontairement succédé sa place à la patronne
chrétienne.
D'autres saints se sont substitués aux héros enterrés
sous les carn. Ainsi saint Domongart repose sous un mo-
nument pareil, qui était autrefois attribué au héros Slanga
et il a succédé à celui-ci comme éponyme local. La montagne
sur laquelle s'élève le carn, et qui se nommait jadis Sliab
Slanga, s'appelle aujourd'hui Sliab Domongairt.
Les esprits des arbres sacrés ont dû de môme céder leur
place à des saints. L'if Eo Rosa, par exemple, qui est un
des arbres divins dont la graine provient de l'Arbre de Vie,
abrite aujourd'hui l'oratoire de saint Moling et est dédié à
ce saint*.
On a placé pareillement sous l'invocation des saints,
nombre d'anciennes pierres sacrées', qui étaient autrefois
les pierres des dieux ou des héros. Parfois même l'ancien
dieu survit déguisé en saint, comme il en est, par exemple,
dans le cas d'un dolmen, Leaba-Mologa, qui est censé
être l'ermitage d'un saint Mologa. En effet, ce saint n'est
qu'un avatar de Lug. Le nom du dieu précédé du préfixe
mo, entre dans la composition du nom du dolmen, de
sorte que Leaba Mologa signifie en réalité Lit de « mon »
Lug et non de saint MologaK
Les fontaines dédiées aux saints sont innombrables.
Citons seulement entre les plus célèbres celles de saint
Senan en Clare, de saint Ciaran près de Kells, de sainte
Atrachta en Hûi Maine. D'autres saints sont patrons de
1. O'Curry, Catli Muighe Léana, p. 96, note.
2. Exemples dans Wood-Martin, Traces of elder faiths in Ireland.
3. Borlasc, I, p. 8 ; II, p. 038; III, p. 768 s.. Cf. Loth, Rev. Celtique.
XXIX, p. ^'28 ; Plummer, Vilœ Sanctomm liiberniœ, I, p. lxxiv, p. xc ;
pp. CXLIX.. CLU.
SAINT PATRICK KST UN HÉROS 227
lacs'. Dans ces fontaines et ces lacs vivent des truites
sacrées, auxquelles on jette des offrandes aux jours des
fêtes patronales. Or, des truites sacrées étaient vénérées
dans les fontaines sacrées du paganisme et elles corres-
pondent aux truites de la fontaine de Mag Mell. On voit
donc qu'ici encore les saints patronnent un culte qui a son
origine dans le paganisme irlandais.
Ainsi les saints irlandais sont les héritiers des héros dans
leurs rapports avec les groupes et les choses et ils sont
eux-mêmes des héros.
il. Saint Patrick joue le même rôle que les autres
saints irlandais et les héros. — Il en est de même de
saint Patrick.
Lui aussi s'est substitué à des héros locaux.
11 a pris la place de la fée Mâcha comme patron de
la colline d'Armagh. Mâcha, divinité éponyme d'Armagh,
ou Ardmacha, était, on le sait, une déesse mère et une
fée. Or l'autel de la cathédrale d'Armagh qui a été de tous
temps dédiée à Patrick s'élève à l'endroit même où l'apôtre
a trouvé une biche avec son faon-, c'est-à-dire, des ani-
maux dont les génies des sidh revêtent habituellement l'as-
pect •.
Patrick est encore le patron d'innombrables monuments
mégalithiques, de carn et de tumulus, disséminés dans l'Ir-
1. Wood-Martin, op. cit., II, p. 97; p. 110 ; Joyce, I, p. 630; cf. Wood-
Martin, Index, Holy Wells.
i. .Muirchu, p. i'Ji.
3. William Reeves, The ancient churches of Armagh (brochure), Du-
blin ; Fallow, Cathedral churches of Iveland, Dublin, p. 3 ss. — Muirchu
dit que saint Patrick transporta le faon dans ses bras sur la colline
voisine. Or une légende récente veut que la cathédrale catholique
actuelle, sous l'invocation de saint Patrick, soit construite à l'endroit
même oi'i l'apAlre déposa son fardeau. Saint Patrick avait ainsi prévu
la spoliation des catholiques au profit des protestants et indiqué l'em-
placement de son église future.
228 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
lande entière *. C'est lui qui a mis des truites sacrées dans
la fontaine d'Achad Fobuir en Mayo". Beaucoup d'autres
fontaines lui sont dédiées^ ou bien ont été dédiées par lui
à Dieu.
Or il s'agit ici encore de substitution à une divinité
païenne. En effet, le nom que portent généralement ces
fontaines, Tobereendoney, dérive en réalité non de Tober
R'igh an Bomnach (Fontaine du Roi du Dimanche), ainsi
qu'on le croit, mais de Tober Ri g h an Domuin, c'est-à-dire
« Fontaine du Roi de l'Abîme ». On doit rapprocher de ce
nom celui de Do?nnii^ la déesse des Fir Domnann et des
Fomoré*.
D'autre part saint Patrick s'est substitué aux dieux anciens
des eaux en les faisant mourir ou bien en les chassant à
tout jamais hors d'Irlande \
Saint Patrick est encore un champion, le champion par
excellence de la Foi en Irlande. Sa vie entière n'est qu'un
1. Borlase, HI. p. 776 : à Ballygaddy (Galway) deux carn sacrés sont
dits Leachla Phadruig, « lits, tombeaux de Patrick », l'un distingué
par le nom Altoir Phadruig ; ibid. Togher Patrick « siège de P. » au
pied du Croagh Patrick (dit aussi Leachl Benain ou de Benignus) : Dinn-
senchas de Brugh, Bev. Celt., XV.. p. 292, p. 2'J3 : on y montre un mo-
nument dit Ferla Patraic. Autrefois on le nommait tombeau d'Esclam,
juge du dieu Dagda. — Cf. encore Borlase, II, p. 5§4 et passim ; Wood-
Martin, op. cit., passim.
2. Triparlite, p. H2, p. dl3. Des anges habitent avec les truites. Cf.
aussi Homélie du Lebar Brecc, loc. cit., p. 478, p. 479. — Achad-Fobuir,
act. Aghagower, bar. Murrisk, Mayo.
3. Ex. Triparlite, p. 76 s., p. 77 s. : fontaine de saint Patrick à Tech
Laissrenn en Meath. Le tombeau de sainte Bice est auprès de la fon-
taine. — Ibid., p. 92, p. 93 : dans Mag Slecht. — Cf. Wood-Martin,
op. cit.
4. Borlase, III, p. 771, auquel nous empruntons l'étymologie de To-
bereendoney. L'auteur suggère le rapprochement de dornuin et de
Domnu.
5. Joyce, Soc. Hisl., II, p. 514 s. — Le thème du dragon lacustre vaincu
par saint Patrick n'apparaît pas dans les Vies anciennes. Mais il est
très répandu dans lé folk-lore local des lacs. Cf. aussi Giraldus Cam-
brensis, op. cit., p. 180; expulsion des reptiles, lesquels, on le sait, sont
souvent l'incarnation de dieux des eaux,
SAINT PATRICK EST UN HÉROS 229
long* combat contre les druides. C'est comme champion que
le célèbrent les plus anciens hymnes, par exemple la Prière
de Ninine\ Quant aux exemples des combats qu'il soutient
on en a vu trop au cours de ce travail pour qu'il soit encore
nécessaire d'en citer encore.
Saint Patrick est enfin le protecteur des tribus et des
clans irlandais. II les a tous convertis lui-môme, sauf uni-
quement les clans de l'extrôme Sud. Les forteresses royales
sont protégées par sa bénédiction ^
On en est arrivé à employer son nom comme synonyme
de patron et d'apâtre. Ainsi un vieux poème irlandais dit
que « l'humble Ailbe est le Patrick de Munster » et
« Declan est le Patrick des Déisi^ ». Ce n'est sans doute
que dans la rhétorique. Mais elle n'en indique pas moins
que notre saint était représenté comme le parfait patron, le
modèle des héros chrétiens.
1. Thésaurus Palaeohibemicus, II, p. 322.
2. Ex. des conversions de clans dans Tirechàn, passim, et Triparlile,
passim. — Cf. chap. suivant. — Ex. de forteresses : Dûn Sobairche,
auj. Dunseverick, Antrim, où il y a aussi une source de saint Patrick :
Vie Triparlile, p. 162, p. 163.
3. Ita scotice cantatur ille uersus : Ailbe umal Pairie Muman... De-
clan Patrie na nDéise Thésaurus Palaeohibemicus, II, p. 207.
CHAPITRE VI
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L'IRLANDE
ET SON INFLUENCE SUR LA FORME DU CULTE
Ainsi les dieux irlandais prennent en général la forme
héroïque, c'est-à-dire qu'ils sont représentés comme
ancêtres, précurseurs et types de la société qui les adore.
Les traits de leur caractère héroïque sont perpétués par
saint Patrick.
Si nous trouvons la raison de ce tour particulier, qu'a
pris l'évoluiion des figures divines en Irlande, nous aurons
expliqué du môme coup pourquoi les saints irlandais, et
saint Patrick en particulier, ont pris la môme figure, à
supposer toutefois que la société irlandaise n'ait pas changé
dans sa forme fondamentale au passage du paganisme au
christianisme.
Cette raison nous est donnée par la constitution de la
société gùidéHque. Elle est telle, que le culte à tous les
degrés n'a pu ôtre qu'un culte gentilicc, dans lequel s'ex-
prime l'idée de la parenté comme base de la société, comme
origine des liens sociaux.
Le (iROUPE FONDAMENTAL DE LA SOCIÉTÉ EST LA TUATH.
DÉFINITION. — Le groupe fondamental de la société irlan-
daise est la tûath, le peuple *.
1. Tùalh ■=. populus, Zeuss, Grammalica Cellica, éd. Ebel, p. 34jj, —
232 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Elle se gouverne elle-même. A sa tête est un chef hérédi-
taire qui porte le titre de roi, en irlandais ri^. L'assemblée
des hommes libres, des féne, décide de toutes les affaires
en dernière instance^.
Au point de vue politique la tûat/i est entièrement indé-
pendante. En effet, les tûatha font la guerre et concluent
des alliances pour leur propre compte ^
Il en est de môme au point de vue militaire. Dans les
grandes expéditions qu'entreprennent les rois des provinces,
les guerriers de chaque tûath marchent et campent à part
sous la conduite de leur propre chef. Dans les batailles la
tûath est l'unité de combat *.
La tûath est aussi un groupe religieux. Elle a des dieux
particuliers qui sont invoqués dans une formule familière
du serment^ et des assemblées périodiques qui lui sont
Cf. d'Arbois de Jubainville dans Rev. CelL, I, p. 45.3 s. : Tirlandais tûath,
breton-armoricain tud, « peuple », comique tus « peuple » viennent
d'un primitif 'tota, 'louta, *teuta, dérivé de la racine lu « grandir »,
« croître ». Le thème 'leula est identique au mot osque-sabin touta,
tota — « cité ». Le nom du dieu gaulois Tentâtes en est dérivé. — En
gotique on a thiuda — « peuple», vieux-haut allemand diota, d'où deutsch .
i. Cf. ri tùaithe dans Ane. Laws, VI. Glossaire; Senchus Môr, I, p. o4 :
(( Il y a dans chaque tûath quatre dignitaires susceptibles d'être dé-
posés : le roi qui prononce des sentences fausses... »
2. Cf. ^nc. Laws, Glossaire, s. x.féine. — Le droit irlandais est la « loi
des féne », Fénechas, Dlighte Féine : Ane. Laws, I. p. 116, p 118; III,
p. 224; VI, Glossaire, s. v. Feinechas. — Cf. d'Arbois de Jubainville, Les
assemblées irlandaises.
3. Cf. par exemple Tucait indarba na n-Déisi, éd. Kuno Meyer, dans
Anecdota from Irish Mss., I, Halle a. S. 1908. — La guerre est l'état normal
des relations entre tûatha voisines. Chaque jeune homme promu au rang
de guerrier prouve sa valeur en accomplissant un meurtre ou bien en
razziant du bétail dans le territoire voisin. Cf. Tàin Bô Cûalnge, Mac-
gnimrada. — Un état de choses identique régnait entre les clans écos-
sais. Cf. Alexander Gonrady, Geschichle der Clanverfassung in den schot-
tischen Hochlanden — Leipzig 18D8 {Leipziger Studien aus dem Gebiet
der Geschichle, V. Bd., I. Heft.), p. 19.
4. Tdin Bô Cûalnge, p. 21 ss. ; p. 51 ss. ; cf. p. 55. 1. 446 ; p. 79 ; p. 701 ;
p. 731 ss. : p. 823. L'armée d'Ailill et de Medb compte dix-huit corps de
troupes qui sont autant de tricha cél. Sur l'identité de tricha cet et lùath
cf. plus loin, p. 249 s.
5. Tàin Bô Cùalnge, p. 861, note 2 : longu do dia loingeas mo tûath.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE l'iRLANDE 233
propres. Lors des g-randes solennités des provinces les
hommes de chaque tûath campent ensemble, ils tiennent
des conseils particuliers et ils luttent entre eux dans les
concours athlétiques '.
Les membres de tûatha différentes sont presque des
étrangers les uns pour les autres. En effet, des rapports de
droit civil n'existent qu'entre hommes appartenant à la
môme tûath.
On le voit par les textes juridiques irlandais qui concer-
nent les délais de saisie. La saisie du bétail est en Irlande
un acte personnel, par lequel le demandeur dans une
affaire civile force son adversaire à comparaître devant un
arbitre, et comme il n'existe point de tribunaux qui puis-
sent citer le défendeur de leur propre autorité, la saisie est
la seule forme reconnue de la procédure. Elle doit être
précédée d'un commandement.
Or des cas de saisie opérée dans une tûath voisine ne
sont prévus que dans les textes juridiques dont la rédac-
tion remonte certainement à une date relativement ré-
cente. Un délai de dix jours francs y doit séparer la saisie
du commandement, tandis que le droit irlandais primitif,
celui qui est consigné dans la partie la plus ancienne du
Senchus Mùi\ ne connaît que la saisie immédiate^ De plus,
« je jure au dieu (auquel) jure ma tùalh » ; p. 747, n. 5 : « tongu do dia
toinges mo tùalh em », or Fergus. — Whitley Stokes, Cuchulainn's Death,
Rev. Celtique, 111, p. 17.o : « tongu dodia atonges mothuath » or Ldech « je
prête serment par le dieu (par lequel) prête serment ma tùatli », dit
Loeg. — Cf. Scél Mucci Maic-Dathô, éd. Windisch, Jrische Texte, I,
§lt). — La formule est si souvent répétée que les copistes se contentent
parfois d'écrire tongu ocus ri., ar NN. « Je prête serment etc. ». dit NN.
— Il y a des variantes : tongu do dia toingthe hUlaid (le dieu auquel
prêtent serment les (Jlates). Tàin, p. 880 noie 1. — Tongu-sa na dé da
nadraim « je jure au.x dieux que j'adore », Tàin, 1. 1868.
1. Aenach Carmain, dans O'Curry. Mann, and Customs, lac. cit. —
Cf. la disposition des places dans la salle de festin à Tara, fragment
publié par O'Curry, op. cit., II, p. 16.
2. D'Arbois de Jubainville, Résumé d'un cours de droit irlandais,
234 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
les cas en question sont nettement dislinc^ués des cas nor-
maux, comme se produisant entre tûatha^ . C'est du droit
des gens qu'ils relèvent.
Du CARACTÈRE DE LA TÛATH. LeS NOMS DES TÙATHA SONT
DES NOMS GENTiLiCES. — Lc lien qui unit les membres de
la tùath est un lien de parenté.
Ce sont des gens « nourris du même lait »^, imbleogan.
Ils forment une race, cenél^ une postérité, clann^.
L'ensemble des membres d'une tùath est désigné par un
nom collectif qui a la forme d'un nom gentilice. Ce sont
tantôt des noms propres au nominatif pluriel, comme
Coîialli, Érna, Ciarrichi'' et qui sont ainsi parallèles aux
désignations des gentes romaines comme Cornelii, Fabii,
Valerii — tantôt ce sont des substanlifts collectifs dérivés
i" semestre, Paris 1888, p. 18 s. — Les passages plus récents du Sen-
chus Môr accordent un délai de trois jours à l'intérieur de la tùath et
treize jours pour la saisie opérée dans une tùath étrangère. — Il est
probable que la saisie en dehors de la tùath est une innovation. Nous
ne voyons pas, en effet, quelle juridiction pourrait assurer la régularité
de l'opération chez un voisin qui est indépendant et presque toujours
un ennemi.
1. Senchus Môr, dans Ancient Laws, l, 244 s.
2. Cf. imbleogan dans Ane. Laws, VI, Glossaire.
3. Cf. Kuno Meyer, Contributions to Irish lexicorjraphy, s. vv. Pour des
exemples des mots clann et ceiiét employés dans le sens de tùath cf.
0' Donovan, Hy Fiachrach et Uy Many, passim. — Cf. Tàin Bô Cùalnge,
p. .So, \. 452 s. : lotar forsin fecht frisna illùathaib ocus ilmacnib ocus
ilmilib dos-hertatar leo « (les troupes) allèrent en cette expédition
par tùalha, par générations et par « milles » et par nombres ».
4. Conalli Muirthemni, cf. Tàin, index : Geographische Samen; chez
Muirchu Conalnei. Ils occupaient la partie basse de factuel Comté de
Louth.MagMuirthemne. — Clarrichi, Ciarrighi, Ciarraighi : Additamenta
à Tlrcchân, loc. cit., II p. .337, aujourd'hui Kerry en Connaught. — Erna :
cf. plus loin. — Condiri : Bury, Saint Patrick, p. 162 : leur nom passa
au diocèse de Connor sur le Lough Neagh en Ulstcr. — Le nom de
Cùailnge aujourd'hui Coolcy. la région qui a donné son titre à la Tàin
paraît être aussi un nom de tùath. Cf. à ce propos Windisch, index
géographique à Tdin, s. v.. Jbid., étir Conailliu ocus Cûailngiu entre les
Conalli et Cùailnge (au génitif pluriel ?)
LA CONSTITUTION SOCIALE DE l'iRL.VNDE 23S
d'un nom propre de personne à l'aide du suffixe — acht^
par exemple, Eoganacht « l'ensemble des Eogan » ou les
a gens d'Eogan », un nom que les lettrés irlandais emploient
indiiïércmment avec Cenèl Eogain ou « Race d'Eogan*. »
Ou bien encore ils se composent du mot corcii, qui équi-
vaut au latin gcnus, suivi d'un génitif : Corcu Ochland,
Corcomrûadh' .
Enfin beaucoup do tùatha sont désignées par le nom
d'un ancêtre au génitif, précédé d'un mot qui indique la
filiation. Ainsi Mac Eachach signifie « fils d'Eocho », Hùi
Degaidh ou Clann Degaidh, « petits-fils » ou « postérité
de Degadh », Ccnél Conaill, « race de ConalP. »
La tûath a la forme D'vîiE familia. C'est une clientèle
PATRONALE. — La tûath est-elle donc une gens ?
Elle est une espèce de famille. C'est ce qui ressort de
son organisation intérieure, qui est une hiérarchie fondée à
la fois sur les liens de la parenté et sur celui de la clientèle
patronale*.
Le sol est en principe la propriété de la tûath entière*.
1. Sanas Cormaic, p. 44, s. v. Eoganacht : i. icht cenél. i. cenél l'ochin
o Eogan. — Cf. Arda Ciannaclita, une lùalh dans le sud de l'actuel
comté de Loulh. O'Donovan, Dook of Rigfits, p. 186, note.
2. Trip. Life, I p. 04. Les Corcu Ochland portaient le surnom de Corcu
Chonluaind « genus du fumier du chien ». Thésaurus Palœohibernicus,
H, Index des noms propres géograpiques. — Cf. ibid., Corcu Soi — Cor-
comrûadh, act. Corcomroe, comté Clare : Windisch, Tâin. p. 876 n. 4 et
877 1. 639. Cf. Imram Curaig Màiledùin, version du Livre jaune de Lecan,
strophe 14 : Anecdola from Msh Mss, L
3. Cf. encore Triparlite Life, II, p. 542 : a Cormac.de Chiaind Cher-
naig » (Clankarney, ; ib. p. 544 : « Felhgna. i. Seignech macc Nectain de
Claind Echdach u ; « Calhasach macc Robartaig hùi Moinaich de Chiaind
Suibrii ». — Thésaurus l'aLxohibernicus. H, p. 364, 1. 16 : « Conlae macc
Coilboth Domnach Combar la Cenél Fiachrach reges... »
4. Sur la question en général, Sumner Maine, Htslory of ancienl
Inslilulions, 187o. — Nisbeth, Land-lenure in Jrelund. Kdinburgh, 1887.
— Aïkinson, Ane. Laws, VI, Glossaire, s. vv. cleith, flâith. aire.
5. A l'époque historique il est partagé entre les familles nobles. Mais
236 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Une partie en est allouée au roi en apanage'. Le reste
constitue les domaines héréditaires des familles aristocra-
tiques qui représentent les branches collatérales de la
dynastie régnante'.
Ces possesseurs tiennent leurs droits de l'investiture
royale*. Le 77 tûaithe est obligé de donner des subsides
en biens meubles aux chefs de l'aristocratie territoriale, les
flàiihï" . Ceux-ci en retour composent la cour du roi. Ils
lui doivent le service de guerre et ils se partagent les
hautes fonctions publiques.
Le flàith est usufruitier d'une partie du domaine fami-
lial. Il peut l'exploiter à sa guise, par des tenanciers libres,
des serfs ou des esclaves^, Le reste est considéré comme
la trace de l'ancienne propriété collective est conservée dans un texte
où il est dit qu'avant le règne d'Aed Slâine il n'y avait pas de limites
de propriété en Irlande : Todd, Book of Hymns p. 132 ; cf. Comperl Con-
culaind dans Irische Texte I, p. 136, § 2. — Cf. à ce sujet Sumner Maine,
op. cit., p. 103. Les jurisconsultes irlandais favorisaient la propriété
individuelle. — Mais le droit éminent de la tûath est conservé dans le
droit d'investiture : le chef de famille reçoit des mains du roi la terre
que lui octroient ses parents en apanage : Senchus Môr II, p. 280 (com-
mentaire).
1. Ferann bùird, « terre de table ».
2. Sur leur parenté avec le roi, cf. les traités généalogiques publiés
par O'Donovan : Hy Fiachrach ; Hy Many et Geinealach Corcu Laidlie,
dans Miscellanea of llie Cellic Society, I.
3. Senchus Môr II, p. 280, commentaire : ... o ri tuailhe cia flailhius
deside ala ac flaith qelfine. i. tus naidbsena. a lus nurlabra, ocus toga
do rannaib,ocus sechtmad tire dibaidh na laimh... « du roi, car c'est de
lui que vient la seigneurie du chef de famille, c'est-à-dire (le droit) de mar-
cher le premier, et de parler le premier, et de choisir son lot et (la pos-
session de) la septième partie de l'apanage de la main (du roi ?) ».
4. Ibid. : Cumad rath do çjabur do cach duine isin tuaith o flaith gel fine,
ocus flaith gelfne do gabail ratha o ri tuaithe — « appropriée largesse
est reçue par chaque homme dans la tàath du seigneur de la gelfine.
Et le seigneur de la gelfine reçoit largesses du roi de la tùath ». — On
nommait aussi ces subsides tuaraslal ou taurcrec. Cf. 0' Donovan, Book
of Rights, passim.
5. Tenanciers libres : saer-céile ; tenanciers qui donnent un caution-
nement : daer céile ; serfs glebae adscripti : fudir. — Cf. ces mots dans
Ane. Laws. VI, Glossaire. Cf. Book of Rights, p. 222 : daer clanda et
saer clanda. Les premiers vivent sur la terre du roi et lui payent des
redevances.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L IRLANDE 237
tenurc héréditaire des membres de la famille, oîi celle-ci
est représentée par son chef.
Tout ce monde, aussi bien les tenanciers parents que les
tenanciers libres et les serfs, constitue la « famille »
juridique du flàith, sa fine^. C'est une organisation ana-
logue à la familia domestique romaine. Tous ses membres
payent au chef des redevances et en reçoivent des subsides
en bétail. Il leur doit aide et protection.
Les tenanciers directs du flàilk ont à leur tour des
familiœ de clients, dont la composition est la même en ce
qui concerne la parenté. Ils leur sous-louent leurs terres
et leur bétail. Les degrés de clientèle continuent ainsi à
descendre jusqu'aux simples midboth^ roturiers, qui n'ont
plus de bétail à louer".
Ainsi la lûath présente l'aspect d'une vaste famille de
nobles avec des clients, qui comprend plusieurs degrés
hiérarchiques et plusieurs branches.
Caractère familial de la tûath. — Mais le lien, qui unit
les membres de la tûath à leur roi et, par conséquent, les
uns aux autres, est encore plus intime. Ce n'est pas seule-
ment leur patron qu'ils voient dans le roi, c'est bien un
père.
En Irlande le roi est en principe le mari de toutes les
femmes. Il exerce le droit de jambage, jus primœ noctis,
sur les nouvelles mariées. Le roi Conchobar était même
obligé de l'exercer sous peine de sanctions magiques^. En
\. Ane. Laws, IV, p. 284 : la fine du flâilh se compose des serfs {fu-
dir),de sa parenté (a ciniud), de ses subordonnés [ugabail fodagniat) :
n On les nomme tous gens du flailhe fine ».
2. Cf. Sumner Maine, op. cit., et Nisbelh, op. cit. : O'Curry, Mann, and
Customs, I p. 3o s. — Ceux des tenanciers qui ont assez de bétîjil pour
le louer ont rang de chefs subordonnés. Ils commandent à leur famille
et ii leurs clients. Il y a deux catégories de ces chefs (peut-être trois?)
Ane. Laws, IV, pp. 3i0 ss., p. 344 s.
3. Sur le jus primœ noclis en Irlande, cf. d'Arbois de Jubainville, Le
238 SAINT PATRICK ET LE CULFE DES HÉROS
tout temps d'ailleurs, le roi, s'il est dans la maison d'un de
ses sujets, a le droit de partager la couche de la femme ou
de la fille de celui-ci, et en le faisant il comble d'honneur
son hôte.
Le vrai mari n'est ainsi juridiquement qu'un substitut du
roi et tous les enfants qui naissent sont les enfants du roi.
Il en est ainsi avant tout des premiers-nés, de ceux-là
même qui deviennent en rèj^le générale des chefs de
familles.
On voit des tûatha et des tribus entières porter des noms
patronymiques qui ne dérivent point de noms d'ancêtres
mais de ceux de rois. Les Hûi Maine, par exemple, étaient
toute une armée au temps du roi Maine Môr dont ils portent
le nom^ Il est difficilement croyable que tous aient été ses
hûi ou « petits-fils ». Le roi Amalgaidh commandait à la
population d'un vaste territoire, qui toute s'appelle depuis
Hûi Amaigada"-. Et les Gonalli de Muirthemne, qui portent
le nom de Conall Gernach, savent parfaitement qu'il n'était
point leur ancêtre^
Ce qui ressort de tous ces faits est que la tûath est
représentée comme une immense famille dont le roi est
juridiquement le père.
Les subdivisions de la tuath. La famille. — Il y a en
Irlande d'autres groupes sociaux que la tûath. En effet,
droit du roi dans l'épopée irlandaise, Paris, et La famille celtique, Paris,
lyOo, p. dâi) ss., où les textes sont réunis.
1. Ils descendent d'un héros Colla de Crïach. Maine Môr était leur
roi. U les guida d'tJlster en Connaught, où ils s'établirent et où ils
devinrent les liùi Maine. Toutes leurs généalogies remontent à Maine,
malgré qu'ils prétendent être venus à sa suite.
2. Cf. Tirechân, livre II.
3. Amairgen, père de Conall avait sa résidence chez les ConaUi ; cf.
Macgnimrada dans Tâin Bô Cùalnge. Les Conalli étaient déjà une tricha
cet lorsque Conall était encore un guerrier plein de vigueur. Cf.,
Tàin, loc. cit.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L IRLANDE 239
celle-ci comprend un certain nombre de groupes de parenté
plus étroite, les fine.
Ce sont des familles agnatiques indivises*.
La succession y est dévolue du père au fils, et de l'oncle
paternel au neveu, à l'exclusion des cognais. La dot des
femmes ne passe pas à leur postérité, mais elle retourne à
leur famille propre. A cette règle il n'y a qu'une exception:
c est le cas où le père n'a pas de postérité mâle et où en
donnant sa fille en mariage il se réserve l'enfant à naître.
Le fils de la fille devient alors juridiquement le fils de son
grand-père et son successeur légal.
Est-ce donc une famille patriarcale? Non pas. En effet, le
chef de celte famille n'est pas nécessairement le père, ni, en
général, l'ascendant direct. Ce qu'il faut pour devenir chef
de la fine, c'est être le plus riche, le plus expérimenté, le
plus populaire de ses membres. Lorsqu'aucun des ascen-
dants directs ne satisfait à ces conditions on le remplace
par un chef élu ^.
Degrés de parenté dans la famille. — La fine est
divisée en une ligne directe et trois lignes collatérales.
La première est la gel fine, ou « famille de la main », in
manu, c'est-à-dire soumise à l'autorité directe du pater
familias » '. Elle comprend le chef de la fine, son fils, son
petit-fils, son arrière-pelit-fils, et le fils de celui-ci, en tout
cinq générations.
1. Pour les détails de l'organisation familiale nous renvoyons au
livre de d'Arbois de Jubainville, La famille celtique.
2. Textes réunis chez d'Arbois de Jubainville, op. cil., ch. vi, p. 7i ss.
3. Senchus Mûr, p. 278.
4. Gel — « main » : d'Arbois de Jubainville, op. cil., p. 3. — Une autre
expression pour ce groupe de parents est muntar, montar. dérivé de
'manu-lera. Les deux mots désignent la famille qui est in manu, sous
la puissance du pire, tout comme à Rome, où les termes qui désignent
la chose sont identiques : in manu, mancipium, emancipatio.
240 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
La ligne collatérale la plus proche est la derbfinc, ou
« famille certaine ». Elle compte le père du chef et trois
générations de ses descendants, soit quatre catégories de
parents.
Vient ensuite la ear/î;ie, ou « famille lointaine ». C'est
la lignée qui descend du grand-père du chef. Comme la
précédente elle s'arrête à la quatrième génération.
Enfin, Yind/ine, ou « famille de la fin », représente la
postérité de l'aïeul du chef. Elle aussi compte quatre géné-
rations.
Il y a ainsi dix-sept catégories de parents répartis en
quatre subdivisions de la fme. Les textes irlandais disent
« dix-sept hommes » K
On devrait plutôt dire « seize ». En effet, si la gel fine
est dite comprendre cinq générations, au lieu de quatre
comme les autres groupes de parenté, ce n'est là qu'une
fiction juridique, dont l'origine est dans une interprétation
erronée du mot gel/ine. On a voulu pouvoir comparer les
cinq hommes de la gel fine aux cinq doigts de la main -, et
ce faisant, les jurisconsultes irlandais n'ont pas remarqué
qu'ils détruisaient l'harmonie du système entier de la fine.
Car une gelfine de cinq générations une fois admise, au
moment où un fils naîtrait à l'un des membres de la plus
jeune génération, tous les autres représentants de celle-ci
ne pourraient plus être classés dans aucune des divisions
de la famille, comme trop éloignées de l'ancien ancêtre de
Xagelfine^ devenu chef de la derbfine par rapport à l'enfant.
Or ce serait contraire à la doctrine môme des jurisconsultes
irlandais, suivant laquelle on doit passer delà gel fine dans
la derbfine^ et ainsi de suite.
1. De fodlaib cineoil lùailhi, dans Ane. Laws, IV, p. 282 ss.
2. D'Arbois de Jubainville, op. cit., p. 24 s.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE l'iRLANDE 241
La parenté des membres de la famille s'arrête a une
CERTAINE LIMITE. — Afin de bien comprendre l'organisation
de la fine, supposons que son chef soit mort.
Il est remplace par un de ses fils, élu de son vivant, le
tanaiste, ou « second » '. Au môme moment une génération
de la gel fine passe dans la derbfine. En effet, la gel fine
ne comprenant que les descendants directs du chef, les
frères de l'ancien tanaiste cessent d'en faire partie et
entrent dans la derbfine avec tous leurs descendants.
De môme la derbfine devient iarfine pour les descen-
dants directs du tanaiste^ et la iarfine prend à son tour
la place de Yindfine, qui cesse de faire partie de la famille.
Ainsi s'e.xpUque ce que disent les jurisconsultes irlandais
en parlant de la fine : que la gel fine est la plus jeune et
Vindfine la plus âgée des quatre branches de la famille, et
que chaque homme passe avec l'âge du groupe le plus jeune
dans le groupe plus âgé.
Au delà de Vindfine il ne subsiste plus aucun lien de
parenté. Quand on sort de ce dernier groupe on s'en va
parmi les gens, dôine ^ Ainsi la famille n'embrasse pas
tous les descendants de son fondateur. La fine est un
système de parenté relative.
Du LIEN DE FAMILLE. — La fine est coresponsable pour
les dettes, les délits et les crimes de chacun de ses membres
en proportion du degré de parenté qui unit l'insolvable à
chacune des quatre divisions de la famille.
Considérons une gelfine dont un membre s'est rendu
1. Le tanaiste est celui des héritiers qui succède aux charges consi-
dérées comme indivises, et par conséquent au.x bénéfices qui y sont
attachés. Il est désigné du vivant de son père (ou de son prédécesseur).
Ce n'est point nécessairement le fils aîné. C'est seulement \'un des fils
du père. — Sur le tanaiste, et. d'Arbois de Jubainville, op. cit., p. 44 s.
2. Textes réunis par d'Arbois de Jubainville, op. cit., ch. i et ii.
CZAR.NOWSKI. 16
242 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES IlÉnOS
coupable de meurtre. Elle paye la composition en entier.
Mais si elle est incapable de le faire, la clerbfine, la iarfine
et Yindfine payent chacune une partie du prix du sang
selon une proportion décroissante *.
Les membres de la fijie sont donc tous solidaires, mais
leur solidarité est limitée dans la mesure même de leur
degré de parenté.
ha fine est relativement indivise.
Les pâturages et terrains désertiques de son territoire
sont ou bien propriété commune de la famille entière ^ ou
bien ils sont partagés entre les quatre branches de la fine.
Quant aux terres cultivées, elles sont la propriété indivise
des subdivisions de la fine^. Mais il y a déjà dans les plus
i. Senchus Môr, I, p. 264 : Ad fogarar dechmu do feine fiachaigh afia-
dain frecnarcais ; arus dechmud fri saidhidh, ociis inbUoguin coipnesadh
fine fri cack saighes cin. Cintach cach fine iar nelodh, iar n-apa, iar
n-urfogra ociis iar n-idnuigh dlighidh. « Un commandement de di.x jours
est notifié à la famille du débiteur devant témoins; car di.x jours (sont
laissés) pour poursuivre et le membre le plus proche de la famille est pour-
suivi pour chaque cin (« délit », « dette »). Chaque famille est responsable
après la fuite (dun de ses membres), après commandement, après
notice et après un délai légal ». — Cf. glose ibid., p. 286. — Cf. ibid.,
p. 260 et glose p. 272 : il y a trois degrés de responsabilité : pour ses
propres crimes [cin) ; pour les crimes de son fils et de son petit-fils
(tobhach) ; pour les crimes « d'un demi-parent, c'est-à-dire jusqu'au
dix-septième (homme) » (saighi,i. in linbleogain medonachi. cin comfo-
cuis 00 a secht dec). Tous ces degrés de responsabilité sont compris
dans celle qui pèse sur un membre de la famille pour les crimes d'un
parent en général (cin inableogain). La glose en fait un quatrième degré
{cin linbleogain is sia) « crime du parent le plus éloigné », mais il y a
îà une faute dinterprétaMon. Le parent le plus éloigné est le dix-sep-
fième homme. Cf. d'.\rbois de Jubainville, op. cit., p. 23 s. Cf. ibid.,
p. 9 et 13 et Senchus Môr cité en note : un délai de dix jours s'écoule
entre le commandement et la saisie lorsqu'elle vise le bien des « dix-sept
hommes ». Il est de trois jours seulement, lorsqu'on saisit un membre
de la muinler, c'est-à-dire, de la famille restreinte de l'insolvable.
2. Senchus Môr. I, p. 200 et glose p. 202. Le texte prévoit l'éventualité
d'un partage des terrains désertiques et montagneux qui sont la pro-
priété collective de la fine.
3. Cf. plus loin, p. 246. — Senchus Môr, III, p. 16 : car caite corus
feine? Comaitcesa (labourage en cemmun des cohéritiers).
LA CONSTITUTION SOCIALE DE LIRLANUE 243
anciens textes juridiques une tendance marquée à favoriser
la possession individuelle du sol. Cependant les droits
éminenls de la fine subsistent. On ne peut vendre sa terre
ni la léguer sans l'autorisation de la fine \
Les cadres de la famille sont immuables. C'est un
GROUPE analogue AUX a MAISONS » SEIGNEURIALES DE LA
FÉODALITÉ. — La dévolution des biens se fait à parts égales
entre les membres delà même branche familiale^.
Dans le cas où une branche de la fine s'éteint, les trois
autres héritent de son bien dans la proportion où elles se
rapprochent de la branche éteinte. Ainsi, lorsqu'une gelfine
s'éteint, sa derbfine prend les trois quarts de son bien, sa
iarfiine trois seizièmes et son indfine le reste.
Jusqu'ici tout est clair. Mais les textes prévoient d'autres
éventualités qui ne peuvent être exphquées aussi aisément.
Ils disent que si c'est la derbfine qui est éteinte, les trois
quarts de sa succession iront à la gelfine, trois seizièmes
à la iarfine et un seizième à Y indfine. La iarfine laisse
trois quarts de son bien à la derbfine, trois seizièmes à la
gelfine et un seizième à Y indfine. L'héritière principale de
Yindfine est la iarfine, puis vient la derbfine et enfin la
gelfine, toujours dans la môme proportion ^.
Que sifçnifient donc ces règles? Si les quatre branches
de la famille n'étaient que des catégories de parenté par
1. Senchus Môr, III, p. '62 : ni udbair nech seilb achl mad ni do ruaicle
fadesin, achl mad a comcetfaig a fine, ocus foracba a cuit tire la fine a
comdilse daraeise. « Personne ne donne une propriété, s'il ne l'a aclietée
lui-même, sauf du consentement de la fine, et il doit laisser sa part de terre
à sa fine en copropriété après lui ». — Cf. glose t'A. .- foracba. i.ocuscora
facba a catruma ac in fine a cumad dilsi dar éis in fearaind tue amach
« (il doit) laisser, c'est-à-dire, il faut qu'il laisse un lot équivalent à la
fine, et que la terre qu'il a donnée revienne ». — Cf. Senchus Môr, II,
p. 282, 1. 7 ss. ; III, p. 501 : défense de grever la terre dont on a hérité.
2. Cf. d'Arbois de Jubainville, op. cit , p. 47 s.
3. Jbid. p. 30 ss. Cf. le cas où deux branches de la fine sont éteintes.
244 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
rapport à un des membres de la fine, comme nous l'avons
envisagé jusqu'ici, les règles énoncées n'auraient aucun
sens*. Une branche de la famille ne peut être collatérale en
soi, être derbfine ou ia7'/ine par elle-même — à moins que
la /?/ie ne soit pas seulement une famille dans l'acception
générale du mot, mais une maison^ dans le sens qui est
entendu lorsqu'on parle d'une maison régnante d'aujour-
d'hui.
Il faut donc supposer que, tout comme dans celles-ci, il
n'y a dans chaque fine qu'une seule hgne directe, la
gelfine, et des branches collatérales de plus en plus éloi-
gnées, \aderbfine, la iarfine et Vindfine. Les branches qui
se sont détachées de la ligne directe plus anciennement que
Vindfine ne font plus partie de la maison et n'ont plus
aucun droit à sa propriété. La fine est une famille d'agnats
qui s'organise par rapport à une branche principale.
Dans cette h^-pothèse le sujet du droit familial qu'on
vient d'étudier n'est donc pas l'individu dans ses rapports
avec d'autres individus. La personne juridique est la fine
elle-même, qui est conçue comme un groupe constitué en
cadres immuables, dans lesquels les individus changent de
position suivant la génération à laquelle ils appartiennent.
La famille est un groupe local. C'est un village.
— Le fait est que de même que les branches d'une maison
féodale se succèdent dans les fiefs définis, les divisions de
la fine représentent Tordre dans lequel les consanguins
accèdent à la jouissance de parcelles territoriales délimitées
une fois pour toutes.
C'est ce qui ressort du traité de droit intitulé Bech-bretha,
1. C'est-à-dire, si l'on admettait, ainsi que le fait d'Arbois de Jubain-
ville, p. 23, que les membres delà gelfine sonl une derbfine par rapport
à un membre de celle-ci. Cf. aussi /l«e. Laits, IV, p. 242.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L IRLANDE 245
«jugements sur abeilles ». Il s'agit de savoir à qui appar-
tiendra un essaim d'abeilles qui se pose sur les bords dun
cours d'eau. Voici la réponse: s'il se pose sur les bords de
la source, c'est la gelfine qui le prendra ; si c'est sur le
canal d'amont, il appartiendra à la derb/ïne ; sur les bords
du bassin, ù la iarfine, et sur les bords du canal d'aval à
ïind/ineK
Il est vrai qu'il s'agit ici d'un cas un peu spécial. Le
cours d'eau dont parle notre texte paraît bien actionner un
moulin, c'est-à-dire une propriété qu'il est impossible de
partager et qui devient généralement l'objet de droits sei-
gneuriaux. Mais la propriété foncière proprement dite est
elle aussi organisée suivant les mêmes principes.
Considérons les divisions du sol en Irlande. Les cartes
de VOrdnance Swvey démontrent que toutes les terres cul-
tivées de l'île sont réparties entre baile, ou hameaux. Le sol
de chaque baile est divisé en quatre parties égales de trois
cent soixante ou de trois cent vingt acres anglais chacune.
Comme cette division n'a aucune raison d'ôtre dans les
conditions économiques ni juridiques actuelles, il convient
de la tenir pour une survivance ancienne. En effet, on en
retrouve la trace aussi loin que les documents permettent
de remonter, c'est-à-dire, dès le xv'' siècle.
Chaque quart de baile porte un nom différent.
Il comprenait autrefois quatre maisonnées de paysans.
Il y avait donc seize maisonnées dans le baile -.
On remarque tout de suite que le nombre de ces maison-
nées et leur répartition correspond exactement au nombre
1. Ancient Laws, IV. p. 168, 1. 9 s., commentaire : Gelfine, t. in
tobor. Derbfine, i. in dire 6 lobur gii lind. Iarfine in lind. Indfine ô lind
sis.
2. Ce que nous disons ici est le résumé des résultats du travail de
Meitzen, Arjrarwesen und Siedelung der Germanen, 1, p. 175 ss. — Cf.
l'atlas annexé à ce livre, cartes 23 et ss.
246 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
des catégories de parenls dans la fine enlicrc et dans cha-
cune de ses subdivisions, en comptant quatre générations
seulement pour la gelfine comme pour les autres branches
de la famille. D'ailleurs, s'il y a jamais eu des gelfine de
cinq générations, la plus jeune ne pouvait comprendre que
des enfants en bas-ùge, qui ne comptaient pas au point de
vue économique et qui ne pouvaient occuper de maisons
particulières.
D'autre part, les textes juridiques posent comme prin-
cipe que les cohéritiers ont une « maison commune »V Ils
ont « un seul lit », dit le Senchus Môr'.
Ainsi les subdivisions de la fine paraissent correspondre à
une division immuable du sol. Ce qu'il y a de certain —
tous les documents topographiques irlandais en font foi —
c'est que les fine sont réparties sur le territoire par baiie
ou groupes de ôaile voisins et que chaque ôaile est habité
exclusivement par des gens qui portent tous le môme nom
et qui se croient issus d'un ancêtre commun'. On con-
cluera donc qu'en Irlande le hameau, le baile est identique
à la fine propriétaire du sol.
Si l'on confronte ce fait avec l'organisation de la clien-
tèle irlandaise on voit que c'est la fine qui en est la
base.
En effet, que sont donc ces fldithi qui constituent la
clientèle du roi? Ce sont les chefs des fine propriétaires.
Les textes juridiques disent que pour être flàith il faut gar-
der intact le domaine de son père et de son grand-père*, et
1. Treb coUchenn, Senchus Môr, I, p. i30, 1. 32 et p. 122. 1. 19.
2. Senchus Môr, I, p. 126, I. 4 : im comleptha commitech ; cf. ib.,
p. 142, 1. 20 — Ane. Laws, IV, p. 374, 1. 23, fineclmr cach solebacli,
« chaque membre de la famille est un compagnon de lit ».
3. Cf. pour exemples rénumération des fine des Hûi Amalgadaet des
baile qui leur appartiennent dans O'Donovan, liy Fiachrach p. 148 ss.
4. Ane. Laws, IV, p. 348 : Aire desa (le plus bas rang des fldithi). i.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L IRLANDE 247
que le fldith est « celui qui marche à la tête de sa famille
et parle au l'oi ' » .
D'autre part le chef de la fine est précisément appelé par
les textes fldith na geil/ine'.
La fine est elle-même organisée en clientèle pareille îi
celle qui dans la ti'(a(h a le roi pour patron. De môme qu'à
celui-ci on octroie un apanage, un bénéfice est alloué par
la fine à son chef. Les quatre branches de la famille sont
autant de catéf;'ories de tenanciers^ qui vivent sur la terre
du fldith. Elles lui payent une rente et ont droit à des sub-
sides de sa part*. Il en est donc le patron par le fait môme
fer conae deis n-athar ocus a tsenalharamail atcota riam ocus do
lairchid, « un homme qui garde le patrimoine de son père et de son
gfrand-père et qui le fait grandir d.
1. Ib., p. 346 ; Aii-e tuisi (fldilh de haut rang) dofet fine comcenel do co
rig, ocus a roslabra « mène les familles de sa race au roi et lui parle ».
2. Ane. Laws IV, p. 62, glose : ata fine. i. flâilh geilfine. — Senchus
Môr, II, p. 280, cenn caick {fine) iar n^uinib. i. curub do daine na fine
iaruin in cach is ceand flàit/i na geilfine.
3. Senchus Môr, III, p. 16 : comaitces a culture en commun » des terres.
4. Un texte juridique du Ms. du XV s. Harleian, 3, 18 (Trinity Collège,
Dublin), publ. par O'Curry dans Cn//i Muighe Léana, app. II, p. 186 s.
définit les droits et les obligations du chef de famille : Cesc hi fvil ni
bralail sinnsear ar comorbaib ? Fil eigin : isé conae caire ocus dabach,
ocus escra ; ocus ise beris lis ocus tige, ocus airlisi. — Cadiat a folaid-
sium fri braitkrib iarsin '.' Ésin a tech arfedar daim righ, ocus espuic,
ocus suadh ; ocus ise is bun fine fri elud dia brailhrib ; ocus is a liai
ennce ; ocus is do dénum; ocus isé is feit/iem fri corus fine ima imgabail
neich bes nesum ; ocus im cungnum im gach ocus ; ocus ni teil fuilliud
uad isin imluad sin for braitkrib : Cotnaithces do càcfi fri araile iarom
0 thà sin. — « Le frère atné a-t-il une part plus grande que ses
cohéritiers? Il en est ainsi : c'est lui qui prend les marmites et les
chaudrons et les pots; cl c'est lui qui prend le clos et la maison et les
outils. — Quel bénéfice en ont ses frères en retour ? Il entretient une
maison d'hospitalité pour un roi, un évoque ou un savant (qui vien-
draient à passer) ; et c'est lui qui se porte garant de la fine pour les
fautes de ses frères; et il est (le garant) de leur honneur; et il (s'oc-
cupe) de leurs procès; et il est le gardien des contrats de la famille
afin qu'aucun voisin ne la pille (litt. « ne l'envahisse ») ; et c'est lui
qui leur prête aide en toute occurence ; et il ne reçoit rien de plus de
ses frères pour ces services. Ils sont tous des cotenanciers. » — Le
droit d'ainessc qui apparatt dans ce texte reste une modification de
l'ancien droit de lanaisteach. Le fils aîné a pris la place du tanaisle élu.
C'est la conséquence de révolution du droit irlandais au Moyen Age.
2i8 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
qu'il est chef de famille. Pareillement le roi est le patron
des fîàithi qui, ainsi qu'on l'a dit, sont issus de la môme
souche que lui*.
Famille ettûath. L'une procède-t-elle de l'autre? —
Il y a donc lieu de se demander si la tûath n'est pas une
fine élargie, ou bien si elle n'est pas composée de ^/le jux-
taposées.
Ce n'est ni Tun ni l'autre. La tûath est un groupe dont
l'existence est absolue et qui se subdivise rigoureusement
par rapport à lui-môme. Là fine est une subdivision numé-
rique de la tûath.
La famille est une subdivision numérique de la tûath.
— La population de la tûath est répartie en groupes de
parenté plus étroite dont le nombre est fixé par des combi-
naisons variables des chiffres deux, trois et cinq.
Ainsi une tûath des Hùi Maine, les Soghan, comprend
six subdivisions dont chacune a un nom patronymique dif-
férent". Les Erna de Meath sont répartis en vingt-quatre
forsloi?ite, « dénominations », qui sont groupées deux par
deux en douze aicme « souches'' ».
— Quant à raffirmation du texte que le chef ne reçoit rien pour ses
services elle est exacte dans son sens littéral. Mais il reçoit des rentes
pour le bétail qu'il loue à ses frères. Cf. plus haut.
1. Cf. Geinealach Corca-Laidhe, éd. O'Donovan, p. 28 : Ile and-so cei-
thri primlhellaigki Dartraigi ocus Calraidhi. i. Meg Fhlandchaidh a
righa, acus Meic Crundluachra a d-taisich, acus Tellach Curnain a b-
filidfi, h-Ui Find a m-brughadha. « Voici les quatre lignées principales
des Dartraige et Calraide : les Mac Fhlandchaidh sont leurs rois, les
Mac Crunnluachra leurs chefs, les Tellach Curnain leurs poètes, les Hùi
Find leurs fermiers. » La division de la tûalh en quatre branches hié-
rarchisées ressemble bien à celle de la fine.
2. Cinel Rechta, Cinel Luchla, Cinel Domaingen, Cinel Trena, Cinel
Fergna, Cinel Geighil. — 0' Donovan, IJy Many, p. 70.
3. Livre de Leinster, cité dans Windisch, Tàin Bô Cûalnge, p. 832,
note 3 : da primacmi déc do Ernaib ocus celhri forsloinle fichet. i. dà
forslonnud cach aicme.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE l'iRLANDE 249
Théoriquement toute tàath est divisée en trente « cen-
taines », tricha CL't\
Une glose au traité de droit intitulé Uraicech Becc
explique les mots ri aentuaithe « roi d'une seule tùath »
par « celui qui a une tricha cet de terre' ». Tricha cet
désigne donc ici l'étendue territoriale de la tuath. Mais
dans les textes épiques, par exemple dans la Tàin Bô
Cùalnge, on appelle ainsi la troupe armée qui entoure
chaque roi'.
Or, dans son sens territorial, la tricha cet équivaut à
trente baile^ ou territoires suffisants pour entretenir trois
cents bêtes à cornes chacun. Le baile comprend quatre
sesrech, ou bien, suivant une autre source, quatre cetramad
ou « quarts », de trois sesrech chacun*. Si l'on considère
que le sesrech comptait cent vingt acres irlandais, dont la
grandeur oscillait entre deux et trois acres anglais actuels',
1. Comp. la division en centuries à Rome. — A Athènes chaque
phratrie compte trente y^'^^i*'- Pierre Paris et G. Roques, Lexique des
Antiquités grecques, Paris, 19Û'J.
2. Ane. Laws, V, p. oO.
3. Les Conalli Muirlhemni forment une tricha cet. : Tdin, p. 823. Les
Galiôin sont une autre tricha cet, ibid. ; or ils sont une tùath : Dinn-
senchas de Rennes, Rev. Celtique, XV, p. 299. — Cf. Idin Bô Cùalnge,
passim. — Il ne s'agit pas ici du nombre des guerriers, mais dune
expression conventionnelle pour désigner l'armée d'une tùath. En effet
celle-ci ne comptait normalement que sept cents guerriers: ri aen-
tuaithe, sechl cet laech lais, — Uraicech Becc (texte), toc. cit. « roi d'une
seule tùath, se|)t cents guerriers il a ».
4. Poème publié par O'Curry, Cath Muighe Léana, p. 106 ss. note. Cf.
Keatiiig. Histoire, ch. m, section I. O'Donovan. Hy Fiachrach p. 149.
On comptait en tout cent quatre-vingt-quatre tricha cet dans toute l'Ir-
lande, dont di.x-huit en Meath, trente en Connaught. trente-cinq en
Ulster, autant en Desmond et Thomond, trente et une en Leinster (Kea-
ting, p. 287 s.). Giraldus Cambrcnsis, Topogr. Hibernica, ill, 5 nomme
les tricha cet, « cantaredi » et dit qu'il y en avait cent soixante-seize en
Irlande. Après la conquête normande la tricha cet resta l'unité territo-
riale. Les donations du roi Jean à ses chevaliers sont toujours des
cantaredi ou des di^mi-cantaredi. Or ces territoires ont des noms patro-
nymiques. Cf. Calendar of State Papers, Charter Rolls. King John, I,
passitn. s. a. 1199.
5. Cf. Mcitzen. lac. cit. et p. 188, cf. p. 184 et passim. Sur les dimen-
sions de l'acre irlandais : Joyce, Social Uistory, II, p. 372 s.
250 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉ[U>S
on conclura que le sesrech équivalait au domaine occupé
par une des quatre branches de la fine, et qu'ainsi chaque
tûath comprenait théoriquement trente fine propriétaires
du sol.
Que signifient ces chiffres ? Précisément ceci, que les
divisions de la tûath résultent du subdivisionnement ré-
guHer d'une unité primaire et que la tûath subdivisée n'est
pas le produit de l'agrégation d'unités primaires.
Familles propriétaires et familles clientes. — Mais,
demandera-t-on, que deviennent dans ce système les
branches des fine qui ont fini par s'en détacher après
s'être progressivement éloignées de la branche princi-
pales } Ne peuvent-elles point donner naissance à des fine
nouvelles ?
Oui certes. Seulement celles-ci vivent sur les terres déjà
déUmitées, Les textes juridiques nous révèlent l'existcnco,
à côté des flàithi et de leurs familles d'une très nom-
breuse plèbe, dont le rang social est précisément déter-
miné par le fait que ses membres n'ont hérité d'aucun
domaine de famille. Les terres sur lesquelles ils vivent sont
les terres des autres. Ils s'y établissent en qualité de tenan-
ciers libres, saer^ s'ils ont de la fortune, ou bien comme
serfs, daer, s'ils sont pauvres, et dans la plupart des cas
ils transmettent leur lenure à leurs héritiers. Ainsi la nais-
sance de fine nouvelles aboutit à la formation d'une nou-
velle catégorie de clientèle, sans que la division territo-
riale de la tûath s'en ressente.
Pas plus d'ailleurs que sa division en sous-groupes. En
effet, la plèbe est entièrement répartie entre les clientèles
des divers fiait hi et du roi. Ils en sont les patrons dans le
sens qu'avait ce mot chez les Romains, c'est-à-dire qu'il
s'établit entre eux et leur tenanciers un véritable lien de
LA CONSTITUTION SOCIA.LK DH L IRLANDE 231
parenté. Le fldith irlandais est responsable des crimes et
délits de ses tenanciers \ Il témoigne en leur nom en jus-
tice. Il peut annuler tout contrat fait par un d'eux tout
comme le chef do famille le peut en ce qui concerne les
contrats faits par un de ses enfants. C'est si bien un lien
de parenté que les tenanciers irlandais portent même le
môme nom que leur fldith.
La tû.ath est un cl.vn local et polymorphe. — En
résumé, si l'on se demande ce qu'est la tûath on voit que
son org'anisation est celle d'un claii. Eu effet, c'est un
groupe fondé sur la parenté juridique de ses membres,
parenté qui se traduit dans leur nom commun, et sur la
propriété éminento d'un territoire, dont des sous-groupes
locaux, qui sont répartis suivant un principe numérique,
sont les possesseurs immédiats.
Sans doute, celte organisation ne subsistait plus qu'en
théorie au temps même où furent rédigés les plus anciens
documents qui parlent de la division de la tûath. Aucun de
ceux-ci n'est de beaucoup antérieur au xii° siècle. Or ce
que les documents historiques nous montrent déjà au
xiii" siècle sous le nom de tûath, n'est plus rien qu'une
hiérarchie de fine clientes les unes des autres et habitant le
même territoire et régies par un chef qui est le patron
suprême. On peut dire que la fine a absorbé la tûath.
Mais la succession d'un état de choses pareil à celui que
nous avons décrit n'a rien pour étonner. La tûath portait
en elle-même le germe de l'évolution qui devait tôt ou tard
1. Senchus Môr, I, p. 260 : cetheora selha bit for cach adgair ocus
adgairter ; selb fini nthardai, ocus selb flalha, ocus selb Ecalsa, ocus
selb mait/trai no selb altrama. « Quatre catoRories de parents (qui
répondent do) chacun qui est |)oursuivi et qui poursuit ; les parents de
la famille du père, et les parents du ftâitfi, et les parents ecclésias-
tiques et les parents de la mère ou d'adoption. »
252 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
briser son armature rigide. Ce germe était son organisation
en clientèle. Les bouleversements politiques et les ambi-
tions des fine puissantes et riches ont fait le reste. Le fait
est que la loi ouvre largement la porte à ces ambitions. Elle
autorise l'aliénation des terres héréditaires sous la réserve
que les membres de la fine y consentent ; elle reconnaît le
titre et les privilèges d'un /Idith au plébéien dont le grand-
père a acheté une terre ; elle fait du domaine, qu'un fonc-
tionnaire ou un artisan a reçu en récompense de ses ser-
vices, le domaine héréditaire de sa fine.
Quoi qu'il en soit, il faut avant tout tenir compte du fait
même qu'une théorie de la division numérique de la tùath
a pu être formulée, et que, de plus, elle a été universelle-
ment admise au xii" siècle. Ce n'est pas là une de ces
théories qui sont créées de toutes pièces par un scribe en
mal d'imagination. Certes, l'application universelle du
chiffre trente à la division de toutes les tùatha doit en être
rejetée en raison de son universalité même. Il n'en reste
pas moins vrai, que si les lettrés du xf siècle posent en
principe que la tùath est divisée suivant une conception
numérique, c'est que ce principe a été réellement observé
à un moment donné, et qu'il leur était connu par la tradi-
tion. Les exemples cités des Soghan et des Erna sont
d'ailleurs là pour confirmer cette opinion.
Groupes plus étendus que la tùath. Tribu, fédération,
PROVINCE, NATION. — Le même principe qui est à la base
du groupement des fne en tùatha détermine le caractère
des organisations plus étendues.
Ce sont d'abord la môr-tùath ou « grande tùath »,
la province et enfin le royaume d'Irlande \
1. Hiérarchie des rois : Crilh Gablach dans Ane. Laws, IV, p. 344 s.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L IRLANDE 253
Il s'agit toujours ou bien de la division d'une ancienne
tûath unique en tribu de plusieurs tùatha, ou bien d'une
agrégation des groupes en question dans la forme juri-
dique donnée. Dans le premier cas, la notion de la parenté
qui unit les membres de la tribu reste consciente. Elle s'ex-
prime dans un nom genlilice propre à la tribu ^, comme
Hiii Fiachrach, Hiii Maine, Osraighi. Et, qu'il s'agisse de
tùatha issues d'une môme souche ou de tùatha agrégées,
c'est toujours l'organisation du clan qui est prise pour
modèle. Les tùatha sont hiérarchisées en une tùath patro-
nale et des tùatha clientes. Le roi de la tribu ou de l'agré-
gation donne des subsides au.\ rois subordonnés qui jouent
ainsi envers lui le rùle àa /làilhi'. Grâce au.\ mariages,
les familles royales finissent par être réellement parentes,
comme les flàilhi le sont des rois.
Le système de la division numérique qu'on trouve dans
la tùath est appliqué au.\ provinces et aux royaumes. En
théorie chaque roi d'une môr-tùath règne sur trois tùatha^
dont la sienne propre. Chaque province compte cinq môr-
tùatha. Enfin le roi d'Irlande est le suzerain de cinq pro-
vinces '.
L'Irlande entière a l'aspect dune immense tribu hiérar-
chisée dont la tùath est l'élément constitutif.
Autres formes de la parenté. — Le tableau qu'on vient
de tracer de l'organisation genlilice et familiale irlandaise
serait cependant incomplet si l'on n'y ajoutait pas l'élude
des autres formes de la parenté.
1. Cf. les traités généalogiques cités, publiés par O'Donovan.
2. Les rai)ports des rois entre eux, des tùatha chefs (saer-clanda,
saer tùatlia) avec les lûal/ia vassales (daer tùatha), font l'objet du
Book of Rights publie par O'Uonovan,
3. Crith Gablach, loc. cit., p. 346, Traité delà Succession dans Ancient
Laws, IV, p. 380.
254 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
L'une de ces formes est la parenté utérine. Nous en
trouvons encore une autre — la parenté d'adoption.
La parenté utérine. Elle n'est pas reconnue par le
PLUS ancien droit écrit. — Dans les recueils de droit la
parenté en ligne maternelle n'apparaît que dans des pas-
sages relativement récents.
Il y est dit que la famille de la mère a l'obligation de
venger l'enfant et qu'elle est responsable des crimes com-
mis par lui'. Ce sont là des obligations qui sont en con-
tradiction flagrante avec l'ensemble du droit irlandais qui
accorde aux seuls agnats une part à la succession familiale.
Il s'agit donc ici certainement d'une innovation tardive, et
encore faut-il sans doute y voir un cas exceptionnel, celui
où la famille agnatique est éteinte ou bien est insolvable.
Mais il existe en Irlande des traces d'un état de choses
plus ancien, dans lequel la parenté utérine jouait un rôle
décisif dans la succession delà tûath^ sinon de la fine.
Les légendes épiques nous montrent des cognats se prê-
tant appui dans les guerres, même contre des agnats. Ainsi
Ere, fils du roi suprême Coirpre Niafer se joint à l'armée
de son grand-père maternel Conchobar, bien que les Ulates
soient les ennemis de son père, et que celui-ci ait même
été tué par leur héros Ciichulainn. Ere en est quitte pour
venger ce meurtre plus tard^ Dans le cycle épique de
Finn, un prétendant au trône de Munster, Lugaidh Mac
Con, trouve appui auprès de son grand-père maternel, le
roi suprême Conn Cetcathach, et auprès de Finn, auquel il
est également apparenté par sa mère^.
1. Sencfius Mnr I, p. 192 : athgabail lobiiir ecuind co ro gleitir maithre
ocux ailhre dus céda no do gella. Cf. plus haut.
2. Tàin Bu Cùalnge, et Cùchulainn's Dealh dans Revue Celtique,
III, p. 170 ss.
3. Cath Maighe Léana, p. xii.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L IRLANDE 255
Certains rois sont les successeurs non pas de leurs pères,
mais de leurs grand-pères maternels. Il en est ainsi préci-
sément de Lugaidli Riab derg. De même, Lugaidh Mac
Con fait valoir ses droits à la succession de Conn Cetca-
Ihach, bien que celui-ci ail laissé un fils. Lugaidh le
détrône et il est reconnu comme roi légitime'.
Le fait qui est peut-être le plus démonstratif nous est
fourni par l'histoire légendaire du Munster. Deux dynasties
royales, les Clanna Derghtine et les Clanna Dairenne, se
marient entre elles et alternent au pouvoir à chaque géné-
ration*. C'est là un système de succession qu'on retrouve
tel quel dans les sociétés à filiation utérine. Les membres
de deu.x clans qui appartiennent à deux phratries se marient
toujours les uns avec les autres et, comme les enfants
appartiennent au clan de leur mère et habitent dans celui
de leur père, les clans alternent dans leurs territoires à
chaque génération.
On voit donc que pour se former une idée complète des
rapports de parenté en Irlande il faut tenir compte de la
parenté utérine.
La société IRLAND.AISE A ÉTÉ FONDÉE SUR LA PARENTÉ
UTÉRINE AVANT DE PASSER AU SYSTÈME DE PARENTÉ AGN.ATIQUE.
— Mais quelle est donc sa place par rapport à la parenté
agnatique dans le système général des représentations
irlandaises de la parenté ? Faut-il y voir une forme secon-
daire, quelque chose comme une parenté surajoutée à la
parenté agnatique .^
Sans doute, la cognation apparaît avec ce caractère dans
1. Calh Muirjhe Léana, Introd. et App. I: table généalogique VI,
p. Wi.
i. La question est étudiée en détail avec textes à l'appui par OCurry,
Calh Muighe Léana, Introd. et Appendices.
256 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
le droit irlandais. Mais sa reconnaissance y est un fait tar-
dif, dû à rinfluence des idées chrétiennes, et encore la place
que ce droit lui accorde est-elle si restreinte, qu'on peut
dire que l'idée de cognation y est tolérée plutôt qu'admise.
Or, les faits qu'on vient de citer nous font entrevoir un
droit dans lequel la filiation en ligne maternelle était consi-
dérée comme régulière, parallèle à la filiation agnatique,
sinon exclusive de celle-ci. Et les légendes qui nous ont
servi de sources sont entièrement païennes.
La reconnaissance de la parenté en ligne utérine est donc
un fait ancien en Irlande. C'est même le fait le plus ancien,
qui a précédé la reconnaissance de la parenté agnatique.
En effet, c'est le système de filiation utérine qui est par-
tout, où on en relève des traces, le système primitif.
C'est précisément par le passage du système de filiation
utérine au système de filiation masculine que paraissent
s'expliquer les particularités qu'on a observées dans
l'organisation de la tûath et de la fine.
On vient de voir par l'exemple des Clanna Derghtine et
des Clanna Dairenne qu'il y avait en Irlande des règles
qui ordonnaient aux membres d'un groupe de parenté de
prendre femme dans un autre groupe pareil et inversement.
Nous ne savons pas ce qu'étaient au juste les Clanna
des Derghtine et des Dairenne. Mais le groupement des fine
deux par deux chez les Erna permet de supposer que
c'étaient ces groupes-ci qui avaient entre eux le cojiniibium.
Or les subdivisions de la fiiie sont en nombre pair et elles
correspondent précisément à des générations. Tous ces
faits nous font penser à l'organisation matrimoniale des
sociétés où domine la filiation utérine et dont l'élément
primaire est un groupe qui ressemble au clan celtique.
On peut considérer désormais comme un fait acquis que
le système de la filiation utérine a été connu dans la société
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L IRLANDE 257
irlandaise. Par là môme nous avons gagné de pouvoir nous
faire une idée plus comj)lèle de la tûatli. C'est un groupe
qui lient ;\ la fois de la tribu et du clan, et dont le système
de division numérique, ainsi (jue celui de ses sous-groupes,
est le résultat du passage de la parenté utérine à la parenté
masculine.
La parenté ÉLECTIVE. Comment elle s'établit. — La
parenté élective s'établit entre l'enfant et ses nourriciers.
Les enfants ne sont pas élevés au sein de leur famille
en Irlande. On les envoie dès leur naissance dans une
famille étrangère, où il restent jusqu'à leur majorité. Ce
mode d'éducation est une institution. On la nomme altrain.
C'est le fosterage.
Valtram a pour conséquence de donner à l'enfant une
famille nouvelle, encore plus étroitement solidaire que sa
famille réelle.
Les pères et mères nourriciers, aite et nuiime, et le
nourrisson, dalla, se doivent mutuellement aide et protec-
tion. Ils sont obligés à la l'endetta. Môme lorsque le temps
de ïaltrani était Uni, ces obligations persistaient dans toute
leur force. Les anciens dalta d'un même père nourricier
ne peuvent combattre entre eux. Ils doivent entretenir
leur aite tombé dans la misère'.
Giraldus affirme que les Irlandais témoignaient d'une
tendresse réelle uniquement à leurs frères de lait, tandis
qu'ils n'en ressentaient aucune envers leurs vrais parents".
1. OCiirry, Mann. and Customs, I, p. 79s. SeJichus Mot; l, p. 260 : pas-
sage cité. Droits et obligations mutuels : Senchus Môr, 11, p. 146,
p. 358 ; Ane, Laws, V, p. "J6 ; A?ic. Laivs, IV, p. 254 : Digail dalla na fine,
o vengeance pour le i)upilie de la famille ».
2. Top. Hibern., Ill, c. xxm : « Va» autem fratribus in populo bar-
baro. \x et cognatis. Vivos enim ad mortem persequuntur ; mortuos
et abaliis interemptos ulciscunlur. Solum vero alumniset collactaneis.
si quid habcnl vel amoris vel fidei illud habent ». Giraldus, qui n'aime
CZARNOWSKI. 17
258 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
L'usage général est de choisir Yaite dans la famille de
la mère '. Ainsi les héritiers présomptifs des Clanna Dcrgh-
linc sont élevés par les Clann Dairene". A une époque
plus rapprochée, Muircertach mac Erca est élevé en Ecosse
chez son grand-père matemeP.
Mais les exceptions à cette règle sont trop nombreuses
pour qu'on puisse établir, ce qui est trop tentant, une rela-
tion entre la parenté élective et la parenté utérine. Au
temps qui nous occupe, c'est-à-dire à l'époque de la chris-
tianisation de l'Irlande, la parenté utérine était complète-
ment tombée en désuétude, tandis que Valtrain continuait
à fleurir et qu'il a subsisté jusqu'à la fin du Moyen Age.
C'est une institution eulièrement indépendante.
pas les Irlandais, est emporté trop loin par son zèle, lorsqu'il parle de
meurtres et de crimes entre frères et parents. Son texte sur la tendresse,
qui unit les pupilles aux maîtres et les frères de lait entre eux, n'en est
que plus probant. Cette tendresse devait être bien grande, puisque
Giraldus lui-même a été forcé de l'avouer. — Cf. Cuchulainn's Dealh,
loc. cit., p. 183: Cùchulainn et Conall Cernach, deux frères de lait, se
promettent que celui des deux qui survivrait à l'autre vengerait
sa mort. — La garde du corps du roi Conn Cetcathach est composée
de ses cinquante frères de lait. Ils protègent Conn contre tout dan-
ger : Cath Muighe Léana, p. 86. — Le lien qui unit les dalla entre
eux se rétrécit encore par un bloodcovenant : Tain Bô Cùalnge, p. 591 :
crô-cotaiç]. M. "Windisch traduit Gehage des Bundes, cf. crô « enclo-
sure, fence », ibid. p. 5'JO, n. 1. — Mais cru, crô, signifie aussi « sang ».
Nous croyons plutôt qu'il s'agit ici d'un lien établi par un bloodcove-
nant. En effet, il existait un rite qui consistait à mêler le sang de deux
personnes pour établir entre elles un lien de parenté :cf. Ttie Death of
Muircertach mac Erca, loc. cit. « Gehage des Bundes » fait double
emploi.
1. Senchus Môr, I p. 260 : selb mailhrai no selb allrama : ro bi co
comraicet huile for oen « la parenté de la mère ou la parenté de
Valtram : il arrive qu'elles n'en font qu'une seule ».
2. Cath Muighe Léana, p. 2 : agas as uime a deirthaoi Mogh Nua-
dhad ris, urrudh d'urradhaibh Mumhan ro oil é, eadhon Niiadha Dearg
mac Dairine, « et la raison pour laquelle il (Eoghan Môr) était nommé
Mogh Nuadat était la suivante : un homme libre d'entre les hommes
libres du Munster l'a élevé : ce fut Nuada Derg, fils de Dairine ». —
Cf. tables généalogiques annexées à Cath Muighe Léana.
3. The Death of Muircertach mac Bfca, toc cit., g 27. Cf. aussi Gei-
nealach Corca Laidhe, p. 40.
I
LA CONSTITUTION SOCIALE DE l'iRLANDE 259
Formes du culte {jii correspondent a l'organisation
SOCIALE IRLANDAISE. CULTE DE l'aNCÉTRE ET SA RÉINCAR-
NATION DANS LE ROI. La DIVINISATION DES RATARDS.
Si l'on se demande maintenant quelle forme doit prendre
le culte dans une société ainsi organisée on pense d'abord
au totémisme.
Mais les données du folk-lore qui pourraient y faire
penser sont si peu consistantes, que rhypothèse d'un toté-
misme irlandais ne peut être pris en considération'.
En tous cas, ce ne peut être qu'un culte d'ancêtres et
de parents. Nous en avons déjà égrené les preuves dans
les chapitres précédents, en montrant comment les dieux
irlandais prenaient figures de héros et avec quelle facilité
de la foule des morts les héros pouvaient surgir. Mais pla-
çons-nous au point de vue de la tûath et demandons-nous
comment ses membres peuvent se représenter leurs liens
religieux.
Le lien qui unit les membres de la tûath est constitué
parce qu'ils descendent tous d'un ancêtre putatif. La rela-
tion religieuse s'établit à l'image de la relation juridique.
Cet ancêtre reçoit un culte. Des assemblées périodiques
ont lieu autour du tombeau du héros, auquel les membres
de la tûath font remonter leurs généalogies. Ainsi le lieu
où se tiennent les oenach des Hùi Amalgada est la plaine
qui entoure le carn d'Amalgaidh, leur ancêtre ■.
L'ancêtre est réellement présent dans la tûath. Chaque
roi est sa réincarnation.
Le roi est intronisé sur le tombeau même de l'ancêtre :
par exemple le roi des Hùi Amalgada l'est sur le carn
d'Amalgaidh '.
1. Cf. Appendice à la fin de ce livre.
2. H y Fiachrach, p. 100.
3. //j? Fiachrach. loc. cit. — Sur les cérémonies d'intronisatïon Cf.
260 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Le nouveau roi est placé au sommet du tumulus. Il est
debout sur une pierre sur laquelle on voit généralement
l'empreinlc du pied de rancélre, et son pied est posé dans
celle empreinle '. Ou bien il s'appuie au menhir funéraire.
Les rois suprêmes sont intronisés sur une pierre qui pro-
vient du pays des morls ". Le roi entre ainsi en communi-
cation avec l'ancôtre par le contact des objets qui sont
intimement liés à celui-ci. Bien plus, il s y identifie.
En effet, que signifie donc l'acte de poser son pied dans
la trace môme de l'ancêtre, sinon qu'on le représente,
qu'on en est en quelque sorte un substitut ? Le fait qu'on
voit une empreinte de pied sur un tombeau indique bien que
l'esprit du mort est supposé être là debout, du moins aux
moments où son tombeau est le centre d'une solennité reli-
gieuse. Or à la place du mort c'est le roi nouveau qui se
dresse sur la tombe.
Il en est de même quand le nouveau roi s'appuie au
menhir. On a eu déjà l'occasion de démontrer que les
menhirs funéraires représentent les morts. Quant à la pierre
sur laquelle montent les rois d'Irlande, elle représente le
pays des morts, le pays môme d'où est venu le premier
ancêtre des Gôidels. Le roi qui en descend après avoir été
intronisé est un homme qui, pareil à Mile, fils de Bile,
passe de l'Autre Monde dans celui des vivants.
O'Donovan H y Fiachrach,p. 42j ss. ; Herbert-J. Horedans Ulster Journal
Arc/iaeol., V, p. 216; Keating. éd. Dinneen, lî-ish Texts 6oc IX, p. 10 s.
\. Spenser, View of the slale of Ireland, cité dans Joyce, Hocial His-
tory, I, p. 49 : « in some of which (stones) I hâve seen formed and
ingraved a foot, which they say was Ihe measure of Iheir first Cap-
tain's foot, wliereon hee (the new Captain) standing receives an oath
to préserve ail the ancient former customes of the countrey ».
2. La pierre Fàl qui « rugissait » lorsqu'un roi légitime montait des-
sus. Baile an Scail, éd. O'Curry, dans Mss. Mal. p. 387 s., app. CXXVIII.
— La légende veut que cette pierre eût été emportée en Ecosse où elle
servit à l'intronisation des rois à Scone. Elle continue à rendre les
mômes services aux rois d'Angleterre dans l'abbaye de Westminster
où elle a été transportée par Edouard l.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L IRLANDE 261
El pour bien marquer celle idenlificalion à rancôlrc, le
roi perd l'usage de son nom propre. On proclame seulement
son nom de famille, qui est précisément le nom de l'ancôtre
procédé d'une indication de filiation, et depuis, le prénom
du roi est ofTiciellement oublié, pour ainsi dire. Pour le
désigner on dira désormais le Mac Garlhy Môr, le Hiia
Conchobuir, le Hi'ia Briain.
Le roi devient ainsi par son intronisation solennelle un
ancêtre vivant auquel l'ancétrc mort est assimilé.
Aussi le roi remplit les mêmes fonctions divines que
l'ancôtre. Il est responsable des récoltes, du croît et, en
général, de la prospérité de ses sujets Quand les vaches
n'ont pas de lait, que les fruits tombent avant de mûrir et
que le blé est rare, c'est que le roi n'est pas légitime'.
C'est par l'assimilation de l'ancôtre au roi vivant que
s'explique la facilité avec laquelle le culte des ancêtres se
détache de leurs tombeaux pour passer à des tombeaux
nouveaux. Une tûathç\m émigré n'a pas besoin d'emporter
les reliques de son ancêtre. 11 l'accompagne vivant dans la
personne du roi, et quand celui-ci meurt, son tumulus
remplace pour ses successeurs les tombeaux du territoire
abandonné. On ne nous dit point, par exemple, que les
Hui Maine aient emporté d'Ulslcr des reliques de Colla, leur
ancêtre. Maine Môr, le roi qui les guida d'Ulster en Con-
naught, a été substitué à ce héros.
Ainsi le culle des ancêtres aboutit dans les tûatha
d'Irlande au culle des rois-dieux, ce qui s'explique par
l'organisation de ce groupe. En effet, de même que le
culte de l'ancôtre apparaît comme suite nécessaire de la divi-
sion de la/ï/te agnatique en une ligne directe dont dépendent
1. Ane. Laiis. IV. p. lii. Cf. Annals of llie Four Masters, s. a. 14 :
malheurs et calamités publiques qui désolent l'Irlande pendant le règne
d'un usurpateur, Coirpre Cinncat.
262 SAINT PATRICK ET LK CULTE DES HÉROS
des lignes collatérales — l'assimilalion do cet ancêtre au
roi correspond à la constitution de la tùath en famille de
clients, dont le roi est non seulement le patron, mais le
père.
Gomme c'est le roi qui est soupçonné d'être le père
naturel de la plupart des enfants illégitimes, la bâtardise
confère, pour ainsi dire, des droits particuliers !\ la divini-
sation. En effet, les plus fameux des héros et des rois épi-
ques sont des bâtards, ou bien des enfants adultérins. Il en
est ainsi de Finn, dont la mère s'était fait enlever par un
héros et avait été condamnée au bûcher pour ce fait^ Con-
chobar est l'enfant adultérin du roi F'achtna Fathach-, et
Cuchulainn est né de l'union incestueuse du roi Conchobar
avec sa sœur, Dechtire^ Étant donné que dans des légendes
parallèles la naissance de ces héros est représentée comme
l'incarnation de dieux, nous pouvons conclure qu'être
bâtard, surtout bâtard d'un roi, équivalait à être demi-dieu.
En somme, l'idée de la parenté des dieux et des groupes
humains domine toute la reUgion irlandaise.
Traces des autres formes de la parenté dans le culte :
déesses mères et déesses-nourricières de dieux ou de
HÉROS. — Les autres formes de la parenté ont elles aussi
laissé des traces dans le culte.
Il y a eu en Irlande des cultes de déesses-mères, ainsi
qu'on l'a vu par les exemples de Mâcha et de Carman.
Lug, qu'on vénère à Tailtiu, est le dalta de la déesse
locale Tailtiu*. Cuchulainn qui, est le héros particulier
1. The cauie of the battle of Cnucha, éd. Hennessy dans Rev. Cel-
tique, II, 88 ss.
2. Naissance et règne de Conchobar, dans Épopée celtique.
3. Compert Conculainn, dans Irische Texte, I.
4. Calh Maige Tured, § 55.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L IRLANDE 263
des Conalli Muirlhemni, est le dalla de leur roi Amair-
pcn et le frère de lait de leur héros éponyme Conall Cer-
nach '.
Les dieux irlandais sont des héros. — Nous pouvons
donc conclure que les aspects du culte de la tùath, et par
suite, de l'Irlande entière, ont leur base dans les repré-
sentations de la parenté. Les dieux de la tûath sont des
ancêtres, des rois, des mères et des parents d'élection des
tùatha.
De plus, ces dieux sont des héros. Ils le sont par le fait
de leur présence réelle au sein du groupe qui leur rend un
culte. Us sont en communion constante avec lui, ils le
représentent et l'incarnent.
Ce qui est vrai pour les dieux de la tûath l'est aussi
pour ceux des groupes plus étendus. Amalgaidh est l'an-
cêtre de toute une tribu, qui se compose d'un grand nombre
de tùatha. La déesse d'une des plus grandes fêtes du
Leinster, Carman, est une déesse mère, de même que
Mâcha, la déesse d'Emain, à la fête de laquelle prend part
toute la province d'Ulster. Dans les mythes des fêtes pan-
gûidéliques on ne voit apparaître que des rois, comme
Diarmaid mac Cerbhaill, des reines qui sont en même
temps des mères, comme MongQnd, des muime et des
dalla, comme Tailtiu et Lug.
On verra que les mêmes représentations de parenté sont
à la base du culte des saints chrétiens.
\. Compert Conculainn. version LU, dans Irische Texte, I, p. 145. La
muime de Giichulainn est Finnchoem, sœur de Conchobar, et par con-
séquent de Dcchtire, môre du héros. Elle est femme d'Amairgen de
Breth en Mag Muirlhemne. — Cûchulainn est le roi « particulier » des
Conalli Muirlhemni : Tàin Bù Ci'ialnge. p. 823, 1. 5693 : can a rig n-aur-
raindi... can Choinculaind : p. 82.J, note 1, version du Ms. Stowe : « ... a
righ n-urdalla ». — La plus grande partie de la Tàin, la Serglige
Conculaind, le Meurtre de Cûchulainn sont localisés en Mag Muir-
themne, le pays des Conalli.
264 saint patrick et le culte des héros
L'Eglise irlandaise est organisée sur le modèle de la
TUATH. — L'organisation de l'Eglise irlandaise a pris la
tûath pour cadre et pour modèle'.
Les territoires des diocèses se confondent avec ceux des
tùatha. Dans chacune il y a un évoque indépendant'"'.
Le clergé est monastique. Dans chaque diocèse il y a
une abbaye principale dont dépendent des abbayes locales.
Le chef administratif est l'abbé. Quant à l'évêque son rôle
est purement liturgique 3, à moins qu'il soit en môme
temps évêque et abbé *.
La communauté monastique a un caractère familial.
La dignité d'abbé est héréditaire dans la famille du chef
qui a légué sa terre au monastère ^ ou bien dans la
famille du saint fondateur ^ A défaut d'un candidat qua-
lifié dans l'un de ces deux groupes, l'abbé est nommé par
la communauté où le saint patron fut élevé et instruit^,
1. Sur l'organisation de l'Église irlandaise, cf. Todd, Saint-Patrick,
p. 1 ss., Loofs, op. cit. ; Schoel. op. cit.. Héron, The Celtic Churck in
Ireland; Reeves, Eccl. Atitiquities, append. A.
2. Senchus Môr, I. p. 54 : il y a dans chaque tùath un roi, un évêque
et un homme de science (ou poète). Extrait du Lebar Brecc, publ. dans
Tripart. Life. I, Intr., p. clxxxii : Le testament de Patrick (décrète)
qu'il doit y avoir un évêque dans chaque tûath d'Irlande. — Cf. Bury,
Saint Patrick, p. 375 ss. — Cf. organisation galloise, dans Haddan and
Stubbs, Councils, I, p. 142 ss.
3. Héron, op. cit., p. d67. — Cf. Colgan, Triadis Thaumaturge...
Acta^S. Brigitae Vita Quarla, cap. xix ; Sainte Brigit nomme l'évêque
attaché à son abbaye de Kildare. Cf. Bède, Ilistoria ecclesiastica, 1. IH,
c. 3, 4, 5 : l'abbé de lona est un prêtre. U a des évêques sous sa
juridiction.
4. L'Eglise fait son possible pour que le chef administratif du diocèse
soit toujours un évêque. La loi n'accorde qu'une indemnité réduite à
l'abbaye dont le chef n'est pas un évêque, ou un docteur en droit ca-
non. Ane. Lavjs V, p. o4.
5. Cf. Thésaurus Palaeohibernicus, IL p. 238 s. : Coibse Fétho Fia. —
Senchus Môr, III, p. 7G s.
6. Eclats fine erluma : Senchus Môr, III, p. 74, p. 72. — La famille du
donateur et celle du fondateur peuvent avoir des droits égaux à la
succession de l'abbaye. Alors l'abbé est élu à tour de rôle dans l'une
et dans l'autre. Ane. Laivs, IV, p. 372 s.
7. Andoil : Senchus Môr, III, p. 74.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L lULANDK 265
celle avec laquelle il esl lii'- par Yallram. Les commu-
nautés subordonnées viennent ensuite '.
En aucun cas l'abbé n'est élu parmi les moines d'une
communauté étran2;ère. C'est que celle-ci pourrait acquérir
des droits sur l'abbaye. On nomme en désespoir de cause
un pèlerin ■, c'est-à-dire un vagabond, un homme qui n'a
pas de famille'.
La dignité d'évôque se transmet pareillement de père en
fds*.
Quant aux moines de la communauté, ils sont identiques
aux tenanciers héréditaires du sol ecclésiastique ^ Ils sont
les descendants du donateur en ligne collatérale.
A côté d'eux, l'abbaye a des serfs et des métayers ^
L'abbé exerce sur tout ce monde un pouvoir seigneuriale
1. Senchus Môr, II. p. 72 s., glose. L'ordre des ayants-droit est
variable suivant le droit particulier de chaque abbaye. Ainsi la glose
citée prévoit l'ordre suivant : 1» famille du fondateur ; 2» famille du
donateur ; 3» famille des tenanciers de la terre ecclésiastique ; 4° église
Andoit : 5» église dalla (dont le fondateur fut élevé dans l'abbaye) ; 6»
église compaii'che (de la môme paroisse = de la même fine) ; 1" église
voisine.
i. ma.
3. La loi ecclésiastique s'efforce de mettre un frein à cet accaparement
des abbayes par les familles. Le Senchus Môr, III, p. 78, dit qu'il ne
faut pas que la succession dune église soit dévolue aux branches de la
fine l'une après Tautre, « à moins que Dieu ne l'ait donnée à l'une de
ces branches en propriété ». Mais le fait même que ce texte ait été
rédigé et la réserve qui y est formulée démontre qu'on est en présence
d'un fait général.
4. Par exemple à Ros en Corcu Laidhe vingt-sept évêques se succè-
dent de père en fils : Geinealach Corca Laidhe, p. 46 s. — L'abbaye et
l'évèché de Killala sont le patrimoine des Hùi Mailfodmair ; fly Fiachrach,
p. 51, cf. p. 227.
5. Senchus Mor, III, p. 78 : cell manuch, et glose, ibid. — Cf. manach,
manchi, Ane. Laws, VI, glossaire. Cf. Senchus Môr, III, p. 64 s. texte
et glose : les moines peuvent quitter la terre de léglise s'ils n'ont pas
assez de terre. — Cf. ibid., p. 64 note 2 : le moine quitte l'abbaye où son
état ne lui esl d'aucun profit.
6. Senchus Môr, III, p. 42.
7. Sfnchus Môr \, Inlrod., p. 50 s. : acht na cuic cura ata laithmechla
la feine, cia ro nasalar : cor inoga cen a flailh, cor manaig cen apaid,
cor meic beo-alhar cen alhair noca, cor druith no mire, cor mna seck a
266 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
La communauté monastique irlandaise présente ainsi
l'aspect d'une fine fldtha dont tous les membres auraient
pris les ordres.
La hiérarchie des églises suit celle de la u'iath. L'abbaye
principale, où réside l'évoque, est fondée dans une terre
donnée par le roi et c'est une branche de la famille royale
qui a droit à sa succession*. Les abbayes subordonnées
appartiennent aux familles de fïdithi, et ainsi de suite. On
dit de ces abbayes quelles sont « vassales » de la princi-
pale ^
R\ppoRTS DU DIOCÈSE AVEC LA TÙATH. — L'organisation
du diocèse est donc exactement conforme à celle de la ti'iath.
Bien plus, elle est, pourrait-on dire, émanée de l'orga-
nisation de la tûath. La loi oblige chaque couple à faire
prendre les ordres à son premier-né \ Ainsi le clergé, en
tant que corps constitué, est toujours lié à chaque famille de
la tûath par les liens d'une parenté très étroite, liens qui
se renouvellent à chaque génération.
cexli — « il y a cinq contrats qui sont annulés par les féne, même après
leur conclusion : le contrat du serviteur sans le fldith (sans l'approba-
tion du flàilh) ; le contrat du moine sans l'abbé ; le contrat du fils d'un
père vivant sans le père ; le contrat d'un fou ou d'un incapable ; le
contrat d'une femme sans le mari. » — La position de l'article qui con-
cerne les contrats du moine après ceu.x du serviteur du flàilh et avant
ceux du fils est digne d'attention. Il fait de l'abbé légal du seigneur et
du père. — La glose, ibid.^ p. 52 explique : Cor manaig. i. daermanaig
« contrat d'un moine : c'est-à-dire d'un moine serf. »
1. Thésaurus Palseohib, II, p. 270. Hae sunt oblationes Fedelmedo
filii Loiguiri sancto Palricio et Lomnano et Foirtcherno, id est Vadum
Truimm (Trim) in finibus Loiguiri Breg. Imgae in finibus Loiguiri
Midi. Hœc est autem secclessiastica progenies Fedelmtheo »... (suivent
huit noms)... « hi omnes episcopi fuerunt et principes uenerantes sanc-
tum Patricium et successores eius. — Plebilis autem progenies eius
haec est... » (suivent les noms de neuf rois). (Plebilis signifie ici
« laïque »).
2. Senchus Môr, III, p. 70, glose. Il y a des églises « nobles », uasal.
et des églises « roturières », ailhech.
3. Senchus Môr, 111, p. 38.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L IRLANDE 267
On peut donc dire du corps du clergé diocésain que
c'est la tûalli elle-même constituée en groupe cultuel.
Les saints irlandais sont comme les héros des tùatha
DKS ancêtres et DES PARENTS. — Cette tùath ecclésias-
tique a comme l'autre des héros patrons qui sont des
saints.
Comme le saint fondateur de la communauté monastique
est souvent identique au donateur de la terre, on a d'abord
des saints qui sont les ancêtres en ligne agnatique des fine
de la tûalh '.
Mais, conformément à ce qui a été dit plus haut, d'autres
saints sont parents par leurs mères des tûatha dont ils
sont les patrons".
Enfin, beaucoup sont liés aux ancêtres des abbe-s, par la
parenté de Xaltram. C'est le cas des saints venus du
dehors qui ont converti la tûath et y ont recruté des dis-
ciples, qui leur ont succédé. A Trim, par exemple, il y a
deux patrons, saint Lomnan et saint Foirtchern. Foirtchern
est le fils du chef local, Fedelmid fils de Loegaire, et l'an-
cêtre de toute une lignée d'évêques. Or il avait été confié
par son père à Lomnan en altram^.
Le CULTE DES SAINTS EST UN CULTE DE CHEFS. CeUX QUI
SONT DES ENFANTS ILLÉGITIMES SONT ASSIMILÉS AUX HÉROS
FILS DE DIEUX. — Par suite de la constitution aristocra-
tique de l'Eglise et de la tûath le culte des saints prend
l'aspect d'un culte de chefs.
1. Cf. Tlrechân.jooïsim. — Exemples : saints Assicus et Biteus patrons
do Corcu Ochiand. p. 313; saint Fergus et saint Conall. patrons des
Hùi Amaigada, ibid., p. 326, Tripai-tite, p. 80.
2. T irechùn, passim. — T/iesaurus PaUeohib., II, p. 270.
3. Thésaurus l'alseohib., II, p. 270.
268 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
On pourrait objecter que quelques-uns sont des enfants
illégitimes, sainte Brigit, par exemple'.
Sans doute, la multiplicité des saints nés hors du mariage
s'explique dans une certaine mesure par le fait que les
enfants illégitimes étaient exclus de l'héritage de la fine et
que beaucoup devaient par conséquent prendre les
ordres, ne pouvant vivre autrement d'une manière hono-
rable.
Mais alors comment expliquer que tant d'eux sont
devenus des abbés et des évoques? Et puis leurs pères
naturels sont toujours des rois puissants, ou bien des
druides, c'est-à-dire des personnages sacrés, comme les
rois.
En réalité, si les hagiographes irlandais ont une telle
prédilection pour attribuer une naissance illégitime à leurs
saints, c'est qu'ils croyaient leur donner plus de lustre
encore qu'aux simples parents des rois. La sainteté est en
Irlande presque une prime à l'illégitimité. Les saints deve-
naient ainsi des personnages parallèles aux héros fils de
dieux.
Tous les autres grands saints sont de race royale". Le
type du saint plébéien, si répandu dans le reste de la chré-
tienté, est presque inconnu en Irlande.
1. Betha Brigte, dans les Three middle-Irish Homilies de Whitley
Stokes, p. 186.
2. Coluracille, par exemple, est issu de la maison royale de Tircon-
nell : Betha Coluim-Chille, 1. 742 ss. dans Lives of SS. from the Book of
Lismore. Saint Molaise est un descendant direct en ligne paternelle
d'Aengus, fils de Nadfraoch, et dAiiill Ollomh, rois de Munster. Sa généa-
logie est tracée jusqu'à « Adam fils du Dieu Vivant ». Sa mère est Monoa,
petite-fille de Fedelmid Rechtmar, roi suprême d'Irlande. Il unit donc
en lui le sang des deux plus illuslres dynasties d'Irlande, celle de Tara
et celle de Munster. Dans une liste des saints abbés et évêques d'Ar-
magh, publiée par James Ware, De prxsuUbus Hibernise, p. 1 ss., nous
ne relevons que des noms nobles et quelques noms appartenant à des
rejetons de races royales. — Cf. aussi Geinealach Corca Laidhe, p. 56
ss., et p. 60 : généalogie des trois saints Fothad.
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L IRLANDE 269
Les saints sont des patrons aristocratiques. — Aussi
les saints sont les patrons plus particuliers des maisons
royales et de haute noblesse.
Kcatinp^ a réuni une liste de quelques-uns de ces patrons.
Saint Gaemghin de Glcndalough est le patron des O'TooIe
et des O'Byrne ; saint Maedog de Ferns est celui des O'Ken-
shelagh ; saint Moling des O'Gavanagh Mac Murrogh ;
saint Fintan de Cluain-Aidnech est le patron des O'Moore;
saint Cainnech protège les Mac Gilla Patrick, chefs des
Osraighi ; saint Sedna les O'Brien de la branche d' Aharlow ' .
Gomme les autres saints irlandais saint Patrick est
UN parent de ses fidèles. Il l'est en qualité de père
nourricier spirituel. — A première vue saint Patrick
échappe à ces règles générales. Un ne pouvait faire de lui
un enfant illégitime, ni même un parent d'une dynastie
royale irlandaise. Tout au plus est-on parvenu à lui fabri-
quer la fameuse généalogie qui remonte au roi Brito".
Mais saint Patrick n'en est pas moins considéré comme
un parent de ses fidèles. Il est le père nourricier de tous
les patrons particuliers.
Son premier acte en débarquant en Meath a été de
prendre Benignus pour dalta ^. Benignus a succédé à saint
Patrick comme évêque d'Armagh *.
Partout où il passe les rois et les chefs lui confient un
enfant en bas-âge, qu'il élève et dont il fait plus tard un
évoque ou un prôlre **.
Quant aux saints étrangers qui ont accompagné saint
1. Kcaling, éd. Dinneen, Irisli Texls Soc. IX, p. 112.
2. Cf. plus haut, ch. ii.
o. Tirechân, p. 303.
4. Ware, De prœsulibus Hiberniae. p. 1.
5. Tirechân, pp. 309. 3i2, 3io, 328, 329.
270 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Patrick, et qui ont joué, comme saint Lomnan, le rôle d'aùe
envers les patrons de clans, ils appartiennent à la midnter,
à la famille ecclésiastique de Patrick, sur laquelle il a un
pouvoir de père. De plus ils sont les parents de l'apotre
par sa mère ' .
L'expression « père de la foi des Irlandais » appliquée
à Patrick, n'est donc point une simple figure de rhétorique
Saint Patrick est réellement uni aux tùatha d'Irlande par
un lien de parenté juridique. Son culte est celui d'un père
adoptif, pareil à celui qu'on rendait à certains héros. Mais
si ses liens avec les clans et les familles sont moins appa-
rents que ceux d'autres saints, il en a de plus forts avec
l'Irlande entière. Ce n'est pas le héros d'une province, le
saint d'un monastère. C'est le héros national.
1. Ware, op. cit., p. 1 : Secundinus... sancti Patricii ex sorore nepos ».
Thésaurus Palaeohib., II, p. 270 : « progenies autem Lomnani de Britto-
nibus, id est, filius Gollit, germana autem Patricii mater eius. Germani
autem Lomnani hii sunt episcopi: Munis hi Forgnidiula Cuircniu (qui
est en Forgnide de Curcen) ; Broccaid in Imbliuch Equorumapud Ciar-
raige Connact, Broccanus im Brechmig apud Nepotes Dorthim. Mu
Genoc hi Cill Dumi Gluinn in deisciurt Breg (dans l'église de Dune
Gluin dans le Sud de Breg).
CHAPITRE VII
ROLE DES FILID DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE
DE SALNT PATRICK. SALNT PATRICK HÉROS NATIONAL.
Commenl expliquer que la légende de saint Patrick
ail pris Taspeel d'un mythe héroïque de l'Irlande entière?
L'étude des institutions auxquelles était confiée la garde
de la tradition nationale fournira la réponse à la ques-
tion.
Le tableau que nous avons tracé dans le précédent cha-
pitre n'est pas un tableau complet des groupements des
hommes en Irlande. Au-dessus des familles, des clans et
des royaumes, on y trouvait des confréries nationales.
Ces institutions sont les deu.x corporations des druides
et des filid.
Les druides sont les prêtres de l'irlande p.\ien>e. —
Comme leurs confrères gaulois les druides irlandais sont les
ministres reconnus de la religion officielle'.
Ils président aux sacrifices. Les druides interviennent
1. Sur les druides en général, tant en Gaule que dans les Iles Bri-
tanniques, on a consulté surtout les études de d'Arbois de Jubainville,
dan» Introduction à l'étude de la littérature celtique {Cours de litlér.
celtique, I). Paris 1880, p. 135 ss., p. 148 ss. et passim, et, du raôrae.
Les Druides et les dieux celtiques à formes d'animaux, Paris, 1906;
Ale.xandrc Bertrand, Nos origines. Religion des Gaulois; O'Curr^'. Man-
ners and Customs, II, passim; Squirc, op. cit.; Julius Pokorny, Der
Ursprung des Uruidentums dans Mitteilungen der anlhropolog. Gesell-
schafl in Wien, XXXVIII, Vienne, 1908.
272 SAINT PATRICK KT LE CULTE DES HÉROS
dans la cérémonie nommée Tarifes qu'on célèbre en vue
des élections royales et dont le rite principal est, on le sait,
l'immolation d'un taureau blanc'. Dans l'histoire de la
Cour faite à Beciana les druides ordonnent un sacrifice
expiatoire public ; ils en prescrivent le rituel et en indiquent
la victime ^ Ce sont les druides qui allument les feux des
fôles et qui y brûlent les offrandes ^ Snivant César les
druides gaulois s'occupaient des sacrifices publics et pri-
vés. Us pouvaient en priver le peuple en guise de châti-
ment*.
Les druides irlandais imposent un nom aux enfants qui
viennent de naître ^
1. Passage de Serglirje Conchulainn, éd. Windisch, Irische Texte,
I, p. 213 : ocits 6r firindi do canlain do celhri drudib f'air, et une
parole de vérité est chantée sur lui (sur Ihomme qui a mangé la chair
du taureau sacriflé) par quatre druides ».
2. O'Curry, loc. cit. (Cf. plus haut, chap. m).
3. Feux de Beltaine : Sanas Cor maie, elle chap. m. Offrandes brûlés
par les druides dans le feu de Samhain : Bataille de Crinna. loc. cit..
p. 3tj0 ; Keating, éd. Dinneen, Irish Texls Soc. VIII, p. 245.
4. De bello galtico, VI, 13 : « lUi rébus divinis intersunt, sacrificia
publica ac privata procurant, religiones interpretantur... Si quis, aut
privatus, aut publions eorum decreto non stetit, sacrificiis interdicunt.
Haec pœna apud cos est gravissinia. Quibus ita est inlerdictum, hi nu-
méro impiorum ac sceleratorumhabentur, his omnes decedunt, aditum
sermonemque defugiunt, ne quid ex contagione incommodi accipiant,
neque lis petentibus jus redditur, neque honos uUus comunicatur ».
C'était donc une véritable excommunication.
5. Vie Tripavlite, éd. Whitlcy Stokes, p. 160 s. ; Longes mac n-Usnig,
éd. Windisch, § 5. dans Irische Texte, I, p. 68. — Le récit Gein Bra/i-
duib maie Echach, publ. ])ar M. Kuno Meyer dans Zfl. fur Celtische Philo-
logie, II, p. 137. parle d'un baptême druidique : cf. Voyage of the sons
of O'Corra, éd. Whitley Stokcs dans Rev. Celtique, XIV, p. 28 ; cf.
baptême païen {baithis geinllidhe) du héros Conall Cernach, Côir
Anmann, éd. Withley Stokes, loc. cit., p. 393 ; baptême du roi Ailill
Ollomh « dans les flots druidiques » : Cath Miiighe Léana, p. 165.
— Mais tous ces exemples ne permettent pas de conclure que les
druides cités aient réellement pratiqué un rite pareil au baptême. Les
textes ont tous été rédigés à une époque où le christianisme avait
depuis longtemps pris racine en Irlande, et où ses rites étaient bien
entrés dans les mœurs du peuple. Il est possible que le baptême païen
n'a été imaginé que parce qu'on ne se figurait pas qu'un homme
puisse ne pas être baptisé, et comme d'autre part on considérait alors
les druides comme des sorciers, on leur a attribué la pratique d'un
ROLE DES FILII) DANS L.\ FORMATION DE LA LÉGENDE 273
Ils cultivent la science du calendrier. Cathba, druide du
roi Conchobar, enseigne à ses disciples comment recon-
naître les jours fastes et néfastes ^ Le druide Nuca indique
à Mael-Duin le jour où il doit se mettre en voyage *. Les
femmes enceintes s'eiïorcent d'accoucher le jour fixé par un
druide afin que l'enfant devienne un personnage illustre \
Les druides s'occupent de divination. Cathba et ses con-
frères scrutent les nuages afin d'apprendre l'issue d'une
bataille prochaine*. Le nom du druide Mog Ruith vient,
suivant le Coir Anmann, de ce qu'il lisait l'avenir dans le
mouvement des roues, rotha^ . On a recours aux druides
pour interpréter les signes de toute nature, les songes*.
L'épopée irlandaise est pleine de prophéties druidiques et
il y en a jusque dans les Vies des saints ' .
rite qui paraissait être la contre-façon diabolique d'un sacrement chré-
tien. Cf. le passage cité du Voyape of the Sons of O'Corra : les fils
d"0'Corra sont baptisés par les druides pour qu'ils soient consacrés
au service du diable.
1. Tàin Bô Cùalnge, 1. 1070.
2. Imram cuirech Mael-Duin, éd. citée, préface.
3. Navisance de Conchobar, version du Ms. Slowe 992 de la Royal
Irish Academy, trad. de M. Dottin dans Epopée celtique, p. 16 ; légende
de la naissance de Fiacha Muillelhan, Rev. Celtique, XI, p. 43, et Silva
Gadelica, vol. des trad., p. 354.
4. Tâin B6 Cùalnge, version du Ms. Stowe, 984, 1. 5482 ss. et 5489 ss.
de l'édition Windisch. — La divination d'après les éléments était aussi
connue des Celtes continentaux : Slrabon, IV, c. iv § 4. Seulement ce ne
sont pas les druides, mais les oùâTôtç qui la pratiquent.
3. Côir Anmann, éd. Whitley Stokes, loc. cit., % 287 : ar is a rothaib
donilk a taisceladh druidechta. Mog Ruith avait une fille qui partit
pour l'Orient afin d'y apprendre à pratiquer le « druidisme » d'après une
« roue d'annonciation » (roth ramliach). — Ce sont, d'ailleurs, les seuls
e.xemples de la roue divinatoire en Irlande, et ils se trouvent tous deux
dans un texte qui n'est pas antérieur au xii« siècle et qui est un traité
à prétentions savantes, donc suspect.
6. Dealh of Muircertach, § 37 : le roi a un songe prophétique que le
druide Dub-dâ-rind lui explique; Dinnsenchas de Loch Garman dans
Dinns. de Rennes, Rev. Celtique. XV, p. 431 : songe du roi Cathair Môr
interprété par un druide.
7. P. ex. dans Longes mac n-Usnig, loc. cit., § 3 ss. ; dans la Nais-
sance de Conchobar, version et lieu cités, p. 18 s. ; dans Scél Baili
Binnberlaig, éd. Kuno Meyer, Rev. Celtique, XIII, p. 222 l. 23 ss. ; chez
CzARNOWSKI. 18
274 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Les druides définissent les geasa personnels de chacun,
lis peuvent en imposer de nouvelles à leur gré*. On
demande leur conseil sur les prescriptions à observer en
toute occasion, par exemple sur le nombre des compa-
gnons qu'on peut emmener en voyage".
Ils sont enfin conjurateurs et thaumaturges. Des maux
divers accablent par leur œuvre les armées ennemies %
tandis qu'une barrière magique infranchissable défend celle
que protègent les druides'. Ils commandent aux éléments,
au froid et à la chaleur, à la clarté et aux ténèbres ^ Leurs
Muirchu, p. 274 ; dans la Vie Triparlite, éd. Whitley Stokes, p. 34. —
Cf. d'Arbois de Jubainville, Introduction à Vétude de la littérature
celtique, p. 131 ss. : on attribuait généralement aux druides irlandais
le don de prédire l'avenir.
1. Les geasa peuvent être des interdictions aussi bien que des obli-
gations positives. — Cf. Bruiden Dà Chocs, loc. cit. : cette légende
a pour sujet la violation de geasa qui avaient été imposées au héros
du récit par les druides. La geis est une incantation qui a une inter-
diction magique pour objet. — Lemotg'eiss = gessis:=^ec?-<i-s vient dune
racine *ged, 'god, dont la seconde forme se retrouve dans le substantif
guide z= godia. « prière » et dans le verbe dénominatif guidim — « je
prie » : d'Arbois de Jubainville, Épopée Celtique, préface, p. xxxi,
note 1. — Il y avait une limite aux geasa. Quiconque s'en était vu im-
poser une qui était impossible à observer, avait droit à une réparation
égale à un septième de la composition qui aurait du être payée en
cas de meurtre d'une personne de son rang.
2. Imram cuirech Mael-Duin, loc. cit. : c'est le druide Nuca qui fixe
le nombre des compagnons de Mael-Duin. Un frère du voyageur le
rejoint à la nage et l'implore tant qu'on finit par le prendre. Alors une
tempête fait perdre son chemin à Mael-Duin, et plus tard son frère
périt.
3. Cath Maighe Tured, loc. cit., § 80 : Lug demande au druide Figol
fils de Mamos. des Tùatha Dé Danann, ce qu'il fera contre les Fomoré.
n Je ferai tomber trois pluies de feu sur le visage des guerriers Fo-
moré » — dit Figol — « je leur ôterai les deux tiers de leur courage et
de leur valeur , j'enverrai une rétention d'urine à leurs hommes et à
leurs chevaux. » Cf. § 113 : les druides répèlent en corps les mêmes
menaces.
4. A la bataille de Culdremne le druide Fraechan mac Tenusan élève
autour de l'armée du roi Diarmaid une barrière magique qu'aucun des
ennemis ne peut franchir sous peine de mort. D'Arbois de Jubainville,
Introduction, p. 1% s., Silva Gadelica. II, 85 et p. 516.
5. Les meilleurs exemples du pouvoir des druides sur la nature sont
ceux qu'on a cités, et qui sont fournis par la légende du tournoi ma-
gique entre saint Patrick et les druides. Cf. aussi O'Curry, Manners and
ROLE DES FILID DANS LA FORMATION DE LA LÉC.ENDE 275
exorcismes cnrayont les calamités publiques*. Les dieux
sont forcés de plier devant la volonté des druides^.
Le druidisme, driiidechl, constitue en Irlande l'essence
môme de toute puissance divine '\ Le druide est ainsi le
maître du monde spirituel et l'inlermédiaire attitré entre
celui-ci et les hommes.
Situation sociale et influence politique des druides.
— Les druides sont des fonctionnaires publics attachés aux
cours royales.
Le rang qu'ils y occupent correspond à leur grande auto-
rité spirituelle. Suivant la Tàin Bô Cûalnge le roi d'Ulsier
ne pouvait prendre la parole en public avant son druide ♦.
Cusloms, II, p. 10 s. : Le roi Conn, qui était aussi un druide très puis-
sant, a fait une fois tomber la neige sur sa province entière.
4. Dinnsenchas cités de Carman, premier récit : les Tùatha Dé Danann
envoient contre la déesse malfaisante des enchanteurs, et à leur tète,
un druide.
2. TocfimarcEtâine, éd. Windisch, dans Irische Texte, I, p. 129, § 18 :
le druide Dalân découvre la cachette dans laquelle le dieu Mider a mis
Etâin, malgré le secret dont s'était entouré Mider. Dalân s'est servi de
baguettes (flesca), sur lesquelles il avait inscrit des signes en ogham.
3. C'est par druidecht = « druidisme» qu'on désigne la nature même
des dieux Tùatha Dé Dânann. Cf. d'Arbois de Jubainville, Cycle Mylho-
lof/ique, p. 141 ; Tùaîi mac Cairill. loc. cit., § 12 : les Tùatha Dé Da-
nann sont des savants {ar pebas a n-éolais). Or les druides sont des
savants, des voyants. Le mo\. druides = c/?'u-j/i</es signifie « fortement
voyant ». Dru est une racine indo-européenne à trois formes : *doru
qui se retrouve dans le grec oopv = « lance » ; *deru qui a donné le
gaulois (/erwo «chêne », en gallois de/'u', en breton derv, dero; troi-
sième forme 'dru dans l'irlandais dron =: *dru-no = « fort » et dans le
grec opôff := « chêne », uid-es vient de la racine '^eid, *^oid, '^id =
« voir », « savoir » — d"où le grec cToov = « j'ai vu », oToa= « je sais » ;
latin uideo, allemand weiss : Thurncyscn cité chez d'Arbois de Jubain-
ville, Les Druides et les dieux celtiques à formes d'animaux, p. 85, cf.
p. 1, et p. 11. Les druides gaulois étaient de même des savants. Dio-
dore de Sicile, V, 38 dit qu'on nomme druides les philosophes : <pt).(5(Toooî
"À Ttvèç eiff'. xa; Oeo/ôyoi Trep'.xTÔ); Tt{jia»[jievoi, o'jç opoii(oaç ovojjiiÇoudt.
4. Tàin Bo Cùalnfje, 1. 4723 ss. : Is amlaid ra batar Ulaid : geiss d'Ul-
taib labrad rena rirj, geis don rig labrad rena druidib. — « chez les
Ulales il était ainsi : interdiction aux Ulatcs de parler avant leur roi ;
interdiction au roi de parler avant ses druides ». — Cf. Windisch,
note 3 à la p. 672 de la Tàin Bô Cûalnge.
276 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
La place des druides aux banquets est à côté du roi*. Ils
sont tous issus de la plus haute noblesse.
L'influence des druides est considérable. Ils sont les
conseillers des rois". On leur confie des ambassades'. Il
en est de même en Gaule, où les druides avaient une influence
prépondérante dans toutes les affaires publiques *, et où ils
jouissaient d'une immunité, pareille à celle qui constituait
un des privilèges les plus importants du clergé au Moyen
Age^
Les chefs irlandais confient fréquemment leurs enfants
aux druides comme à des pères adoptifs. C'est le cas des
deux filles du roi Loegaire et de Mogh Nuadat, fils et succes-
seur d'un roi de Munster^ Les druides sont les éducateurs
attitrés de la noblesse gauloise ' .
Lesfilid. Leurs fonctions. — Quant aux /^/<c?, ce sont les
ixày-t'.;, les devins gaulois de Diodore de Sicile *, qui, selon
i. O'Curry, Manners and Customs. II, p. 49; d'Arbois de Jubainville.
Introduction, p. 196 ss.
2. P. ex. Cathba qui est le conseiller de Conchobar dans tous les
récits du cycle épiqa| dUlster. — Cf. Hennessy, The cause of the
batlle of Cnucha, dans Rev. Celtique, II, p. 88.
3. Cath Muig/ie Le'ana. p, 18 s. : c'est le druide Deargdanohsa qui
va solliciter une trêve après une bataille, auprès du chef de l'armée
victorieuse.
4. Chez les Héduens les magistrats sont autorisés « per sacerdotes »,
c'est-à-dire, par les druides : César, De belle qallico. Vil, 33, § 3. —
Diviciacus, chef du parti romain en Gaule au temps de César, un
homme très influent et qui appartenait à la plus haute noblesse, était
un druide. De bello gallico, textes réunis dans Holder, Altceltischei'
Sprachschatz, I, col. 1260-1262 ; Cf- Gicéron, De Divinatione, 1. 1, cap. 41,
§90.
5. César, De bello gallico, VI, 14, § 1 : « Druides a bello abesse con-
suerunt neque tributa una cum reliquis pendunt ; militiae vacationem
omniumque rerum habent immunitatem ».
6. Tirechân p. 312 ss. ; Vie Tripartite, éd. Whitley Stokes, p. 92.
— Cath Muighe Léana, lac. cit.
7. César. De bello gallico. VI, 14, §§ 2 ss. — Cf. d'Arbois de Jubain-
ville, Les Druides et les dieux, p. 57 ss. ; Introduction, p. 33.
8. Diodore de Sicile, 1. V. c. 31 : ypîh-^'zii'. oï xaî (lavTetJ'.v, aTroScxT);
ROLE DES FII.ID DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 277
Slrabon, s'occupaient de sacrifices et étudiaient la nature.
Sfrabon les nomme oùaTî'-^', ce qui est probablement la
transcription d'un uâtïs p^aulois, identique au latin uates.
A uât'is répond le mol irlandais faith, au pluriel fàthiy
« prophète »". Or, les filid sont nommes aussi fàthi lors-
qu'on a en vue leur pouvoir divinatoire^.
La divination est une fonction essentielle des filid. A la
suite de rites particuliers, ou de conjurations faites en un
lieu et à une date convenables, ils obtiennent la révélation*.
Ils se servent aussi de baguettes divinatoires, /7e.sc ftled^.
Le filé accompli est un inspiré auquel il suffit d'improviser
un poème pour dévoiler les choses occultes*.
Les/z/jrf pratiquent l'incantation magique. En improvisant
un quatrain approprié ils peuvent provoquer des ulcères
hideux sur la face de la personne visée. Ils peuvent aussi
jjleY'^Xtj; àç'.oùvjÊç aùroôç' ojtoi ci 5ii t£ xr^c, oIojvoaxoTrtaç, xal O'.a
Tf,ç Ttuv teosîoiv ^••ji'.xc. Ta [ji£X).ovTa rpoXÉYO^'-) >'-3;î ^àv tÔ T^^ï^^o<,
£)^ou(Jiv ij7:t(xoov.
1 . Strabon, I. IV, c. 4, § 4 : oùaTeiç oe kpoTroiot xal ^yaiôXoyot.
2. D'Arbois de Jubainville, Les Druides et les dieux, p. 103.
3. Sur l'équivalence des termes fàilh et filé, fili, cf. ibid., p. 106,
note 1.
4. Il y avait trois procédés de divination que chaque filé était tenu
de connaître, Vimbas forosnai, le leinm laegda et le dichelal di chen-
naib : Livre de l'Ollamh, cité chez O'Curry, Manners and Customs, II,
p. 172. — Sur Yimbas forosnai cf. ci-dessus, chap. m. — Le teinm laegda
consistait à toucher avec une baguette l'objet sur lequel on voulait être
renseigné et à improviser un quatrain. Dans le Dichelal di chennaib
on mettait le bout de son doigt dans sa bouche, on le mordait très
fort et on improvisait un quatrain sur la question posée. Dans les
textes les deu.x procédés en question ne se distinguent pas bien l'un
de l'autre : Sanas Cormaic, sub Mogheime, éd. Kuno Meyer, Connac
and Finn, dans Silva Gadelica, p. 'J8 ; cf. Ludwig Christian Stern
dans Rev. Celtique, XIII. p. 16 note, et O'Curry, op. cit.. Il, p. 209 s. ;
H. d'Arbois de Jubainville, Introduction, p. 249 ss., et p. 256.
5. Sanas Cormaic, sub Caire Breccàin, éd. Kuno Meyer, p. 28.
6. C'est-à-dire en pratiquant le dichelal di chennaib. Un filé qui pou-
vait le faire portait le titre de sui, sage, et marchait sur un pied d'éga-
lité avec les rois et les évèques : d'Arbois de Jubainville, Introduction,
p. 251 ; Cf. ci-dessous, hiérarchie et privilèges des filid.
278 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
la combler, au contraire, de bienfaits'. Ils conjurent les
esprits-. Us sont adjoints en qualité d'exorcistes aux
druides qui luttent contre la déesse Carman \
he filé est un savant, vces'. Il est tenu de fournir une
1. Une incantation se nommait glam dicend, ou bien, d'une manière
plus générale, câ?n (chant). Ainsi le filé Néde, auquel sa maîtresse, la
femme du roi Caier avait demandé de la débarrasser de son mari,
improvise un glmn dicend contre Caier : Mali bare gare Caier, cotmbeo
[da) tur cealthru cathœ Caier. Caier diba, Caier dira, Caier furo, fumara
fochara Caér. — « Malheur, mort, vie courte pour Caier, que les lances
blessent dans la bataille Caier, Caier diba (?) ...dirai?), sous terre
Caier, sous les remparts, sous les pierres Caier ! » A la suite de quoi
Caier « trouva sur son visage trois ulcères... notamment Souillure,
Blâme et Laideur, un ulcère rouge, un vert et un blanc ». Publié par
Whitley Stokes dans Three Irish Glossaries, Inlroduciion, p. x.xxvii ss.
— De même trois càinte, ou faiseurs d'incantations, font jaillir trois
ulcères infamants sur le visage d'une jeune fille, Luain, qui s'était
refusée à leurs désirs. Luain meurt de honte : Tochmarc Luainejoc. cit.
— Dans un morceau qui appartient au cycle du roi Mongan, publié par
M. Kuno Meyer, dans Voyage of Bran, I, p. 45 ss., le filé ForgoU menace
de ses incantations Mongan et tous ses parents, et il annonce qu'il
« chantera contre leurs eau.x, de sorte que plus jamais on ne prenne
de poissons dans leurs estuaires;- qu'il chantera contre leurs forêts,
afin que celles-ci ne produisent jamais plus de fruits et contre leurs
plaines, afin qu'elles soient toujours stériles ». — Cf. Sanas Cormaic,
éd. Kuno Meyer, p. 20, sub càinte; d'Arboisde Jubainville,/n<?'od«c<jon,
p. 239 à p. 270; Robinson, article résumé dans Rev. Celtique, XXXIV,
p. 94 ss.
2. Par exemple ils évoquent les morts. Cf. légende de la découverte
de la Tain Bo Cûalnge, chez Windisch, Tâin, préface, p. lui.
3. Dinnsenchûs de Rennes, dans Rev. Celtique, XV, p. 311 s. : « Ai fils
d'Ollam, un de leurs filid, etCridenbél, un de leurs faiseurs d'incanta-
tions, et Lugh Laebach, un de leurs druides, et Bacuille, une de leurs
femmes allèrent jeter des charmes » contre Carman. Le càinte Criden-
bél est lui aussi un filé. S'il n'est pas nommé comme tel avec Ai, c'est
qu'on a voulu faire ressortir que celui-ci était avant tout un poète. Au
XII» siècle, lorsque les Dinnsenchas ont été recueillis, le titre de filé
appartenait plus particulièrement aux poètes, savants et historiens.
Mais chacun d'eux pouvait à l'occasion devenir un càinte.
4. Sanas Cormaic, éd. O'Donovan et Whitley Stokes, p. 49 sub
Felmac : Fêle. i. écess undc dicitur filidecht. i. écsi. — « Fêle, c'est-à-dire,
science ou bien savant, inde dicitur. art du filé, c'est-à-dire, science ».
— Glossaire d'O'Davoren, éd. Whitley Stokes, dans Archiv fiiir Cellische
Lexikographie II, p. 344, n» 877 : Fêle. i. ecas ». — Cf. ibid., p. 378,
n" 1042 : Glen. i. tuir né foghlainn. ut est, co runaibk atglentis. i.
tuirdis ?iô foglaindis gu sians. — « glen (rccte : glend), c'est-à-dire
chercher ou s'instruire, ut est, « c'est aux mystères qu'ils s'initient (lit-
téralement : c'est avec les mystères qu'ils s'instruisent) » », c'est-à-dire,
ils cherchent ou s'instruisent avec compréhension ». Il s'agit de l'acqui-
ROLE UKS FILII) DANS L.V FORMATION DE LA LÉGKNUE 279
réponse immédiate à toute question qu'on lui pose. Ainsi
Néde et Ferchertne, deux filid rivaux, se provoquent à un
tournoi de questions difliciles, formulées en un langage
mystérieux'. Le même Néde était revenu étudier sept ans
auprès de son ancien maître, lorsqu'il se fut reconnu inca-
pable d'expliquer le nom d'une plante".
Tous les professionnels dont l'art exige des études spé-
ciales ou qui exploitent une invention mystérieuse sont
assimilés aux /î//t/. Çla sont d'abord les artisans, aes dana,
forgerons, fondeurs, architectes ^ A plus forte raison le
médecin, qui pratique la divination comme moyen d'aus-
cultation et la magie comme moyen curatif ', est un filé spé-
silion de la science par les filé : cf. ibid., p. 376, n» 1029 et p. 382,
noioei.
1 . Immacallam in dd Thuarad. ou Conversation entre les deux
savants, éd. Whitley Stokes, Rev. Celtique, XXVI, p. 10 ss.
2. Ibid.. p. 8.
3. H. d'Arbois de Jubainville, Introduction, p. 260 ss. — Cf. Com-
mentaire au Senchus Mûr. Ancient Laws, II, p. M8 : ce sont les arti-
sans i)roprement dits, en particulier les métallurgistes, qu'on y entend
par aes dana. Or, la glose d'un autre passage du môme recueil, où il
est parlé du droit qu'ont les aes dana de disposer de leurs terres, (ibid.
m, p. 48) explique (p. 50), qu'il s'agit de terres acquises mad etail
bret/iemnasa, nu filideclita no, nach dana olcena. — « par l'exercice
de la judicalure, ou bien de l'art du filé, ou d'un autre talent quel-
conque ». — C'est sous la conduite des trois filid royaux de Conchobar
que les aes dana de l'Ulster arrivent sur le champ de bataille : Tàin Bô
Cùalnge, version des Mss. Stove '.J84 et Harleian 1,13., éd. W^indiscli. 1.
5466 ss.; cf. ibid., glossaire, p. 954, col. 2 : aes dana désigne aussi
bien les artisans i(ue les poètes, les devins et même, parfois, les
druides. — Il est vrai que le recueil de droit intitulé Uraicecht Becc
refuse aux artisans et aux médecins des privilèges égaux h ceux des
poètes et des devins : Ancient Laws, V. p. 94, ^ 2. Mais la composition
de ce recueil ne remonte pas plus haut que le xui» siècle, c'est-à-dire,
qu'il date d'un temps où l'on n'entendait plus par filid que les gens de
lettres qui seuls avaient réussi à garder un reste de leur ancienne
splendeur. Encore VUraicecht Becc reconnaît que les médecins et les
artisans eux-mêmes peuvent avoir droit au titre il'ollam/i, ou docteur,
savant, qui est un titre particulier aux filid. Cf. ci-dessous, hiérarchie
des filid.
4. Ainsi l'épithète de Fingin, le médecin épique du cycle d'Ulster,
est-elle f'àthliaii), c'est-à-dire, inédeciiv-devin, médecin-prophète : Tain
Bo Cùalnge. 11. 42'JO ss. et 5506 s. — Cf. ci-dessus, p. 222, les signes
280 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
cialisé '. Enfin les /il id comprennent les musiciens joueurs
de crotta, la harpe irlandaise*, qui est un instrument
magique entre leurs mains \
Une catégorie importante des filid est constituée par les
jurisconsultes, brethcmain. Arbitres des contestations, ils
conservent intacte la tradition des sentences antiques, qui
auxquels il reconnaissait la nature et la cause des maladies. — Sur
les méthodes de l'ancienne médecine irlandaise, cf. Joyce, op. cit., l,
p. 624ss. — Incantations médicales dans le Ms. irlandais de Saint-Gall
(viii« siècle) : Thésaurus P alaeohibernicus. II, p. 248. Propriétés cura-
tives des herbes et en général des diverses matières usitées en méde-
cine, prescriptions pour leur emploi dans Ancient Irish treatise on
Materia Medica, dans Rev. Celtique, IX, et A Celtic Leechbook, dans
Zft. fur celtische Philologie, I, p. 17 ss., tous deux publiés par Whitley
Stokes. — Cf. aussi Silva Gadelica, p. 126. et p. 252 s.
1. Remarquons que dans les légendes épiques se sont les Tùatha
Dé Danann , qui sont les guérisseurs attitrés des héros : Tdin Bô
Cùalnge, 1. 2478 s. ; Cath Muighe Léana, p. 90. — Or les Tùatha Dé
Danann sont considérés comme étant dans une alliance étroite avec
les filid. — Cf. ci-dessous, identité de la déesse tutélaire des médecins,
Brigit, avec celle des filid poètes et des artisans.
2. Tous \qs filid s'accompagnent de la crotta en chantant : O'Curry,
Manners and Customs, chap. x.\xii, xxxni et passim ; cf. d'Arbois de
Jubainville, La civilisation des Celtes, p. 134. — Inversement, seuls
entre les musiciens, les joueurs de crotta jouissent, du fait même de leur
profession, de privilèges analogues aux autres aes dana. Us ont droit
aux honneurs dus à un bô-aire : Ancient Laws, V, p. 106. Dans les
légendes épiques les harpistes sont toujours mentionnés à côté des
filid poètes des plus hauts grades et comme leurs égaux. Ainsi les deux
pères adoptifs du roi légendaire Labraidh Loingsech sont le filé Fer-
certne, qui est un poète, et le harpiste Craiftine : OCurry, op. cit., II,
p. 51. Le Lebar na Gabala raconte que lorsque les deux fils de Mile
partagèrent entre eux l'Irlande et toutes ses richesses, ils tirèrent au
sort pour savoir auquel des deux appartiendrait le plus renommé des
poètes et lequel aurait pour sa part un célèbre joueur de crotta : texte
publié par OCurry, op. cit.. II, p. 4 s. — Les deux artistes sont donc
bien considérés comme égaux. De plus tous les deux sont nommés
« instructeurs », « professeurs des doux arts ». Leurs deux professions
se valent donc elles aussi.
3. En jouant de la c>'o//a, le filé provoque un sommeil magique. Ainsi
le harpiste Craiftine joue avant une bataille un air qui endort les
ennemis, tandis que ses propres compagnons sont obligés de se bou-
cher les oreilles pour ne pas s'endormir eux aussi : Orgain Dind-rig,
The Destruction of Dind-rig, éd. Whitley Stokes dans Zft. fur Celtische
Philologie, III, p. 12, §§ 19 et 20. Il endort pareillement les parents
d'une jeune fille pour lui permettre de rejoindre son amant : ibid.,
p. 11, §13.
J
ROLE DES FILID DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 281
servent de précédents à la jurisprudence irlandaise ^ Seule
la science du parfait filé est assez grande pour connaître
toutes ces sentences et pour en interpréter le langage
a^chaïque^ Et tout filé est obligé d'avoir l'érudition d'un
brethem, môme lorsqu'il n'en remplit pas régulièrement
les fonctions'.
Tout fîlè est enfin historien et antiquaire, sencha''.
11 sait par cœur les Dinnsenchas, recueils de légendes
locales. Il veille sur les généalogies de sa tûath. On s'en
1. D'Arbois de Jubainville, Orifjine de la juridiction des druides et
des filé, dans Rev. Archéologique, Mars, 1884; le même, Résumé d'un
cours de droit irlandais, p. 11 ss., p. 103; O'Curry, Manners and Customs,
II, p. 20 s. — Senchus Môr, I, p. 22, p. 80, p. 86. — L'exercice de la
justice est un privilège des filid depuis le temps reculé où les fils de
Mile débarquèrent en Irlande et y soumirent leur premier litige à la
sentence du filé Amairgen : O'Curry, op. cit.. Il, p. 20 et p. 188 ss. —
On sait qu'en Gaule c'étaient au contraire les druides qui étaient juges
des procès : César, De bellico gallico, VI. 13, § 5 et § 6.
2. Comtholh Loegairi co cretim, éd. Plummer, loc. cit., p. 165 ; Senchus
Môr, Introduction, dans Ancient Laws I. p. 4 : le roi Loegaire institue
une commission pour codifier les lois irlandaises, et qui se compose
en partie de filid « savants dans la langue des Féne ». M. Thurneysen,
Rev. Celtique, VII, p. 369 ss., suppose que les filid et bvethemain se
servaient d'une langue secrète, une sorte d'argot, et que c'était pré-
cisément cette langue qu'on nommait ogham. Cf. plus loin. Mais même
écrites en irlandais, les sentences du Senchus Môr sont extrêmement
difficiles à interpréter.
3. L'étude du droit irlandais est obligatoire dans les écoles de filid
dès la quatrième année d'étude : Joyce, op. cit., I, p. 431.
4. Cf. O'Curry, Manners and Customs, II, p. 50 s. : liste des historiens
du peuple de Mile depuis son arrivée en Irlande, d'après le Ms. Livre
de Ballymote ; un seul est druide, tous les autres sont des filid. Encore
ce druide est-il Cathba, c'est-à-dire, un personnage presque aussi
célèbre que Cùchulainn et Coiichobar, et leur compagnon. On l'a nommé
précisément à cause de sa célébrité et parce que sa qualité de druide
en faisait un savant : Cathbath, ar ba fissid side, {Longes mac n-Usnig
dans/risc/ic Texte, I, p. 68). Cf. fissid :=sophis ta. cathus. gnarus : Zeuss,
éd. Kbel, 772 ; « wissend. wissender », Windisch, Irische Texte. I, Wôr-
lerbuch. — Sur le rok' des filid comme historiens cf. Windisch, Einleitung
•à son éd. delà Tain. p. li : l'histoire de l'Irlande s'appuyant surtout sur
des récils épiques et des légendes, les filid qui avaient pour fonction de
réciter ces histoires sont devenus tout naturellement des historiens.
Peu à peu ils ont abandonné toutes leurs autres occupations pour se
consacrer exclusivement au travail d'archivistes et de compilateurs.
Cf. (»' Donovan. Tribes and Customs of Hy-Fiachrach, p. 10 : Clann
Firbisigh. i. fUeadha. Or ce sont des historiens.
282 SAINT PATRICK EE LE CULTE DES HÉROS
réfère à lui pour la justification des privilèges et des
droits'. Aux cérémonies d'intronisation le sencha remé-
more les us et coutumes de la tribu et fait prêter au roi le
serment de les respecter". Il sert d'archives vivantes aux
tûatha d'Irlande.
Fonction mythopoétique des filé. — Mais avant tout
les filid sont les créateurs et les gardiens de la tradition
mythique et épique.
Ils sont poètes et narrateurs. Le filid s'en va partout où
il espère trouver un auditoire, chanter les gestes des dieux
et des héros ^. Dans les cours royales, aux banquets, il est
1. Les Dinnsenchas et les Bretha Nemed sont matières d'études obli-
gatoires dans les écoles ûe filid: Joyce, loc. cit. — Dans les légendes
épiques à chaque moment on voit les filé interrogés sur les événements
du passé, sur les généalogies, sur la raison des particularités d'un
lieu, d'un nom, d'un état de droit. Cf. par exemple l'épisode cité de
l'histoire de Mongan ; cf. Immacallam in dà Thuarad, loc. cit.
2. Keating, éd. Dinneen, Irish Texts Soc, IX, p. 10 ss.
3. Cf. Windisch, Einleitung à son éd. de Tâin Bô Cûalnge, p. xlv ss. ;
d'Arbois de Jubainville, hilroduction, p. 49 ss. ; O'Gurry, Manners and
Customs, II, ]). 48 ss. C'est par le mot filé qu'on désigne les poètes et
les conteurs dans toute la littérature irlandaise. Donn-bo, par exemple,
est un filé : CathAlmaine, loc. cil. Les quelques personnages historiques
qui ont laissé des œuvres poétiques, comme Cinaed hùa Artacain,
Cuan hùa Lochain, étaient des filid. Dans le morceau Tochmarc Ferbe.
éd. Windisch. dans Irische Texte, lll, p. 518, le roi Conchobar revenant
d'une expédition guerrière raconte ses exploits à sa femme et recom-
mande à son filé Fercertne « de composer bien vile un poème parfait
afin de conserver la mémoire de cette histoire ». — Il faut distinguer
le filé, en tant que poète, du barde. En Irlande le mot bàrd désigne
aussi un poète, mais un poète populaire, qui n'a fait « aucune étude
obUgatoire et auquel suffit son propre esprit » : Ancient Laws. IV, p. 3G0.
Sa poésie (bardne) « n'est pas composée comme il faut » : cf. Thur-
neysen dans Irische Texte. III, p. 107 ; « Il n'a besoin ni de savoir lire,
ni de savoir ce qu'est le pied d'un vers ». Aussi est-il un homme de
peu devant la loi. Il est considéré comme insolvable, ses cautions
ne sont pas admises et il n'est pas capable de faire opérer une saisie.
Avec le lethcerd, « demi-artisan », c'est-à-dire l'ouvrier qui sait trop
peu de chose pour entrer dans la corporation, avec le càinte ou sorcier
vulgaire et le muirchuirl ou le naufragé, le bàrd rentre dans la catégorie
des deorad qui ne peuvent paraître dans l'assemblée législative et poli-
tique nommée airecht : d'Arbois de Jubainville, Résumé d'un cours de
droit irlandais (1" semestre), Paris, 1888. p. 21 s^. Cf. du même, Intro-
ROLE I>KS FILII) DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 28Î
un personnage indispensable, auquel on demande des his-
teurs toujours nouvelles sur la gloire des anciens temps,
et dont on écoute avec complaisance les poèmes adula-
teurs ' . Le [ilé est tenu de fournir un récit sur tout
sujet qu'on lui impose, même lorsque renchaînement des
faitsa été notoirement oublié. L'inspiration et les révé-
lations surnaturelles viennent toujours en aide au filé
accompli".
Comme poète, le filé a une place réservée dans les céré-
monies du culte. Il est chargé de composer le panégyrique
du héros mort^ et ce poème est répété aux anniversaires
des funérailles. Aux assemblées, tandis que le druide s'oc-
cupe du sacrifice, le filé commente et explique la cérémo-
nie, lien interprète les rites, il narre les mythes et légendes
relatifs à son institution, sa date et à l'endroit de la célé-
bration ^
duction, p. G9 à p. 73. Au contraire, dans le pays de Galles, c'est un
poète officiel qui s'appelle hardd. Il tient ,1e huitième rang parmi les
officiers de la cour royale, il a une place réservée à la table du roi, on
lui octroyé une terre libre et on le paye : Code Vénédolien dans Ancient
Laws and InstUutes of Wales, p. 2. p. 16. — 11 y avait aussi des bardes
en Gaule, mais ils paraissent ne pas y avoir tenu de rang social élevé :
Cf. d'Arbois de Jubainville, Introduction, p. 46 ss.
1. Cf. Calli Ahnaine,loc. cil. : les Ulates ne veulent pas se mettre en
route sans le filé Donn-bô, parce qu'il sait chanter aux banquets
comme pas un. — Cf. aussi F led Bricrend, éd. Windisch, p. 258, § 13.
2. Cf. la légende Imtlieachl natromdhaimhe, éd. Owen Conellandans
Transactions of Ihe Ossianic Society, V. Dublin, 1860 ; un roi exige du filé
Senchan Torpeist de lui raconter la Tdin Bu Cùalnge. Un des élèves de
Senchan évoque l'esprit de Fergus et se fait dicter le texte perdu.
3. Exemples : Bruiden Dà Chocae, loc. cit., § 63 : Mort d'Oscar et de
Coirpre. éd. Windisch. Irische Texte I, trad. d'Arbois do Jubainville,
Épopée Celtique, p. 3'Jl. Ce dernier poème surtout est ty[)ique. La
légende attribue sa composition au filé Oisin, le fameux Ossian de
Macpherson.
4. Cf. Aenach Carmain, loc. cit. : strophes a8 à 60 : à Carman on écoute
les récits épiques, les maximes des anciens et les poèmes que chantent
les filid. L'assemblée de Druimm Cela en Leinsler, convoquée à Sa-
mhain. commence par un morceau chanté en cœur par les filid : Amra
Coluinib Cille, préface, éd. Whitlcy Slokes dans Revue Celtique XX,
p. 21. Il y avait un rapport entre ces récils et la fête elle-même. Témoin
284 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Les FILID ONT PERSONNIFIÉ LEUR IDÉAL PROPRE DANS LE
TYPE DU HÉROS IRLANDAIS. — AinsI associés aux cérémonies
religieuses, les filid deviennent les protagonistes naturels
du culte héroïque.
Ils composent leurs poèmes pour une aristocratie belli-
queuse et avide de domination. Ils en sont issus eux-mêmes ^
Aussi les fdid se sont-ils employés à développer le côté
historique et dramatique du mythe au détriment de ses
autres aspects. Ils l'ont rattaché aux légendes généalo-
giques. Cette activité aboutit à créer le type général des
mythes irlandais, dans lesquels la représentation du dieu
se confond avec celle du héros.
L'orgueil professionnel des filid trouve dans cette repré-
sentation son expression intégrale. Les ^/^rf jouent toujours
un grand rôle dans l'épopée, et souvent le héros principal
de celle-ci, Finn par exemple, est un parfait filé '. Les
dieux Tûatha Dé Danann exercent avec maîtrise tous les
le récit intitulé ^irne Fingein. Ms. Stowe, D. 4. 2, transcription de Miss
A. M. Scarre dans Anecdola from Irish Mnnuscripts. II, Halle, 1908,
p. 1 ss., récit qui énumère les événements mémorables qui se sont
passés à Samhain. — D'autre part, les mythes irlandais ont été con-
servés par les filid. Beaucoup sont consignés dans les Dinnsenchas,
que les filid devaient savoir. Nécessairement ils devaient aussi les
raconter. Cf. d'Arbois de Jubainville, Cycle Mythologique, p. 5 s.
1. Le plus ancien des filid gôidéliques, Amairgcn, est le propre fils de
Mile et, par conséquent, il est le frère des deux premiers rois d'Irlande,
Eremon et Eber Find : d'Arbois de Jubainville, Cycle Mythologique,
p. 241. — Un autre Amairgon, filé du cycle épique d'Ulster, est un des-
cendant de Ross Riiad, fils de Rudraige, qui est aussi l'aïeul du roi
Conchobar (Tain B6 Cùalnge, 1. 4638) et il a pour femme Findchoem, la
propre sœur de celui-ci : Conception de Cùchulainn, Epopée Celtique,
p. 31 ss. — Dans les temps historiques nous voyons toujours que les
filid appartiennent à la haute aristocratie, tels les célèbres Mac Firbis,
ou Clann Firbisigh, chez les ilùi Amalgada : O'Donovan, Tribes and
Customs of Hy Fiachrach p. 10 et p. 100.
2. Il pratique le dicetal di chennaib : Silva Gadelica, p. 98. —
Oisin, un filé renommé, est son compagnon. Tous les fianna (guerriers
de Finn) étaient des filid; Keating, éd. DinncQn, Ir. Texts Soc. "VIII,
p. 332. Amairgen,^/ede Conchobar, prend part à la défense del'Ulster
dans la Tàin B6 Cùalnge, p. 661 ss. {Oislige Amargin i Taltin).
ROLE DES FILM) DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 285
arts des fiHd et ils en sont les protecteurs attitrés *. Ainsi
Dagda, qui porte l'épilhète de Ruad ro fessa, Seigneur
de Grande Science", est un habile joueur de harpe '. Dian-
cecht est médecin, Goibniu forgeron' et Lug exerce tous
les arts avec un succès égal. Quant à Brigit, la « femme
savante », fille de Dagda, elle est la patronne particulière
des filid. On en fit trois déesses homonymes dont l'une est
invoquée par les devins et les poètes, l'autre par les méde-
cins et la troisième par les métallurgistes ^
Le héros belliqueux et filé devint ainsi en Irlande la per-
sonnification des valeurs morales suprêmes*. Et comme
1. Les filid prétendaient môme en descendre. La consonnance de
dan, gén. dana, dans aes dana = « gens de talent » avec le nom de
la déesse Danu, dans Tùatha Ué Danann justifiait cette prétention : H.
d'Arbois de Jubainviile, Inlroduclion, p. :260.
2. Hanas Cormaic, éd. Kuno Meyer, p. 98, s. v. ; cl. d'Arbois de Jubain-
viile. Introduction, p. 28a et Cycle Mythologique, p. 375. — Cf. Introd.,
note 2 à la page 283 et Cycle, p. 145 : Dagda a trois fils qui ont en
commun un fils unique, dont le nom estEené, c'est-à-dire, science, poésie.
3. La représentation du dieu joueur de crotla tient même dans le
mythe de Dagda une place qui peut être comparée à celle du citharède
dans la représentation d'Apollon. C'est dans la crotta de Dagda que
sont enfermés tous les airs de musique, de sorte qu'ils ne peuvent
se faire entendre sans l'ordre du dieu. Toute une histoire a pour
sujet la délivrance de la crotta que les Fomoraig avaient fait prison-
nière. Dagda pénètre dans le camp des dieux ennemis et il les endort
en jouant un air : Cath Maighe TureU, lac. cit., §§ 163 et 164. — Cf. O'Curry ,
op. cit., III, p. 214.
4. Sur ces deu.x dieux cf. d'Arbois de Jubainville,Cj/c/e Mythologique,
p. 307 ss.
3. Sanas Cormaic, éd. Kuno Meyer, p. 15, au mot Brigit. — Cf.
d'Arbois de Jubainviile, Introduction, p. 283 : le mari de Brigit, le
dieu Bress, est fils de Science et de Composition Littéraire. — Sur Brigit
et les divinités des autres peuples celtiques qu'on peut en rapprocher
cf. d'Arbois de Jubainviile, Cycle Mythologique, p. 146 ss.
6. Le fait est qu'aucun personnage épique n'incarne au même
degré l'idéal héroïque irlandais que les trois héros filid du cycle de
Leinster, Finn. Oisin et Caoilte. Ils ont même rejeté dans l'ombre
Ciichulainn et ses compagnons. Tandis que la formation de nouvelles
légendes autour de ceux-ci s'arrête presque entièrement dès le xi» siècle,
le nombre des récits dont Finn est le héros ne fait que croître durant
tout le Moyen-Age et jusqu'à nos jours. C'est que les héros du cycle
d'Ulster n'ont pas l'avantage d'être des filid. De plus, les druides, qui
étaient les adversaires des filid (cf. ci-dessous) jouent un rôle prépondé-
286 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
l'œuvre mythopoctique des filid embrasse loul ce que le
pays a produit en fait de mythes, légende, contes, littéra-
ture didactique et philosophique, toute manifestation intel-
lectuelle de la vie irlandaise est forcée de se conformer h
cet idéal.
L'idéal des filid est un idéal corporatif. — I. Auto-
nomie et solidarité de la confrérie des filid. — Aussi bien
les ^//û? sont-ils animés d'un très fort esprit de corps.
Ils forment une confrérie qui jouit d'une autonomie com-
plète. Ses affaires sont discutées en des congrès corporatifs,
dont le plus important avait lieu pendant l'assemblée de
Cruachan en Connaught'. Les filid nomment eux-mêmes
leurs chefs et les rois se bornent à ratifier leur choix ^.
Les membres de la confrérie sont étroitement solidaires.
Lorsqu'un fié prononce une incantation pour se venger
d'un mauvais traitement, il se fait accompagner par six
autres flid, un de chaque grade, qui représentent la corpo-
ration entière offensée dans un de ses membres ^
La solidarité des filid résulte de leur organisation en
une hiérarchie de maîtres et de disciples. — Cette soli-
rant dans le cycle en question. Aussi les héros Ulates nétaient point
des personnages aussi « sympathiques » peuples filid que les héros du
Leinster. Sans doute, des raisons politiques ont-elles aussi contribué à
l'exaltation de Finn, avant tout la prépondérance des provinces méri-
dionales dans les affaires de l'île à partir du xi« siècle (avènement des
O'Brien au trône d'Irlande). Il n'en est pas moins remarquable que
lorsque après la première invasion anglo-normande l'Ulster réussit
seul à garder son indépendance, les héros particuliers de cette pro-
vince ne recouvrèrent point leur ancienne popularité.
1. Keating, éd. Dinneen, Irish Texts Soc. IX, p. 42 s.
2. Cf. O'Gurry Lectures on the Mss. Materials, p. 462. — L'investiture
royale était nécessaire pour que le filé entrât en fonction : uirdned ar
rig lùath, « ordination par le roi de la tùalh », Commentaire au Sen-
chus Môr Ane. Laws, 1, p. 42. Mais ce sont les filid eux-méme qui
élisent un des leurs, Senchan Torpeist^ pour chef suprême : Windisch,
Einleitung à la Tain B6 Cûalnge, p. XLVII.
3. O'Curry, Manners and Customs, II, p. 216 ss. ; Cf. Rev. Celtique, XII,
p. 118.
ROLE DES FILID DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 287
darilé est la conséquence de leur organisation intérieure.
Ils forment une corporation fermée, dont les membres
sont héréditaires ' et dont les grades s'acquièrent par voie
d'initiation.
Il y a sept degrés d'initiation et trois de préparation, ce
qui correspond à douze années d'études". Au bout de
trois ans l'élève a atteint le grade de drissac après celui
iVollaire et de taman, il sait réciter par cœur vingt contes,
un peu de grammaire et il connaît la signification de cin-
quante ogham^. Les trois premières années d'initiation,
pendant lesquelles le candidat s'appelle successivement
fochluc, mac fuirmid, doss, cana et cli sont consacrées
à apprendre de nouveaux contes et poèmes, les ogham, la
1. Joyce, op. cit., I, p. 44i. — Cf. O'Donovan, Tribes and Customs of
Uy-Fiachrach. p. 10 et p. 100 s. : les Mac Firbis sont les fileadha
héréditaires L'a Amalgaidh agus Cloinne Fiachrach.
2. O'Curry. Manners and Customs, II, p. 171 s. — Cf. tableau des
grades des filid dans Joyce, op. cit., I, p. 430 ss. ; cf. Thurneysen,
dans Irishe Texte. III, p. 113 ss. — Le fait qu'il ne s'agissait pas simple-
ment détudes et de titres qu'on pourrait appeler universitaires, mais
bien d'une initiation, ressort d'abord de ce que les filid sont repré-
sentés comme puisant à la Fontaine d'Inspiration {Echtra Cormaic,
p. 213 ss. ; cf. ci-dessus, chap. iv ; note d'O'Donavan au mot Caill
crithmon dans Cormacs Translation) ou bien comme inspirés par les
puissances de la nature, le bruit de la mer [Immacallam in dà Thuarad,
toc. cit, p. 8), a le soleil ou la Boyne w, sui imbhuis gréinne nô Boinne,
(O'Davoren's Glossary, éd. Whitley Stokes dans Arcliiv filr Cellische
J.exikûgraphie, II, p. 345, n* 882). Il ressort avant tout de ce que les
trois procédés de divination devaient être connus de tout filé qui bri-
guait le grade suprême, au moins jusqu'à la seconde moitié du x« siècle :
O'Curry, op. cit , II, p. 135. Le i^atias Cormaic, éd. Kuno Meyer, p. 64,
sub imbass forosnae. affirme même que le dicetal di chennaib est per-
mis par l'Eglise. Cf. Tripartile Life. II, p. 571.
3. On ne sait pas ce qu'étaient ces ogham. Il ne s'agit certainement
pas seulement des signes graphiques ainsi nommés. Ceux-ci corres-
pondent aux sons du vieux-irlandais et ne sont qu'au nombre de
vingt. Peut-être faut-il entendre ^tar ogham les propriétés magiques des
incisions sur des baguettes, incisions qu'on nommait ogham. et qui
n'étaient pas nécessairement identiques aux signes graphiques du
même nom. Cf. Tochmarc Elàine, loc. cit., p. l±J. § 18 : c'est en ins-
crivant des ogham sur quatre baguettes que le druide Dalan force le dieu
Mider à lui découvrir la cachette d'Etâin. Cl. aussi l'hypothèse de
M. Thurneysen, cité plus haut, p. 281, note 2.
288 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
grammaire, la philosophie, les lois et privilèges de la no-
blesse et enfin la langue secrète des filid. Trois nouvelles
années sont nécessaires pour devenir un anruth^ lequel sait
réciter cent soixante quinze contes et de nombreux poèmes,
qui a appris à comprendre le langage des formules juridi-
ques et autres, qui connaît les Dinnsenchas, les Brosnacha,
recueil de maximes et de formules savantes, et qui est initié
aux trois rites de divination pratiqués par les filid. Uannith
attend trois ans encore avant de devenir ollamh et d'atteindre
ainsi le grade suprême. Uollamh sait trois cent cinquante
histoires, cent poèmes de la catégorie ajiamuin qui est ré-
servée à son grade, cent vingt invocations et incantations.
Il a étudié les « quatre arts de la poésie des filid » et manie
la prosodie avec une aisance suffisante pour improviser
un quatrain sur un sujet donné. La science de V ollamh
n'a pas de lacune.
On est filé à partir du grade fochluc^. Dès ce moment
l'initié a droit de porter un rameau magique qui repré-
sente le rameau de l'Arbre de Science, et qui est de
bronze pour les grades inférieurs, d'argent pour ïanruth
et d'or pour Volla?nh~. Il jouit des prérogatives réservées
aux filid. Elève lui-même, il a le droit d'initier à son grade
un certain nombre de candidats ^
Ceux-ci sont en même temps ses administrés. Non seu-
lement il s'en fait suivre dans ses tournées, mais il peut les
1. Uraicecht Becc, Ancient Lav.-s, V, p. 29 et 57. — Cf. Sanas Cor-
maie, éd. Kuno Meyer, p. 35, sub Dos.
2. hnmacallam in dâ Thuarad, loc. cit., p. 10 et p. 12: un craeb
airgdide est porté par les anrulh, craeb oir immorro uasna ollamnaib,
craeb umai uasna filedaib archena. — Cf. O'Curry, Manners and Cus.
loms, III, p. 316. — Les filé avaient encore droit à un manteau d'hon.
neur, nommé lugen : Sanas Cormaic, p. 107.
3. Uraicecht Becc, loc. cit.. et Sanas Cormaic, sub Dos : Le doss a
déjà droit à une suite de quatre personnes, c'est-à-dire de quatre
élèves, car les serviteurs et les esclaves ne sont jamais comptés comme
suite dans les textes irlandais.
ROLE DES FILID DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 289
envoyer où il veut, pour débiter sa poésie. C'est lui qui a
droit au salaire qu'ils reçoivent '.
La hiérarchie des /iiid esi ainsi une hiérarchie de maîtres
et d'élèves. Or, nous savons quels liens étroits les unissent
les uns aux autres en Irlande. La confrérie des /ilid a donc
l'aspect d'une immense famille à base de parenté spiri-
tuelle.
Constitution d'une tradition nationale irlandaise. —
La pénétration mutuelle des traditions fut une conséquence
de cette organisation.
En effet, les juridictions des divers /ilid s'enchevêtraient
de manière à dépasser les limites des tûatha. Leurs dis-
ciples et administrés venaient parfois de fort loin selon la
célébrité personnelle du maître-. Les grands ollamhain en
avaient des multitudes, qui plus tard rapportaient dans leurs
provinces les fruits d'un enseignement reçu à l'autre extré-
mité de l'Irlande, parfois môme en Ecosse. Ainsi un filé
originaire du Connaught, Néde, fils et successeur du
grand ollamh Adnse, est allé s'initier en ce pays^.
C'est un va-et-vient incessant de disciples et même de
filid accomplis qui cherchent à enrichir leur savoir. Le
poète Senchan Torpeist va visiter l'Ile de Man avec un
cortège de cinquante filid et de nombreux élèves. Plusieurs
centaines des uns et des autres composent sa cour après
son élection à la dignité d' ollamh suprême*. Le filé Dal-
lan Forgaill dirige chaque jour les études de cent cinquante
1. O'Curry, Manners and Cusloms, II, p. 79 ; cf. ibid., p. 78 et poème
attribué à Senchan Torpeisf, ibid., p. 85.
2. Exemples chez O'Curry, op. cit., II, chap. viii.
3. Immacallam in dà Thuarad, loc. cit., p. 8.
4. Imtheacht na Tromdhaimhe, éd. citée; cf. d'Arbois de Jubainville,
Senchan Torpeist, dans Bibliothèque de l'École des Charles, XL.
CZARSOWSKI. 19
Î90 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
élèves'. Il faut faire sans doute une large part j\ l'exagéra-
tion dans ces chifïres que nous fournissent les légendes et
les poèmes. On conviendra néanmoins que les cours des
grands filid étaient des foyers où le contact de nombreux
disciples, joint à l'influence du maître, amenait la fusion des
traditions les plus diverses et contradictoires.
La création d'une tradition générale irlandaise n'était
plus qu'une question de temps. Les tournées des filid qui
favorisaient la diffusion des traditions diverses dans les
mêmes lieux, et les concours publics où les chefs d'écoles
se trouvaient en présence firent le reste '. Ils amenèrent la
constitution des grands cycles épiques et mythologiques,
où les éléments locaux sont fondus jusqu'à les rendre
presque méconnaissables, et qui sont de vrais mythes et
légendes nationaux.
Les filid ont jeté le germe du sentiment national
IRLANDAIS. — Mais les filid ont fait plus que de faire parti-
ciper rirlande entière à la même vie imaginative. Ce sont
eux qui ont le plus contribué à y répandre la notion d'unité
organique.
Eux-mêmes forment une confrérie nationale. Dans chaque
tûath les flid oni un chef qui est en principe un ollamh^.
Celui-ci obéit à Xollamh de la province*. Enfin un chef
1. Poème attribué à Scnchan Torpeist, chez O'Curry, loc. cit.
2. C'est un concours pareil entre Néde et Fercertne qui est le sujet
de la légende Immacallam in dd Thuarad. loc. cit. — Fercertne avait
été élu chef de tous les filid d'Irlande, et >"éde voulait le forcer à lui
céder la place. Le concours a lieu en public, en présence du roi
suprême et des filid réunis, qui se prononcent après pour Nède.
3. Le Senchus Môr, Ancient Latcs, I, p. 54, dit : « il y a quatre
dignitaires dans la tùath qui peuvent être déposés : un roi qui pro-
nonce des sentences injustes, un évoque qui commet un adultère, un
filé escroc », etc. — Cf. U. d'Arbois de Jubainville, Introduction.
4. Par exemple, Fercertne et Athirne sont l'un après l'autre des ard- .
ROLE DES FILIb DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 291
suprômc, Vard-filé hErvnn, ou ard-ollamh commande à
toute la corporation'.
Et ce ne sont pas seulement les fdid professionnels qui
y sont afTiIics : c'est toute la noblesse irlandaise. En efïet,
les fiiid ont rivalisé avec les druides dans le domaine de
l'enseignement et ils ont fini par le monopoliser entière-
ment. La loi les reconnaît comme éducateurs profession-
nels et fixe les salaires auxquels ils ont droit'. En 574
rassemblée de Druimm Ceta chargea les fdid d'entretenir
et de diriger des écoles publiques dans chaque tûath et
dans chaque province\
Dans ces écoles les jeunes nobles suivaient l'enseigne-
ment préparatoire aux grades inférieurs de la confrérie. On
leur faisait apprendre le droit, les généalogies, l'histoire
et beaucoup de vers*. Un certain nombre de ces élèves
ont môme atteint les degrés supérieurs d'intiation, comme
Cormac roi de Cork, qui fut un grand filé du x° siècle*,
sans compter les rois et les guerriers filid de la légende.
Les classes dirigeantes du paj's entier sont donc orga-
niquement rattachées à la confrérie des filid. Ces liens sont
d'autant plus intimes, que la parenté spirituelle entre les
élèves et leur père nourricier est considérée comme parti-
filid de IL'lsler : Tdin Dô Cùalnge, Index ; Cf. Talland Elair, éd. Whit-
ley Slokos. Rev. Celtique, VIII, p. 48.
1. Cf. H. d'Arboisde Jubainville. Introduction, p. 322 ss. ; cf. Ancient
Laws, IV, p. 358. — Adnac. N6de, et Fercerine ont élu ardollamhain
d'Irlande dans les temps légendaires ; Immacallam in dà Thuarad. loc.
cit., p. 8. — Dallan Forgaill et Scnchan Torpcisl, pour ne citer que les
plus fameux, l'ont été au vu» siècle de notre ère : cf. d'Arbois de
Jubainville, Senchan Torpeisl, loc. cit., p. 145 ss.
2. Senchus Mnr, Ancient Laws, II, p. 146 ss. ; cf. Ancient Laws, V
p. 96.
3. Kcating, Histoire d'Irlande, éd. O'Mahony. p. 455.
4. OCurry, Manners and Customs, II, p. 77 ss. et chap. iv, passim.
Exemple d'école dirigée par des filid dans O'Donovan, Hy Fiachrach
p. 79 et 167.
5. Kealing, éd. Dinneen, Irish Texts Soc. IX, p. 78 et p. 92 s.
292 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉIVOS
culièrement proche si celui-ci est un filé. La loi la pro-
clame sacrée entre toutes'.
Ainsi constituée, la corporation des filid a su s'imposer
partout comme une institution qui n'est pas nationale seule-
ment en théorie. Le filé est un fonctionnaire public de sa
tûath. Mais lorsqu'il la quitte, son caractère ofTiciel demeure
intact. Il jouit d'une immunité complète, même en pays
ennemi et en temps de guerre. Chaque filé a le droit de
faire des tournées, cuairt^k travers l'Irlande, afin de débiter
ses récits où bon lui semble, et il peut exiger partout un
salaire. Où qu'il aille, lui et sa suite vivent à la charge de
la population.
Ce sont là des privilèges qui devaient grever lourdement
celle-ci, puisqu'un filé pouvait emmener, suivant son rang,
de deux à vingt-quatre hommes de suite, sans compter les
serviteurs et les esclaves'. Ils n'en démontrent que mieux
que la corporation qui se les était fait octroyer et les a
maintenus pendant plusieurs siècles, avait réellement
réussi à s'aiïirmer comme institution nationale inviolable.
Elle a brisé les tendances centrifuges des tûatha, sur
lesquelles les rois suprêmes les plus puissants n'ont jamais
remporté que des victoires éphémères.
C'est donc dans l'unité et dans les privilèges des/?/îrfque
l'unité nationale de l'Irlande a son plus puissant appui, de
1. Joyce, op. cit.. Il, p. 18; exemples d'allrayn pareil dans O'Curry,
Manners and Customs, II, p. 175 ss.
2. Uraicecht Becc, Ancient Laws, V, p. 56-70; Ancienl Laws, IV,
p. 354-360; cf. Sanas Cormaic, sub Doss, l. c. etsub Olldam, p. 85 s. :
Book of Rigfils, éd. O'Donovan, p. 237. — Exemples de cuairt dans
OCurry, Manners and Customs, II, p. 99 s., p. 103, p. 129; Pétrie,
op. cit., p. 354; Silva Gadelica, p. 420 s.; Imlheacht na Tromdhaimhe ,
p. 11. p. 15, p. 113; cf. II. d'Arbois de Jubainvilie, Senchan Torpeist,
p. 145 et p. 151. C'est pour se débarrasser des filid que le roi de Con-
naught demande à Senchan Torpeist de lui raconter la Tain Bô Cùalnge
que tout le monde a oubliée. Aucun des filid ne peut satisfaire au désir
du roi. et comme ils se sont montrés ignorants, ils ne peuvent plus rien
exiger. — Cf. ci-dessous p. 296.
ROLE DES FILID DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 293
môme qu'elle trouve sa première expression idéale dans
leur œuvre myllio-poélique. Ainsi les filid ont jeté dans la
société gôidélique le germe dont devait se développer plus
tard le sentiment national irlandais.
Rivalité des druides et des filid. Alliance de ceux-ci
AVEC le christianisme. — Les druides et les ^/erf étaient
deux institutions rivales.
En effet, leurs domaines respectifs empiétaient l'un sur
l'autre. Et du moment surtout où les filid devinrent les
guides moraux du pays, ils ne pouvaient voir d'un bon œil
que les druides les dominassent de leur autorité religieuse.
Mais pour les détrôner il leur aurait fallu opposer un
pouvoir de même nature que le leur, et déclarer à ces
prêtres la guerre au nom d'une religion nouvelle. Les filid
n'en représentaient aucune par eux-mêmes. Ils se mirent
au service du christianisme'.
Alliance du christianisme et des filid. Œuvre person-
nelle de saint Patrick. — L'initiative de l'alliance en ques-
tion remonte à saint Patrick en personne.
Un de ses premiers soins fut de se concilier partout les
brethemain,h force de cadeaux. L'apôtre nous le dit lui-
même. Les sommes que, suivant sa Confession, il dépensa
pour le bien de la Foi et qui égalaient le « prix de quinze
hommes » furent distribués « à ceux qui prononçaient la
justice dans toutes les contrées » de l'Irlande".
Le résultat fut que les y^/it/ permirent au saint de se faire
1. C'est H. d'Arbois de Jubainville, qui, à notre connaissance, a
signalé le premier le fait de l'alliance entre les filid et le clergé chré-
tien, dans son article Le Druidisme (extrait de la Revue Archéologique),
p. 6. Cf. aussi, du même. Introduction, p. 158 ss.
2. Confessio. p. 'ili. Cf. H. d'Arbois de Jubainville, De l'antiquité
des compositions pour crime en Irlande, Revue Celtique. VIII, p. 159.
294 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
passer pour un des leurs. L'Evangile qu'il proche est
annoncée sous le titre de su-scélia, bon récit, comme une
narration, scél, défilé^. Pareil à un ollamhy Patrick se fait
suivre de province en province par une suite nombreuse
de disciples que les familles de la plus haute noblesse,
séduites par la gratuité de l'enseignement et des grades,
lui ont confiés comme à un père nourricier-.
Le génie politique de saint Patrick Ta donc incité à
adapter sa prédication aux modes créés par les fi/id. Les
vérités chrétiennes prenaient ainsi l'aspect d'un simple
progrès dans l'enseignement de ceux-ci et perdaient tout
caractère subversif aux yeux des Irlandais.
Preuves légendaires de l'alliance entre le clergé et
LES FiLiD. — Les ^^/«é/ entrèrent de leur côté dans les vues
de l'apôtre. Les légendes hagiographiques en témoignent,
à défaut de documents directs.
L'œuvre de saint Patrick trouva d'abord son plus ferme
appui en Yard-ollamh Dubthach Maccu Lugair. Il fut le pre-
mier à rendre hommage à l'apôtre en se levant devant lui
dans la salle de festin de Tara, et il fut de suite baptisé^.
Plus tard Dubthach rendit une sentence arbitrale en faveur
de saint Patrick, lorsque celui-ci réclama une réparation
pour le meurtre de son cocher*.
1. H. d'Arbois de Jubainville, Le Druidisme, p. 5.
2. Epislola Patricii. loc. cit., p. 378, 1. 8 s., Confessio, loc. cit.,
p. 369 : (. filii Scottorum et filise regulorum monachi et uirgines Chrisli
esse uidontur ». Cf. ibid., p. 372 : « Intérim premia dabam regibus,
prseter quod dabam mercedem filiis ipsorum qui mecum ambulant... o
Cf. chap. I, p. 52, n. 1. pour ce qui concerne la gratuité des ordinations.
3. Muirchu, p. 233; Introduction à XHymne de Fiacc (du xi» ou xii»
siècle, cf. Whitley Stokes, Goidelica, 2« éd., p. 61) dans Thésaurus
Palaeohibernicus, II. p. 307 s. Il, p. 402: Additamenta ad Tirechànum,
ibid., p. 344 ; Whitley Stokes, Thres middle-irish Ilomilies, p. 24.
4. Senchus M6r, Introduction, dans Ancient Laws, I, p. 12. Cf. H. d'Ar-
bois de Jubainville, Druidisme, p. 6.
ROLE DES FILIU DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 295
Les filid fournissent au clergé de nombreuses recrues. Le
premier l'V».V|uc que saint Patrick ordonne en Leinsler,
Fiacc, est un jeune filé que Dublhach a choisi entre ses
disciples à la demande de l'apôtre '. Un des deux saints
Garan est fils d'artisan, 7nacc in-t sair -. Saint Goragan
est surnommé tnac dd cerda « fils de deux arts », célébré
parce qu'historien et poète profane ^ Les généalogies indi-
quent presque toujours des saints qui fleurirent à l'époque
de la christianisation entre les ancêtres des familles de
filid * .
1. Muirchu, p. 283 : « Dubthach maccu Lugil [sic Ms. recte : Lugir)
poetam optimum, apud quem lune lemporibus erat quidem adolis-
cens poeta nomine Faec, qui postea mirabilis episcopus fuit, cuius
reliquiœ adoranlur hi Sleibti. » — Additamenla ad Tirechnnum, loc.
cit., p. 344. et Thésaurus Palœolnbernicus, II, p. 241 : l'atricit vient en
Leinster chez les Hûi Cennselich ou il rencontre son ami, Dubthach.
Il lui demande de lui indiquer un « homme capable de devenir évéque
parmi les disciples du poète, originaires du Leinster, c'est-à-dire, un
homme libre, de bonne race, sans tare, sans blâme, qui ne soit ni
trop pauvre, ni trop riche ; je désire (dit l'apôtre) un homme qui n'ait
qu'une femme, et qui n'ait qu'un seul enfant. » Dubthach nomme son dis-
ciple, Fiacc, qui précisément est en cuairt en Connaught (cf. Vie Tri-
parlite, éd. Wliillcy Stokes, p. 190). Quand Fiacc revient, on use d'un
subterfuge pour le décider à entrer dans les ordres : Patrick fait sem-
blant de lonsurer Dubthach, ce que voyant, Fiacc déplore qu'un aussi
grand poète soit perdu pour le monde et offre de devenir clerc à sa
place. — Cf. Introduction à l'Hymne de Fiacc, du Liber Hymnorum des
Fransciscains, H, p. 402 ; Vie Tripartite, loc. cit.
2. C'est saint Ciaran, ou Cieran, de Clonmacnois. Cf. sa Vie dans Lives
ofSS. ofthe Book of Lismore ; cf. Archiv fur Celtische Lexikof/raphie, Ilf,
p. 2 s. — Un autre saint, Assicus, est le faber sereris de saint Patrick :
Tirechân, p. 313. Il fabriqua des autels, des bibliothicas quadratas
(étuis à manuscrits?) et (rois patinas {patinas?} que Tirechân a vus.
3. Sanas Cormaic, éd. Kuno-Meycr. p. 5. sub Ana ; cf. Cormac's
Translation, p. 7, note d'O'Donovan et Joyce, op. cit., I, p- 224.
4. Ainsi Vard-filé Dubthach est le bisaïeul maternel de six saints :
Diarmaid, évoque d'Inis Clolhrann dans le Loch Ribli (Martyrolor/y of
Donerjal, éd. J.-ll. Todd et William Reeves, Dublin, 1864. p. 12, au
10 janvier); Mainchin (ibid., p. 14, au 13 janvier) ; Feidlimidh [ibid.
p. 214, au 9 aoat) ; Daigh, évéquc d'Inis Caoin Degha [ibid., p, 222,
au 19 août); sainte Feme, vierge et martyre [Und., p. 2û0, au 17 oc-
tobre), et Caillin, évoque de Fenagh en Magh Rein [ibib.^ p. 306, au
13 novembre). Une annotation d'une main plus récente au Ms. du
Martyrologe de Doneyal ajoute à cette liste saint Seanan de Laithrech
Briuin, dont elle fait comme des précédents un fils de Dedi ou Deidi,
296 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Enfin pas une seule légende hagiographique n'oppose
les filid aux saints, comme elles leur opposent les druides.
Au contraire dès que le clergé se trouve en présence des
filidW fait cause commune avec eux.
Ainsi la légende qui sert d'introduction au Senchtis Môr
dit que ce recueil fut compilé par une commission, dont
faisaient partie trois rois, trois saints évoques et trois /ilid^.
Dans une autre occasion plusieurs saints, sollicités par les
filid qui ont oublié la Tdi?i Bô Cûalnge, conjurent l'esprit
de Fergus mac Roig de leur narrer cette épopée ^
Quand les filid eurent fini par provoquer une révolte
générale des chefs contre leur puissance et leurs exactions
croissantes, ce fut saint Columcille qui les sauva de la
proscription. Il obtint du roi Aedh et des nobles qu'on se
bornât à limiter les privilèges des filid et qu'on les main-
tînt dans leurs fonctions ^.
Faits qui corroborent les données légendaires tou-
chant l'alliance du clergé et des filid. — Ces légendes
reflètent assurément un état de choses réel. Elles sont entiè-
rement corroborées par les conclusions tirées des faits
historiques.
petite-fille de Dubthach [ibid., p. 232, au 2 septembre). — Remar-
quons que parmi ces saints il est un qui s'est rendu fameux comme
ouvrier en bronze, notamment saint Daigh, mort en 586 (cf. ibid.,
p. 222).
i. Introduction au Senchus Môr, Ancient Laws, I, p. 4; cf. Corn-
thoth Loegairi co cretim. éd. Plummer, Revue Celtique, VI, p. 164 ss.
Cf. Neilson Hancock, préface au vol. I" des Ancient Larvs of Ireland.
2. Do fallsigud Tàna Bô Cùalnge. Suivant la version du Ms. Egerton
1872, publiée par M. Kuno Mcyer, Archiv filr Celtische Lexikographie,
III, p. 2 s., c'est saint Marban qui seconde les filé dans leur recherche.
Suivant la version du Ms. Stowe D. 4. 2 de l'Académie Royale d'Irlande,
publiée, ibid., p. 4 s., c'est saint Ciaran mac in t-sair de Clonmacnois.
— Le même saint Ciaran a sauvé Vard-filé Senchan Torpeist, qu'un
dragon molestait : Imtheacht, p. 81, ss.
3. Keating, éd. Dinneen. Ir. Texts Soc, IX, p. 92 s ; Amra Choluimb-
cille », éd. Whitley Stokes, Revue Celtique, XX, p. 42 ss.
nOLE DES FILID DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 297
Tandis que les progrès de la christianisalion font perdre
aux druides toute leur influence*, les filid conservent la
leur intacte. Les lois, qui ont été codifiées à Tépoque chré-
tienne, leur garantissent la plénitude de leurs droits et
l'exercice de leur fonctions. Uollamh est situé au faite de
l'échelle sociale. La composition qui lui est due en cas
d'oiïense est égale à celle du roi et de l'évoque ^
Le clergé IRLANDAIS EST RECRUTÉ PARMI LES FILID. —
S'il en est ainsi c'est que le clergé et les filid sont unis
par des liens organiques.
On le constate à première vue en considérant l'orga-
nisation de l'enseignement en Irlande. Comme tout clergé
chrétien, les moines irlandais en firent un de leurs soucis
principaux.
Or les écoles dirigées par les filid continuèrent à fonc-
tionner officiellement sans que le clergé s'en inquiétât.
Ainsi à Lecan les Mac Firbis formaient encore des fiild au
xiv* siècle '. Jusqu'à la conquête normande les chefs con-
fient leurs fils à des pères nourriciers qui sont des filid ^.
L'Eglise eût-elle toléré un tel état de choses s'il ne se fût
pas agi d'alliés très sûrs ?
Le clergé s'adjoignit même les filid comme collaborateurs
1. Cf. O'Curry, Manners and Custoyns, II, p. 49; H. d'Arbois de
Jubainville, Introduction, p. 34 et p. 196 ss. : c'est la défaite du roi
Diarmaid mac Cerbhaill à Culdremne (en o60 ou 561) qui paraît avoir
entraîné la décadence finale des druides. Diarmaid est le dernier des
rois suprêmes cfui s'entoure de druides et qui, notamment à Culdremne,
invoque leur aide.
2. Senchus M6r, Ancient Laws, I, p. 40, p. 48, cf. p. 54 et p. 58.
Les titulaires des autres grades de la hiérarchie des ^/td sont assimilés
aux divers chefs de la tùalh : Ancient Laws, V, p. 102; Pétrie, On the
hislory and antiquities of Tara-Uill, Dublin, 1839, p. 208, note 3.
3. O'Donovan, Hy Fiachrach, p. 79 et p. 167.
4. O'Curry, Lectures on the Mss. Materials, p. 5. On continua après
la conquête, et la noblesse anglo-normande elle-même imita souvent
les vaincus à cet égard : idib., p. 6.
298 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
dans SCS propres écoles. Ainsi à Monasterboice et à Tom-
regan l'enseignement des disciplines profanes est confié à
des lecteurs laïques*.
Ces écoles sont d'ailleurs du môme type que celles des
fîlid. La littérature gôidélique, l'art de faire des vers, l'his-
toire du pays, le droit coutumier occupent toujours une
place d'honneur dans leur enseignement'. On s'est borné
à éliminer de leur programme quelques objets d'études
qui sentaient par trop le paganisme * et on y fit entrer la
science des canons sacrés. Le but de ces écoles est aussi
bien de former des clercs que des chefs, des brethemain
ou des poètes. A Tomregan par exemple on pouvait se
consacrer à une des quatre spécialités suivantes : l'étude
des Ecritures et des canons sacrés, la littérature classique,
la jurisprudence des brethemain et la littérature et l'his-
toire de l'Irlande*.
L'ordre des études ecclésiastiques est le même que dans
dans l'enseignement des filid, et les grades correspondent
exactement aux degrés d'initiation.
Il y a sept grades ou « ordres de science » dans les
écoles destinées aux clercs. Le premier est celui de felmac^
« pupille », ou de caogdach, qui sait chanter trois fois cin-
1. O'Curry, Manners and Customs, IF, p. 92; Lectures on the Mss.
Materials, p. oO ; Joyce, op. cit., 1, p. 416, s., § Fer-leginn. Cf. O'Curry,
hlanners and Customs, II, p. 78.
2. Healy, Ireland's ancient Schools and Scholars, 1890, passim;
Lanigan. Ecclesiaslical hislory of Ireland, Dublin, 1822, 1, p. 402 s.,
464 s. ; m, p. 223. On trouvera dans ces deux ouvrages des renseigne-
ments sur les diverses écoles ecclésiastiques.
3. Notamment Vimbas forosnai et le teinm laegda qui furent, dit le
Sanas Cormaic, éd. Kuno Meyer, p. 64. sub imbass, interdits par saint
Patrick. L'apôtre toléra le dicetal di chennaib, parce qu'en le prati-
quant il n'était pas nécessaire de faire une offrande aux « démons ».
— Mais il est certain que tous les procédés de divination étaient encore
officiellement reconnus en Irlande au temps du roi Domnall Hua
Néill, qui est mort en 978 : O'Curry, Manners and Customs, II, p. 135.
4. O'Curry, Manners and Customs, II, p. 92 : cf. ibid., p, 72, sa.
ROLE DES FILID DANS L\. FORMATION DE I.A LÉGENDE 299
quante psaumes. Vient ensuite le freisneided, « interroga-
teur », ou foglainlide, qui a étudié certains des livres qui
contiennent la Iradilion nationale et qu'on nomme Fochair
Le fw'sainte, a illuminaleur », ou desgiôal, « disciple »
connaît fi fond les douze livres Fochair. Le staruide
« historien », est expert dans les disputes et c'est pourquoi
on le nomme aussi sruth do aill, « torrent contre pierre »
tant son argumentation est entraînante. Le sai, « savant »
est capable d'expliquer les canons aux disciples. Le forcet
laid ou anruth connaît le calcul, l'astronomie, la gram-
maire et la littérature irlandaise, et, comme l anruth laïc,
il sait appliquer les lois de la prosodie. Enfm celui qui
atteint le suprême degré de science porte le titre de sai
litre, « savant en Ecriture Sainte », sui canoine, « cano-
niste », ou ro-sai, a grand savant »*.
Les dignités ecclésiastiques forment une hiérarchie
parallèle aux m sept ordres de science». Ce sont : le lec-
teur, liachtreoir, le portier et sonneur, aistreoic^ l'exor-
ciste, exarcisiid, le sous-diacre, suib-deochain, le diacre,
deochain, le prêtre, sacarf^ et l'évêque, escop. En prin-
cipe ses dignités ne sont conférées qu'aux possesseurs des
litres scientifiques correspondants". L'évoque, par exemple,
est traité par la loi en égal au sui canoine '.
1. Cf. tableau des études dans les écoles ecclésiastiques chez Joyce,
I, p. 430 ss. et OGurry, Manners and Customs, II, p. 84 ; Mss. Materials.
p. 31 et p. 494.
i. Uraicechl Becc, dans Ancient 1011:$,^^, p. 22. — Cf. lleptads, ibid.,
p. 236.
3. Ancient Laws, V, p. 54, § 4 : « une église qui a droit au pnx
d'honneur (dommages-intérêts en sus de la composition due à tout
homme libre) entier, c'est (l'église) dont Verenacli (héritier) est un évèque
ou un docteur en droit (canon) ». — Introduction au Senchus Môr, An-
cient Laus, l, p. 48, glose : le roi, révoque, et le sui ont des privilèges
égaux dans les hôtelleries publiques. Sui désigne ici aussi bien un
savant versé dans les Écritures, qu'un ollamh laïque. Cf. Senchus M6r,
ibid., p. 40. — Cf. encore Comthoth Loegairi co crelim, éd. Plummcr
loc. cit., p. 165 ; « le poète, le juge ni le fwseur de satires ne peuvent
300 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Ainsi les clercs ne sont que des filid devenus moines.
Les uns et les autres ne forment qu'un seul ordre à double
hiérarchie, l'une sacerdotale et qui comprend les habitants
du monastère, l'autre laïque, composée de ceux qui vivent
hors de l'abbaye*.
Les filid devenus clercs continuent leur oeuvre mytho-
POÉTIQUE ancienne. — Aussi trouvons nous les filid et le
clergé unis dans une seule œuvre mythopoétique.
Les communautés monastiques témoignent d'un profond
attachement à la langue et à la littérature irlandaise. Elles
ont fait leur possible pour en conserver les monuments.
C'est à Clonmacnois, la grande abbaye fondée par saint
Ciaran de Saighir, qu'une des versions de la Tciin B6
Cûalnge fut consignée par écrit ^ Si l'on connaît encore
environ six cents narrations épiques et poèmes des filid,
on le doit pour une très grande part aux moines irlandais'.
prendre la parole avant 1' « homme des canons sacrés », fer inna canoni
nàvni. Celui-ci a donc une position analogue à celle du druide dans
la hiérarchie païenne (Cf. ci-dessus). Or c'est l'évèque qui dans la
tùalh chrétienne est logiquement le successeur du druide. Cf.
H. d'Arbois de Jubainville, Introduction, p. 34.
1. Nous n'admettons donc pas la théorie du Rév. Healy, The ancient
Irish Church, Londres, 1892, p. 42, que les communautés monastiques
irlandaises sont d'anciennes communautés de druides convertis, théorie
qui a été émise aussi en France par Alexandre Bertrand, Nos origines.
La religion des Gaulois, p. 279 ss. — On ne trouve en Irlande aucune
trace de communautés de druides pareilles à des monastères. Les
druides irlandais sont attachés à la cour des rois en qualité de cha-
pelains. On ne sait presque rien sur les liens qui les unissaient entre
eux. Cf. H. d'Arbois de Jubainville, Les Druides, p. 109 ss. — De plus,
dans toutes les légendes chrétiennes le druide est toujours l'ennemi,
le suppôt du démon. Cf. Prière de Ninine, Thés. Palaeohib, II, p. 322.
2. Windisch, Einleitung à la Tàin Bô Cûalnge, p. LVII s.
3. C'est un moine de Clonmacnois, Maelmuire, mort en 1106, qui a
compilé le plus ancien des Mss. irlandais connus qui contienne des
récils épiques, le Leabhar na hUidhre : Windisch, loc. cit., p. LVIII.
— Le Livre de Leinster a été de même compilé vers lloO par un clerc,
Aed mac Crimthaind, abbé de Terryglas en Tipperary, que l'évèque
Finn de Kildare célèbre dans une annotation du môme Ms. comme
premier sencha du Leinster et fer leigind, ou lecteur, du roi du sud
ROLE DES FILID DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 301
Les clercs ont aussi cultivé avec amour la poésie et l'art
de la narration en langue vulgaire. Nous ne citerons comme
exemples que le recueil do poèmes intitulé Saltair na Rann
et qui est un monument d'une langue encore archaïque \ les
hymnes du Liber H i/mnorum et les martyrologes rimes
d'Oengus le Guidé et de Hiia Gormain. La construction et
le ton général de ces œuvres les feraient prendre pour des
poésies de fïlid laïques, n'était leur caractère religieux.
Un grand nombre d'œuvres profanes sont aussi attri-
buées à tort ou à raison à des clercs. Saint Moling entre
autres passe pour être l'auteur de poèmes généalogiques".
Saint Golumcille a composé des quatrains épigramma-
tiques\ Ces attributions sont sans doute fort douteuses.
Elles n'en témoignent pas moins que l'art de la filidecht
était considéré comme digne des clercs les plus éminents.
Les /?/^/ laïques travaillent de leur côte à enrichir les tra-
ditions hagiographiques. Ils ont môle les saints aux per-
sonnages de leurs récits, aux légendes généalogiques et
de rirlande : Windisch, note 2, à la page 910 de son éd. de la Tàin
B'J Cùalnge. — D'autres Mss.. comme le Le bar Brecc, le Livre Jaune
de Lecan sont l'œuvre de senchaid laïques. Le premier a été compilé
par les Mac Egan, une famille de filid qui dirigeait une école ài
Dunir>-, près Portumna. en Galway, et l'autre est l'œuvre des Mac
Firbis de Lecan. les filid des Hùi Fiachrach : cf. les fac-similé de
ces deux Mss. publiés par l'Académie Royale d'Irlande, Contents de
chacun. — En ce qui concerne leur contenu ils ne se distinguent
guère de ceux qui sont l'œuvre de moines. Les uns comme les autres
contiennent dos matières sacrées et des matières profanes dans des
proportions égales.
1. Éd. Whitley Stokes, dans Anecdota Oxoniensia [Mediaeval and
moderu Séries).
2. Poems adscrihed lo Saint Molinq, publiés par M. Whitley Stokes,
d'après un Ms. de la Bibliothèque Royale de Bruxelles dans Anecdota
from Irish Mss., vol. II, Halle a. S., 1908, p. 20 ss. — On attribue
à l'évêque Finn de Kildare trois versets ajoutés au poème de Cinaed
hiia Artacain sur la mort des anciens héros : On Ihe Death of some
Irish Ileroes, éd. Whitley Stokes, Reu. Celtique, XXIII, p. 312, ver-
sels 37 à 39.
3. Par exemple un quatrain sur le savant ecclésiastique Gucuimne
publié par Todd dans The Book of Hymns, p. 143 s.
302 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
topographiques et ajouté ainsi des chapitres entiers aux
Actes des saints V Les filid entreprennent même parfois
de rédiger des Vies, Ainsi une Vie de saint Columcille
est attribuée b. un filé'-.
La littérature des filés et celle des clercs ont le
MÊME caractère. — Le résultat de cette collaboration fut
de créer ce type général de saints héros dont nous avons
déjà vu quelques caractères, qui personnifient les aspira-
tions communes des clercs et de leurs confrères laïques,
les filid.
Les saints unissent la magie des filid aux pratiques
pieuses. Saint Cairnech pour se venger de Muircertach
mac Erca creuse un tombeau et profère au-dessus des con-
jurations en agitant sa sonnette dans la direction du
château ro^'al^ Les malédictions qui accompagnent le jeûne
magique des clercs sont modelées sur les incantations malé-
ficiaires anciennes*. Les bâtons des saints sont autant de
flescfiled^.
Pareils à deux ollaynhain rivaux, saint Cummian et saint
Comgan se provoquent à un tournoi de questions insi-
1. Ainsi dans VAcallamh na Senorach, (Silva Gadelica, I, p. 04 ss.,
trad. II, p. 101 ss.), saint Patrick parcourt l'Irlande en compagnie de
Caoilte, un héros de Finn, qui lui raconte l'histoire des lieux où ils
passent et des hommes dont ils viennent à parler.
2. h'Amra Choluimb-Cille, publiée par Whitley Stokes, dans Revue
Celtique, XX, qui passe pour avoir été composée par Vard-filé Dallan
Forgaill.
3. Tfie Dealk of Muircertach mac Erca, §§ 10 et 11, loc. cit., p. 402 B.
4. Voir par exemple Cath CairnConaill. éd. Whitley Stokes, dans Zft.
fur Cellische Philologie, lll, p. 209. — Comp. la malédiction que saint
Cairnech prononce contre Muircertach, loc. ct/.,§ 10, strophe 2, avec
les menaces que le filé Forgoll profère contre le roi Mongan, dans
Voyage of Bran, I, p. 46, 1. 'J s. — Cf. invocation de Columcille pen-
dant la bataille de Guldremne : Armais of Jigernach, éd. Whitley
Stokes dans Rev. Celtique, XVII, p. 143 et 143 ; cf. William Reeves, The
life of saint Columba, p. 247 ss.
5. Voir ci-dessus, p. 193 ss., p. 224.
ROLE DES FILID DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 303
dieuses. Il s'op^il de compléter un quatrain dont l'inlerlo-
culeur a cité ou improvisé les deux premiers vers, de
manière à formuler une sentence savante'. Saint Golum-
cille a soutenu un combat pareil contre le diable déguisé
en savant. Après avoir prouve sa connaissance parfaite des
AÏeilles sentences oubliées, il a mis en déroute le Malin en
lui citant les premiers vers d'un poème religieux"-.
Les légendes des saints reflètent les tendances politiques
des /ilid en même temps que leur idéal professionnel. L'évo-
lution des mj'thes vers la constitution de grands cycles
nationaux se poursuit dans Thagiographie.
Toute la production mylhopoétique se concentre autour
de quelques grands saints nationaux. Saint Columcille,
sainte Brigit, saint Patrick sont les héros de légendes ecclé-
siastiques et profanes, de contes, de poèmes, d'anecdotes'.
Ils occupent dans l'hagiographie exactement la même
place que Finn, Conchobar ou Ciichulainn dans l'épopée
païenne.
La fin logique de cette concentration légendaire est la
constitution d'un seul héros suprême qui domine les autres.
En effets il y a une tendance marquée en Irlande à envi-
sager les trois saints patrons comme les personnages d'un
1. J.-H. Todd, The Book of Hymns, p. 90.
2. ODonovan, note à la page 138 de Cormac's Translation.
3. Columcille, par exemple, est représenté comme causant avec
Mongan, l'incarnation de Manannan mac Lir (cf. ci-dessus, chapitre iv)
qui donne au saint des renseignements sur l'Elysée irlandais : poèmes
publiés par M. Kuno Meyer dans Voyage of Bran, 1, p. 87 et p. 88, et
CoUoquy of Colum-Cille and Ike Youtli at Carn Eorlaig, même édi-
teur, dans Zfl. fur Cellische Philolofjie, II, p. 316 s. Columcille est mêlé
aux événements qui sont racontés dans le cycle éjjique du roi Diarmaid
mac Cerbhaill : cf. Silva Gadelica, p. 85 et William Rceves, Adamjian's
Life of saint Columba, p. 319; cf. aussi Hilva Gadelica, p. 416. —
Pour Brigit cf. Félire Oenf/usso, éd, de 1880, p. 72 et 73, et la légende de
r.\mra Plea, loc. cit. — Les Vies des deux personnages abondent en
thèmes de contes populaires : cf. Colgan, Triadis Tkaumalurgae Acta ;
Whitley Stokes, Three middle-lrish Homilies, et Lives of SS. from Ihe
Book of Lismore.
304 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
seul grand drame religieux qui serait divisé en trois actes.
Ils sont bien tous les trois les champions du môme ordre de
choses, ils ont les mêmes adversaires, les druides, et si
l'on ne pouvait en faire les acteurs d'une légende unique,
leurs Vies ayant été élaborées dans trois centres différents et
rivaux jusqu'à un certain point, Armagh, lona et Kildare,
du moins a-t-on fait accomplir à Brigit quelques miracles
en présence de Patrick', et a-t-on fait prédire à celui-ci la
gloire de Columcille ". On a môme assigné aux trois
grands patrons un tombeau commun, à Down^.
Les trois grands saints étant ainsi réunis dans la môme
adoration*, il était naturel que l'un d'eux devienne le per-
sonnage principal de la triade et par conséquent le symbole
même de la nationalité irlandaise.
1. Belha Brighdi dans Lives of SS. from the Book of Lismore, éd.
Whitley Stokes, p. 43 ss.
2. Tirechân, p. 332, et presque toutes les Vies de Patrick posté-
rieures à celle de Muirchu.
3. Co\gan, Sanctae Bi'igidae Fî7a/Fa, dans Triadis Thaumaturgae Acta,
p. 562, col. 2 et p. 563, col. 1 ; Marlyrology of Donegal, p. 36, au
I" février : « et elle (Brigit) a été enterrée â Down, dans la tombe
même de Patrick, là où Columcille fut enterré plus tard ». — Une autre
tradition, assurément plus conforme à la réalité voulait que le tom-
beau de saint Columcille fût situé dans l'île de lona : Golgan, Sancti
Columbœ Vital^, loc. cit., p. 323, col. 2 ; ejusdem Vitaell", ibid.,p. 330,
col. 2 ; ///", ibid., p. 335, col. 2 ; IV (Adamnano auctore), lib. III,
cap. 23, ibid., p. 370, col. 1. — La Vita F», cap. 78. concilie les deux
traditions. Columcille aurait été enterré d'abord dans son monastère
de lona, et plus tard ses reliques auraient été transportées à Down,
dans le tombeau où reposaient déjà Patrick et Brigit, ibid. p. 446,
col. 1. — Tirechân dit aussi, p. 332, 1. 12 à 1. 18, que le corps de saint
Columcille a été transporté de Bretagne en Irlande et déposé dans le
tombeau de Patrick. Seulement il situe celui-ci à Saul (Sabul Patricii).
— En fin de compte la tradition de la sépulture commune a prévalu. En
1185 les reliques des trois patrons irlandais furent inventées à Down
et ces très nobiles thesauri furent solennellement transférés à Dublin :
Giraldus Cambrensis, Topographia Hibernica, distinctio III, cap. 17,
éd. Dimock, p. 163 s. ; Expugnatio Hibernica, par le même, lib. II,
cap. 35, édit. Dimock, p. 387.
4. Cf. aussi l'hymne publié parTodd dans Book of llymns, p. 132 s. :
les saints Patrick, Brigit et Columcille y sont invoqués ensemble,
comme les patrons de l'Irlande.
role des fi1.id dans la formation de la légende 305
Les sentiments patriotiques irlandais tendent a se
CONCENTRER AUTOUR DU CULTE DE SAINT PaTRICK. Entre
tous les saints Patrick était le plus qualifié pour devenir
ce héros.
Les filid vénèrent en lui leur patron particulier, l'auteur
de leur alliance avec TEglise. 11 est le protecteur de leur
puissance. C'est lui qui a institué leur hiérarchie et qui les
a confirmés dans leurs droits*.
D'autre part l'Eg-lise voit dans le culte de saint Patrick
l'expression de son unité et de sa hiérarchie. Les évêques
d'Armagh, successeurs directs de l'apôtre % voyaient dans
la diiïusion de ce culte le meilleur moyen d'étendre leur
juridiction sur toutes les communautés de l'Irlande, qui
vénéraient d'autres saints fondateurs, de sorte qu'une bonne
part des Vies et des actes de l'apôtre se révèlent à l'examen
comme étant de véritables plaidoyers en faveur d'Armagh.
Telle est, par exemple, la Vie Tripartite eisurloui le Liber
Angueli^. Tirechàn affirme lui aussi que toutes les com-
munautés anciennes de l'Irlande ont été fondées par saint
Patrick et doivent par conséquent rentrer dans l'obédience
de son héritier*. Le fait est que la constitution définitive de
1. Glose au Senchus Môr, Ancient Laws, I, p. 44.
2. Ils s'intitulaient comharba de l'apôtre, en latin haeres Patricii. Cf. les
quatre listes des successeurs de Patrick qu'a publiées J.-H. Todd, Saint
Patrick, p. 174 ss.
3. Cf. Mac Carthv, The Tripartite Life of St. Patrick, dans Transactions
ofthe Roy. JrishÀcad., XXIX, Part VI, Dublin, 1889.— Quant au Ltber
Angueli, c'est une simple énuméralion des privilèges d'Armagh, soi-
disant révélés à Patrick par un ange. Publié dans Tripartite Life, II,
p. 352 ss.
4. Tlrechân, p. 311, dernière ligne, et p. 312 : cor autem meum cogitât
in me de Patricii dileclione, quia uideo desertores et archiclocos et
milites Hibernia; quod odio habent paruchiam Patricii, quia substra.xe-
runt ab eo quod ipsius erat, limentque quoniam si quaereret hères
Patricii paruchiam illius, potest pêne totam insolam sibi reddere in
paruchiam, quia Deus dédit illi totam insolam per anguelum Domini
(Cf. Liber Anfjueli], et legem Domini docuit illis (se. Patricius) et bap-
tismo Dei bapUzauil illos, et crucem Christi indicauit, et resurrectionem
Cz.VB.NOWSKI. 20
306 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
la î''gcncio (le saint Patrick coïncide avec la reconnaissance
d'Armagh comme métropole au vu" siècle.
Les vicissitudes de TEglise dlrlande rehaussèrent encore
le prestige de Patrick. Pendant tout le vu* siècle cette
Église dut soutenir une lutte très Apre contre le clergé
romain pour son autonomie administrative et pour la
défense de ses particularités liturgiques. Il s'en fallut de peu
qu'un schisme ne séparât pour toujours l'Irlande du reste
delà chrétienté'. Le clergé irlandais se groupa autour du
eius nuntiauit. Sed farailiam eius non dilegunt quod non licet iurare
contra eum, et super eum, et de eo, et non lignum licet contra euni
mitti (c'est-à-dire, un cartel, un défi. Cf. Tirechân, p. 320 : entre deux
hommes qui se battent en duel est posé un lignum conteslationis) quia
eius sunt omnes primitiuse ecclesise Iliberniaî, sed iuratur a se omne
quod iuratur».
1. Cf. Lelièvre, L'Église celtique indépendante de Rome (Thèse) Cahors,
1899; William Hunf, The English Church frotn ils foundation lo the Nor-
man conquesl, Londres, 1899. Le livre de J.-H. Todd, The Church of SI.
Patrick, Londres, 1844, est encore utile malgré sa date déjà ancienne
et bien que son auteur ait eu tendance à exagérer l'esprit d'indépen-
dance de l'Église celtique, dans un sens qu'on pourrait appeler pro
testant. — Les chrétiens bretons et irlandais sont toujours demeurés en
communion avec le reste de l'tglise au point de vue des dogmes. Ce
qui divisait les deux partis, c'était des traditions liturgiques, un mode
différent de calculer la date de Pâques (cf. Mac Carthy, Introduction
au vol. IV des Annals of Ulster; Haddan etStubbs, Councils and eccle-
siastical documents relating to Great-Britain and Ireland, II, p. 115 et
p. 292 s. ; Bède le Vénérable, Historia ecclesiastica gentis Anglorum,
1. II. c. 2) et une forme particulière de la tonsure des clercs celtiques
(Haddan et Slnbbs, op. cit.. II, p. 114; Wasserschleben, Die irische
Kanonensammlung, II» éd., 1883, 1. LU, cap. 6 et 7). Mais il s'agis-
sait avant tout d'un conflit entre deux organisations cléricales, dont
l'une, le clergé celtique, était habituée à l'indépendance, et l'autre, les
missionnaires envoyés par Rome en Angleterre, avec saint Augustin de
Cantorbéry, en 601, prétendait exercer la juridiction sur toutes les Iles
Britanniques (cf. Bédc, 1. I, c 27). Saint .\ugustin et ses successeurs
s'étant olïiciellement alliés aux conquérants Anglais et Saxons, le
conllit en question devint tout de suite une affaire d'indépendance natio-
nale pour les Bretons et les Irlandais. Rome n'avait ménagé ni ses
bénédictions, ni son appui à tous les rois barbares, qui voulaient bien
se convertir (Bède, 1. I, c. 32, c. 33, 11, c. 10, à c 14 ; cf. Lelièvre, p. 146 ;
Hunt, chap. i et n). Or le clergé breton avait les conquérants en telle
haine, qu'il ne voulait même pas leur prêcher l'Évangile, pour ne pas
contribuer ainsi à leur salut (Hunt, p. 14). Aussi les tentatives de con-
ciliation entre les deux partis échouèrent-elles (Bède, 1. II, c. 2j ; et bien-
tôt on arriva à se considérer mutuellement comme schismatiques cl
ROLE DES FILID DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 307
culte de saint Patrick, dans 1 autorité duquel il voyait la
sauvegarde de son indépendance, tandis que Rome se récla-
mait du même saint et de son union avérée avec les Eglises
du continent'. Et lorsque l'Irlande se fut enfin soumise-,
une des conditions fut la reconnaissance en bloc de tous
les saints indigènes par la curie romaine, en premier lieu de
saint Patrick ^
Enfin les invasions Scandinaves qui désolèrent longtemps
l'Irlande et réussirent même t\ y fonder un empire éphémère,
eurent pour résultat l'exaltation de saint Patrick. L'Eglise
seule demeura debout sur les ruines du pouvoir politique.
Elle devint le refuge des espérances nationales dans la lutte
contre les barbares païens. Le patriotisme irlandais s'est
confondu avec la Foi, et saint Patrick vit ainsi son culte
fortifié de toute l'exaspération des vaincus*.
Saim Patrick est le héros national de l'Irlande. —
Aussi saint Patrick est-il devenu le héros national suprême
de l'Irlande.
impurs : Bède, 1. II, c. 4, et, du même, Vita Sancli Cuthberli, cap. 29;
Haddan and Stubbs, loc. cit. et I, p. 126, p. 202 ; Wasserschleben, loc.
eii.
1. Cf. lettre de saint Cummicin à Segene, abbé de lona, dans Migne,
Palrologia Latina LXXXVII. p. 969 : « illum (cyclum) quem sanctus
Patricius, papa noster tulit et fecit ».
2. On ne connaît pas toutes les étapes de la lutte. 11 dut y avoir pen-
dant tout le vu* siècle des conciles auxquels diverses communautés
déclaraient se conformer à la liturgie romaine : cf. Bury, op. cil , p. 239.
Officiellement la tonsure à la mode romaine et la computation romaine
de Pâques furent adoptées en Irlande en 697 au synode de Birr : Annals.
of i'isler, s. a , mais le sud de l'Ile parait s'être soumis dès C34 envi~-
ron. lona conserva ses anciens usages jusqu'en 716 ou 717 : Haddarti
et Stubbs, Councils. II, p. 114 s. — Mais l'autonomie de l't/glise irlan-^
daise subsiste jusqu'au xii* siècle. Ce ne fut qu'en 1152 qu'au concili>
de Kells (ou de Mellifons), réuni sous la présidence du cardinal Paparo,
légat du pape, les affaires de l'Église d'Irlande furent définitivement
réglées suivant les désirs de Rome : Lclièvre, op. cil., p. 8.
3. Au concile de Kells : Lelièvrc, op. cil., p. 11.
4. Cf. ci-dessous, p. 311 s.
308 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Les textes religieux le nomment « patron des patrons,
saint en chef» de l'île. lien est le roi reconnu, qui « régnera
jusqu'en l'éternité » * au-dessus des chefs temporels.
C'est l'autorité de saint Patrick qui légitime toutes les
institutions centrales, dans lesquelles s'exprime Tunité poli-
tique de l'Irlande. Les lieux où se tiennent les assemblées
pangôidéliques ont été bénis par lui et la dynastie des
rois suprêmes, les Hùi Néill, a été confirmée par l'apôtre
dans ses droits.
Saint Patrick ne se bornera pas à protéger les Irlandais
au Jugement Dernier, ni à les faire sortir de l'Enfer. Grâce
à son intercession, la mer engloutira l'Irlande sept ans avant
la fin du monde et la persécution de l'Antéchrist épargnera
ainsi ses habitants ^
Un lien personnel direct unit enfin beaucoup d'Irlandais
à leur patron. On sait la fréquence du nom Patrick parmi
eux. Le sobriquet Paddy désigne un Irlandais en Angle-
terre, et il en était déjà ainsi au moins dès le xvii* siècle \
L'autorité de saint Patrick décide en toutes matières en
Irlande.
Les mœurs et coutumes dont l'ensemble constitue la vie
nationale dans sa particularité ont toutes été approuvées ou
bénies par saint Patrick. Il a surveillé en personne la rédac-
tion du Senchus M6r'\ On lui a conté les généalogies et il
1. Muirchu, p. 275 : « regnabit in aeternum ».
2. Additamenla ad Tirechanum, dans Tripartile Life, II, p. 331.
3. Cf. par exemple A Discourse or Parly contmued betwixt Partricius
(sic) and Perer/rine iipon their landing in France touching the civill (sic)
Wars of England and Ireland, dialogue anonyme paru en 1643, dans
lequel Patricius désigne l'interlocuteur irlandais.
4. Introduction au Senchus Môr, loc. cit., p. 4 : la commission char-
gée de codifier le Droit irlandais et qui a compilé le Senchus Môr se
composait des rois : Loegaire, Corc et Daire, des évoques : Patrick,
Benen (Benignus) et Cairnech, et des filid : Rosa, Dubthach et Fer-
gus. — Cf. Senchus Môr, G\ose, dans Ancient Laws,l, p. 208, etComthoth
Loegairi co creLim, éd. Plummer, p. 104 ss. — C'est de la légende
ROLE DES FILID DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 309
les a reconnues exactes'. Il a été un grand amateur de
contes et de légendes locales*. Il n'y a pas jusqu'au
whisky dont l'apùtre n'ait fait son breuvage de prédilec-
tion \
En matière de foi, l'autorité de Patrick prime même l'en-
seignement oiïiciel de l'Eglise. L'Irlandais est catholique
parce que saint Patrick l'était, mais il est capable de passer
à une confession différente, lorqu'on lui démontre qu'elle se
rapproche le plus des doctrines professées par l'apôtre.
Aussi catholiques et presbytériens s'arrachent-ils mutuel-
lement le patron de l'Irlande \ Les baptistes américains
pure ; cf. d'Arbois de Jiibainville, Résumé d'un cours de droit irlandais,
Paris. 1888, p. 8. Si, comme le veut M. Biiry, op. cit., p. 356 s., saint
Patrick avait réellement collaboré au Senchus Môr, la langue de ce
recueil aurait certainement conservé des formes beaucoup plus
anciennes, que ne le sont celles qu'on rencontre dans le texte, vu le
caractère éminemment conservateur de la langue du droit. Le seul
argument de M. Bury est que les collaborateurs de saint Patrick, qui
font partie de la commission ne sont pas tous des personnages qui
jouent un rôle dans la légende de l'apôtre. Leurs noms doivent donc
avoir été suggérés au.\ rédacteurs de la légende par la réalité histo-
rique. Cet argument est insuffisant, puisque ces noms peuvent très
bien avoir été empruntés à une légende indépendante du cycle légen-
daire de saint Patrick.
1. Cf. poème du Ms. irlandais de Giessen, fol. 52 verso, publié par
M. Ludwig Christian Stern dans la Rev. Celtique, XVI, p. 25, — Cf. Gœt-
lingische gelehrle Anzeifjen, 1887, p, 172.
2. Cf. Accalamh na Senorach, cité p. 302 n. 1.
3. Selmar Eckleben, Die dltesle Schilderung vom Fegefeuer des hei-
ligen Patricius, p. 11.
4. Loin de vouloir établir ici une bibliographie des écrits apologé-
tiques qui se réclament de 1 autorité de saint Patrick nous citons au
hasard des rencontres dans les bibliothèques ; The Catholic Religion of
saint Patrick, and saint Columb-Kill and the other ancient Saints of
Ireland truley set from roman-catholic liistorians, traditions, of the
countrg records and authentic documents (anonyme), printcd by
M. Goodwin, Dublin, 1822. L'autour, qui est un presbytérien, loue d'abord
les Irlandais de ce qu'ils vénèrent leurs saints et pose la thèse sui-
vante : a you will ail with one accord allow, that whatever those
holy men taught your ancestors to bclieve, must be the true faith for
you to receive » (p. 5). Bien entendu, ce que saint Patrick et ses suc-
cesseurs ont enseigné était la plus pure doctrine de l'église presbyté-
rienne. — Hugh Joseph O'Donnell, un catholique, nous apprend que les
membres des Bible Societies s'efforcent de démontrer que « the Bible
310 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
publient de savantes études où lesémigranls irlandais sont
exhortes au nom de leur attachement à saint Patrick à
and your old Saints were muoh against notes and traditions », c'est-à-
dire, contraires aux commentaires de l'Église aux Écritures, et il s'élfeve
contre « cet amas de mensonges w dans son opuscule The Touc/istone
of (lie Bible Societies ; or the unansuerable argicmenls of a roman-catholic
layman to a protestant clerf/yman against a pamphlet entitled : a Opi-
nions of saint Patrick, saint Columkill and other ancient Saints of Ire-
land rcspecling the reading of the Scriptures by the people », m which
the Bible Societies are eternally sileiiced, Dublin, \V.-J. Battersby and
B. Fitzsimons, 1823. — Mais les protestants ne se reconnaissent pas
pour vaincus. Le Rév. W.-P. Walsh, curé (anglican) de Rathdrum,
démontre dans sa brochure Saint Patrick and the holy CathoUc Churck
in Ireland, Dublin, 1849, p. 35, que l'Église protestante est la repro-
duction exacte de l'Église fondée par saint Patrick, tant au point de
vue des doctrines que de son organisation. « Protestants, dit-il. com-
bien vous pouvez vous réjouir d'appartenir à une bglise aussi honorée
par son ancienneté et honorant si bien Dieu... avec quelle gratitude
vous reconnaîtrez cette protection providentielle qui a veillé si long-
temps sur l'bglise de vos pères », c'est-à-dire sur l'Église môme de
saint Patrick. — Daniel de Vinné, The irish primilioe Church together
wilhe the life of saint Patrick, New-York, 1870, démontre dans son
chap. III que la doctrine de l'Église irlandaise primitive était « founded
on the holy Scriptures only », qu'elle était donc en opposition avec la
doctrine de Rome, qui est fondée sur les Écritures et la tradition. Tout
ce qu'il y a d'essentiel dans la Réforme était déjà dans l'Église irlan-
daise (chap. IV). La romanisation de l'Irlande par la papauté a été un
attentat contre l'Évangile et contre l'indépendance nationale. — Ce
sont encore les mêmes idées qu'on trouve développées chez Héron, The
Cellic Church in Ireland ; le Rév. Joseph Sanderson, The Story of saint
Patrick, New-York, s. d., et ^hvdiVÙ, Die iroschottische Missionskirche,
1872 : les dcnix premiers ont de plus découvert, que saint Patrick n'at-
tribuait aucun mérite aux bonnes actions (Héron, p. 123; Sanderson,
p. 188), mais que la Grâce divine seule est la source du bien. Sanderson,
p. 188, dit encore, que suivant l'apôtre de l'Irlande la Foi seule peut
mener au salut, et Ebrard veut démontrer, que le culte des saints était
inconnu de l'ancienne t^glise irlandaise. Aussi Héron adjure, p. 124-,
les Irlandais de secouer le joug de l'oppression catholique « de se
libérer d'un système... qui n'appartenait pas à l'Église fondée par
Patrick mais qui a été importé plus tard d'Italie et qui a été imposé
par des étrangers ». On remarquera le ton nationaliste de cet appel. —
De leur côté les écrivains catholiques se servent de saint Patrick pour
faire l'apologie, non pas de la catholicité, telle qu'on la comprenait au
V» siècle, mais de l'Église Romaine telle qu'elle est actuellement. Cf. par
exemple Denis Gargan, The ancient Church of Ireland, Dublin, 1864:
l'auteur critique la théorie de Todd, exposée dans Memoir on the Life
and Mission of saint Patrick aposlle of Ireland, suivant laquelle l'Eglise
de saint Patrick aurait été indépendante de Rome. C'est une théorie
imaginée par les protestants dans le but de détacher les Irlandais du
catholicisme. Mais saint Patrick a toujours reconnu la suprématie du
pape. Cf. Robert-John Gainsford, The Religion of saint Patrick. —
ROLE DES FILID DANS l.A FORMATION DE LA LÉGENDE 311
revenir î\ la seule Église qui ait conservé intacte sa doc-
trine, et qui est évidemment rÉglise baptiste*.
Le culte de saint Patrick est enfin la source où se
retrempe le nationalisme irlandais de tous temps. Dans le
Livre d'Armagh, il est dit, que jamais Saxons ni autres
étrangers ne pourront réduire en servitude les hommes
d'Erinn, ni par force ni par ruse, tant que lapôtre habitera
le Paradis*. Et plus tard les soulèvements répétés contre
D'autre part, le clergé catholique voit dans le culte de saint Patrick la
garantie la plus sûre de rattachement des Irlandais à la Foi Romaine.
Aussi exalte-t-il autant qu'il peut le saint patron. Celui-ci a converti l'Ir-
lande tout seul, il en est apiMre unique : cf. par exemple le Père Ottavio
Barsanti. Franciscain. Saint Patricks Aposlleship (A Lecture delivered
to Ihe rnembers of saint Patricks Christian Doctrine Society, Melbourne),
Melbourne. Impr. Catholique. 1871 ; VV.-B. Morris, de l'Oratoire. The
Apostle of Ireland and his modem critics, Londres, 1881 ; Thos.
J. Shahan, prof. ;\ l'Université Catholique de Washington, Saint Patrick
in histoty, Londres et Bombay, l'J04 ; le Rév. Chanoine B.-D. Pooler,
Saint Patrick in Co Doicn. A reply to Professor Zimmer (An Adress deli-
vered in saint Patricks Cathedral, Dublin, on saint Palrick's Day. 1004),
Dublin, iy04. (Le dernier de ces auteurs revendique l'autorité de Muir-
chu). Le Rév. Albert Barry traduit Muirchii à l'usage des fidèles : Life
of saint Patrick by Muirchu Maccu Mactheni, Dublin, 18'Jd. Mais, comme
si l'œuvre du vieil hagiographe n'était pas suffisamment louangeuse
pour l'apôtre, on écrit des biographies nouvelles de saint Patrick, dans
lesquelles on fait passer tout, ce que les Vies plus récentes contiennent
de merveilleux et les miracles les plus extravagants : cf. par exemple
Monsignor Gradwell, Sxiccat. Ihe Slory of sixty years of the life of
saint Patrick, Londres et New-York, s. d. (Le premier chapitre, relatif
à l'enfance de l'aprttre, a été publié précédemment et à part, sous le
litre : The Life and limes of saint Patrick, Apostle of Ireland, Londres
et Dublin, Preston. 188G) ; le Rév. Doyen Kinane, i'aiH/ Patrick, his life,
hisheroic virlues, his labours and the fruilsof his labours, S^éd., Londres,
R. Washbourne, 1897 (œuvre populaire qui suit surtout la Vie Tripar-
aie} ; le Rév. Chanoine William Fleming, The Life of saint Patrick
Apostle of Ireland, Londres, l'JOo. — Cf. aussi Sliearmann, S. J.. Loca
Patriciana, éd. de 1882 : l'auteur admet pour vraies presque toutes les
légendes qui se sont formées autour de saint Patrick. Seulement,
comme il y en a trop, il reprend à son compte l'ancienne théorie de
Colgan, qui distingue trois saints Patrick.
1. William Cathcart, The ancient Brilish and Irish Churches {Ame-
rican Baptist Publication Society}, Philadelphie, 1894, un fort volume
de 3*0 pages avec notes à l'appui.
2. Dans Tripartite Life, II, p. 381. — Comme la partie du Livre d'Ar-
ma()h, o(j est notée cette prédiction, a été écrite en 807 au plus tard,
l'origine de celle-ci ne peut être dans les invasions Scandinaves.
M. Bury, op. cit., p. 320, suppose que des invasions de Saxons établis
312 SAINT PATiUCK ET LF. CUI.TK DES HÉROS
la domination anglaise invoquent le patronage de saint
Patrick. Son nom sert aux conjurés de ralliement et il figure
dans leurs formules de serment*.
On sait que le jour de la Saint-Patrick est la fôte natio-
nale qui unit une fois par an les Irlandais du monde entier
dans une môme pensée. Partout où existe une colonie
d'émigrés, l'Église s'associe par une messe solennelle et un
sermon à cette fête. Et, encore une fois, le but de ces ser-
mons est de rallumer la foi des auditeurs, en exaltant leur
attachement patriotique à saint Patrick ^
Ainsi saint Patrick incarne l'unité nationale des Irlandais
à travers les vicissitudes de l'histoire et malgré la disper-
sion de ses fidèles. Ce n'est pas l'Irlande, en tant que terri-
toire ou qu'unité politique, qui jouit de sa protection : c'est
la nation. Il est le gage de sa durée éternelle et le symbole
de toutes ses aspirations.
Nous cro3'ons avoir désormais établi que la représenta-
en Grande-Bretagne ont peut-être donné lieu à la prédiction en ques-
tion. — Quoi qu'il en soit, il est hors de doute qu'elle fit beaucoup pour
raviver le courage des Irlandais lors de la lutte pour l'indépendance
qu'ils soutinrent contre les Danois et les Normands.
1. Cf. par exemple Letters b)j Sydney, author of the Letlers signed « a
Protestant of Ireland », Cork, John Bolster, 1823, p. 319 s. : le 5 avril
1822, on arrêta dans les environs de Roscrea un certain M. Denis Egan
sur lequel il fut trouvé un document, établissant l'existence d'une
société secrète, qui avait pour but de délivrer l'Irlande et d'écraser le
protestantisme. Les affiliés se nommaient Chevaliers de saint Patrick,
ils prêtaient serment sur une baguette (rod of correction) garnie d'acier
à un bout et enflammée à l'autre, qui avait été coupée dans la forêt
d'Orléans en France, et qui avait exactement la longueur de la croix
de Saint Patrick. Les conjurés se reconnaissaient en s'interpellant : « d'où
venez-vous », à quoi il fallait répondre : « de l'école de Saint Patrick ».
— On ne peut certes pas garantir l'exactitude de tout ceci. Mais même
s'il s'agissait d'une calomnie échafaudée par un délateur, il est certain
que l'idée d'introduire le nom de saint Patrick dans cette histoire a été
suggérée par la dévotion réelle des insurgés à leur patron national.
2. Cf. par exemple, le Rév. J. S. Mac Corry, A Panegyric on Saiiit-Pa-
trick. Patron of Ireland, delivered in Saint Patrick's Calholic Church,
Edinburgh, on occasion of the solemn célébration of his Feast, March
17, 1S5i, Edimbourg. 18al ; le sermon a été prononcé après une messe
que l'évêque lui-même avait célébrée. — Cf. aussi Pooler, cité p. 311.
ROLE DES FILID DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE 313
tion de saint Patrick est celle d'un héros, et qu'elle est la
clef de voûte d'un système de notions, qui est bien irlan-
dais, ou plutôt d'un système, dont les racines plongent pro-
fondément dans l'organisation môme de la société gôidé-
iique.
Saint Patrick, les saints et les héros. — Il reste à
déterminer la place de ce saint héros parmi les saints ses
pareils '.
A première vue, très peu parmi les types de saints, que
représente l'hagiographie en dehors de l'Irlande, paraissent
comparables à saint Patrick.
En particulier les saints des anciennes provinces ro-
maines ne sont pas, pour la plupart, au même titre que le
patron de l'Irlande, des héros dont les traits aient été
légués par la tradition épique ou légendaire .
Bien entendu, cette assertion n'implique en rien que le
culte des saints, pris dans son ensemble, ne soit issu pour
une bonne part des cultes héroïques de l'antiquité païenne.
Au contraire, il est certain que l'un a hérité des autres un
grand nombre d'éléments*. La représentation même de
saint, champion glorifié de la Foi, intercesseur et patron,
tient dans le cadre formel de celle de héros. Ce que nous
voulons dire, est que l'idéal humain glorifié par la plus
grande partie des légendes hagiographiques ressort d'un
système de valeurs sociales qui n'a rien de commun avec
celui dont dépend l'idéal héroïque des récits païens.
1. Dans les pages qui suivent on a profité surtout de Lucius, Die
Anfdnge der Heiligenkullus ; Bornouilli, Die Heiligen der Merowinger,
Tùbingen, 1900 ; P. Saintyves, Les Hainls successeurs des dieux, Paris,
1907 ; Delehaye, Les Légendes hagiographiques, 2« éd., Paris-Bruxelles,
1906 ; Bulliot, La mission el le culte de saint Martin, Autun, 1892.
2. Cf. Lucius, op. cit., livre I" et Saintyves, op. cit., i" partie, qui
se sont attachés à faire ressortir les traces des cultes païens dans
ceux des saints.
314
SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Non que les hagiographcs n'aient fait bon accueil aux
motifs tirés des épopées et de la mythologie païennes.
Telles légendes de saints sont du pur conte populaire,
comme celle des Sept Saints Dormants*. Le mythe est à
peine déguisé dans celle de saint Georges, vainqueur du
dragon et libérateur de la princesse ^ Mais, d'une manière
générale, les motifs en question ont seulement le caractère
d'emprunts littéraires. La physionomie du saint n'en est
pas affectée dans ses traits essentiels.
La source des légendes hagiographiques est avant tout
cette masse de thèmes qui circulent sans cesse chez les peu-
ples les plus divers et qui ne sont caractéristiques d'aucune
floraison épique particulière. Telle est par exemple la
légende de saint Christophe qu'on retrouve dans des contes
orientaux, dans l'épopée irlandaise et dans le folklore
germanique. Le combat contre un dragon, si fréquent
dans les légendes de saints, est lui aussi un de ces thèmes
répandus partout. Il en est de même des histoires où l'on
voit des hommes changés en pierres, en animaux, des
bêtes qui parlent, des trésors cachés, des magiciens qui
volent dans les airs ^.
D'autres thèmes ont été emprunté par les hagiographes à
la Uttérature courante et très souvent à des œuvres litté-
raires étrangères. Ainsi l'histoire du martyr, qu'on enduit
de miel pour l'exposer aux piqûres des insectes, est chea
saint Jérôme une réminiscence de la littérature classique.
Elle est racontée entre autres par Apulée '. L'anneau de
Polycrate reparaît dans plusieurs Vies de saints de l'Occi-
1. Cf. Usener, Die Siebenschlâfer, Freiburg i. B., 1911.
2. Légende Dorée, au 23 avril ; cf. Acta US. Aprilis, III, p. 104 s.
3. Delehaye. Légendes hagiographiques, p. 31 ss., p. 57 ss.
4. Apulée, Métamorphoses ou Ane d'Or, livre VIII, 22 ; saint Jérôme
VitaPauli,û.ans Migne, Patrologia Latina, XXIÎI, p. 19.
CONCLUSION 315
dent'. Le plus bel exemple d'adaptation d'un thème litté-
raire étranger est certainement la vie des saints Barlaam
et Joasaph, qui est entièrement tirée de la tradition boud-
dhique '.
Quand ces thèmes légendaires entrent dans la composi-
tion des légendes hagiographiques ils n'ont plus rien des
représentations particulières à certaines sociétés, qui se
sont exprimées dans les types divers de héros épiques.
Au surplus, il est un grand nombre de récits hagiogra-
phiques dans lesquels ces sortes de thèmes ne jouent même
qu'un rôle accessoire ou bien font entièrement défaut. Les
passions des martyrs rentrent pour la plupart dans cette
dernière catégorie. L'hagiographe s'y borne à raconter
les circonstances du procès et la suite des tourments
infligés au saint. De môme aucun élément légendaire tra-
ditionnel n'apparaît dans les Actes de très nombreux ascètes,
moines et vierges chrétiennes. Dans beaucoup de Vies
l'élément mythique de caractère païen n'apparaît qu'à la
suite de remaniements tardifs, telle l'iiistoire du dragon
dans la Vie de saint Georges, histoire que ses plus anciennes
Vies grecques ne mentionnent pas, ou dont elles ne par-
lent que dans un épisode secondaire ^
Il y a môme toute une séries de Vies dont la sincérité
historique est indiscutable. Des œuvres comme celle de
Sulpice Sévère sur saint Martin, comme la Vie de saint
Sévérin du Norique parEugipius, la T^'e de saint Epiphane
par Ennodius, celle de sainte Radegonde par Fortunat, ont
été rédigées de cisu ou bien d'après des témoignages
authentiques par des hommes, dont la probité était servie
1. Delchayc, Légendes hagiographiques, p. 38.
2. Cf. Krnst Kuhn, Barlaam und Joasaph, MQnchen. 1897.
3. Cf. les Vies grecques de sainl Georges publiées par le Père
Deleha3re dans ses Saints Militaires, Paris, 1909.
316 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
par une haute culture intellectuelle. Ils ont tracé de véri-
tables portraits, que toute la floraison légendaire ultérieure
n'a pas réussi à altérera
Or le type de saint dont la Vie appartient à l'une des
deux dernières catégories est tout à fait général dans l'ha-
giographie la plus ancienne. Et, qui plus est, les traits
caractéristiques de ce type remportent sur ceux du type
héroïque traditionnel chez les saints mêmes, qui doivent
aux héros une partie de leur légende.
Est-ce à dire que les saints ne sont des héros qu'en
Irlande ? On verra seulement qu'ils sont des héros à
caractère théologique et moral. Ils représentent la tradition
de TEglise en opposition avec la tradition populaire épique.
Les saints sont des héros dont la représentation a
UNE BASE théologique ET MORALE. — L'œuvre dos hagio-
graphes est tout entière conçue dans un esprit d'apologie
et d'édification.
En effet, il s'agit pour eux avant tout de démontrer la
supériorité des valeurs religieuses et morales chrétiennes
par l'exemple vivant du saint. Il faut par conséquent que
celui-ci soit un représentant typique des valeurs en ques-
tion.
Les Vies authentiques elles-mêmes ne font pas exception
à la règle. Pour mériter l'entière confiance de l'historien,
elles n'en sont pas moins des panégyriques, des écrits
laudatifs, dont le héros est présenté comme modèle.
Presque toujours l'auteur commence par s'excuser de
l'audace qui le pousse à attaquer un sujet au-dessus de son
entendement. Mais il espère contribuer à l'édification de son
prochain et bien mériter de Dieu et du saint en préser-
1. Analyse dans Bernouilli, Die Heiligen der Merowinger, 1. 1, 1" partie.
CONCLUSION 317
vant de l'oubli les faits qu'ils connaît. Après quoi il dispose
son œuvre comme pour la démonstration d'une thèse, de
manière à bien mettre en évidence la grandeur insigne de
son saint. Ainsi, dans la Vie de saint Martin par Sulpice
Sévère, un modèle du genre, les faits sont réunis dans des
rubriques spéciales, dont chacune illustre les vertus et les
mérites du saint dans un domaine de son activité bienfai-
sante. Eugipius s'efforce surtout de glorifier les facultés
prophétiques de saint Sévérin. Dans sa Vie anonyme saint
Fulgence de Ruspe n'est qu'un ascète et un défenseur
obstiné delà foi contre la persécution arienne ^
Quand aux causes et aux effets moraux des actes, à
leur origine profonde, à la chronologie, en un mot quant à
la recherche de tout ce qui constitue la vérité historique,
les auteurs des Vies en question n'en ont aucun souci.
Leurs personnages se meuvent dans une atmosphère à
part. Ils n'ont ni faiblesses^ ni défaillances, ou plutôt, s'ils
en ont parfois, ce n'est que pour en triompher et grandir
d'autant en vertu. Leur attitude est toujours et partout
celle de grands hommes qui accomplissent des actions
d'éclat.
C'est donc parmi les héros historiques qu'il faut classer
ces saints. Leurs Vies méritent sans doute le titre de bio-
graphies, mais seulement de biographies de « grands
hommes », dans le genre de Plutarque. Ce sont des œuvres
qui tiennent de la littérature héroïque au moins autant que
de l'histoire.
Les saints sont des héros littéraires. — Quant aux
saints dont les Vies sont fictives en partie ou en totalité, ils
sont de purs héros de romans édifiants.
i. Cf. Bernouilli, op. cit., p. 6 ss., p. 27 ss., p. 47 ss. ; Delehaye,
Légendes hagiographiques, p. 68 ss., p. 77 s.
318
SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HEROS
Leur unique raison d'ôlre est d'accomplir des actions
dont l'éclat ajoute au prestige de la Foi et rejette dans
l'ombre tous les héros anciens et môme les autres saints.
Dans leurs Vies ce ne sont que tourments atroces, mortifi-
cations invraisemblables, tentations continuelles. Deux mar-
tyrs sont torturés pendant sept ans de suite, sans répit ' . Saint
Siméon vit sur le faîte d'une colonne^ Les vierges défendent
leur chasteté contre les attaques les plus brutales et contre
des embûches réellement diaboliques ^ Les ennemis des
saints sont eux-mêmes touchés par tant de constance et ils
se convertissent, sinon ils meurent victimes de leur propre
obstination.
Le but évident de toute cette littérature est l'édification.
Et comme il s'agit d'un grand public, en majorité popu-
lau-e, l'hagiographie use des mêmes procédés que la litté-
rature populaire de tous les temps. L'auteur n'a pas besoin
de se mettre en mal d'invention : son plus sûr moyen de
succès est de surenchérir sur ces prédécesseurs. Aussi les
situations outrées, la répétition des épisodes à effet, la
peinture sommaire des caractères sont des traits communs
à toutes ces Vies de saints. Pour le reste, celles-ci se
réduisent à une suite d'incidents thématiques, pillés un peu
partout, dans les Vies antérieures des autres saints *, dans
la littérature classique. Dans ce cadre se meuvent les saints
qui se ressemblent tous, autant qu'ils ressemblent peu à
des hommes vivants. Ils ne sont que des valeurs incarnées.
Ainsi l'hagiographie a fini par prendre dans la vie intel-
1. Acla s. démentis Ancyrani dans Acta SS. lanuarii. Il, p. 460 ss.
2. Acta SS. Jan., I, p. 263 s. ; Maii, V, p. 322 s. ; Julii, VI, p. 310.
3. Cf. Acla SS. Apr., III, p, 574; Maii, l, p. 381 ; Ambroise dans
Migne PL., XVI, p. 2H s.
4. Ainsi les Vies latines de saint Procope reproduisent Ihistoire de
la conversion de saint Paul sur le chemin de Damas, Acta SS. Julii,
II, p. Jo6 s. Autres exemples dans Delehaye, op. cit., p. 103 ss., 114 s.
CONCLUSION 319
lecluelle des sociétés chrétiennes une place analogue à celle
qui revenait autrefois h l'épopée. L'analogie est même plus
étroite: rhagiogra[)hic a comme l'épopée une tendance à
la formation do cycles. Seultmenl, tandis que la poésie
épique est l'expression immédiate d'une certaine société,
l'hagiographie a un caractère universaliste. Œuvre
d'hommes d'Eghse, surtout de moines, qui vivent d'une
vie diiïércntc de celle du commun des fidèles, elle n'a pas
subi le contre-coup des variations de rimaginalion collec-
tives au môme degré que la production épique. Dès l'ori-
gine elle est une littérature écrite, et ses schémas sont
fixés non par la tradilion d'un groupe donné, mais par la
tradition de rÉglisc universelle. C'est que les hagio-
graphes ne visent pas seulement à l'édification des fidèles
d'un certain saint. Ils se préoccupent aussi de justifier
son culte aux yeux de l'Eglise universelle et de le pro-
pager V Leurs œuvres ne s'adressent pas à des auditeurs
connus de l'auteur. Elles sont destinées à être lues et
expliquées devant un public souvent lointain. Les modi-
fications qui y sont introduites, ne dépendent pas de
l'approbation ou de la désapprobation de l'auditoire, mais
du développement de la littérature ecclésiastique univer-
selle. En un mot l'hagiographe, le caractère sacré de son
œuvre mis à pari, ressemble plus à l'homme de lettres
actuel qui écrit pour le peuple, qu'au poète épique, ou au
conteur issu du peuple. Les Vies de saints ne sont pas les
chansons de gestes de la chrétienté antique. Elles en sont
le roman feuilleton.
Le caractère héroiuue des saints est déterminé par
LES CONDITIONS SOCIALES DANS LESQUELLES s'eST DÉVELOPPÉE
i. C'est ce qu'a très bien vu M. van Gennep, La Formation des
légendes, Paris, s. d., p. 128.
320 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
LEUR LÉGENDE. — Il ii'eii pouvail êtrft autrement étant
donné Tétat social général du monde gréco-romain.
L'épopée y était depuis longtemps une chose morte, au
moins en tant qu'expression immédiate des classes repré-
sentatives de la société. Ce n'étaient plus que récits cano-
niques sur lesquels s'exerçaient les commentateurs et
qu'on enseignait à la jeunesse, mais que l'activité imagina-
tive de la société avait abandonnés. Aux profondes modi-
fications qu'avaient subies les sociétés antiques répondait
une littérature nouvelle, qui d'abord, dans les villes
grecques, avait mis au premier rang de ses préoccupations
l'homme individualisé, ses passions et son caractère, les
grands problèmes philosophiques, moraux et sociaux. Puis,
en même temps que s'élargit le cercle des relations sociales
possibles de l'individu, qui finissent par embrasser tout le
monde antique, à mesure que la civilisation hellénique,
puis gréco-romaine devient une civilisation par excellence
internationale, des genres nouveaux arrivent à leur plein
développement. D'une part la littérature religieuse, inspirée
par la vie des sectes et le foisonnement des cultes, de
de l'autre le roman populaire, surtout le roman d'aven-
tures. Un bon exemple de cette littérature, ce sont les
Métamorphoses d'Apulée — ce livre imité d'un original
grec par un Latin d'Afrique, dont l'action se déroule en
Thessalie à travers une série d'aventures extraordinaires
pour finir en un édifiant récit d'initiation aux mystères d'Isis.
C'est de cette littérature que procède l'hagiographie
chrétienne.
Seul l'internationalisme de la culture httéraire classique
a rendu possible l'éclosion de ces écrits dépourvus de toute
couleur ethnique.
Les prototypes des œuvres hagiographiques abondent
dans les littératures classiques. Nous avons déjà parlé de
CONCLUSION 321
Plutarque ù propos de certaines Vies de saints. L'Empire
a été très fertile en sectes de toute sorte, philosophiques et
mystiques, sectes qui avaient leurs héros et qui leur ont
consacré nombre d'écrits apologétiques. On peut citer les
récils relatifs à Apollonius de Tyane comme exemple. Le
christianisme n'était au début qu'une de ces sectes, pareille
aux autres et non la plus ancienne * . Il leur a emprunté
leurs modes de polémique et de propagande.
Enfin la forme des écrits hagiographiques, les procédés
de leurs auteurs, sont déterminés par la littérature clas-
sique. Les hagiographes sont élèves des rhéteurs. Ils leurs
ont emprunté leurs métaphores, leurs artifices de st^de.
La préoccupation constante des hagiographes est un beau
style, digne du sujet traité. S'ils déclarent souvent que
celui-ci dépasse leur entendement, c'est qu'ils ne se croient
pas assez bons stylistes.
Ainsi le côté esthétique des plus anciennes œuvres hagio-
graphiques est conforme aux traditions littéraires du public
auquel elles étaient destinées. On peut en dire autant des
valeurs morales et sociales que réalisent les saints.
Les lecteurs des légendes hagiographiques se recrutent
avant tout dans la population urbaine, la première qui eût
été christianisée. Cette population s'oppose par ses
croyances religieuses aux pagani, et, par ses tendances
à une autonomie municipale plus grande, elle s'oppose aux
velléités centralisatrices de l'Etat. On sait, en effet, que
l'Empire à son déclin faisait très peu pour les villes auto-
nomes, qu'il était toujours prêt à les sacrifier à sa haute poli-
tique, tandis qu'il augmentait continuellement leurs charges.
D'autre part, la population des villes représentait la civi-
lisation classique en face des envahisseurs barbares et la
1. Cf. cl ce sujet Cumont, Les Religions orientales, Paris, 1909, p. x,
p. 128.
CZARNOWSKI, 21
322 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
lutte entre les deux cultures remplit toute l'histoire des
invasions.
Aussi voyons-nous apparaître dans les légendes hagio-
graphiques un type de saint qui est un héros de la popula-
tion urbaine romaine. Ce saint est, en règle générale, un
des premiers évêques de la ville. 11 lutte Aprement contrôle
paganisme des populations rurales. 11 est tourmenté par
elles et finit par les convertir. Nous le voyons en instances
auprès du préfet pour les intérêts de sa ville. Il sollicite
l'aide de l'Etat, il demande des garnisons, il obtient des
remises d'impôts. Souvent il les paye sur les ressources de
l'Église. Et lorsque le comte barbare a remplacé le fonc-
tionnaire impérial, c'est encore l'évéque qui s'interpose
entre lui et la population, et qui défend avec courage la
cause de la civilisation romaine contre les menaces conti-
nuelles d'anéantissement. Les évoques ont été réellement
les protecteurs et les défenseurs des cités, et leurs repré-
sentants attitrés. Aussi les cités en ont-elles fait leurs
saints préférés \
Ainsi, comme en Irlande, les saints de la Gaule et d'ail-
leurs sont des héros dont la représentation dérive direc-
tement des conditions sociales dans lesquelles a fleuri leur
légende.
Les TYPES DES HÉROS ET DES SAINTS REFLÈTENT UN ÉTAT
SOCIAL DÉTERMINÉ. — La notiou théologiquc, sur laquelle
est fondé le culte des saints, est elle-même déterminée par
le caractère qu'ont eu les premières communautés chré-
tiennes, en tant que groupes sociaux.
La notion en question est celle d'un homme par l'inter-
médiaire duquel se réalise la communion du Christ triom-
1. Tels sont, par exemple, les saints Martin de Tours, Épiphanc,
Ambroise de Milao, Césaire d'Arles, Germain l'Auxerrois.
CONCLUSION 323
phant et de l'Eglise, d'un homme qui règne idia ciim
ChrislOy tout en restant membre de sa communauté. 11 est
un de ceux, sur lesquels le Seigneur fonde son Royaume
prochain.
Or, les premières communautés chrétiennes sont de petits
groupes d'exaltés, groupes à peu près amorphes, mais très
unis dans un même effort, qui est justement la réalisation
du Royaume de Dieu. Ces communautés sont noyées dans
un milieu hostile ou qui les ignore. La proclamation
publique de l'idéal commun apparaît dans ces conditions
comme un pas vers sa réahsation, et l'homme qui a eu
le courage de faire cette proclamation devient nécessaire-
ment un triomphateur.
La chose est si vraie que nous observons le même phé-
nomène dans tous les groupements analogues, qu'ils soient
ou non mystiques et religieux, pourvu qu'ils soient peu
nombreux, en opposition morale avec leur milieu et
dominés par l'idée d'un nouvel ordre social à établir à bref
délai. Les anarchistes qui glorifient la mémoire des fauteurs
d'attentats contre la sécurité publique ne se réjouissent pas
seulement de la destruction de quelques bourgeois. Ils
vénèrent l'homme qui a rendu un témoignage éclatant
de sa foi sociale et politique.
Aussi le culte des saints a-t-il commencé par celui des
martyrs, qui sont des témoins. Pour conquérir la palme du
martyre point n'est nécessaire de mourir, ni même de
souffrir pour le Christ. Il suffit d'avoir été appelé au tri-
bunal et d'y affirmer sa foi avec courage \
Le culte rendu aux martyrs s'est étendu plus tard aux:
vierges, aux ascètes et aux moines. C'est que, à mesure
que le christianisme se répandait, la communauté primitive
1. Cf. Lucius, op. cil., p. 63 s.
324 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
perdait de son caractère de secte, vivant uniquement pour
la réalisation d'un rêve mystique. Le christianisme, étant
devenu la religion de la société entière, s'était forcément
adapté aux nécessités de la vie sociale — il s'était sécu-
larisé, pour ainsi dire. Mais le contre-coup de cette sécula-
risation fut une réaction des éléments plus exaltés parmi
les chrétiens, de ceux qui voulaient garder la tradition
intacte et travailler comme autrefois à réaliser le Royaume
de Dieu. Ne pouvant le faire au sein de la société chré-
tienne, ils le firent en dehors d'elle. C'est ainsi que naquit
la doctrine de la sainteté par renoncement au monde,
même au monde chrétien, et par la retraite dans la paix
du Seigneur, doctrine qui eut pour suite l'éclosion de
l'ascétisme et du monachisme.
D'autre part Textension de la communauté chrétienne eut
pour résultat l'éclosion du culte des évêques qui n'est autre
chose qu'un culte de magistrats sacrés, représentants de la
cité chrétienne.
Les divers types de saints reflètent donc autant d'états
sociaux divers. Ils incarnent l'idéal qui répond à chacun
de ceux-ci.
Nous pouvons sans nous tromper étendre cette conclu-
sion à tous les héros. En effet, malgré l'inconnu qui
entoure dans la plupart des cas l'éclosion de leurs cultes
et de leurs légendes, nous pouvons facilement constater que
le type aristocratique et guerrier du héros homérique, par
exemple, répond logiquement à la société de l'IUade,
société composée de petits groupes presque entièrement
indépendants, guidés par une puissante aristocratie belli-
queuse. L'Odyssée nous laisse entrevoir les débuts de la
thalassocratie grecque, en même temps qu'elle glorifie
Ulysse, le héros navigateur, pirate et menteur, cet idéal des
négociants maritimes antiques. Pareillement la société féo-
CONCLUSION 325
dale avec sa chevalerie constituée a seule pu donner nais-
sance au type du preux, tel que le célèbre l'épopée carolin-
gienne.
Certes, le type du héros n'est pas toujours adéquat
à l'état social du groupe, au moment même où celui-ci ins-
titue son culte. Les cités grecques de l'époque historique
élèvent des sanctuaires aux héros de l'âge épique, les chré-
tiens actuels vont choisir les patrons de leurs nouvelles
églises parmi les martyrs, et les bienheureux nouveaux
sont classés dans une des anciennes rubriques du martyro-
loge, parmi les martyrs, les confesseurs ou les vierges.
Mais ce sont là des phénomènes, qui s'expliquent aisément,
par le fait, qu'une certaine représentation une fois élaborée,
devient classique et tend à se perpétuer indépendamment
des vicissitudes de l'histoire. La raison des variétés entre
les types héroïques n'en est pas moins dans le caractère
des groupes qui les ont conçus à l'origine.
La représentation du héros d'un groupe social reflète
LE LIEN constitutif DE CE GROUPE. I. LcS hévOS iiatio-
naux. — Quant à la représentation du héros particulier à
un certain groupe, elle reflète immédiatement le sentiment
qu'a celui-ci de son lien social fondamental.
Nous avons défini saint Patrick comme héros national
irlandais. Aucun héros de l'antiquité, aucun autre saint du
haut moyen-âge ne présente le même caractère au même
degré d'intensité. Le culte national de saint Georges en
Angleterre est postérieur aux Croisades. En France la
série des héros nationaux commence par saint Michel,
défenseur du Mont contre les Anglais, mais dont le culte
ne parvient pas à devenir vraiment général. La vénération
de Jeanne d'Arc n'a atteint son plein développement qu'au
XIX* siècle. En général, c'est seulement aux temps modernes
326 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
que commence la glorilication des héros qui sont de purs
héros nationaux, comme ceux d'Ilahe, des guerres pour
l'indcpendance allemande, des patriotes américains, polo-
nais ou hongrois, tels que Korncr, Bismarck, Garibaldi,
Lincoln ou Kosciuszko.
C'est que la formation des nations dans le sens actuel du
mot est un phénomène récent. C'est seulement aux temps
modernes, que surgit dans les masses la notion d'un hen,
qui les unit et qui est qualitativement diiïérent de l'Etat, des
liens dynastiques, même des liens territoriaux ou linguis-
tiques. Le lien qui unit les membres d'une nation peut
trouver son expression dans la communauté de langue,
comme c'est le cas pour les nationalités slaves actuelles,
de territoire, comme en Amérique, d'institutions poli-
tiques, comme en Suisse, ou bien de religion, comme
chez les Juifs. Il ne s'y identifie pas en dernière analyse.
Ce ne sont que des facteurs du développement national —
encore faut-il qu'ils agissent longtemps pour transformer en
nation un ensemble de groupes territoriaux ou familiaux.
Le processus qui devait y aboutir ne commence dans la
plupart des pays d'Europe que vers la fin du Moyen-Age
et n'atteint son plein développement qu'à partir de la
Révolution française. L'Irlande a devancé sous ce rapport
de plusieurs siècles le reste de l'Europe.
II. Les héros des États. — C'est un lien politique, celui
de l'Etat, qui apparaût à la place du lien national avant la
formation de celui-ci.
Aussi toute une série de héros sont-ils des patrons
d'Etats, des personnifications de l'idée d'État. Les exemples
de rois canonisés et vénérés comme patrons sont innom-
brables. Beaucoup ont été les fondateurs ou les principaux
ouvriers de la puissance politique de leurs peuples, comme
saint Etienne patron de la Hongrie, saint Edouard le Con-
CONCLUSION 327
fesseur, saint Olnf de Norvège, saint Vladimir, duc de
Kiev. Dans l'antiquité païenne nous avons des héros par-
ticuliers fi chaque formation politique, depuis les cités et
leurs colonies, jusqu'à l'Empire, personnifié par les empe-
reurs divinisés.
Sous le régime féodal, dans lequel le lien de dépendance
politique vis-à-vis de l'Etat a la forme d'un lien d'interdé-
pendance personnelle entre les vassaux et le suzerain, c'est
le patron de celui-ci qui devient le patron de l'Etat. Il est
en quelque sorte un suzerain spirituel. Le serment de
vassalité envers la compagnie suzeraine de Gènes com-
portait au XII* siècle une promesse de fidélité envers saint
Sirus, patron de la ville. En France, saint Denis, patron
de rile-de-France, c'est-à-dire du domaine royal, est
devenu le saint tutélaire de l'État capétien, celui dont l'ori-
flamme menait au combat les troupes de vassaux groupées
autour du roi.
III. Les héros territoriaux et locaux. — Mais le type
de héros-patron le plus répandu depuis les temps classiques
est celui du héros territorial, c'est-à-dire, dont la puis-
sance s'étend sur un territoire déterminé.
Dans l'Attiquc, chaque dême avait son héros tutélaire,
qui avait commencé, il est vrai, par être vénéré comme
Tancêtre d'une tribu, mais avait fini par n'être que le
patron d'un district. Les cités romaines ont pareillement
leurs héros et plus tard, lorsqu'elles deviennent des
diocèses, leur évoques patrons, dont la protection s'étend à
tous les habitants du territoire.
Le culte de saint Dié dans les Vosges, de saint Séverin
en Aquitaine est un culte qui n'appartient en propre à
aucun corps politique, ni à aucune race. Sa base est uni-
quement territoriale. Saint Martin de Tours est également
vénéré par tous les habitants de la Gaule, qu'ils soient
328 SAINT PATRICK ET LE CULTE DES HÉROS
Gaulois, Romains ou Francs, indépendamment des divi-
sions politiques et des races. Il n'est le patron ni des
Gaulois, ni des royaumes Francs, mais de la Gaule, en
tant que territoire'.
C'est que les sociétés antiques et celles qui se sont
développées dans les anciennes provinces romaines sont
des sociétés à base territoriale. Certes le lien territorial
n'était pas encore devenu le lien social fondamental dans
toute la Gaule à l'époque de sa christianisation. Mais il
tendait à le devenir irrésistiblement.
Partout où l'organisation sociale est à base de villes
et de villages le type général du héros est le héros local.
Il suffit de citer comme exemple les héros grecs de l'âge
classique. Les héros des plus grands territoires ne sont
eu.\-mêmes qu'une variété des héros locaux. En effet,
si leur protection embrasse une grande étendue de pa^'s
elle est plus efficace aux alentours de leur sanctuaire.
Ainsi la puissance de saint Martin s'exerce dans la Gaule
entière, mais il est un lieu oîi le saint est toujours présent
et vraiment tout-puissant. C'est son sanctuaire de Tours ^
Par contre, là où la société est h base de clans et de
familles, comme en Irlande, et là où elle vit disséminée en
ne prenant contact qu'à des moments déterminés de Tannée,
le héros de fête prend le premier rang. Sans doute l'Irlande
connaît la notion de héros local. Les mêmes fêles patro-
nales y sont, comme ailleurs, célébrées dans les mêmes
lieux sacrés. Il n'en est pas moins vrai, que dans la repré-
sentation du héros irlandais l'idée de temps sacré l'emporte
sur celle de lieu sacré, dans une mesure que nous n'obser-
1. Bernouilli, op. cit., 2» partie. Pour la localisation du culte de saint
Martin dans les pays de la Loire, cf. Bulliot, op. cit.
2. Cf. Bernouilli, op. cit., chap. Das Beichsheiligtum, p. 223 ss. Cf.
Grégoire de Tours, Historia Francorum, 1, II, 14.
CONCLUSION 329
vons dans aucune des sociétés à base territoriale. La my-
tholop^ie, l'épopée et les légendes des saints irlandais
s'ordonnent sur les fôles. La localisation y est chose
secondaire. C'est que la fête est le seul moment où la société
prend conscience de son existence en tant que groupe, et
avec autant et plus d'intensité, que le contact entre ses
membres est moindre dans les intervalles.
Conclusion. — Nous sommes arrivés à un point où il
est possible de préciser ce qui a été dit de la notion de
héros au début de ce livre.
Il demeure acquis que le héros est le représentant élu
d'un groupe ou dune chose. On vient de voir qu'il l'est
dans un certain sens. Il incarne le principe même de la
constitution du groupe. Autant dire que par lui le groupe
s'affirme en tant que collectivité humaine, en môme temps
que le héros représente le droit du groupe sur la chose,
dans laquelle celui-ci voit la garantie de sa stabilité. La
notion de héros est la résultante d'une suite de jugements
synthétiques qui portent d'une part sur la perception qu'a
le groupe de sa propre existence en tant que collectivité
humaine, de l'autre sur lexpérience de ce qui constitue
pour lui la valeur sociale fondamentale.
En disant de saint Patrick qu'il est un héros national
nous avons établi un principe de classification des héros.
En eiîet, les héros doivent être distingués les uns des
autres suivant la nature du lien qui unit les membres du
groupe.
APPENDICE
LA QUESTION DU TOTÉMISME IRLANDAIS
L'hypothèse d'un lotémisme celtique, et plus particu-
lièrement goidélique, a été émise, et le fait est que l'orga-
nisation de la société irlandaise y fait penser. En effet, le
totémisme est une religion de clans. Il consiste dans le
culte d'espèces animales déterminées, que ces clans consi-
dèrent comme parentes et dont ils portent le nom, ou bien
en emploient l'effigie comme blason ^
A première vue, cette hypothèse paraît corroborée par
les faits.
Ce sont d'abord deux passages des légendes épiques.
L'un dit qu'il était interdit à Cùchulainn de manger du
chien, c'est-à-dire, de manger un animal qui est son
homonyme, en irlandais cû ^ Dans l'autre le jeune roi
1. Cf. Salomon Reinach dans Rev. celtique. XXI, Les survivances du
totémisme chez les anciens Celtes. W'hitley Stokes, qui a publié les
deux textes épiques cités plus loin, les signale comme dénonçant
lexistence de cultes totémiqucs. — M. Conrady, Geschichie der Clan-
vervassuag in den schottischen Hoc/ilanden. Leipzig, 1898, signale les
tatouages des guerriers irlandais qui envahissaient la Bretagne romaine.
Le nom des Pietés, dit-il encore, veut dire peints ou bien tatoués. Les
clans écossais portent des figurations d'animaux comme emblèmes dans
leurs blasons et quelques-uns ont des noms gentilices qui sont formés à
l'aide de noms d'espèces animales. L'auleurcroit pouvoir en conclure à
l'existence du totémisme chez les Gftidels. Cf. plus loin, p. 333 n.
2. Cùchulainn's Death, éd. "Whitley Stokes, dans Rev. Celtique, III,
p. 176. — Le nom Cù-chulainn signifie « chien de Culann i). C'est un
surnom : le héros s'appelait en réalité Selanla. Enfant encore il mit en
pièces un chien très féroce qui appartenait au forgeron épique Culann,
332 SAINT PATRICK RT LE CULTE DES HÉROS
Conaire Mor se voit interdire de donner la chasse à une
bande d'oiseaux, dont le chef révèle au héros qu'il est son
père ' .
Mais Cùchulainn est un héros exceptionnel. C'est le fils
d'un dieu, presque un dieu lui-môme. Les interdictions
qui pèsent sur lui ne peuvent être considérées comme
normales. Quant au second texte il suffit d'observer qu'il
s'agit d'oiseaux des sidli^ tels qu'on en rencontre un peu
partout dans les contes irlandais, et, bien que leur roi
soit le grand-père de Conaire, rien ne permet d'afïîrmer
que ces oiseaux aient été d'une espèce particulière appa-
rentée au clan du héros.
Il y a bien un fait plus démonstratif que ceux-ci. Les
Clann Coneely du lar-Gonnaught ont un nom qui signifie
« phoque » [coneely). Ils ne peuvent pas manger de la
viande de phoques, parce que leurs ancêtres ont été jadis
métamorphosés en phoques, de sorte qu'en en mangeant
les membres de cette famille risqueraient de manger leurs
propres aïeux-.
Le totémisme survit même dans le culte des saints, dans
la môme région. Les habitants du village de Claddagh, en
Galway, qui sont tous parents, connaissent un tabou du
renard. S'ils en voient un, ils ne peuvent aller à la pêche.
Or, leur patron, saint Mac Dara, a pour prénom Sinach^
c'est-à dire, renarde
Mais d'abord on ne sait pas si ces faits sont anciens ou
et comme ce chien valait une armée, le héros dédommagea Culann en
lui promettant de le défendre, comme le faisait le chien. C'est pourquoi
ou appela Setanta Cùchulainn. Cf. Tàin Bô Cûalnge, Macgnimrada,
p. 125 s., 192 s.
1. Togail Bruidne Dd Derga or The Destruction of Dâ Derga's Hoslel.
loc. cit., p. 20 et p. 24.
2. O'Flaherty, lar-Connacht, éd. James Hardiman [Irish Archaeologi'
cal isociety) Dublin, p. 27 et p. 95. Cf. Gomme, Folk-Lore as a historical
science, p. 280 ss,
3. Gomme, op. cit., p. 279 s.
APPENDICE 333
bien s'il ne s'agit que de phénomènes secondaires, car l'un
est consigné dans une description du lar-Connaught, qui a
été composée au xvii" siècle on ne sait d'après quelles
sources, et l'autre n'est connu que par les recherches des
folkloristes modernes. Et, môme s'il s'agit ici réellement
d'un totémisme primitif, on ne saurait tirer de ce fait une
conclusion générale, car la population duConnaught paraît
être en grande partie d'une autre origine ethnique que le
reste de l'Irlande. C'est dans cette province que survé-
curent les descendants des races qui avaient occupé l'île
avant la venue des Gùidels.
En somme il peut y avoir eu des totems en Irlande. 11
n'en subsiste point de traces certaines'.
1. Les exemples d'emblèmes animau.x, que signale M. Gonrady dans
les blasons des clans écossais, ne sont pas plus probants. On ne sait
rien ni de leur antiquité, ni de leur origine soi-disant totémique. Le
Clan Campbell, par exemple, a un sanglier dans son blason. Suivant la
légende, l'ancêtre des Campbell, Diarmaid hua Duibhne, a été déchiré
par un sanglier, qui était lui-même l'incarnation d'un héros (ou d'un
dieu) tué par Diarmaid. Ce n'est pas là une légende totémique. A ce
compte on pourrait voir des survivances du totémisme dans les armoi-
ries de plus d'une famille noble du Continent. — Quant aux noms des
clans, ils ne signifient pas non plus grandchose par eux-mêmes. Les
Mac Malhfjamain (act. Mac-Malion) d'Irlande sont par exemple les Fils
de l'Ourson. Les Djœrnson de Norvège sont Fils de l'Ours. Prétendra-
l-on que les uns et les autres sont issus de clans totémiqucs de l'ours '?
De toutes les hypothèses, qui ont été émises et qui concernent l'exis-
tence du totémisme celtique, une seule parait solidement étayéc. C'est
celle, que M. Salomon Reinach a formulée au sujet de l'ours de Berne.
Cf. Survivances du totémisme, loc. cit., p. 288 ss.
INDEX ALPHABÉTIQUE
(Les chiffres en caractères gras reoToient aux notes des pages. Les noms propres
topographiques sont précédés d'un astérisque.)
Abbés irlandais, 264 s.
Abc lard, 6.
Aborigènes, 102.
Abraham, 4
*Achad Abla, 210 ; — Fobuir58, 228.
Achille, 21, 22.
Actéon, 22.
Adamnan. 113, 121.
Admission au culte, 11.
Adnae. 289, 291.
Adoption, 11.
Adraste, 19. 23.
Adultère, ses sanctions en Irlande,
122.
Aedh, fils de Dagda, 166; — Mac
Crimthainn, 300; — Rdad, 180,213;
— Slcïine, 236, sa conception 171 ;
— de Slebte 67.
Aengus mac Nathfraeich, roi de
Cashel.|60, 116, 268 ; —mac in — t.
Oc, 121, 166
Aes dana, cf. « Artisans ».
♦Afrique, 320.
à-^di'i è-'.Tio'.o;, 22. 188.
Ai, fils dOliamh, 278.
Aibell, 216.
*Aidhne, bataille d — , 116.
*Aiglo, cf. " Mont ».
Ailbe. saint, 22i, 229.
*Ailech, 116, 214 ; fête d- 168.
Ailech, divinité éponyme. 168.
Ailill mac Maga, roi de Connaughf,
136, 232 ; — mac Mata (le même)
167: — Molt, 116; — OUomh.
136, 268, 272,
Ailinn, 211.
Aill adrada = Pierre d'adoration.
211, cf. « Pierres sacrées ».
Aine, 136.
Aînesse, (droit d'— ),247.
Aire = chef ; — desa, 246 ; — ectUy
220 ; tuisx. 247.
•Airthir, 63. 204.
Aislreoic =r portier, 299.
Aile = père nourricier, 257.
Ajax, fils d'Odéus, 26.
*Alcluith, 55, cf. « Rock of Clyde ».
Alexandre Sévère, 4.
Alfred le Grand, 199.
"Allen ou Almain, batailles d'— , 116,
127 s.
•Âlmu, 214.
•Alpes, 217.
•Altoir Phadruig, 228.
•Altis dOlympie, 21.
Altram = « foslerage »,237 : dans a
famille de la mère, 258; par des
druides, 276 ; des filid. 291 s.,
297 ; des saints, 147, 267, 294.
Amairgen. file des fils de Mile, 102,
281. 284 ; — file d'Ulster, 188,
238, 263, 284.
Amalgaidh, 238, 259,263.
•Amathonte, 21.
Ambroise de Milan, saint, 322.
Ame : et nom, 178 ; liée aux reliques,
23 s., 189, au tombeau, 178 ; âmes
désincarnées et non incarnées,
172 ss., 193. 209 ; confondues
avec les génies, 156 ss. ; sous
forme d'oiseaux, 193 ; âmes libé-
rées de l'Enfer. 193 ; — des saints,
150, 192.
'Amérique, fondement de la natio-
nalité en —, 326.
Amra Plea, 201.
336
INDEX ALPHABETIQUE
Amvclcs, culte d'Hvakinthos l'i —,
19,' 20. 24.
*Anagyrc, 23.
*Anaxarche, 4.
Ancôtres : héroïsés, 7 ; saints, 267 ;
réincarnation des — , 259 s. ; — et
génies, 160; reviennent aux fêtes,
20<J ; culte des —, 209, 259, 263 : —
sous forme d'oiseaux, 160, 332.
Ange pariant à Patrick, 36, 76, 83 :
veillée des anges, 61 ; — présents
dans une fontaine sacrée. 228.
♦Angleterre, conversion de 1' — , 306.
Anglo-Saxons, 30.
Année irlandaise : 106 ss. ; cycle de
r— , 62, 91, 92; 152; sa représen-
tation mythologique, 138, 163.
Anniversaires des héros, 22.
Anrulh, grade des filid, 288 ; grade
scolaire, 299.
Antéchrist, 105, 308.
Apollonius de Tyane, 4, 321.
Apôtres, les douze — d'Irlande,
108 ; cf. « Saints ».
Apulée, 314, 320.
♦Aquitaine, 327.
Arbitrage, 101, 102, 109. 280, 281.
Arbres sacrés, 174, 211, 226; Arbre
de vie. 173 ss.. 184; — de Medb,
211.
Arcas, 24.
Archémoros, 22.
Ard-file tiErenn 291 : — ollamh, 291,
*Arda Ciannachta, 235.
*Ardbraccan, 66.
*Ardmacha, cf. « *Armagh ».
Ardgall mac Conaill Crimthainne
maie Néill, 116.
Aristomène, 24.
*Armacha, 227; cf. « 'Armagh».
"Armagh, 53 s., 147, 162, 269, 304;
récit de sa fondation, 57, 58, 62,
227 ; tombeau de saint Patrick et
de Sen Patraic à —, 203 ; fête d'—
125, 132, 139, 161; rôle d'—
dans l'exaltation du culte de saint
Patrick, 68, 305.
Artisans irlandais, situation sociale,
279.
Ascètes : sont des héros, 4; assimilés
aux initiés, 15 ; champions, 17,
324.
Asclépios et les Asclépiades, 4, 5.
•Assaroe, 180. 213.
Assemblées périodiques en Irlande,
109 ss. ; — partioilières des
tùatha,ii'às. ; — nationales, 110s.,
159 : rôle social dos — 109 s., 139.
153 s. ; cf. « Fêles ».
Assicus, saint, 267. 295.
•Alh Sighe. bataille d'— , 116.
•Athènes 7, 25, 124, 132.
Athirne, 290.
Atrachta, sainte : sa fontaine, 226.
Attelage funéraire errant 63 s. 204 :
— fantôme, 63 s.
Attentat et meurtre, équivalence,
145.
Augustin, saint, 44: — de Cantor-
béry, 306.
Auxence de Chypre, 63 ; — de
Milan, son symbole de foi, 42.
•Auxerre, 43, 44, 47, 72, 80.
Bacuille, 278.
Baculus Jesu, 195: cf. Bâton.
Baguettes magiques, 275, 277.
Bailo Binnberlach, 2U.
liaile = hameau, 245, 249 ; habité
par une fine, 246.
Bain funéraire, 185; lustral et régé-
nérateur, 185, 186; médical 186;
sacrificiel d'intronisation, 186 ;
calmant l'ardeur des héros, 222.
Balor, 101, 103.
'Ballygaddy en Galway. 228.
Bandéa = déesse, 118, 122.
Dansidhaig — fée; séductrice. 117s.;
mariée à un héros, 122, 158 s., 161 ,
162 ; morte, 161, 162 ; commémorée
aux fêtes, 161.167, 168: interdic-
tion de prononcer son nom, 117,
119.
'Bannauem Taberniae (Bannaucnta
Berniœ '?);47.
Banquet, cf. o Festin ».
Baptême druidique, 272.
Barde, en Irlande, 282 ; en Gaule
et au pays de Galles, 283.
Barlaam et Joasaph, roman de — ,
315.
Barrière magique, 274.
'Barrow. ri\iére, 174.
Batailles mythiques, 98 à 102, 105,
118. 133, 135 ; cf. 'Mag « Tured »,
(( *TaiUiu ».
INDEX ALPHABETIQUE
337
Bâtards, glorifiés en Irlande, iGi,
i6% s.
Bateau des morts brisé, 187 ; — de
bronze ou de verre, 182.
Bâton : de Palricli. 77, 80, 96, 103,
l'J5 s. ; — des saints irlandais,
196, m s., 30i ; serments prêtés
sur les bâtons des saints, 224.
Batlos, son culte à Gyrène, 15.
Becuma, lii s., lii.
Bède le Vénérable, 30, 39.
Bel. 98. 103, lli, loG.
'Belach Conglaiss, caverne, il3.
Beltaine. fêle de — . 93, 94. 98, 99,
100, 107 s.. 110, m. ll.ï, 141, 149,
lo3 : feu de — , 115 ; sacrifice, 1-- ;
mythes, 119.
Benen, cf. Benignus.
Benignus. saint, 308 ; fils adoptif
de Patrick, 147, son substitut, 144,
147 ; ordalie de —, 144.
Bernard, saint. 5.
*Berne, les ours de — . 333.
*Birr, synode de — , 307.
Bismarck, 3i6.
Bjœrnson, les — , 333.
Bodmael, 146.
*Boyne, rivière, 92.
Bran mac Febail, 15, 157, 175, 182,
200.
Brasidas, i-1.
Brechmag, 270.
•Breg : Plaine de —, 57, 91. 98, 266,
270: hommes de —, 98.
•Breg-Léth, sidh de —, 158 s.
Bregon, 101, 157 ; cf. « Tour ».
Brenan. saint, 196.
Bress, 285 ; — fils d'Eocho Fedhlech,
167.
Bresal Brecc, clan de — . 216.
'Bretagne roniaine, 45 ; patrie de
Patrick, 47 ; relations avec l'Ir-
lande, 48.
•Breth en Mag Muirthemne, 263.
Brelhem, plur. brelhemain =: juge,
51, 105, 109, 280 s., 293.
Brigit.sainte. de Kildare, 67, 77.201,
224, 268 ; assimilée à Marie, 77 :
patronne nationale, 303, 304 ; sa
fête, 107, 108; ses Vies, 67, 77 ;
la déesse —, 285.
Brito, 78, 269.
Broccaid, saint, 270.
Cz.\R.>OV.SKI.
Broccan, saint, 270.
Dron-lrogaijt. 107, 124 ; cf. Lugna-
sad.
Brosnacha, les — , titre dun recueil,
288.
•Brugh na Boinne, 98, 157, 165, 168.
Buisson ardent, 76.
Cadmus, 63.
Gaemgin, saint, 269.
'Cahircorncy, fête de la Saint-Jean
à—, 115.
Caier, 278.
Caillin, saint, de Fenagh, 225,295.
Cainnech, saint, 269.
Cdinle = faiseur d'incantations,
278.
Cairel, 170.
Gairnech, saint, 117. 118, 188, 302.
Calendrier irlandais, cf. « Année ».
Calendrier de Luxeuil, 86.
Calpornus, diacre, père de saint
Patrick, 47.
•Calraide. 248.
Camelacus, son Hymne. 30.
Cana, grade des filid, 287.
Canonisation : et héroisation, 9 ; —
des ascètes et moines, 15 ; des
désignés pour le martyre, 15 : des
martyrs, cf. « Martyr » ; des papes
et évoques, 16. Cf. « Héroïsation. »
Canlaredus, division territoriale, cf.
tricha cet.
Caogdac/i, grade scolaire, 298.
Gaoilte, 135, 285, 302.
Carême, 91, 150.
•Garman, 109; fête de —, 109, 111,
124 s., placée sous le patronage
des saints, 1 40 ; courses de —, 126,
188; cimetière de — , 166; culte
des morts à — 176 s. ; mythes de
la fête, 124, 125 ; divinité éponyme
de —, 124, 132. 262, 263, 278;" ses
fils, 124, son tombeau, 124,
Carn ^= monument funéraire, 177
situation des — ,214; hantés, 213 s.
offrandes déposées sur les — , 208
dédiés aux saints, 226; à Patrick,
227, 228.
•Carn Amalgaidh, 214, 259 ; — na
Laech, 177; — Oc Triallaig. 210;
— Slanga, 226 ; — Tigherna, 177.
Carolingienne, épopée, 7, 325.
22
338
INltEX ALPHABETIQUE
Carprc. fils d'Elan. 166 ; cl. « Coir-
pre ».
'CtTrrigcleena. 213.
'CarUiage, concile de —, 10.
•Cashel, 00, 82, 113.
Cassien de Marseille. 44.
Calhach ou prœliator, palladium des
ODonnell, iio.
Calhair Môr, 166, 273.
Cathal mac Feradaich. 188 ; —
Maguire, 212.
Cathasach mac Robartaig hûi Moi-
naich, 235.
Cathba le druide, 273, 276, 281.
Celle, 236 ; cf. « tenancier ».
Céleslin 1", pape, 37, 39, 80.
*Gell Fargland, 194.
Cenan Brecc, saint ; sa fête, 108.
Cenél = race, 234.
Cenél Domaingen, 248 ; — Eogain,
235 ; — Fergna. 248 : — Fiach-
rach, 235 ; — GeighiK— Luchta, —
Rechta. — Trena, 248.
Cenn Crùaich, 146, 196, 2i2, cf.
(< Cromm Crùaich », « *Mag Slecht »;
*— Eich, bataille de—, 116.
Cenngecân, roi de Cashel, 82.
Cerf, aspect habituel des génies, 135 ;
Patrick sous forme de — , 60, 149 ;
une des métamorphoses de Tùan
mac Cairill, 170 ; guide des saints,
22o, 227.
Germait, fils de Dagda, 166.
Cermand Gestach, idole, 212.
César, chanson de ses soldats. 30.
Césaired"Arles, saint, 322.
Celsoman, 187; cf. Beltaine.
Cham, 132.
Champion du clan en Irlande, 220 ;
ses privilèges, 221 ;
Chandeleur, la — 113.
Char, 139, 143 ; à fau.-?, 137 ; funé-
raire, 187, de Patrick, 63, 204.
Chaudron offert à Patrick, 62 ; Pa-
trick vendu pour un — , 77.
Chefs irlandais, cf. Aire, Flaith.
« Roi » : — convertis par Patrick,
bl ; postérité des chefs maudits
privée du pouvoir, 59.
Cheval ressuscité, 62 ; sacrifié, 186.
Chevalerie : idéal de la — person-
nifié dans les héros épiques, 325.
Chien sacrifié, 128 ; interdiction
pesant sur Cùchulainn de manger
du—, 331 s.
Christ, le — vénéré corame héros,
4 ; « le — des Dames Blanches » de
Tirlemont, 63.
Christianisme en Irlande antérieur
à Patrick, 37, 49 ; organisé par
lui. 50 s. ; cf. « Église ».
Christophe, saint, 314.
Ciannan, saint, 77.
Ciaran, saint, mac in — t sair, de
Clonmacnois. 131.195, 20,), 296;
— deSaighir,95,194; sa fontaine,
226 : leurs fêtes. 108.
Ciarrichi. les —, 234, 270.
Cichol Gricenchos, 133.
'Cill Dumi Gluinn,270; — Osnaigh,
bataille de —, 116.
Cimetières, les principaux — d'Ir-
lande, 164 ss. ; sont des lieux d'as-
semblée. 163 ss. : orientation des
—, 187: situation au bord de lacs
ou de rivières, 187.
Cimon, 24.
Cinel ConHcU, iHtronisation des rois
de — 186.
•Claddagh, 332.
Claide, 163; cf. « Tombeaux ».
Clans irlandais, 153, cf. Tùath ;
dieux du —, 215 ; — écossais, 232.
Clann, plur. clanna = postérité, 234.
Claiin Campbell, 333; — Chernaig,
235 ; — Goneelv, 332 ; — Degaidh,
Clanna Degadh, 164, 166, 235;
Clanna Dairenne et — Derghtine,
leur alternance au pouvoir, 255,
250 ; Clann Echdach, 235 ; — Fiach-
rach, 287: — Firbisigh, 281.
284, cf. « Mac Firbis » : Clanna
Itudraige, 164 ; Clann Suibni,235.
Clergé irlandais, monachisme, 50,
264 ; recrutement, 264, 266 ; hié-
rarchie, 299; le — et les^Zif/,293 s'.
'Cletech, 117 s.
eu, grade des filid, 287.
*CIiach = Dublin, 116.
Clidna, 210, 213.
Clientèle patronale en Irlande, orga-
nisation, 236 s . , 247 : — et organi-
sation des royaumes, 253.
Clisthène. 23.
Cloch na labraidhe = « pierres des
paroles », cf. « Pierres ».
INDEX ALPHABÉTIQUE
339
Clochan. ciibaneen pierres, 187.
•Clogher, i\i.
*Cloiiburrei). 58.
*Clonniaenois, 58. 300.
Clothni, lillo (lEocho Fedhlech .
167
Cluichi cdinlecfi := jeux funéraires.
188 ; cf. u Courses », « Jeux ».
Cluiiv, bas-relief du musée de — ,
iié.
•Cnoc Aine. 138.
Cobhlach Coelbregh,167.
Cocher de saint Patriclc, GO, 143 ; les
— épiques, 146 ; épargnés par Cû-
chulain, ±il.
« Cochon de saint Patrick », le —
146; cf. « Porc », Samliain.
Coenachair, abbé de Slane, 81.
Cogitosus. 67.
Coirpre Cinncal, 261 : — Nfafer 244.
Coirpritic mac Néill, 141.
Coilhrigi = Patricius, 32.
•Colchide, 15.
Colgan , sa compilation hagiogra-
phique, 81, cf. « Patrick», « Vieso.
Colla Criach,238, 261.
Colomban. saint, 32.
Columcille, saint, 30, 32, 77, 268 :
et les filid, i'J6, 301, 302, 303 ; per-
sonnage favori de la littérature
profane, 303 ; patron : des Hûi
Néill, i24, des ODonnell, ±23:
héros national, 303 : — et saint
Patrick, 304; sa fête, 108 ; bataille
mythique a cette date, 100.
Comarba, 'j.'!, 305.
Combat singulier, 179, 220, 221 ;
morts en — héroïsés, 25, 179.
Comgall, saint, 224 ; fête de ses filles,
108.
Comgan. saint, ou Mac dâ cerda,
293, 302.
Commemoralio laborum, 44.
Complaintes funéraires, 183, 187.
Composition pour crimes, 293.
Conaire Carpraige, 163 ; — Môr,
138. 165, 332.
Conall Cernach, 219, 220, 238. 258.
263. 272: sa conception, 171 ; ses
reliques, 219;— fils dEnda, saint.
68. 267.
Conalli Muirthcmni. 234, 238. 249,
263.
Conann, 99, 133; cf. « Tour ».
Conception miraculeuse, 170, 171.
Conehobar mac Nessa, 110, 133,
102, 165, 237, 2.54, 262. 273, 279,
282. 284: sa conception, 171.
Concrilhir, 130.
Condiri, 2.U.
Confession de saint Patrick, 33 ss. ;
son authenticité, 34 ss. ; but dans
lequel elle a été composée, 35 ;
citations bibliques dans la — , 40,
47; déclaration de foi dans la — ,
40 ss. ; — connue des hagio-
graphes, 34, 71 ; point de départ
de développement légendaire, 94;
citée 39, 43, 43, 47. 48, 49, 50,
51, 52, 53, 54, 293. 294.
Conlae mac Coilboth, 235.
Conmaicne, les — , 223.
Conn Cetcathach, 94, 110, 234, 258,
275 : — et les arbres sacrés 174 ;
« 'Moitié de Conn » = Irlande sep-
tentrionale, 208.
Connacân fils de Colman, 82.
Connaught, 69, 90, 133, 170, 219,
220, 289, 332 ; assemblées et cime-
tières du — 167 ; légendes du
— relatives à saint Patrick, 36,
68.
Connia, 173, 182, 183.
Connor, diocèse de — , 234.
Contes, motifs de contes dans les
légendes hagiographiques, 314 ;
dans celle de saint Patrick, 62 ss.
Corbeaux, une des métamorphoses
de Deux Porchers, 170.
Corc, roi, sa collaboration â la com-
position du Senchus Mor, 308.
Corcu = a gens », 233.
Corcu Chonluaind, 235, — Laidhe,
265 ; — Ochland, 233 ; — Sai,
235; Corcomrûadh, 233.
Cormac mac AirI, 166, 175, 182,
184 ; — mac Conchobair, 179,
188 ; — hùa Liathain, 199 ; — roi
de Corc, 219, 291 ; Glossaire de
— cf. Sanas Cormaic.
Cornelii, 234.
'Cornouailles, 199.
Coroticus, 33, 43. 34, 55, 71.
Cosme et Damien, saints, 8.
Colhirtiacue = Patricius, 32.
Cothraige = Patricius. 32.
340
INDEX ALPHABÉTIQUE
Courses de fêles, HO, 125. 4i(5, 130.
139, 141, 143; funéraires, li.> s.,
188, 190 ; — de femmes, 126, 188 ;
d'une femme contre des chevaux,
125.
Craebh ou craobh = rameau.
Craobh Dailhe, 174 ; — Mugna,
174 ;_ Uisnigh, 211.
'Craglea, 216.
Craifline, 280.
Cravache, 130.
Crebriu, 194.
Credne, ilO.
Créiche, saint. 134
Crépin et Crépinien, saints, 8.
Crésus, 148.
Cridenbél, 278.
Crimthann Nia Nair, 165, 167. 180 :
— mac Enna Cennselach, 116.
•Groagh Patrick, 228; cf. « 'Mont
Aigle ».
Croix: tombale, 62; hautes — irlan-
daises, 223 ; — but d'une course,
139.
Cromm Conaill, 134 ; — Crùaich, 112,
123, 133 s., 212.
Cruachan, 69 ; assemblée de —,
167, 286 ; cimetière de —, 167 ;
sidh. de —, 133, 138, 168.
Cuairt = tonrnée poétique, 292.
•Cûalnge, 170,234.
*Cuan, Forêt de —, 125.
Cùchulainn, 148, 212, 219. 220, 254,
258, 263 ; type du héros irlandais,
221, 222; assimilé à un génie de
l'extermination. 138; ses transfor-
mations, 137, 222; sa maladie,
121 ; ses voyages, 182, 197 ; incar-
nation de Lug, 171, 172; ne doit
pas manger de chien, 331, 332 ;
son cocher, 146.
Cucuimne, 301.
Cùglass, 213.
Cuil, femme deNechtan, 167.
Cuimmin Foda, saint, 187.
Culann le forgeron. 331 s.
'Culdremne. bataille de — , 274,
297. 302.
Cumal = femme esclave, unité de
valetir, 127.
Cummian, saint, 302, 307.
Curathmir. part du héros dans les
festin, 221.
Cyniques, les — , 17.
Cyrille de Gortyne, saint. 63.
Dagda, 121. 129, 285.
Daigh, saint, 295.
Daire, 62, 308.
•Dal-Riada, 2:i4.
Dalân, le druide. 275, 287.
Dallan Forgaill, 289. 291, 302.
Dalla =: pupille, 257.
Damien, saint, cf. « Cosme ».
Danois en Irlande, 188.
Danu, la déesse. 100.
Dartraige, les — . 248.
Dathi, 180, 217. 218.
Décapité vivant. 127, 129, !31.
Dechtiré, 135, 262.
Declan, saint, 224, 229.
Déclaration de foi de saint Patrick,
41 s.
Dedi, 295.
DéQ à tout venant, 220.
Déisi, les —, 224, 229.
Deisiol, 143.
Démetrius, saint, 10.
Demi-dieux, 16.
Denis, saint, 324.
Deochain = diacre, 299.
Derbfine —, 240 à 244.
Desgibal = disciple, grade scolaire,
299.
*Desmond, 166.
*Detna, bataille de —, 116.
Devins irlandais, cf. « Druides »,
File, Fdilh ; — gaulois, 276 ; femme
devin, 124.
Dharna, jeune hindou, 194.
Diancecht, dieu médecin, 186, 285.
Diarmaid mac Cerbhaill. 119, 131,
162, 195, 263, 274, 297 ; cycle
épique de — , 303 ; saint — d'I-
nis Clothrann. 295.
Dicetal di chennaib, 277, 298.
Dicta Patricii, leur authenticité, 43 ;
source des hagiographes, 70, 71.
Didon, 26.
Dié, saint, 327.
Dieux et héros, 27 ; les — irlandais
de la mort, 136 ; subissant la mort,
124 ss., 207 ; vénérés comme morts,
207 s., 209, 216: renaissants, 127,
130, 131 ; sacrifiés, 124; sont des
héros, 161, 217 s. ; — locaux, 213 ;
INDEX ALPHABÉTIQUE
34i
territoriaux, 216 ; lermes, 213, 218 :
— des clans et tribus, ilo, i3i,
263.
•Dinas Kmris, 123.
•Dinn-rlK'. il4
Dispater, consitliTé par les Gaulois
comme anriHre, 100.
Diviciacus, 276.
Divina(ion en Irlande. 273, 277, 287.
288; aijrt-s l'introduction du chris-
tianisme 298; —en (jaule, 27»);
cf. Dicetaldi chennaib,Imbas foros-
nai.
Duine^ gens étrangers à la famille,
241.
Domnall hua Neill, 298.
Domnu, la déesse, 'J'J, 228.
Domongart, saint, 226.
Donateur, droit de ses descendants
à la succession des abbayes, 264.
Donation aux églises. 265, 266,
267; — d'Armagh à saint Patrick
62.
•Donegal, feux de fête dans le
comté, 115.
Donn fds de Mile, 213, 216.
Donn, le taureau épitiue, 170; — bô.
le poète, 127 ss , 282. 283.
Doss, grade des filid. i67.
*Do\vn, tombeau de saint Patrick à
— , 193, 204; tombeau des trois
grands saints de l'Irlande, 304.
Dragon, combat contre un — dans
les légendes hagiographiques, 314.
Drcbriu, fille d'Iiocho Fedhlech,
167.
Drissac, grade des filid, 287.
Drithlinn le druide, 168.
Droit des gens, 234 ; — de jambage
en Irlande, 237 s.
*Dro\ves, rivière, 64.
Druides irlandais : prêtres, 112, 114.
128,271 ss. ; devins, 05, 119, 121,
273; thaumaturges et exorcistes,
58 s., 124, 159, 274 s. ; savants,
273 ; éducateurs, 276 ; leur situation
sociale, 27.i s., 2'j7, 300 ; héroisés,
168; vaincus par saint Patrick,
58 s.. 142 ss. : — gaulois, 272, 276.
« Druidisme », synonyme de puis-
sance sacrée, 273.
*Druimm Bregh, 116 ; — Cet, as-
semblée de —, 291.
Duach Tengumha, 117.
Duaibsech, 211.
*Uiib, rivière, 64.
•Dubdà-rind, le druide, 273.
Uubthach Maccu Lugair, 294, 295,
308.
Duel, cf. « Combat singulier ».
*l)uff, rivière, cf. « *Dub ».
Duma = tuniulus, 177.
*l)uma Slainge, 214.
*Uim Sobairche. 229.
Duncan Ollartigan, 134.
Dunirv. 301.
Dunlang le fils de —, 210, 217, 218.
•Dunseverick. cf « *Dùn Sobairche »•
'Dunshaughlin, 32.
Eber Find, 284.
•Lbhlin, bataille d' -, 116.
Éces = savant, 278.
Echepolis, 19.
lîcné, génie de la poésie, 285.
bcoles des filid, 291, 297 ;— ecclé-
siastiques 298 s. •
'Ecosse, 289.
Edouard l", roi d'Angleterre, 260;
— le Confesseur, 326.
Église d'Irlande : organisation, bO,
264, 266; autonomie, o3, 306; in-
fluence gallicane, 31 ; son culte
pour saint Patrick, 30o s.; — cel-
tique, 29 ; — bretonne, 42.
Eithne, la fée, 187 ; — Ualach, 116.
Ele, fille d'Eocho Fedhlech, 167.
Élie, saint Patrick assimilé au pro-
phète — , 76.
•Elis. 19, 20.
•Elide, 21, 22.
Elysée irlandais, 156 s., 173 s. ;
voyages à 1'—, 182; cf. « Emain
Abhia », « Mag Mell », « Tir in-
na niBeo ».
•Emain 201 . — Abhla, 173, — Mâcha,
135, 21 i; légende d' —, 130;
fèie —, 110, 12a, 139, 161, cf.
« 'Armagh ».
Enchantements, 118 s., 132.
Ennodius, 313.
Eochaidh Muigniedon, 161,
Eoghan Bel. 168, 217, 218.
Eo Bosa, 174.
Épidémie mythique, 133; (génie de
r— , 133 s., 134, 138.
312
INDEX. ALPHABÉTIQUE
Épipliano. saint, 3ii ; sa Vie par
Ennodiiip, .'113.
Épilapho, 177 s.
•Kpirc. 21.
Épiire de saint Patrick, 33; aulhen-
ticilô, 34 ss. ; circonstances de sa
composition, 54 s.
Épopée et liagiofïraphie, 320, 324 s ,
329 ; groupement des motifs épi-
ques autour d'un héros li ; —
_ irlandaise, "JS, 116, 303.
Équinoxe, fête de 1" — , 150 s.
Ere, 61 : — fils de Coirpre Niafer,
2a4.
Erdalhe, le jour —, 18'.).
Eremon, 211, 213. 284.
Ermite insulaire. 200.
Erna, les —, 234, 248, 256.
Erracht = printemps. 150.
*Erythres,21.
Esclaves. 265.
Escop = évéque, 299.
*Espagne 97, 99, 101, 103, 183, 210:
localisation du pays des morts en
—, 157.
Esprits circulant aux fêtes, 134 s. ;
leur aspect, 118, 132, 133 : iden-
tiques aux génies des invasions.
134 ss. ; — des morts, 156 ; cf.
0 Ames », « Morts ».
Etàin, 275; ses incarnations succes-
sives, 138 s., 171.
Etan, 166.
Efar, mère d'Etâin, 171.
Elline, la Blanche, 69.
Etienne de Hongrie, saint, 326.
Élole, fils d'Oxylos, 20.
Eugipius, 315, 317.
'Euonia = Emain, 201.
Évèques : irlandais, 297,299 ; dignité
héréditaire, 265; et abbés, 264; —
des villes romaines, leur rôle so-
cial et leur glorification au déclin
de l'Empire, 322, 324.
Evhémerisme irlandais, 166.
Evocation des morts, 178.
Exarcktid = exorciste, 299.
Exil, condamnation â l'— , en
Irlande, 122.
Exorcismes, 134.
Expiation, 123.
Fabii les —,234.
Fachina Fathach, 262.
Fae/fi fiada, hymne dit — attribué
il saint Patrick, 39. 72, 149.
Faiblesse saisonnière, 119. 120 s.
Failli =: voyant, 277 ; — Uaifi, mé-
decin voyant, 279.
Fâl, pierre d'intronisation, 201,
260.
*Falias, ville divine, 201.
Fanlùmcs. 118, 120, 132.
Fastidius, 40.
Faustus de Riez, 44, 46.
Fé, gaule à mesurer les cadavres,
208.
Feber, sainte, son oratoire et sa
fontaine, 225.
Fedelm la Rousse, 69.
Fedelmid, fils de Loogaire, 266,
267 ; — Rechtmar, 268.
Fées sous forme d'oiseaux, 135.
Féis na Temrach, fête de Tara, HO ;
cf. « "Tara ».
Félire Oengusso, 86 ; annotations
au — , 87; — hûi Gonnain, 86.
Cf. Martyrologe.
Felmac, pupille, grade scolaire,
298.
Fomc, sainte, 295.
*Femen. sidh de —, 170.
*Fenagh, 225, 295.
Fer = homme, pi. fir; fer-mara =
homme de la mer, 137. Cf. Fir.
Fercertne, un file, 279, 290 ; —
file du roi Conchobar. 282: — fils
de Labraidh Loingsech, 280.
Ferchu Longsech, 212.
Ferdiad, 102.
Ferdomnach, ses Additamenia k
l'écrit dcTirechân, 83.
Fergus, saint, 267 ; — le poète, 308 ;
— mac Roig, 113, 163, 178,
233. 283, 296.
Ferta = tombe, 142, 163.
*Ferta-fer-Féicc, 142, 143, 145, 148,
149; — Pat raie, 228.
Festin,: de fête, 109, 112, 113, 127;
— funéraire, 188, 190 ; — sacrifi-
ciel, 112 s. : — magique, 118; —
des dieux, 114.
Fêtes irlandaises : dates, 109 s. ;
emi)lacemcnt, 163 s. ; rôle social,
cf. « Assemblées » ; représenta-
tions, 129 ss., 134 ss., 136 ss. ;
INDEX ALPHABETIQUE
343
rites, 111 s., 115, 13'J. cf. « Cour-
ses ». « Festin «, u Fou », « Jeux »,
«Offrandes u. «Sacrifice « : mythes,
11H 9S , iii ss.. m ss., li'.t ss.,
13t'., 138 ; riMc dans la mythologie
et lépopee. 91. 9i s., 137 ss. ; —
saisonniîres, 138 ; agraires, 139 ;
solaires, 139, 1 jU s. ; funéraires,
188, 190; commcmoratives, 1^4,
lio, l'JO: patronales. 33. 107,
108, 115, cf. aux noms des saints.
Prospérité assurée par la célébra-
tion des — , li3 s.
Féth fiada, charme assurant l'invi-
sibilité, 134.
Fethjjna ou Seignech mac Nectain,
235
Feu sacré, 59, 14i s. ; sacrilège,
iki; de fête, 39, 114 s., iii s.,
140 ss. ; nouveau, 114, 140 ; sacri-
ficiel. Ho, m, li4; lustral, 115;
pénal, \ii\ mort dans le — , ll'J.
144 ; offrandes brûlées dans le — ,
\±i ; but dune course, 143 ; allumé
sur un t^imbeau, 14i ; au moyen
d'incantations, 114.
Fiacc de Siéble, saint. 29b ; Hymne
de —, 84.
Fiacha, 190 ; — Muillethan, 273.
Fiathra, 168.
Fidhemna. les trois — . fils d'Eocho
Fedhlech, 167.
Figol, fils de Mamos,274.
File, pi. filid, il\ ; devins, magi-
ciens, savants, 124, 277 à 281,
287 s.; éducateurs, 2yl, 297 s.;
initiation, 287 s. ; organisation,
iî8t) s? . 290; situation sociale,
286. 288. 291, 292, 297; institu-
tion nationale, 291 s. ; rivaux dts
druides, 293; alliés du clergf.
293 ss., 298, 3U0 ss. ; leur fonction
mythopoétique, iéi s., 292 s. ;
constitution d'une tradition natio-
nale par les — , 289 s., 293 ; éla-
boration du type de héros, 284,
et de saint irlandais, 302 ss. ; —
et le culte de saint Patrick, 305.
Find, cf. « Finn ».
Findchoom, sœur de Conchobar,
263. 284.
•Findmag, fontaine de — , 212.
Fine : famille agnatique, 239; pa-
renté de ses membres, 241 ; cons-
tituée en cadres immuables, 344 ;
en clientèle, 247 ; lignes directes
et collatérales, 239 s., 244; indivi-
sion, 242, 240, 247 ; solidarité,
242 ; dévolution de? biens, 243,
245 ; groupe local. 244 à 246 ; cor-
respondance entre les divisions
de la — et les divisions du sol,
i24G ; hiérarchie des — , 2o0; chef
de la —, 239. 247 ; fine du flâxlh,
237, 251 : et tàaLh, 248. 2.i0.
Finn moc Cumhail, 94, 134. 223.
2b4, 284, 285, 286. 302, 313 ;
— de Kildare, évèque, 300, 301.
Finnacha, saint, sa conception,
171.
Finnbarr, saint, 200.
Finnbennach, le taureau, 170.
Finnchua de Brigown, saint, 224.
Finnian de Magh Bile, saint, 224;
sa fête. 108. 127 s.
Fintan de Cluain Aiditech, saint,
209.
Fir = hommes.
Fir Bolg, 99, 100, 131, 132, 214; —
Domnand. 99, 102, 228.
Firsidhe, 135, 149 ; cf. « Fées »,
« Génies ».
Fith, saint, 32.
Flàith = noble propriétaire foncier,
2oO, 240, 247, 250 s. ; sa fine de
clients, 230 s. ; chef de la gel fine,
247.
Flann, (ils de Dima, 119, 120, 122,
162;- roi d'Irlande 219.
*Foal, lie mythique, 201.
Fochair, les livres, dits —, 299.
FochlHC, grade des fiUd, 287, 288.
'Fochlut, forêt de —, 36, 48, 52,
80.
Forjlaintide, grade scolaire. 299.
Foires, 10',», cf. « Assemblées ».
Foirtchern. saint, 266. 267.
Fomore, pi. Fomoraig. 98, 99, 103,
112, 132, 133, 130, 172, 210, 274.
285 ; leur aspect, 98, 132. 137 ;
ancêtres des hommes, 100 ; pirates,
137.
Fontaines sacrées, 212 s., 225 s..
228 ; — hantées, 216 ; curatives.
210; de régénération, 170; mira-
culeuses, 79; jaillics de tora-
344
INDEX ALPHABÉTIQUE
beaux, ilO ; Fontaine de Science
et d'Inspiration. 183, 287; do
Connla, 183; de Mag Meil. :2i7:
des trois Patrick, 197; — dédiées
aux saints, -:!G s. ; à saint Patricii,
2i8. Offrandes aux — . iMi.
Forcetlaid, grade scolaire, 299.
Forgoll, un file, 278, 302.
Forgnide de Curcen, 270.
Forrach = ciiamp de foire et d'as-
semblée, 168.
Forteresses royales, 21o; bénies par
saint Patrick, 229 ; — des morts,
lOo; — des dieux prise d'assaut
par les hommes, 135,136.
Fortunat, 31o.
Fothad, les trois saints —, 268.
Fraechan mac Tenusan, druide du
roi Diarmaid mac Cerbhail, 274.
François d'Assise, saint, 5.
Francesca di Rimini, 7.
Fraternité du sang, 197, 258.
Freùneided, grade scolaire, 299.
Frères de lait, 257.
Friuch le porcher, 170.
Fudir = serf, 236.
Fulgence de Ruspe, saint, sa Vie
anonyme, 317.
Funérailles irlandaises : provisoires,
185 s. ; définitives, 187 s. ; — de
saint Patrick, 63 s., 204; des chefs
' gaulois, 190.
Funéraires, rites : double série
de —, 185.
Fursainte, grade scolaire, 299.
Galilée, 5.
Galiôin, les —, 99, 102, 249.
Gamanrad, les — d'Irros Dom-
nand, 164.
Garibaldi, héros national, o, 326.
Garman, 198 ; Sen —, 125.
*Gaule : influence de la — dans les
Iles Britanniques, 42, 45, 47 ;
Patrick en —, 42 ss. ; culte de
saint Martin en —, 327.
*Gavr'inis, allée couverte de—, 157.
Géant, 77, 129, 137.
Geiss, pi. geasa = interdiction ri-
tuelle, cf. « Interdiction ».
Gelfine, cf. fine.
*Gênes, culte de saint Sirus à — .
325.
Génies des invasions et ceux des
fêtes, 132 s., 136; retour des —,
136; les — et les morts. 156 s. ;
et les ancêtres, 160; incarnation
et désincarnalion des — , 158 ss.,
169 ss. ; ils sont des Puissances
de Vie, 173 à 176.
Georges, saint, 3ti; ses Fies an-
ciennes, 315 ; héros national, 325.
Germain l'.Vuxerrois, saint, 44, 45 s.,
80. 195, 11'8, 322; habitant les
parages de la Mer Tvrrhénienne,
198.
♦Glandore, 210.
*Glastonbury, tombeau de saint
Patrick à —, 203.
Glossaire de Cormac, 87.
Goibniu, dieu forgeron, 285.
Gôidels, invasion des — en Irlande,
101 s.
Gollit, sœur de saint Patrick, 270.
Goriot, le Père — , 7.
Gortigern, 123, 195.
Gosacht, 61.
"Graine, bataille de — , 116.
Gréco-romaine, civilisation : son
internationalisme, 320.
Grellan, saint, 225.
Guérisseurs, dieux et héros, 5, 8,
210.
Ilagiographe, sa fonction sociale,
31 il.
Hagiographiques, légendes : leurs
sources, 313 s. ; éléments reli-
gieux païens pénétrant dans les
— , 313. 315 s. ; emprunts aux
contes, 314 ; à la littérature cou-
rante, 315, 320 ; — et épopée, 319
320 ; et roman, 320 ; et littérature
édifiante des sectes rivales, 321
et l'histoire biographique, 315 s.
types représentés par les — , 313
schématisme des — , 317; leur
caractère édifiant, 316 s. ; apolo-
gétique, 317; romanesque, 317.
Elaboration ecclésiastique des — ,
319. Les — et le milieu social,
320, 321.
Hamilcar, 26.
Harpe de Dagda, 285 ; joueurs de
— en Irlande, 280.
Hector, 24.
INDEX ALPHABETIQUE
Hélène. 23.
*Héracléo, 13. 19.
Héraclès. 4, 1.). 17. i\.
Herbes ciuiilives, leur origine my-
thique, 210.
Hérolnts.ldnibcau.x d' — en Irlande,
167. 168
Héroïque, légende — , élaboration
12. 316. 318. Les trois races —
d'Irlande, cf. Laech aicine.
Héroïsation : et canonisation, 9 ; —
prononcée à la suite dune révé-
lation, 9 s., 10; — de sacrifiés,
26 ; de morts pour la patrie, :i5 ;
de guerriers tués en combat, 2o,
IT'J : de suicidés, 2ti ; de foudroyés,
26. 180; de noyés, 180; de morts
d'une mort inexplicable, subite
ou violente, 20, 180; de morts
qui reposent en un lieu sacré, 26;
de morts d'épidémie. 20, 179 ; de
morts d'amour, 180; des initiés,
Ib ; d'athlètes vainqueurs, 2o ; de
magistrats, 8, 10, 10; de rois, 16;
cf. « Canonisation ».
Héros : acception du mot, 1 s. ; dé-
finition, 27, 32'J ; classifica-
cation des —, 321) ss., 329.
— incarnation de valeur, 3
idéal collectif. 5, 12, 324
idéal moral. 4.221 s.,313ss.
héros révolté, 0 ; criminel, 6
guerrier, 4. 17. 221 : profes-
sionnel, i) ; champion et té-
moin, 6 s., 2a, 217, 218 à
220, 323, cf. « Martyr » ; pa-
tron et avocat, 18, 224, cf.
n Saints ».
— représentant d'un groupe ou
dune chose, 11 s.; 220 s.,
324 ; reconnaissance sociale
du — , 7 ss. ; — reflète un
état social, 324, 325 ss. ; —
gentilices, 7 s., 21o s., 260 à
203, 267 ; féodaux et dynas-
tiques, 269. 324 ; — des ci-
tés, 8, 10. :J22s., 327 : arché-
gètcs, 8 ; des États, 320 s. ;
locaux, 214, 327 s. ; territo-
riaux, 327 s. ; nationaux,
325 s. ; des corporations, 8,
9, 11 ; des sectes, 323 ; —
des choses 210 ss. ; guéris-
345
types
scurs 5. 8. 210.
littéraires, 7 s., 316 s.
Héros : homme, 13; participe à la na-
ture des dieux, 16 ; incar-
nation d'un dieu 170, 172 ;
conquérant du mana, 16 s.
— morts, 13 ss., 177 ss. ; culte
funéraire des — , 14 s., 18 ss. ;
portée sociale de leur mort,
25 s., 179 ss. ; persistance
de la personnalité du — ,
21 s., 23 s., 18'J s, ; puis-
sance posthume des — , 13,
22 s., 24 ; — entrés vivants
dans l'Autre Monde, 15, 181
à 185, 194 à 202.
— protagonistes du drame festi-
val, 116 s., 127 s., 162 s.;
représentants du cycle de
l'année, 163.
— culte des — , 14 s., 18 ss.,
23 ; et celui des dieux 20,
22.
— et dieux, 27 ; et saints, 27 s.,
324.
— grecs, 327 ; et héros irlandais,
223.
Hespérides, jardins des — , 15.
Hésiode, reliques d' — , 24.
Hilaire d'Arles, saint, 44. 46 ; —
de Poitiers, saint : son Hymne
30 ; sa traduction du Symbole
de Philippopolis, 42.
Hippodamie, translation des re-
liques d' — , 24.
Homère vénéré comme héros, 4.
Hommes bleus, 118, 132, 133 ; —
sans têtes, 118, 133 ; — à tètes
de chèvres, 132 ; — à une seule
main et un seul pied, 132.
Honorât de Lérins, saint, 44.
Hua, pi. hùi = petit-fils, préfixe
patronymique.
Hiia Conchobuir, le —, 261.
Hugues de Lacy, 181.
Hùi n-AilelIa, :>« ; — Amalgada. 68,
194, 238, 246, 287, leurs assem-
blées, 2.)9; — (Jennselich, 295;
— Degaidh, 235 ; Dorlhini, 270;
— Fiarhrach, 253, 301 ; — Find,
248 ; — Mailfodmair, 265 ; —
Maine, 224, 238. 248, 253, leur
émigration, 238, 201, pays des
346
INDEX ALPHABÉTIQUE
—, ii& : — Néill. 116. 21fi, 224;
— Niullaiu, 58.
Uyakinlhus. son cuKe à Amycles,
19, iO.
Hymnes lalins dos iv» et v« siècles.
mètre des — . 30 ; Hymne de
Fiacc, 64.
lago, 7.
*far Gonnaught, 332, 333.
larfine, :J40 h 244 ; cf. Fine.
Ignace de Loyola, saint, 5.
Iles merveilleuses, 79. 96, 182, 196 s.
Iliade, 324.
Imbas forosnai. procédé de divina-
tion, 128, 277, 298.
Imbleogan = frère de lait, 234.
•Imbliucli Eqiiorwm, 270.
Imbulc, fôte. 93. 107, 108, 121.150.
*lmgae, 266.
lnbher= estuaire.
'Inbher Boinne, 96 ; — Dee, 57 ;
— Scène, 101.
Incantations, 277, 278, 286 ; — mé-
dicales, 280 ; prononcées par les
saints irlandais, 302; cf, « Drui-
des », File.
Incarnation et désincarnation, 158 s ;
169 à 172.
Mndedhnen, 81.
Indftne, 240 à 244 ; cf. Fine.
Inis = lie.
*Inis Caoin Degha, 295 ; — Gloth-
rann, 295.
Mnishmurray, 295.
Initiation en Irlande, 183 s. ; ses
degrés chez les filid, 287 s. ; —
des héros irlandais, 197; de Pa-
trick, 196 s.
Initiatrice, déesse, en Irlande, 197.
Initiés : héroïsés, 15 ; — irlandais,
183 s. ; visitent l'Autre Monde,
184 ; des pays merveilleux, 197.
Inondation miraculeuse, 63, 106.
Institutions politiques et lien natio-
nal, 326.
Interdictions rituelles, 114, 140,
142 s., 332; — de prononcer un
nom, 117, 119, 121 ; violation
d'une —, menant â la dignité de
héros, 15, 179.
Intersignes, 119.
Intronisation en Irlande, 260,282;
— des rois de Cinel Connell,
186.
Inus, 21.
Invasions : mythiques de l'Irlande,
94, 97 ; pays d'où viennent les
envahisseurs, 103 s., cf. a Espa-
gne » ; leur itinéraire, 101 s.,
comparé à celui de Patrick, 104 ;
date des —, 98, 99, 100. 101 ;
thème général des mythes d' — ,
102 s.. 136; — Scandinaves, 307.
*lona, abbaye de —, 30, 304 ;
tombeau de Columcille à — . 304.
Irlandaise, nationalité, 326 ; sa for-
mation, 305 ss.
'Irros Domnand, 164.
Iserninus, saint, 32, 54.
Isocrate, 8, 23.
Isthmiques, jeux, 22.
Ith, fils de Bregon, 101.
Jean de Courcv, 181 ; — sans Terre,
249.
Jean, la fête de saint — Baptiste.
115, loi.
Jeanne d'Arc, héroïne nationale,
325.
Jérôme, saint. 314 ; — de Rhodes,
23.
•Jérusalem, 78.
Jésus-Christ, 75, 77.
Jeune : 76 ; précède chaque méta-
morphose de Tùan mac Cairill,
170 : — moyen de coercition ma-
gique en Irlande, 194 ; pratiqué
par les clercs, 194, 302 ; par saint
Patrick, 65, 195.
Jeunesse éternelle. 96.
Jeux : des fêtes grecques célébrées
en l'honneur des héros. 22 : —
de fête en Irlande, 109 ; — funé-
raires, 188, 190,
Joasaph, ci'. « Barlaam ».
Jocelin de Furness, sa Vie de saint
Patrick, 85 s.
•Josaphat. vallée de — , 106.
Joseph : Patrick assimilé à — .
vendu par ses frères. 77 ; —
évêque d'Armagh, 82.
Josué, miracle de — , dans la lé-
gende de saint Patrick, 77, 151.
Juges irlandais inspirés par le
Saint-Esprit, 222.
INDEX ALPHABÉTIQUE
347
Jugement Dernier, 76, 105 s., 183,
189 ; Patrick juge des Irlandais
au —, ltf3. o08.
Julien d'Eclanum déclaration
de foi, 42.
Juifs, natiun fondée s la religion,
M6.
Jus primse noctis en Irlande, 237.
•Relis, ii6 ; concile de —, 307.
Keramos, patron des potiers, o.
Keraon, patron des cuisiniers. 5.
•Kildare. 300, 301, 303, cf. « Bri-
git » ; fite de — , cf. « Oenach
Life » ; légende de saint Patrick
localisée dans les parages de — ,
67. 68.
'Killala, évèché de — , patrimoine
des liai Maiifodmair, 265.
•Kilialoe, 216.
'Kiliarney, 177.
•Rillgiass, lac de —, 58.
•Kiilosy. 32.
Kilmurchun, 67.
Kôrner, héros national, 326.
Koré. 13.
Koroïbos, son tombeau, 20.
Koeciuszko, héros national, 326
Labraidh Loingsech, roi d'Irlande,
167, 280.
Lac : de Jouvence, 174 ; saints pa-
trons des — , 226 s. ; — de Kill-
glass, 58.
Laech aicme = races héroïques, les
trois — d'Irlande, 164.
Laeg, cocher de Cùchulainn, 146.
233.
•Laithrech Briiiin, 295.
Lamnas, fête. 107 ; cf. Lugnasad.
Langue, lien national, 326.
Laurent, saint ; ses reliques en
Irlande. 33.
Leaba = lit.
•Leaba Mologa, 226.
Leacht, pi. leachta = monument fu-
néraire en pierres.
•Leacht Bcnain, 228 ; Leachta Pha-
druig. 228.
Lear, le rui — , 7.
Lebar = livre.
Lebar Brecc : compilé par les Mac
Egan, 301 ; Homélie du
— ,80.141.144, 146. 193.
228; annotations au Féiire
Oengusso, 87.
Lebar Brecc : na Gabala, cf. « Textes
irlandais ».
— na hUidhre, 87, 132, 164,
165, 166. 300.
*LecaIe, o4. 57, i)8.
•Lecan, 2'J7, 301 ; Livre de —, cf.
Livre.
Légende, cf. « Hagiographique »,
« Héroïque »; — explicatives des
propriétés des choses, 64 ; de
proverbes, 73.
•Leinster. 29, 53, 109, 116, 124,
127 ; assemblées du — , Hl ,
126, 166 ; sépulture des rois de
—, 166 ; cycle épique de —, 93.
116, 286 ; saints patrons du 140,
224 ; saint Patrick dans le —,
58, 68, 29o.
*Lei.\ : hommes du —, préposés à
la garde des joyaux des femmes
qui prennent part à la course de
Carman, 126.
Léon le Grand, pape. 46.
Léonard de Vinci, o.
Léonidas, son culte, 22, 25.
Lépreux, 127.
•Lérins. 43 s., 44, 46, 47, 72, 96.
Lesru, 194.
Liachtreolr = lecteur, 299.
Liber Angueli, 83, 305; Libri Hym-
norwm irlandais, 30, 87, 203. 301.
Libération thème de la — dans
les mythes irlandais, 95, 105 s. ;
— de Patrick, 1U6.
•Limcrick, 188; plaine de —, 216.
Lincoln, héros national, 326.
Lir, 132.
Littérature ecclésiastique et littéra-
ture laïque dans le monde gréco-
romain. 320.
Livingstone, 6.
Livre d'Armagh. 33, 67. 70, 82 ss.,
146 ; — de nalhjmolc, 112, 281 ;
— de Fenarjh, 225; — de Fermoy,
127, 134; — de Leinster, 110,
122, 132. 135. 210, 248 ; —
de Lisinore : Vies des saints
du — . 225, 303. 304 ; Vie de
saint Patrick du même ms. 85 ;
— jaune de Lecan, 116, 127,
348
INDEX ALPHABÉTIQUE
compilé par Mac Firbis. 301 ; —
de rOUamh, 277. Cf. Lebar, Li-
ber.
Livre sacré, palladium d'une armée,
225.
Loarn. roi d"Écosse, père d'Erca.
133.
Loch = lac, cf. Loucjh.
"Loch Gilh\ 168 : cf. « 'Oenach »;
— Ribh, 295.
Loegaire mac Crimthainn, 157; —
mac Noill, roi d'Irlande : son
conflit avec Patrick, 140, 143 ss.,
145 ; légende de sa conversion,
69 ; demeure païen, 51, 52 ; com-
paré à Nabuchodonosor, 76; sa
descendance écartée du trône,
60 ; ordonne la compilation du
Senchus Mùr, 281 ; sa mort, 179;
enterré debout, 18'J ; champion
des Hùi Néill, i'î6, 217, 218.
Lomnan, saint, 53, 266, 267 ; pa-
rent de saint Patrick, 270.
Lorica Palricii, hymne dit — , 39,
87.
Lolhor, Gis d'Eocho Fedhlech, 167.
•Lough Bofin, 58 ; — Corrib, 213 ;
— Derg du Shannon. 213 ; —
Erne Lower, 168 : — Neagh,
52; Strangford — , 52.
*Loughadrine, 213.
"Loughcrew, 168.
Loup de Troyes, saint, 45, 46.
"Luachra Degadh, 108 ; cf. « Temair
Luachra ».
Luain, 278.
Lug, lui, 103, 131, 133, 135, 138,
226, 262, 274, 285; mac Ethlend,
138; et Lugnasad, 130; son ma-
riage, 130 ; fondateur de la fête
de Tailtiu, 125 ; inventeur des
jeux, 130 ; enterré à Brugh, 166;
s'incarne en Cùchulainn, 171,
172. — Laebach, druide, 278.
Lugaidh, 125, cf. o Lug » ; — mac
Con, 254, 255; — Riabderg, 110,
167, 255.
*Lug-mag, 130.
Lugjiasad, fête, 107 s., 109, 110, 111,
123, 124, 153 ; mythes, 124, 125,
130 s.; rites, 115, 126, 130; re-
présentations, 131 ; fête de Lug,
130 ; assimilée à Pâques, 141.
*Lugu-dunum, 'Lugu-uallum, 130.
Lupait, sœur de Patrick, 147 ; —,
porc de la Saint-Martin, ibid.
Mac = fils ; — fuirmid, grade des
filkl, 287.
Mac Carthy Môr, 261 ; les — Crunn-
luachra, 248 ; — Cuill, roi des
Tùalha Dé Danann, 201 ; — dâ
creta, saint, cf. « Finnacha » ; —
Dara, saint, 332; les — Eachach,
235 ; — Egan, 301 ; — Firbis
(Duald), 203, les — Firbis, 284,
287, 297, 301, cf. « Clann Firbi-
sigh » ; les — Fhlandchaidli, 248;
les — Gilla Patrick. 269 : les —
Mahon ou — Mathgamain, 333 ;
les — Nechla, 219, '220 ; les —
Néil,2i6, cf. a Hûi Néill».
Maccuil Maccu Grege. 199, 200;
poème irlandais sur lui, 70.
Mâcha, 125, 130, 132. 161, 162, 227,
262, 263 ; — Mongruad, femme de
Némed, 125 ; doublet de la pre-
mière, 161 s. ; — déesse des car-
nages, 132.
Machaon, 5.
Machthene, 67, cf. « Cogitosus ».
Macpherson, 283.
Maedog de Ferns, saint, 269.
Mael Duin, 273 ; son voyage mer-
veilleu.x, 174, 182, 200, '202, 274 ;
— Poil, évêque, 81.
Maelmuire, 165, 300.
Mag =^ plaine.
*Mag Ai, 58; bataille de — Ailbhe,
116 : — cet ne, 99; — Domnon,
58; — Fea, 116; — Mell, 173,
175, 185, voyages en —, 182 s.,
200 s., 202, fontaine de —, 227;
— môr, 131; — Mnirthemne, 135,
massacre de —, 137 s. ; — Rein,
295; — Slecht, 58, 112, 148, 212,
228 ; bataille de — Tured, 100,
103, 131, 138, 156, situation, 210,
"Maghera en Down, célébration de
Bcltaine et de la Saint-Jean, 115;
de la fête de saint Patrick à —,
150.
Magie, pratiquée par les saints
irlandais, 302.
Magistrats, culte des —, 8, 15, 16,
324.
INDEX ALPHABETIQUE
349
Mai. Jour (k\ 107, 115.
'Mainalos, 24.
Mainchin, siiiiit, 295.
Maine Mor, 2.18, iûi.
Maison incendiée, mort rituelle dans
une — . 119, 14i, 147 s.
•Maistiu, 217.
Malédiction de chefs par Patrick,
59 ; de choses, 64 ; rites observés
pendant la — , 3u2.
Maléfices. 124, 143.
•Man, Ile de —, 201, 289.
Mana, 10; conquête du — par le
héros, 10, 17.
Manannan mac Lir, 132, 157, 175,
201; son incarnation en Mongan,
171 : dieu psychopompe, 182, 184,
200.
ManghoM, saint. 201.
*Manister prés Cromm, 167, cf.
n Oenach Clochair ».
MivTî'.s gaulois, 277.
.Mantinée, 24.
'Marathon, culte des guerriers tom-
bés à —, 25.
Marban, saint, 296.
'Mare Terrenum, 44, cf. « *Tyrrhé-
niennt; ».
Mariage annuel en Irlande, 109,
130 ; — d'un héros avec une fée,
117 s , 121, 122 ; de Mai, 11b, liM ;
de Lug, 130.
Marianus Scolus, saint, 51.
Marie : mention de — dans les
svmboles, 42 ; Brigit assimilée
à"—, 77.
Marseillais, communauté des — ,
44.
'Marseille, 44.
Martin de Tours, saint, 322; sa Vie
par Sulpice Sévère, 31o, 317 ; son
culte en Gaule, 327, à Tours, 328 ;
sa fête, 33, 146 ; sa conne.tion
avec saint l'atrick, 78, 80.
Marlifrolor/e de Donegal, 31, 86,
200, 295, 304 : — de Luxeuil,
d'Oengus et de Maelmuire hua
Gormàin, 86.
Martyr, 4, .o, 8 ; témoin, 6 s., 323 ;
champion, 323 : triomphateur, 17;
culte des — , 14; — héros de
secte, 323 ; — dévoré par les
insectes, 314.
Massacres mythiques, 99, 118, 133,
137, 148.
Matrimoniales, règles, 2o5, 256.
Matlon, patron des boulangers, 5.
Maxime de Riuz, 44.
May Day, cf. « Mai ».
'Mealh, 52; assemblées du — , 110,
164 : localisation de la légende de
saint Patrick en — , 52, 68.
Medb. fille d'Eocho Fedhlnch, reine
de Connaughl, 157, 168, 232.
Médecine, traités irlandais de — ,
280.
Médecins irlandais, 279 ; héros — ,
m.
•Mégare, 19, 21.
Mélanippe, 23.
Mélicerte, 22.
Menas l'Kgyptien, saint, 63.
Menhir, cf. « Pierre levée ».
Monippe, 10, 23.
*Mer Tyrrhénienne, cf. « Tyrrhé-
nienne »; — de l'Ouest, 129.
Mères, déesses — , 124, 12o, 262.
Merlin l'Enchanteur, 123.
Mesc, 125.
'Messène, 24.
Messianisme dans la légende de
saint Patrick, 75 s., 95.
Miach, fils de Diancecht, 210, .222.
Michel, saint, 76; héros national,
325 ; sa fôte, 33.
Midbolh = roturier, 237.
Mide, 115.
'Mide, 266. cf. « 'Meath ».
'Midée en Argolide, 24.
Mider, 1^8 .^., 275, 287.
.Miichu, son suicide, 60, 147.
Mile, fils de Bile, 101 s. : les fils
de —, loi s., 104, 201, 213,
280, opposés aux Tùatha Dé
Danann, 134.
Miltiade, son culte, 22.
Miracles, 50 ss., 63 s., 79, cf. «Jésus-
Christ », « Josué » ; absence de
— dans les écrits de Patrick,
36 s.
Mochoa, 146.
Mogh = serviteur.
'Moenmagh, 1.35, 136.
Mogh Néit, 187 ; — Nuadat, 258,
276: — Ruith,273.
Moines, champions du Royaume de
350
INDEX ALPHABÉTIQUE
Dieu, 323 s.; héros chrétiens, 15,
323 ; — en Irlande : tenanciers,
2Go ; serfs, 266.
Moïse, Patrick assimile à —, "6, 81.
Molaise, saint, 171, 194, 268.
Moling, saint, 196, 2(3'.); son ermi-
tage, :^26; sa fête, 108; poèmes
attribués à—, 301. Dirfh and Life
of saint Moling, cité, 196.
Mologa, saint, avatar de Lug, 226.
Monachisme gaulois, 4i; irlandais,
50, cf. « Moines. »
"Monasteiboice, 298.
Monesan la Saxonne, 60.
Mongan, 278, 282, 302, 303:
incarnation de Manannan mac
Lir, 171.
Mongfind, 161, 263, cf. Samhain.
Monnine, sainte, 195.
Monoa, mère de saint Molaise, 268.
Monstre gardien d'une fontaine,
197 ; monstres combattus par les
héros irlandais, 197 : — lacustres
vaincus par saint Patrick, 228.
•Mont Aigle, 58, 65, 92, 146, 140,
192-195 ; — Hermon, 80 ; — Man-
gerton, 177 ; — Miss en Antrim,
57 ; — Miss en Munster, 101 ; —
Sinal, 104.
Môr-tùaih = grande iûath, 252,
233.
Morann, juge de l'Autre-Monde, 2C9 ;
son collier, ibid.
Morhûlt d'Irlande, 137.
Morrigu, 132.
Mort physique et mort rituelle, 14 s.,
181, 184 ; — sacrificielle, 119, 120,
127 ss. ; héroïque, 25 s., 179 s. ;
collective, 133, 145, 148 ; des
acteurs mythiques des fêtes irlan-
daises, 119, 121 s., 124 s., 127 ss. ;
— et résurrection, 127 ss., 120 ss.;
et renaissance, 125, 130, 169 s. ;
représentation de la mort en
Irlande, 169 ss., 175 s. ; — de
saint Patrick, 63.
Morts : cf. « Héros »; — pour la
patrie, héroïsés à Athènes, 25 ; en
Irlande : le pays des morts, 157;
— confondus avec les génies,
157 s., 176, 191 ; — anonymes,
176 ; — nommés, 177 s., 178, 189
S. ; leurs monuments, 177 ; de-
meurent actifs, 217; protagonistes
du drame festival, 101 ; héros,
217.
Mouton, offrande d'un — en au-
tomne, 113.
Mu Genoc, saint, 270.
Miigain, fille d'Eocho Fedhlech,
167.
Muiine = mère adoptive, 257.
"Muir Torann, 103, cf. « Tyrrhé-
nienne » ; — Torinaig, 103.
Muircertach mac Erca, 114, 132,
133, 258, 302 ; histoire de sa mort,
116 à 122.
Muirchu Maccu Machténi, 67 s. ; sa
Vie de saint Patrick, 68 s., com-
parée à la Vie par Tlrcchân, 69 ;
sa connaissance des sources, 79 ;
légende des voyages de saint
Patrick dans — , 79; sa version
des incidents de Tara, 140 à 144.
Cité: 185, 189. 199, 201, 203.
204,227, 274, 294, 295.
'Muiresc Aigli, 146.
'Muirthemme, cf. « *Mag Muir-
themne »,
•MuUaghshee, 213.
Munis, saint, 270.
'Munster, 134 ; assemblées du — ,
166 s. ; sépultures royales de — ,
167 ; dynasties, 255 s., 268 ; saints
patrons du —, 224, 220. Le —
dans l'itinéraire légendaire de
Patrick, 58.
Muresc, fille d'Eocho Fedhlech,
167.
Murgen, un file, 178.
Musiciens, 280; cf. « Harpe ».
Musique provoquant un sommeil
magique, 285.
Musolino, 6.
•Mycènes, 19, 24.
Mygdon, son tombeau, 20.
Mythologie irlandaise : trame chro-
nologique, 92 s. ; représentation
du cycle de l'année, 138 ; cf.
« Année », « Invasions », « Fêtes ».
Nabuchodonosor : le roi Loegaire
comparé à — , 76.
Namnètes, prétresses des — arra-
chant le toit de leur sanctuaire,
127.
INDEX ALPHABETIQUE
351
Nar. fllsd'Eocho Fedhlech. 167.
Nations, formai ion dos, 3iti.
Naufragés, réduits en esclavage en
Irlande. 181.
Naiilochos. 10.
Navigateurs partis sans rame ni
gouvernail en Irlande : voués à
la mort, 182; guidés par un dieu,
18i; visitant Map .Mell, 18i; et
des lies merveilleuses, iOl s. ;
Héros navigateurs, 182, :200; clercs
— 199 8., deviennent des saints,
iuO.
Navigation errante en Irlande : rite
pénal, 181, 199; expiation, 200;
conséquence d'un vœu, 199, 200;
— de saint Patrick, 198, 20-';
cf. « Bran mac Febail », « Mael-
Duin », « Manannan )>, <> Patrick h,
« Tagd fils de Cian ».
Néde. le file, 278, 279. 289, 290,
291.
Neige changée en lait, 79.
Nemed, 98 s.; les fils de —, 99,
103, 112, 157.
Néméens, jeux — , 22.
*Nenagh, 167 ; cf. « "OenachUrmu-
mhan ».
Ncnnius : Ilisloria Britonum, attri-
buée à —, 38, 54, 85, 97, 123,
214.
Ness, mère du roi Concliobar, 170.
'iNewgrange, cf. « *Brugh na
Boinne ».
Niall aux Neuf Otages, 189.
?<icée, Symbole de — , 41.
Sinine, Prière de —, 87, 229, 300.
Noblesse en Irlande, cf. Flàilh.
Noël, 113.
Nom : et âme, 178; inscrit sur la
tombe, 177; — d'une fée, inter-
diction de le prononcer, 117, 119,
121. Noms genlilices en Irlande,
234 s. ; patronymiques des clans,
23o ; dérivés des noms des rois,
238.
Nombres conventionnels : dans la
mythologie et répo|)ée irlandaise,
92 s., 121 ; dans la légende de
saint Patrick, 72, 76, 90 s. Cf.
« Année ».
Nourriciers, parents — , en Irlande,
2b7, cf. Aile, Muime ; choisis dans
la famille delà mère, 258 ; culte
des —, 262 s.
Nouvel An, 113.
Noyé : héros — dans un bassin,
117, 119; noyés héroïsés, 180,
il3, 216.
Nuada Derg, fils de Dairine, 258.
Nuca, druide, 273, 274.
Nuit, Alfred : sa théorie des fêtes
irlandaises, 138 ; son élude sur
la conception miraculeuse en
Irlande, 171 ; la représentation
irlandaise de la mort suivant —,
176.
O'Brien, 261 ; les —, 216, 269, 286.
OByrne, les —, 269.
O'Cavanagh Mac Murrogh, les —,
269.
•Ocha, bataille d— , 116.
Ochall Ochne, 170.
O'Gorra, les fils d'— , 273.
Oc Trial, Oc Triallach, 210.
O'Davoren, Glossaire d' — , 113, 147,
278, 287.
Odiàsus, prêtre, aïeul de saint Pa-
trick, 47.
ODonnell : le livre sacré, palladium
des —, 225.
Odrân, saint, cocher de saint Pa-
trick, 146, 20o ; le druide —, 146.
Odyssée, 324.
Ce, fils d'Ollamh : son tombeau,
166.
Œdipe, 26.
Oenach = assemblée périodique,
par extension : lieu de réunion
de l'assemblée, 164; cf. « Assem-
blées », « Fêtes », « Cimetières ». —
n-guba = assemblée funéraire,
124,191.
•Oenach Ailbhe, 166; — Glochair
ou — Culi. 167; — Colmain, 126;
Cruachna, cf. « 'Cruachan » ; —
Drilhlenn, 168 ; — Feci, 165; —
Life, 166, cf. — Colmain ; — Locha
Gille, 168; — Mâcha, 139; —
Maighe Adhair, 174: — Reil,
174. 211 ; — Tailten, 140 ; — tête
ou — Urmumhan. 167.
Oengus, cf. Félire, Martyrologe.
OKnomaos, 22.
Offrandes, 112, 113, 146; brûlées
352
INDEX ALPHABETIQUE
dans le feu de Samhain, Iti ; —
aux tombeaux, 208.
O'Flaherty, 199.
Ogham, caraclôres irlandais incisés,
168, 177, 180, 281, :287.
Ogma : son tombeau, 166.
Oimelc = ImbuLc, 107.
"Oing, rivière, 64.
•Oirbsen, lac, tiZ : cf. « "Lough
Corrib ».
Oiseaux des sidh, 13o ; — diaboli-
ques, loO ; âmes sous forme d' — ,
150, 193.
Oissin, 283, 284, 285.
O'Kenshelagh, les — , :269.
Olaf, saint, patron de la Norvège,
327.
Ollaire, grade des filid, 287.
Ollamh, grade suprême des filid,
279, 288, 289, 290 ; ard-ollamh,
291 ; prérogatives de 1'—, 292,
297, 299.
Ollamh Fodhla : son tombeau, 165.
*01ympie, 19.
Olympiens, dieux — , le rituel de
leur culte différent de celui du
culte héroïque, 14.
Olympiques, jeux, 19.
O'Rloore, les - , 269.
Onésile, 21.
Oracle de Delphes : intervention de
r — , dans l'institution des cultes
héroïques, 9, 23, 24.
*Orcades, lies —, 199.
*Orchomène, 22.
Ordalie, 59, 144, 179,209.
Oreste, translation de ses reliques,
24
Oronte, héros, invention de ses
reliques, 24.
Orphée ; héros d'une secte, 4, o,
15 ; mort de 1'— Thrace, 27.
Osraighi, les —, 253, 269.
Ossian. 283.
Otello, 7.
O'Toole, les —, 269.
Ouest, direction dans laquelle se
trouve le pays des dieux et des
morts, 103.
Ours : hypothèses sur 1' —, totem
en Irlande, 333 ; — de Berne,
ibid.
Oxylos, 20.
Paddij, diminutif de « Patrick »,
32
Palladius, 29. 37 ss., 72 : et Patrick,
39 ; et saint Germain l'Auxerrois,
45; ordonné évêqueparCélestin I",
39 ; sa mission, 38, son échec, 38.
Paolo, 7.
Paparo, le cardinal, légat en Irlande,
307.
Palraic = Patrick, 32.
Pâques : supputation de — , par-
ticulière à l'Église d'Irlande, 50,
63, 306, 307 ; importance de
— , dans la légende de saint
Patrick, 91, 92, 93, 149 s. ; —
et Samhain, équivalence dans la
légende de saint Patrick, 141 ; la
semaine de — , passée par Patrick
à Tara, 141 ss. ; feu de —, 141.
Paradis: terrestre, 104; voyage au
202 ; cf. « Elysée », « Mag Mell ».
Parenté en Irlande : groupes de
— , cf. Fine Tùath ; — agnatique,
239, degrés de la —, 239 s. ; —
utérine, 251, 254 s. ; élective,
251, 237 s. ; — principe de l'orga-
nisation ecclésiastique en Irlande,
264 s. ; — et formes du culte,
259 ss., 262 s.. 267.
Paris, 7.
Parjure, 131.
Parricide mythique : 97,101, 103.
Partholon, 97, 98, 103, 170, 213.
Pascal, cycle, 50 ; — trame chrono-
logique de la légende de saint
Patrick, 91 s.
Pasteur, o.
Patrick : existence, 29 ss. ; nom,
31 s., 39 ; ses écrits, 33 ss., cf.
Confesssion , Épitre, Dicta ; son
origine, 39, 46, 47; sa captivité,
48 ; sa préparation, 43 ss. ; — à
Lérins, 43 s. ; à Auxerre, 45 s. ;
n'est pas allé à Rome, 31, 39 s. ;
sa déclaration de foi, 40 s., 46 ;
son orthodoxie, 42, 46; ses vertus,
35, 48; son caractère, 47 s.; ses
visions, 36, 48. Ordination épis-
copale de — , 34, 35, 44 ; mission
de — , 49 ss. ; — et Palladius,
37 s. ; sa politique, 51 ; son alliance
avec les filid, 51, 293 s. ; — orga-
nisation de l'Église d'Irlande, 50,
INDEX ALPHABETIQUE
353
53 s. : ses ennemis, 3o ; — et Coro-
ticus, o4 ; sa mort, J4.
Patrick, Vies de — : 34, 65 ss , cf.
« Muirchu w, « Tlrechàn »,
Fiacr ; los Vies du recueil
de Colgan : Vitu ii», 84; m»,
81, 85; IV». 84 ; v«, 81, cf.
0 Probus >) ; vi», 83 s. ; vu'»,
81, cf. Vie Triparlite. Les
actes antérieurs à Muirchu et
Tirechan, 70 : les plus an-
ciennes riesconntios. 66 ss. :
sources des iiagiograpiies,
71 ss. ; leur méthode, li ss.,
70 ; leur travail d'amplifica-
tion, 78 ss.; les Vies types,
81 s., leurs sources, 82 s. :
textes isolés et fragmen-
taires, 82 s., 87 s. ; ia Vie
Triparlite. 81: s. Vies posté-
rieures à la IVe r»'ipa/7i/e, 85.
— légende : localisation 57 s..
1311 s. : trame chronolo-
gique, 00 s. : caractère
mythique, oi, 140 ss. : élé-
ments épiques, 74 ; thèmes
de contes pieux, 60 s . de
conles populaires, 62 s..
cf. (I Thèmes a. Généalogie
de — , 78 ; légendes d'en-
fance, 7'J ; captivité, 100:
libération. 106 ; voyages,
80. '.&: Patrick à Tara, 91,
96, liO s., 141 s., 144 ss. ;
à Tailtiu, 91. 141 ; sur le
Mont Aigle, loO, 1"J2 à lO.ï ;
à Uisnech, 141 ; les luttes
contre les dénions, 59, 104,
105, l'Jo, 196 ; contre les
druides, 58 s.. 90, 104 s.,
lOfi. 142. 14i; conflits avtc
le roi et les chefs, 59. 14.^,
148 s. ; altentals contre la
vie de —, 60, 145; — chns-
sant les reptiles, 59, 105.
195 : légende de la donation
dArrnîigh, 62 ; légende de
la mort et des funérailles de
Patrick, 61 s., 63. 203 s. :
tombeau de —, 63. 76. 304.
— et Urigit, 304; et Colum-
cille. 304 ; et saint Martin de
Tours. 78. 80, cf. « Miracles » .
CZVRXOWSKI.
Patrick : personnage mythique : assi-
milé aux héros bibliques.
74, 76 s., aux héros épiques,
74 ; acteur du drame festi-
val, 141 SS-, 149 ; son carac-
tère printanier, 130. lumi-
neux, 151 s. ; assimilé aux
génies envahisseurs, 94 ss.,
104 ss.. à un Tùalha Dé
Uanann, 143 ; ses substituts
sacrifiés, 144, 145, 146; —
sous forme de cerf, li9. —
attendu, 95 ; cf. « Messia-
nisme » ; libérateur, 105 s. ;
fondateur d'un Règne Nou-
veau, 95, 142, 148 ; cham-
pion et prolecteur. 307, 310;
juge des Irlandais au Juge-
ment Dernier, 3(i8 : institu-
tions et mœurs placés sous
son patronage, 139 s.. 308,
309 ; patron des filid, 305 ; ^
apôtre unique de l'Irlande,
305, patron suprême. 302ss.,
305 ss., 309 ; héros national,
308 ss., 311 ss. Sa fètc.
108, 150 s., 312.
— fréquence de ce nom en Ir-
lande, 32, 308.
— Iles des trois — . 197, 202.
Patricks Islaiid, 96.
Patriotisme irlandais et culte de
Patrick, 307, 311 s.
Patrons en Irlande, héros et saints:
genliliccs, 218, 224, 2*9; des tïta-
t/ia 267 : dynastiques, 209 : de
royaumes, 218. 224, 229 ; des
choses, 209 ss., 226 s., locaux,
213 s , 225 s., territoriaux, 216.
Saint Patrick, patron, 227 ss.
Paul, saint — et Pierre, reli«iues en
Irlande, 33 : saint — Aurélien.
64.
Paulinus. 81.
Pélagianisme en Bretagne, 45 s.,
46; symboles pélagiens, 42.
Pélopides. 26.
Pélops : tombeau, 19 ; relique.'?, 24:
culte, 22.
Pentecôte, 91, 02.
Père : le roi en Irlande, père juri-
dique de la tûalli, 238 ; — et mère
nourriciers, obligations, 110, 237;
23
354
INDEX ALPHABÉTIQUE
Pères lies Murailles et des Fossés
en Chine. », 10.
Philios do Salamine, 10.
Philippopolis, Si/mbole de — , 42.
l'hocéens morts à Ag\lla, leur
culle. 2-2.
Phœbadius d'Agen, sa déclaratiom
de foi, 4i.
uvXxt athéniennes, leur héros, 7.
Pietés, 38, 54.
Pierre, saint —, sa lutte contre
Simon le Magicien, 50 ; cf. « Paul ».
Pierres : sacrées, 210, 211 s.. 218 ;
dédiées au.x saints, 226: funéraires,
177, 212. 21&; jetées sur des carn,
2^ ; d'intronisation, 201, 260 ;
Pierre de Scone, 260, cf. Fâl ; —
levées; 177. 2»S, — changées en
horanies, 118. 132 ; maudites,
64 ; — chauffe-bains, 64.
Platon, 7, vénéré comme héros,
4.
Plèbe en Irlande : répartie entre les
clientèles patronales, 250.
Plutarque, iJlS.
Podalirios, 5.
Poètes irlandais, cf. File.
Poison, 60, 79.
Polémocrate, 5
Polycrate, anneau de — , cf.
« Thèmes ».
Pommes de Mag Mell, 17^, 175;
pommier, 173, cf. « Arbre de
Vie ».
Porcs : tués à Samhain, 113; offerts
aux fêtes. il3, 146 ; sacrifiés, 128 ;
renaissant après leur mort, 114,
118; consacrés à Patrick, 140.
147; rencontrés par miracle, 37.
Porchers irlandais, 113.
Polilus, grand-père de Patrick, 47.
Prémices, offrandes de — , 112.
Préséance dans les banquets revient
au meilleur champion en Irlande,
221.
•Prièue, 10.
Printemps : légende de saint Patrick
une légende de —, 149, 150 ; fête
de saint Patrick au milieu du — ,
150.
« Prix de quinze hommes »y h\, i93.
Probus, Vie de saint Patrick par
—, SI.
Procédure irlandaise, cf. « Saisie »,
« Jeûne ».
Prorope, saint, ses Vies, 318.
Professionnels groupes — , leurs
héros, 8.
Promet h ée, 15.
Prophéties sur la venue de Patrick
en Irlande, 93.
Propriété foncière en Irlande : col-
lective, 233, 242 ; partage de la
— . entre familles. 236, entre indi-
vidus, 243 ; — des subdivisions
de la fine. 245 : — éminente de la
fine, 243, 252.
Prosper dWquitaine, 37.
Province, la —, en Irlande, 253.
Psyché, 63.
Puissiinces de Vie, cf. « Génies »,
(t Mort », « Vie ».
Purgatoire de samt Halrick, 192,
1%.
Pythagore. vénéré comme héros, 4.
Pythiqucs. jeux —, 22.
Python. 22.
Quadriga = Patrick, 32.
Quotirche = Patrick, 32.
Rabelais, 129.
Rachat de Patrick, 106.
Radegonde, sainte, sa Vie par For-
tunat, 315.
Rameau : du pays des génies, gage
de retour des âmes incarnées, 175 ;
— mélodieux, 184 ; — des filid,
184, 288.
Rappel des âmes, 175.
Mth = rempart circulaire. Monu-
ment funéraire. 168.
•R.'ith Caelchon à Tara, 214.
Règne Nouveau, 75. 95, 142, 148.
Religion, — lien national, 326.
Reliques des héros et des saints :
23 s. ; invention des —, 9, 10.
24, 26; — triomphent desennemis,
218 s., 224 ss. ;— des saints irlan-
dais, 224.
Réincarnation, 130, 131, cf. « Incar-
nation M.
Renoncement au monde : prépare
le rétablissement du Moyaume de
Dieu, 324.
Résurrection : opérée par Patrick,
INDEX ALPIlABliTIQUE
35Î
62, 77 ; du dieu de la fêle, \i9 ss.
Révélation : des héros, 10; « par le
soleil ou la Boyne », 287; par le
bruit des values, i/jid.
Revenants, i;>T, 158. 187, cf. « Morts».
Révolution française: les nationa-
lités après la — , 326.
•Rhodes, 22.
Ri = roi ; ri aentùailhe, i49, cf.
« Rois D.
Rites et mythes, correspondance,
136, 139.
Riviîres : maudites et bénies par
Patrick, G4 ; viennenldeMagMell,
185.
Ro-sai — grand savant, titre scien-
lifi(pie, i'J9.
Robin Hood. 7.
•Rock of CIvde, 55 : — of Cashel,
114.
Rois : de Sparte iioroïscs, 15. Irlan-
dais : de la tunlh, 215. 23i, £iG,
2W, 264 ; hiérarchie des —,
253; apanage, 2:J6 ; élection, 110,
inlrunisalion. 186, 2;)9s., destitu-
ti'ii).232: roi. mari de toutes les
femmes. 2o7 s., père de la lûath.
238, substitut de Jancétre. iOO s.,
responsable de la prospérité maté-
rielle. 1^3,261, divinisé, 261, mou-
rant au.x fêtes. 121.
Roman populaire, 319, 320 ; — édi-
fiant, 317 s.
Rome et TtgUse d'Irlande, 3o7 s.
Roméo et Juliette. 0.
Ronde des anges, 113 : des génies,
114
•Ros en Corco-Laidhe, 265 ; —
Delà (Kosdalla). tombeau de
Patrick a — . 203.
Rosa, 308.
•Roscrea, 33.
•Rosdalla. 203.
Ross Kiiad. fils de Radraige, 284.
•Rossnaree, 166.
Roue de divination, 2.Ti.
Royaume de Uien, fonde par les
martyrs, les moines el les ascètes,
15, 75, 32:t, 324.
Rùad ro fhe.ssa, 285.
Ruadan, saint, sa fête, lOS.
*Rûu3 na Righ (Rossnaree), 166.
Rucht, 170.
Sacart = prêtre. 299.
Sachell, saint, 80.
Sacrifice en Irlande : d'un roi-dieu,
121 ; d'un fils de vierge, 123;
humain. 122, 144, 190; animal,
112 s., substitué pour — humain,
123 ; victime du —, brûlée et
noyée, 119: brûlée dans une mai-
son incendiée, 119, 144. 147. —
festival, 112 ss , 120 s., 122 s., 124,
129 s., 146 ; — agraire, 123 ; de
fondation, 123. 214 ; d'intronisa-
tion, 186 ; funéraire. 188, 190 ;
expiatoire, 123 ; de divination
128.
Sacrifice : mort des héros pareille h
un —, 26.
Sacrilège, 114, 140, 112.
Sacrovir, 147.
Sai-lilre, savant en Ecritures, 299.
*Saingel, 188.
Saints : culte des —, 9, 15, 17, 32;
— intercesseurs, 313 ; cham-
pions et prolecteurs, 17,
223 s., 321 3.,. 324-, cf. «Mar-
tyr )) ; — glorifies, 323. Re-
présentation du saint, 313 ;
323 ; catégorie particulière
de héros 27 s., 321 s., incar-'^
nent un idéal coirectif, 32*/ à
324. — héros de sectes,
320 ; — héros de crfé«,
321 ss. ; héros littéraires.
317.
— irlandais : et culte des fêtes,
140; naviga'feurs, 200; leur
caractère combatif, 223' s.
reliques, 2J4; parents des
lùatha, 267 ; leurs généa-
logies, 268 ; descendance
royale, 2G8; illégitime, ibid.;
— et filid. 295 s., 302 a. ;
« les douze principaux
saints d'Irlande «, 196 ; les
grands saints nationaux,
303, 304, cf. « Bri^çit », « Co-
lumcille », « Patrick ». Le
culte des — reconnu par
Rome, 307.
Saint fondateur en Irlande : droit
rie sa famille à la ancceseion de
l'abbaye, 2«4.
Sainteté : notion tbéologique et
356
INDEX AI.PHABETIQt'E
morale de la —, 320 : — acquise
par renoncement au momie, 324.
Saisie dans le droit irlandais, i3o.
Saisons : 106 s. ; rythme des — ,
représentation mythique, 94, 138.
"Salaminc : héros combattant à la
bataille de —, 17.
Saltair lia Rann. 88, 224. 301.
Sam/iain, fêle, 03. 94, 'JD. 100, 107 s.,
110 s.. 112, 117, 121, 127, 134 à
136, 153, 161, 162, 167: cl Pâques.
141: festin de — . 113, 114, 118:
offrandes à —, 112: feu, 114,
140 : sacrifice, 113, 121, 122, 129 ;
mythes, 116 ss., 120 ss., 129.
Héros mort à — , 117 ss. Circu-
lation des esprits, 134 s.
Samhuin = Samhain, 107.
Sanction d'une infraction riluelle,
102, MO, 114, 119, 121, 140. 179:
de l'adultère, 12{: d'un parjure,
toi. 179: d'un faux jugement,
222.
Sanglier, 170.
'Saul en f^ecale, lieu présumé de la
mort de Patrick, 54 : son tombeau
à — . 304.
Saumon, 170.
Schisme celliquc. 30. 307.
Screpall, monnaie, 52.
Scuilhin, saint, doublet de Manan-
nanïniac Lir, 200.
*Scyros, 24, 25.
Seanan, saint, de Laithrech Briuin,
295.
Sebald, saint, 61.
Sechnall, saint, 32 ; cf. (< Secundi-
nus ».
Sectes : païennes rivales du chris-
tianisme, 320. Héros des — , b,
8, 323.
Secundinus, saint, 270 ; son Hymne,
30 s., 31. 32, 87 ; connu de Muir-
chu, 72.
Sedna. saint, 269.
Segenc, abbé de Jona, 307.
'Scghais, bataille de — , 117.
*Sele, rivière, 64.
Sert = ancien.
Sen Garman, 125 ; Scn Patraic (Sen
Patrick), 38, 203.
*Sen-Glochair, cf. « *Oenach Clo-
chair » ; — Mag, 98.
Senan. saint, sa fontaine, 226.
Sénat de Rome, inlervcnlion du —,
dans l'institution des cultes hé-
roïques, 9.
Senc/ta, historien, 2SI.
Senchan Torpeist, 283, 288, 289,
290, 291. 292, 296
Senchus Môr : tradition sur la col-
laboration de Patrick à la compo-
t^ilion du —, 87, 281, 296, 308: —
na lielec. 164.
Sept saints dormants, légende des
—, 314.
Sépulture : dans un sidh, 157 s.,
105, 168 ; héroïque, cf. « Tombeau » :
— de Patrick, 193, 203 ; cf. o Funé-
railles ».
Serfs : 236, 237 ; des abbayes, 265.
Serment : héros et saints invoqués
dans le — , 18; dieux de la tùalh
invoqués, 232 ; — prêté sur des
pierres sacrées, 210 ; sur les son-
nettes et les bâtons des saints
irlandais, 224.
Serpents : dieux chthoniens et héros
sous forme de — , 14.
Scsrech, mesure du sol, 249.
Setanta, nom propre de Cûchulainn,
331.
Sévériii du Norique, saint, 327; sa
Vie par Eugipius, 315, 317.
Shamrock, plante consacrée à saint
Patrick, 150.
'Shannon, fleuve, 58, 146.
Sibylle, la —, 4.
Sicron, 22.
'Sicyone, 19, 23.
Sid/i, demeure souterraine des
génies, 102, 118, 135; — ouverts
à Samhain, 13i ss. ; sépultures
dans les — , 157 ; dieux des — ,
158, 170, 213 ; saints patrons des
— . 225 s.
•Sldh Oruimm, 114.
Sigebert de Gembloux : mention de
Paiiadius, 38.
Siméon le Slylite, saint, 317.
Simon le Magicien, 59.
Sin, fée, concubine de .Muircertach
mac Lrca, 117 ss., 132.
Sinach, saint, autre nom de saint
Mac Dura, 332.
*6inai, cf. « Mont Sinal ».
INDEX ALPHABETIQUE
3"J7
Sinis. 22.
Sirus, saint, patron ilo Gt'-nop. 3i4.
"SkeiTies, lli's. ^T.
Slan, fontaine —, 210.
•Slane, 81, 142.
Slanga, son tombeau : à Dinnrfg,
il4; an Siiab Slanga, i-'ti.
•Slébte, 53, Ô8. 07.
'Sletty. cf. « Siobtc ».
Sliab = montagne.
'Sliab Domongairt. -iC> : — Fiiait,
tiQ ; — Moduirn, 214. — Slanga
(ancien nom du Sliab Domongairt),
iit). Cf. « Mont ».
*Snam-da-én (Uadum duoriim auiiim)
58.
Soglian, ks — , J4S.
Solaires, fêtes, IjO s.
Soleil : arrêté, cf. « Josué ».
Sommeil magi(iuo, 280.
Songe : pro|)hotiqiie, 11',', IsJl ; héros
se révélant par le moyen des — ,
10.
Sonnette : des saints irlan<lais. i±i,
30-, cf. « Serment ». « Reli(iiit'S » ;
— de saint Patrick, lu,*, 224.
Sorbier de Science et d'Inspiration,
183 s.
"Sparte, culte héroïque à — , .">, l.>,
Spenser, sa description de la céré-
monie d'intronisation en Irlande,
260.
Squiru : interprétation des mythes
d'invasions, 102 ; théorie des
fêtes irlandaises, 139.
Slavuide, grade scolaire, 299.
Slésichure. iJ.
Stoïciens : mythe d'Héraclès inter-
prété par les — 17.
*Strangford Lough, '■'>:i.
iStrofuis, couverture du mort, 18j,
189.
Succession : en ligne agnatique,
239; dévolution des biens entre
les branches de la fine, 243; —
des abbayes, 264 ; — du trône
de Munster. 2.5o.
Sui, savant. 277 ; — canoine, doc-
teur en droit canonique, 299.
Snib-deochain = sous-diacre, 2'J9.
Suicide : de Milchu, 00, 106, 147 ;
de Sacrovir. 147.
'Suisse, nationalité en —, 326.
Sulpice Sévère, 31 o, 317.
Symboles de foi orientaux et occi-
dentaux comparés à la déclara-
lion de foi de Patrick, 41 s.
Symbolisme naturel dans les rites,
144.
Tadg. filsde Cian, voyage de — ,182.
Tailliii, fille de Magmôr, 101, 125,
130. 131, 202; tombeau de— , lOii.
•Tailliu : fêle de —, 98, 109, 110,
111, 112, 12;i. 130, l.il. 140, 153,
202 ; courses de —, 126, 141, 165 ;
mythes de —, 125. i:io, 131 ; ba-
taille de —, 102, 104 ; cimetière,
164 s., 167. Patrick à —, 57, 91,
141, 153.
Tàin Bô Cùalnge : découverte de la
— , 296; copiée à Clonmacnois,
300 ; cf. « Textes irlandais ».
Tallhybios, 18.
Taman, grade des filid, 287.
Tamlaclita, tombeau de morts d'épi-
démie, 179.
Tanaiste = héritier présomptif, 241.
•Tara : 102, 142, 143, 1 19, 215,
217, 268; fête de —, 98, 110 s.,
129, 140, 153; salle des festins à
233 ; cimetière, 16i. Patrick à —,
57, 58, 68, 91, 96, 104, 140, 144,
153, 294.
Tarbfes = « tète du taureau »
(sacrifice du taureau), 128, 129,
272.
Tarvos Trigaranus, 128.
Taureau divin, 127 s., 170; sacrifice
du — , 128, cf. « Tarbfes ».
Taurcrec, subside du suzerain à
ses vassaux, 236.
Tea. 213.
•Tech Laissrenn, 228.
Teinin laeqda, procédé de divina-
tion. 277, 298.
Tellach Curnain, filid héréditaires
de Darlraige, 248.
•Temair Luachra, 166, cf. « Lua-
chra ».
Tempête magique, 102, 216.
Tenanciers irlandais : catégories,
236 ; — plébéiens, 250 ; les — font
partie de la fuie du flâilh, 251 ;
de la fine ecclésiasiique, 265.
358
INDEX ALPHABKTIQUE
TenuFR en Irlande : libre, iHd: fa-
jnili;il.<. iZl, m.
Téri'i.'. et Inus. :il.
Territoire, basi- de la nationalité, 3:26.
'Terryglas. abbaye de—, 300.
*Tethbae, les deux — , o7.
Telhra, dieu des morts, loG. 160.
Textes littéraires Irlandais
analysés.
Acallamh na Senorach. 94, 134,
167. 178, 302.
Aenach Carmain, 109, 111, 124.
126, liO, 160, 163, 166. 177, 208,
233, 283.
— Tnillen, 125, 126, 165.
Aided Conchoôair. 221.
Aime Fiiigehi. 284.
Ainra ColuimbCille, 283, 296, 302.
Aventures de Tadg. fils de Cian,
157, 173, 174, 182 s.
Baile on Scail. 201. 260.
The Bat/le ofCrinna, 112, 272.
— of Murj Ratk, 224. 225.
Belha {Viei, cf. aux noms des saints.
— Bfujhle du Livre de Lismore,
304.
— Cellaiy, 168.
— Ciarain, '.lo, 194 ; — du Livre de
Lismore, 295.
— Coluim-Cille du Livre de Lis-
more, 268.
— Molaisi, 171, 194.
Birlh of Aed/i Sidine. 110, 111,
171.
— and Life of saint Molinç), 196.
Boromn (le Tribut). 109. 135.
Boyish Exploits of Finn. 134.
Bruiden Dd Chocae. 179. 185, 188,
274, 283.
Cath Alm'iine, 108, 126 ss., 208,
282 183.
— Cairn Conaill. 195, 302.
— Finnlraga. 130, 188.
— Maiqlie Mitcramha. 136.
— Maiçjhe Tured, 100. 101, 125,
130, 132. 1 86, 210. 262, 274,
285.
— Muiqhe Léana, 93, 94, 110,
116, 174 185, 187, 258,
272. 276, 280.
Cath Huis na Rig for Boinn, 94.
T/ie Cause of tlie Hat /le of Cnucha,
122, 215, 262, 276
Ceniiuck ii'C liù<innili>, 129
Ci)ir Anmann, 171, 201,218. 272,
m.
Colloquy of Colum-Cille and the
Youlh al Carn Eorlaig, 303.
Comperl Conchobair, 171, 273.
— Concidaind, 171.236,262,263,
284.
Comtoth Loegairi co cretim, 145,
17J, 281, 299.
Cormac et les Blaireau.v, 146.
Cour faite à Becnma, \É:i.
Càcfiulainns Deal/t, 146. d-A. 258,
263, 3;J1 s.
Death of Crimlliann. 161, 168, 180,
188, 190
— of sonie Irisli Heroes. 116. 301.
— of King Dermot, 109, 110, 119,
162."
— of Muircertach mac Erca, 53.
113, 116 ss.. 120 s-, 132,
1H;!, \\^r^, 188. 211. 224, 258,
273, 302
Dintisenchas (les — ), 112.
de Carman, 124, 172, 278.
d'iiss Aeda, 2i:;.
de Mâcha, 126, 161.
de Mide, 115.
de Moennuigh. 1^5 s.
de Sinann, 183. 184.
de Tailtiu. 12.).
de Tara, 126. 164, 216, 217.
de Tonn Clidiia. 175, 210.
de Tuag Inbir, 17J, 182.
— métriqut'S :
d'Achall, 188.
de .Mag Sleiht. 112, 123, 133.
148, 211 212.
de Tailtiu, 112. 140.
de Temair, 215.
Echtra Condla. lofi, Î60, 17?!, 182.
— Coi-maic, 17,^, 183, 209.
— Nerai. 127, 1%, 208.
Do F/illsigud Tàna B6 Cùalnge, 1T8,
278, 2%.
Fled Bricrend, 129, 221.
De gabail int sida, 121, 135.
INDKX ALPHABi:TI(jUE
359
Gein liranduib niaic Echach. 272.
Génération îles Deux Porcheis, 114,
170.
Goire Conaill Chernaif/ i Criia-
chain, H'i.
Thedreek Kmperor's Daiighler, 1Z2.
Immacallam in dà Thuarad, 279,
isi. 287, 288. is». 290.
Imraiii lirnin tmiic Ff/uiil. K.T, 172.
173. 184. 200,201.
— cuirecfi M.iel-Duiii . 174, iOO,
273. 274.
— cuirech Slael-Duxn, version du
Livre Jaune de Ltcatt, 235.
ImUieacItl na l'roindhainihe, 194,
283, 28J, 292.
Lebar na Gabala, 97 ss., 125, loû,
135.
Longes mac ii-Vstiig, 185, 273.
281
Mort d'Oscar et de Coirpre, 283.
Naissance et Rèf/ne de Conchobar,
110, 113, 1(.;. 221, 262.
Neuvaine des L laies, 93, 1-0. 12.j,
131. 161. 16i.
Orgain Dindrig. 280.
The l'ursuil oflhe Oilla Decair, 94.
Scél Raili Binnberlaig, 180, ill,
273.
— Mticci Maic-Dalho, 113. 219.
220. 233.
Serr/lif/eConchulaind. 93, 104. 110.
111. 121, 128, 129. 135. 182.
263, 272
Storyof King's Eocfiaid's Sons. 168.
Tàin fi<> Cti*iliiqe, '.K^, 98, 102.
104. 121. I-'S. 134. i:t7 s , 143,
iTi», 185, ISii. 188, l'.i7. 198,
211, 212. 214. 21 t, 22(1, 2il,
222. 232. 234. 238, 254,
258 263. 273. 27o, 279,
280, 284. 332.
— Bo Hidnis. 165.
Tallaud Etiiir, 291.
Tochmarc Emire. 98, 112.
— Etftine, 158 s., 171, 190, 275,
287.
Tochmarc Fei'be, loii, 282.
— Luaine, 213, 278.
Togail Ihuidtte Uà Derga 160, 331, s.
— Trot, 188.
ïiian )nac C/tirill, Histoire de — ,97,
170,275.
Tucait indarba r.a n-Déisi, 232.
Voyage of Ihe Sons of OC orra, 872.
♦Thôbcs, 2.].
Thèmes légendaires.
Adultère : femme — exilée, 122.
Anges : veillée des — , 61.
Angélique, visite — , 61, loO.
Aninwi, guide et ami, 63, 2ià,
227 ; dompté par un saint,
79, cf. Monstre; saint i>oui-
suivi par des ennemis leur
échappanlsous forme d'un — .
59, 149.
Arbre Ueuri, 173; arbres poussés
sur les tombes de deux amants
211.
Attelage fantôme, 204; — funéraire
errant, 63, 2t>4.
Altental déjoué par miracle, 60, 79,
14a.
Baptême suivi de mort, 62, 69,
Bâton miraculeux.
Chœur des esprits, 113.
Combat d'un saint contre des dé-
mons, 59, 105, 224, cf. Dragon,
Lutte.
Course, 1*3 ; mort du vainqueur
dune — . 125.
Criminel faisant fondre des maux
sur le pays qui l'accueille, 122 s.
Croi.v érigée par erreur sur une
tombe païenne demeure inaper-
çue d'un saint, 62.
Deca;)i/e vivant, 12'.i; revenant avec
sa tète sur ses épaules, 129.
Dimanche travail du — , puni, 64.
Dispute pour la possession des re-
liques, 63.
Doigts lumineux, 61, loi.
Dragon combat contre un —, 313.
;i60
INDEX ALPHABKTIQUE
Eau changée en feu, 79.
Enchantements, 118, 121.
Enlèvement dune fée, 175.
Ermite |)unition d'une offense faite
à un —, 127.
Étincelles sortant de la bouche. 61.
loi.
Exil, punition d'un crime, 199. cf.
adultère.
Fée, maltresse d'un homme, 117 ss. ;
défense de prononcer son nom,
117.
Frère et sœur se retrouvant au mo-
ment où Ton allait les marier, 79.
L'homme fort, 313.
Iles mei-veilleuses, 79, 9G, 18^, 198 s.
Interdiction violée entraînant la
mort. 118 s., 179.
Intersigne : songe — , 119.
Jalousie : attentat contre la mère
d'un saint commis par — , 79.
Jeunesse éternelle, 96.
Libération, lOo.
Lutte spiriluello, 58 s., 140 s., 148.
Magicien enlevé par les démons.
58 s.. 104.
Monstre gardien dompté, 197.
Mort, dans une maison assiégée et
incendiée, 119 ; — de honte, 125;
— d'amour, 211.
Navigation errante, 182 s., 196 ss.
Neige changée en lait, 79.
Nom, interdiction de le prononcer,
cf. Fée.
Ordalie, 14 i.
Paradis terrestre : vovage au — ,
96. 202.
Pluie : elle évite de mouiller le
saint, 61.
Polycrate, anneau de — , 314.
Pommes du pays des génies, 173 s.
Rachat, 106.
Rameau du pays divin : rappel des
âmes par le — , 175.
Sept Dormants les — , 313.
Servitude du héros, 77, 10.) s.
Simulation de la mort amène la
mort, 63.
Soleil arrêté da7is sa course, 61 s..
75, 77.
Songe prophétique, cf. Intersigne.
Substitution, 79.
Supplice par t.xposition aux piqû-
res des insectes. 314.
Vaisseau errant, porteur de reliques,
63.
Ville engloutie, 201.
Thémistocle, 17.
Thésée, 9 ; invention de ses reli-
ques, 24 s.
•Thessalie, 320.
*Thessalonique, 10
'Thomond : cimetières et lieux de
fête, 167 ; dieux du —, 216; loca-
lisation de la légende de saint
Patrick dans le — , 68.
Thyeste tombeau de — , 19.
Tigernmas, 133. 148, 156, 211.
27»- = terre, pays.
*Tir Amalgaiilh, 58. cf. « Hûi Amal-
gada « : Tirconneli, 186. 268, cf.
Cinel Connell ; — innambeo, 173,
175 ; — na n-og, — Tairngiri,
173.
Tirechan 66; date de son écrit 67 s.,
champion de la suprématie d'Ar-
magh, 74 : itinériiire de saint Pa-
trick chez — , 57, 58, 141; légende
des voyages en germe chez — ,
79 s.; continuateur de — , 83. Cf.
« Muirchu », « Patrick ».
Tirésias, 21.
Tisamène, translation des reliques
de —, 24.
•Tiachtga. fête de — . 114, et cime-
tière —, 165.
Tlépolénios, 22.
Tober = fontaine.
•Tobcreendoney, étymologie. 228 :
Tobereevil, 216: — Ghrainne,
212.
Toit arraché annuellement, 127.
Tombeau, héroïque, 18 ss.. 177 ss.;
centre du culte 14, 21, 259; situa-
tion 19, 25, 26, 163, 168, 214, 215,
218, 259 ; érection des tombeaux,
INDEX ALPHABETIQUE
361
188. Respect dû aux —, 204.
Siilt.slitution du tombeau du roi
à celui de l'iincôlre commun, -61.
— Dont jaillissent des sources,
ilO, 21i; des lacs, il3. Tombeau
commun des trois grands saints
d'Irlande, 304.
'Tomregan, école de — . 2'.»8.
Tonsure celtique, 308. 307.
Tor = tour.
•Ter Inis, 99. 10.% IjT.
Torbach, abbé d'Armagli, 33.
Totémi^îme : In question du — en
Irlande, io9, 331 ss.
Tour de Bregon, loi, 103 ; — de Co-
nann, 99, 103.
'Tours, 3iS. cf. (( Martin » ; Patrick
à —, 80.
Tremblement de terre, 60, 105, 145.
Trene Samna, 111, cf. Satnhainl
Trêve feslivalc en Irlande, 109.
Tribu, ±bi s., cf. Tiialh.
Tricha cet, 232, identique à la
tùalfi, i'49; unité de bataille, 249;
unité territoriale, 249 ; étendue
et subdivisions territoriales, 249;
division de l'Irlande en — , 249.
*Trim, abbaye de — , 2G6 267.
Tripartilc. Vie — , cf. n Patrick ».
Tristan, 7 ; le Roman de Tristan et
(lYseull, 137.
Truites : sacrées, 227 ; « d'inspira-
tion « 183 ; de saint Patrick, 22S.
•Tuag Inbir, 17... 1><2.
'Tuam Tenha, 214. cf. « Dinn-rig. »
Tûan mac Cairill, 97, ITii
Tuara&tal = subsides, 236.
Tùath. 215 ; groupe fondamental
de la société irlandaise, 231 ;
autonomie, 232; roi et dignitaires,
232; nom, 234 s, parenté des
membres. 234, 251 ; c'est un clan,
231 ; — organisée en famille de
clients, 2.33 ss.. et fine. 248, 2:)1,
cf. Fine; subdivisions numériques
de la — . 243 s. : la — comprend
trente fine, 2.")0. Organisation de
la — en diocèse. 264, 266. Dieux
de la — , 232 ; ce sont des hé-
ros. 263. Saints |)atrons de la — ,
207. Cf. Trickacét.
Tiiatha Dé Danann, 96, 99 ss., 103,
108, 124. 130, 143, 159, 201, 210,
216, 247, 275. 280; génies de
la vie, 130 ; incarnation des — ,
171, 172; identiques aux génies
des fêtes, 131, 132 ; aux fir sidlie,
102, 13Ô, 165: protégés par le
fétk fiada. 134; humanisés 166,
Les — et les filid, 284, 285.
Tugen, manteau des fitid, 288.
•Tulach na coibche à Tailtiu, 109.
'Tyrrhénienne mer — , 43, 80, 90,
97, 103 s., 194 ; baigne les 'pays
élyséens, 196, 198, 202 ; les con-
trées où l'on accomplit son ini-
tiation, 197, 198.
Uadum, cf. Vadum.
•Uisnech Midi : fête d' —, 98, HO,
111, 115; cimetière, 164, 167;
légendes et mythes, 119, 162. If
d' —, 211. Patrick à —, 57, 64,
141, 153.
Uladli. monument funéraire, 187.
•Uladh royaume d' -, 63, 204, 224.
Ulales, 93, 110, 220 ; privilèges des
druides chez les — , 275 ; dieux
des —, 233 ; patron des —, 224.
Cf. « "Ulster ».
'Ulster 68, 92, 137: assemblées et
cimetères, 168 : sépulture des
rois d' — , 165 ; localisation de la
légende de saint Patrick en — ,
68, cf. « Armagh », « Lecale » ;
champion de 1' — , 220.CYcle d' — ,
116. 137.
Ultan, saint, évoque d'Ardbraccan,
66, 67; son Livre, 70, 71, 73, 79;
son Hymne, 77.
Ulysse, 21, 324.
*Vadum duorum avium, 58; —
Truimm cf. « *Trim ».
Valerii. les — , 234.
Vautour, une des métamorphoses
de Tùan maie Cairill, 170.
Vendetta des parents électifs obli-
gatoire en Irlande, 257.
Ver. une des métamorphoses des
deux porchers, 170 ; avalé par
une femme la rend grosse, 171.
'Vérone souvenirs de Roméo et de
.Iulictte à—, 6.
Victoricus l'ange — , intermédiaire
entre Dieu et Patrick. 36 : ange
protecteur des Irlandais, 76,
362
INDEX ALPHABÉTIQUE
Victorinns de Petavium, sa déclara-
tion do foi. 41.
Vies des saints, cf. « Hagiogra-
phiques, légendes ».
Vie : effet de l'incarnation des gé-
nies, 172 ; concentrée dans l'Ar-
bre de Vie, 173 s. : — humaine
et celle des arbres, 174. — pos-
thume, 176; idée de la — en
Irlande, 17G ; — individuelle des
morts nommés, 178, 184 s., 189 s.,
218. — et mort, 17j, cf. « Mort ».
Village en Irlande, cf. Baile.
Villes, opposition aux villages,
traces dans le culte, 321.
Vincent de Lérins saint — . 44.
Vladimir saint — , duc de Kiev,
327.
•Vosges, culte de saint Dié dans
les —, 327.
Vulgnte, texte de la — confronté
avec les citations de Patrick, iO.
•Wicklow. 38. 96.
LISTE DES AUTEURS ET ANONYMES CITÉS
Acla Sanclorum publiés par les
Bollandistes.
Adamnan.
Ahnrich, cf. Lucius.
Allen.
Ambroise de Milan.
Ancienl Laws of Ireland.
Andler.
Annals : Fragmentai'y, cf. O'Grady :
— of Tigemach, cf. Slokes, Whi-
lley ; — of Ulsler, cf. W. Ilen-
nessy et Mac Carthy.
Annales Cutnbria?.
Annales des fjuafre-Mailres.
Anliphonarium lienchorense.
Apollonius de Rhodes.
Apulée.
Arbois (d') de Jubainville.
Archiv fur Celtiscfie Lexikographie.
Atkinson, Robert.
— et J.-H. Bernard.
Barry, Albert.
Barsanti, Ottavio.
Bédé le Vénérable.
Bernard, cf. Atkinson.
Bernouiili, Cari Albert.
Bertrand, Alexandre.
Besse, Dom.
Boisacq.
Borlase. W.-Copcland.
Boucharlat.
Bulliot.
Bury, J -B.
Calendar of State Papers relating
to Ireland, Charler Halls.
Carmichael.
Cassien.
(Jathcart, William.
Celse. cf. Origéne.
Cennfaeladh le Savant.
César.
Chronicon Scotorum, cf. Hennessy.
Cicéron.
Cinaed hùa Artacain.
Golgan, Joseph, cf. Index général.
Conellan, Owen.
Conrady.
Constantius de Lyon.
Corpus Inscriptionum Graecarum.
Coladh Gaedhel re Gallaihh.
Cuan hua Lochain.
Cumont, Frantz.
Curtius.
Dante (le— )•
Decharme.
Delehaye.
Démosthène.
Dill.
Diodore de Sicile.
Diogéne Laërce.
lJ(»rban.
Doltin.
Duveau, Louis.
F.bert.
Lbrard.
Eckleben, Selmar.
Lnnodius.
l'Iochaidh hùa Flainn.
Kschyle.
Euchcrius.
HC4
LISTE DES AUTEURS ET ANONYMES CITÉS
Eugipius.
Eusèbe.
Fallow.
Fauslus de Riez.
Félice (de), Philippe.
Félire, cf. Index général.
Ferguson, Sir Samuel.
Fleming, William.
Florence de Worcesler.
Folk-Lore Journal, [Ihe — ).
Folk-Lore Record, (Ihe — ).
Fortunat.
Frazer, J.-G.
Fustel de Coulanges.
Gainsford, Robert-John,
Gargan, Deni.s.
Gennep (van).
Giraldus Cambrensis.
Glossaires irlandais, cf. Index géné-
ral.
Gomme.
Gradwell, Monsignor.
Graves, Charles.
Grégoire de Tours.
Groot (de).
Gwynn, Edward.
Haddan et Stubbs.
Hahn, August.
— Ludwig.
Hancock Neilson.
Hardiman, James, cf. O'Flaherty.
Harnack.
Harris.
Harrison, Ellen.
Healy.
Hennessy, William M.
— — et Mac Carthy.
Hérodote.
Héron.
Hésychius.
Hilaire, saint — d'Arles.
— — de Poitiers.
Hogan, Edmund.
Holder.
Hopkins, W.
Hore, Herbert-J.
Hubert, Henri.
— et M. Mauss.
Hunt, William.
Iliade.
Irische Texte, ci. Windisch.
Isocrale.
Jean de Thessalonique.
Jérôme, saint.
Jérôme de Rhodes.
Jocelin de Furness, cf. Index géné-
ral.
Joyce, P.-W.
Kattenbusch.
Kealing, Geofîrey.
Kcllner.
Killcenny Archaeological Journal.
Kinahan, G.-K.
Kinane.
Kuhn, Ernsf.
Lampridius, cf. Eusèbe.
Lanigan.
Ledwich.
Légende Dorée.
Legrand, Albert.
Lelièvrc.
Levison, W.
Lizeray.
Loofs.
Loth.
Lucius, Ernst.
Maas.
Macalister.
Mac Carthy, cf. Hennessy.
Mac Corry, J.-S.
Mac Firbis.
Mannhardt.
Mansi.
Manuscritsirlandais.cf. Lebar. Livre
dans l'Index général.
Marianus Scotus.
Marlinesco Cesaresco, Evelyn.
Martyrologes, cf. Index général.
Mauss, cf. Hubert et Mauss.
Meitzen.
Meyer, Kuno.
Migne, cf. Palrologia.
Milchhôfer.
Moran, le cardinal — .
Morris.
Muirchu, cf. Index général.
Muratori.
LISTE DES AUTEURS ET ANONYMES CITÉS
365
Nennius.
Nisbclh.
Nutt. Alfred.
OCurry
O'Donêll. lliigh Joseph.
O'Donovan, John.
Odyssée.
O'Flaherly.
OGrady. Standish Ilaycs.
Ohlcrt."
Origènc.
Paris, Pierre, et G. Roques.
Patrologia Grœca.
— Lalina.
Pausanias-
Pétrie.
Pindare.
IMummer, Charles.
Plutarque.
Pokorny.
Pooler.
Posidonius.
Probus, cf. Index général.
Prosper dWquitaine.
Reeves, Wiliiam.
Reinach, Salomon.
Réville. Albert.
Revue Celtique.
Rhys.
Robert, Benjamin.
Rohde, trwin.
Roscher.
Saintyves.
Sanderson, Joseph.
Scarre, Annie M.
Schoell.
Sébillot.
bhahan, Thos.-J.
Shearman.
Sigebert de Gembloux.
Sophronius.
Spenser.
Squire.
Slern, Ludwig Christian.
Stokes, Margaret.
— Whilley.
— — et John Slrachan.
Strabon.
Strachan, cf. Stokes et Strachan.
Stubbs. cf. Iladdan et Stubbs.
Sullivan.
Sulpice .Sévère.
Sumner Maine.
Symons, B.
Tacite.
Tamasia.
1 hurneysen.
Tigernach, cf. Annals.
Tillemont.
Tirechan, cf. Index général.
Todd, J.-ilenthorn.
_ — et William Roeves.
Usener.
Valentin, abbé.
Vendryès.
Vincent de Lérins.
Vinné (de), Daniel.
Vulgaie.
Walsh, W.-P.
Ware, James.
Wasserschleben.
White, N.-J.-D.
Windele.
Windisch.
Wood-Martin.
Zeuss.
Zimmer.
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos i
Préface, par M. Henri Hibert nii
NTRODUCTIOX
Double acception du mot liéros. — Analyse de la notion du héros
incarnation de valeur. — Héros témoin et champion. — Reconnais-
sance sociale du héros. — Le héros incarne un idéal social. — 11 est
un homme. — La conquête du ma/ui. — Héros avocat et patron. —
Analyse de la notion du héros funéraire. — Ktat intermédiaire entre
la vie et la nxDrt dans lequel se trouve le héros. — Portée sociale
delà mort héroïque. — Identité du héros idéal et du héros funéraire.
— DéSnition provisoire du héros. — Les héros, les dieux et les
saints.
CHAPITRE PREMIER
LŒUVRE DE SAINT PATRICK EN IRLANDE 29
De lexistenco de saint Patrick. — Ses écrits. — Patrick et Palladius. —
Préparation de saint Patrick. — Son -caractère. — Son œuvre eu
Irlande.
CHAPITRE H
LA LÉGBItDE DE SAINT PATRICK
ÉTUDE SOMMAIRE DES TEXTES 57
Écart entre la légende et l'histoire. — Itinéraire de saint Patrick en
Irtande. — Thèmes de la légende. — Personnalité légendaire de
Patrick. — Les Vies de Patrick. — Tirechân et Muirchu. — Leurs
sources. — Caractère édifiant de leur œuvre. — Assimilation d'élé-
ments épiques et mythiques. — Assimilation de saint Patrick aux
perscutnagcs bibliques. — .\raplifications des Vies subséquentes. —
308 TABLE DES MATIÈRES
Les textes. — Vies types, leurs sources. — lies postérieures à la
]'ie Tripartile. — Textes isolés et fragmentaires.
CHAPITRE III
LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK
ET LA MYTHOLOGIE IRLANDAISE. LES FÊTES 89
Caractère mythique de la légende de saint Patrick. — Sa trame chro-
nologique et celle de la mythologie irlandaise.
I. Le cycle mythologique irlandais. — Place de la légende de saint
Patrick à la suite de l'histoire des invasions mythiques.
II. Mythes et légendes des fêtes irlandaises. — Le sacrifice et le
combat des dieux.
III. Saint Patrick acteur du drame festival. — Caractère national
de la légende de saint l*atrick.
CHAPITRE IV
LES REPRÉSENTATIONS IRLANDAISES DE LA MORT ET
DES MORTS DANS LA LÉGENDE DE SAINT PATRICK loo
Confusion des génies des fêles avec les morts, les ancêtres et les
héros. — Les fêtes sont célébrées en l'honneur des morts. — Repré-
sentation de la mort et de la vie : désincarnalion et réincarnation
des génies. — Morts anonymes et morts nommés. — Portée sociale
de la mort des morts nommés. — Mort rituelle et mort physique, la
navigation errante, l'initiation. — Double série des rites funéraires. —
État intermédiaire entre la vie et la mort dans lequel sont les morts
nommés. — Concentration des fêtes funéraires aux fêtes périodiques
du calendrier.
Représentations irlandaises des morts et saint Patrick. — Saint Patrick
maître des morts. — Son entrée rituelle dans l'Autre Monde. — Son
initiation. — Son assimilation aux navigateurs errants. — Les cir-
constances de sa mort et de son enterrement.
CHAPITRE V
SAINT PATRICK EST UN HÉROS 207
.Vspects du culte des morts. — Les dieux irlandais sont des morts. —
Les dieux et les morts nommés sont des héros. — Saint Patrick est
un héros du même type que les héros irlandais.
CHAPITRE VI
LA CONSTITUTION SOCIALE DE L IRLANDE ET SON INFLUENCE
SUR LA FORME DU CULTE 231
Raisons pour lesquelles le culte des dieux prend en Irlande la forme
héroïque. — Constitution sociale de l'Irlande. — La tùath. — Son
TABLE DES MATIÈRES 369
caractère gontilice. — Sa conslilution en clientèle familiale. — La
famille. — Degrés de parenté. — Du lien de famille. — Immuabilité
des cadres de la famille. — La famille est une subdivision numérique
de la lùalh. — La tùalh est un clan local et polymorphe. —
Groupes plus étendus que la làalh. — Parenté utérine et parenté
élective. — Formes du culte qui correspondent à l'organisation
sociale irlandaise ; culte de l'ancêtre et sa réincarnation dans le roi.
— Culte des déesses-mères et des déesses nourricières. — Forme
héroïque du culte des dieu.x.
Les représentations de parenté dans le culte des saints. — Orga-
nisation de l'Église irlandaise sur la base de la tùalh. — Saints
ancêtres et parents. — Le culte des saints est un culte de chefs. —
Parenté de saint Patrick avec ses fidèles.
CHAPHRK VI
ROLE DES FILIU DANS LA FORMATION DE LA LÉGENDE
DE SAINT PATRICK. — SAINT PATRICK HÉROS NATIONAL 271
Les druides et les filid. — Fonctions des druides. — Leur situation
sociale. — Les fiiid, leurs fonctions. — Fonction mythopoélique des
filid. — Personnification de l'idéal propre aux filid dans le type du
héros irlandais. — Organisation nationale des filid. — Constitution
d'une tradition nationale irlandaise. — Rivalité des druides et des filid.
— Alliance de ceux-ci avec le christianisme. — Recrutement du clergé
parmi les filid. — Collaboration des filid et du clergé k la constitu-
tion des légendes des grands saints nationaux. — Exaltation de
Patrick comme héros national de l'Irlande.
Comparaison de saint Patrick et des aulres saints chrétiens. —
Différences. — Les légendes hagiographiques et les légendes
héroïques. — Base Ihéologique et morale de la représentation du
saint. — Saints. — Héros littéraires. — Le caractère héroïque des
saints est déterminé par les conditions sociales dans lesquelles s'est
développée leur légende. — Les types des héros et des saints
reflètent un certain état social. — Incarnation du lien social fon-
damental dans le héros. — Classification des héros. — Conclusion.
Index alphabétiole 335
Liste des auteurs et anonymes cités 363
Table uks matières 367
CZARNOWSKI. 24
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BX 4700 .P5 C9 1919 SMC
Czarnowski, Stefan,
Le culte des héros et ses
conditions sociales
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